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mardi 16 décembre 2014

La Geste des Princes Démons




Avec La Terre Mourante, La Geste des Princes Démons est, à mon avis, l'oeuvre la plus aboutie de Jack Vance.
Il est de bon ton de dénigrer les genres littéraires un peu marginaux que sont la Science Fiction ou l'Heroic fantasy. Pourtant cette littérature de l'imaginaire peut se révêler particulièrement inventive et créative. C'est exactement le cas de la Geste des Princes Démons.

Le Cadre. L'action se situe dans un avenir très lointain. Une invention capitale, l'interscission de Jarnell, a permis de se mouvoir d'un point A à un point B de la galaxie presqu'instantanément. L'élaboration de vaisseaux spatiaux appropriés a entrainé la conquête progressive d'un ensemble de planètes formant l'Oecumène. Ces dernières ont évolué séparément en fonction de leurs caractéristiques physiques et les populations se sont différenciées. Deux liens importants les maintiennent ensemble : la CCPI (compagnie de Coordination de Police Intragalactique) chargée du maintien de l'ordre et l'Institut, organisme dont la fonction sera précisée plus loin. En plus des mondes policés et civilisés de l'Oecumène, il y a les mondes sauvages, sans état de droit où toutes sortes de transgressions sont possibles, c'est l'Au Delà.

Les personnages.
Les Princes Démons. Au nombre de cinq, ils ont comme point commun d'être au départ des artistes frustrés ; devenus criminels, ils défient les lois et règnent à la manière de chefs de maffia, voir de dictateurs dans les terres qu'ils contrôlent....Ils opérent dans l'Oecumène mais leur domaine de prédilection est l'Au Delà où ils peuvent en toute impunité exercer leurs méfaits : extorsion de fonds, esclavage,....ou bien réaliser leurs fantasmes.....Ils rivalisent de folie et d'excentricité et grâce à une entente tacite, se sont, sans doute à regret, partagé l'univers. Chacun d'eux a fait l'objet d'un roman dont il est le personnage principal.
Attel Malagate (Le Prince des Etoiles, The Star King, 1964), brillant universitaire, cherche à s'emparer d'une planète idyllique que l'homme n'a jamais profanée pour y établir ses casinos, ses boites de nuit...Il est le seul à ne pas être humain...
Kokkor Hekkus (La Machine à tuer, The killing machine, 1965), a transformé la planète Thamber en terrain de recherches médiévales expérimentales. Ses troupes sont équipées d'armures et combattent avec boucliers, lances et épées et la ville où il est retranché est entourée de murailles. Auteur d'un ouvrage théorique intitulé Théorie et pratique de la terreur, il cherche à produire la terreur la plus extrême chez les êtres qu'il a soumis, pour ce faire il a analysé toutes les composantes de la terreur chez ses cobayes humains. En agissant sur certaines d'entr'elles, il peut déclencher à volonté une peur panique chez ses victimes.
Viole Falushe (Le Palais de l'Amour, The Palace of Love, 1967), est un psychopathe et délinquant sexuel, il a réduit une planète en esclavage, et a institutionnalisé la prostitution pour asseoir ses revenus. Il a construit un palais : Le Palais de l'Amour où il se nourrit des sensations érotiques et des émotions de  ses invités.
Lens Larque (Le Visage du Démon, The Face, 1984), est le plus énigmatique, nul ne connait son visage et ses motivations restent mystérieuses au yeux de tous.
Howard Alan Treesong (Le livre des Rêves, The book of Dreams, 1984), adepte du chaos, est le plus ambitieux des cinq, il s'est infiltré dans l'Institut et projette de s'emparer de cette organisation qui le rendra maître de l'Oecumène. Deux personnages cohabitent en lui, l'un doté d'une énergie dévorante, est ancré au réel, l'autre se projette dans un monde imaginaire où il est le suzerain d'un groupe de paladins, dont les hauts faits sont consignés dans un livre (Le livre des rêves) qu'il écrit au jour le jour..Ces deux destins parallèles se rejoignent au moment de la mort du dernier des Princes Démons.

Kirth Gersen. Lors d'une razzia effectuée sur la planète Providence, les Princes Démons, exceptionnellement associés, ont massacré la population et emmené en esclavage, femmes et enfants. Kirth Gersen, échappé du massacre, a consacré toute sa vie à la vengeance. C'est le personnage central de toute l'épopée. Dans Les cinq volumes de la saga, il parviendra, grâce à son astuce, son courage et ses erreurs, à éliminer ses adversaires l'un après l'autre. Chaque roman fonctionne comme un roman policier, usant de déguisements, stratagèmes divers, chaque Prince Démon finira par être démasqué par Gersen puis éliminé.
L'intrigue policière ne constitue pas l'essentiel du propos mais donne l'occasion à Vance de déployer ses talents de conteur, de décrire des planètes fascinantes, des peuples étonnants, des coutumes cruelles ou pittoresques, des systèmes politiques variés....

Les Princes Démons, personnages bariolés, baroques, barbares, rivalisent d'excentricité par leur ramage et leur plumage (sauf Lens Larque qu'on ne voit jamais), on sent bien que leur créateur est fasciné par eux. Le justicier Kirth Gersen qui occupe tout le terrain, est gris, terne mais en fin du compte c'est lui qui vaincra. Une fois les Princes Démons éliminés, l'Oecumène sera plus ennuyeux qu'auparavant et Gersen, privé de ses ennemis, sombrera dans la dépression.

Les Institutions de l'Oecumène
L'Institut. En théorie, cet organisme vise à promouvoir la science au service de l'humanité et de réglementer son usage.
L'humanité n'a rien appris de ses erreurs passées, des divinités nouvelles sont apparues ainsi que leurs fanatiques zélateurs. Des guerres de religions féroces ont ravagé le système de Véga (1). En face des religions et leur obscurantisme, l'Institut mise sur la connaissance et la raison, il s'appuie sur la croyance que le bonheur de l'homme est basé sur l'effort et le dépassement de soi. C'est dans l'adversité et la lutte contre un environnement hostile que s'affirme la grandeur de l'homme. l'Institut exalte ainsi l'homme naturel des premiers âges et fustige l'homme socialisé qu'une société trop organisée, a déresponsabilisé....
L'admission à l'Institut se fait sur concours ouvert à des hommes et des femmes de toutes conditions. Ensuite les adeptes peuvent grimper dans la hiérarchie, d'abord assez facilement puis beaucoup plus difficilement, en franchissant des degrés au nombre d'une centaine. En bas de la pyramide, les adeptes sont très nombreux, à partir du dégré 70, leur nombre diminue drastiquement. En haut de la hiérarchie se trouve la dixade, c'est-à-dire les dix adeptes ayant franchi le degré 90. Au sommet se trouve la triade, trois adeptes garants de l'institution possédant les numéros 100, 101 et 102. L'avancement se fait par les capacités intellectuelles et certaines épreuves non précisées. Ce système est accusé par ses détracteurs de fréner le progrès social, il est toutefois clair que l'Institut dont les idées apparaissent globalement réactionnaires, a la faveur de l'écrivain.
Interéchanges. L'astronef permettant aux criminels une fuite facile vers l'Au Delà, les enlèvements destinés à soutirer de l'argent se multiplient. Pour éviter les situations dramatiques et tout particulièrement les assassinats d'otages, les autorités tolèrent l'existence d'un établissement : Interéchanges, destiné à faciliter le payment en toute sécurité d'une rançon en échange de la libération d'un otage (2).

Le style. L'action ne devant pas être noyée par un flot de détails., la prose de Vance est concise, directe et mise sur l'efficacité. Un humour discret est toujours présent en filigrane. Curieusement les contrées que nous décrit Vance ressemblent plus aux pays de l'ancienne Terre qu'aux mondes futurs bourrés de technologie auxquels la science fiction nous a habitué. Les cabines téléphoniques avec lesquelles Gersen s'entretient avec ses connaissances, font sourire. Comme toujours ce sont les comportements humains modelés par l'environnement qui intéressent Vance.
Chaque chapitre des cinq romans est précédé d'un texte assimilable à une didascalie, expliquant et précisant les points abordés dans le chapitre. On n'y trouvera aucune explication technique : l'interscission de Jarnell reste un concept poétique et son fonctionnement n'intéresse pas l'auteur (3-5). Par contre les systèmes sociaux divers, les civilisations baroques, les villes remontant au passé le plus lointain des mondes visités sont minutieusement décrits. A la suite de cette notice explicative, courent deux ou trois histoires fantastiques basées sur des légendes, des contines ainsi que des extraits du Livre des rêves. La traduction en langue française est excellente.


  1. Le livre des rêves. Plus encore que dans ses autres romans, Vance manifeste ici sa méfiance vis à vis des religions, accusées d'être des instruments de pouvoir.
  2. Le fonctionnement d'Interéchanges est détaillé dans la Machine à Tuer, opéra galactique en trois actes. Le payment de la rançon de 10 milliards d'UVS (Unités de Valeur Standard) par Gersen pour libérer Alusz Ifigenia Eperje Tokay qui s'est enlevée elle-même et a rejoint Interéchanges afin d'échapper à Kokkor Hekkus, termine de façon rocambolesque l'acte II du roman.
  3. Dans le Palais de l'Amour, l'action se passe en partie sur Terre dans un port Flamand (Anvers?) et il y règne une ambiance vieillote que Georges Simenon aurait sans doute appréciée.
  4. L'univers décrit par Vance ne repose sur aucune donnée scientifique comme cela a été noté dans :http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Prince_des_étoiles
  5. On lira avec intérêt une étude critique de ce cycle : http://www.noosfere.com/Icarus/livres/serie.asp?numserie=1990

2 commentaires:

  1. Vous écrivez : "L'action ne devant pas être noyée par un flot de détails., la prose de Vance est concise, directe et mise sur l'efficacité."

    Hum.... Je ne suis pas entièrement d'accord avec vous : on pourrait croire en vous lisant que c'est écrit très sèchement, pourtant J. Vance a un style magnifique, très imagé et évocateur, avec un humour très anglo-saxon. Personnellement, j'adore !

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  2. Merci pour votre remarque. Vous avez raison, Jack Vance est un conteur remarquable et j'adore son style et son humour. Toutefois ses descriptions collent toujours étroitement au fil de l'action. C'est cela que je voulais dire.

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