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jeudi 21 janvier 2021

Deux symphonies hors du commun: Prague de Mozart et L'ours de Haydn

Ursus arctos peint par Nicolas Maréchal (1753-1803)

La symphonie n° 82 en do majeur l'Ours Hob I.82 de Joseph Haydn et la symphonie n° 38 en ré majeur Prague K 504 de Wolfgang Mozart datent toutes deux de 1786, elles figurent parmi les plus belles de leurs auteurs et sont représentatives de l'état de l'art atteint par les deux compositeurs à ce stade de leurs carrières. Elles possèdent des analogies notables mais aussi des différences marquées.

Prague en 1886

Au chapitre des analogies, on peut noter leurs dimensions. La symphonie Prague est beaucoup plus ambitieuse que les symphonies précédentes n° 35 Haffner K 385 (1782) ou n° 36 Linz K 425 (1783) et a fortiori que les symphonies encore plus anciennes de Mozart. La symphonie l'Ours, dernière composée du groupe des symphonies Parisiennes, se distingue de ces dernières et des symphonies antérieures par de vastes dimensions qu'elle partage avec la symphonie n° 86 en ré majeur. Ces deux symphonies de Haydn et Mozart s'illustrent aussi par la puissance de la pensée musicale, la beauté des idées, la science de leurs développements et des qualités d'héroïsme et d'individualisme que l'on a l'habitude d'attribuer à Ludwig van Beethoven (1770-1827) mais qui ressortent clairement dans ces deux oeuvres.

Les différences sont cependant profondes. Elles sont essentiellement structurelles, on constate que la symphonie Prague est dépourvue de menuetto et comporte trois mouvements. Cette coupe a surpris les historiens ou musicologues spécialistes de Mozart, étant donné que ce dernier durant son adolescence écrivait déjà des symphonies en quatre mouvements très élaborées comme, par exemple, ses quatre symphonies K 130, 132, 133 et 134, composées en 1772 (1,2). On a de ce fait émis l'hypothèse qu'un menuet était prévu pour la symphonie Prague mais non réalisé par Mozart ou bien perdu. D'autres auteurs estiment que cette coupe correspondait à une volonté clairement affirmée de Mozart de composer une symphonie en trois mouvements comme il en écrivit de nombreuses en 1773 (K 184, 181, 162, 182, 199 dans l'ordre présumé de leur composition). Ces dernières en fait reprenaient le schéma de la sinfonia, morceau orchestral destiné à ouvrir un opéra seria, constitué généralement de trois mouvements enchainés, de tempos successifs: vif, lent, vif, n'ayant le plus souvent rien à voir avec la trame de l'opéra. La sinfonia en ré majeur K 135 ouvrant Lucio Silla (3) en est un bon représentant. La remarquable symphonie en mi bémol majeur K 183 a servi aussi d'ouverture à la musique de scène du drame Thamos (1773-1779). Mais le meilleur exemple de l'utilisation de la coupe en trois mouvements à des fins dramatiques, se trouve dans la symphonie n° 32 en sol majeur K 318 de 1779 qui fut utilisée par Mozart comme ouverture de l'opéra de Francesco Bianchi (1752-1810), La villanella rapita de 1785. La symphonie Prague pourrait ainsi constituer un dernier et grandiose avatar de la sinfonia d'opéra, elle serait aussi, comme le propose Alfred Einstein (4), l'aboutissement des symphonies et des sérénades orchestrales en ré majeur composées jusque là par Mozart.

La symphonie l'Ours est en quatre mouvements avec le menuet en troisième position, coupe généralement adoptée par Haydn dès son installation en 1760 au service de la famille Esterhazy à quelques exceptions près (symphonies d'église par exemple). Haydn abandonne donc rapidement la structure de la sinfonia d'opéra qu'il pratiquait couramment avant 1760, pour se raccrocher à d'autres modèles comme la suite d'orchestre, genre musical pratiqué à l'époque baroque en France, mais aussi par Jean Sébastien Bach (1685-1750) ou Georg Philipp Telemann (1681-1767). Il me semble que la symphonie La Reine, n° 85, Hob I.85 en si bémol majeur, pour rester dans le domaine des symphonies Parisiennes, ressemble beaucoup à une suite de danses comme le montrent la séquence de mouvements: ouverture Adagio aux rythmes pointés baroques, un Vivace à trois temps au rythme de valse, une Romanze, variations sur un thème populaire, équivalent de l'aria de la suite baroque, un menuetto et son trio, correspondant aux menuet I et II et le Presto final qui renvoie à la Gigue ou la Réjouissance qui terminent les suites pour clavecin ou pour ensemble de musique de chambre. Ces considérations s'appliquent aussi à la symphonie l'Ours qui rythmiquement s'apparente beaucoup à la symphonie La Reine comme nous le verrons plus loin.


Prague par Adam August Müller (1811-1844).

La symphonie en ré majeur Prague K 504 s'ouvre par un grandiose portique Adagio, de loin la plus importante et la plus dramatique introduction jamais composée par Mozart pour une symphonie. L'inspiration qui prévaut dans Don Giovanni composé quelques mois plus tard, est déjà présente ici. L'allegro qui suit est, selon H.C. Robbins Landon, le mouvement de symphonie le plus formidable de Mozart. Cette structure sonate complexe de trois cent mesures à quatre temps possède trois thèmes. Le premier thème est en fait un premier groupe de cinq motifs bien individualisés dont un est proche du thème principal de l'ouverture de la Flûte enchantée (5). Ce premier thème est très étendu et donne lieu à un travail contrapuntique poussé. Le deuxième thème est très chantant et sa superbe ligne mélodique est longuement exposée par les violons contrepointés par les bassons avec de belles modulations. L'exposition s'achève avec des éléments du premier thème clamés par le tutti dans un brillant mouvement symphonique. Le développement polyphonique qui suit est de loin le plus puissant de tous ceux composés jusque là par Mozart. Il est construit à partir de trois motifs du premier thème qui font l'objet de fugatos ou d'imitations très serrés. Le développement culmine quand ces trois motifs sont combinés, prouesse polyphonique créatrice d'une architecture sonore pleine de grandeur, produisant une grande satisfaction intellectuelle. Ce magnifique travail de contrepoint ne sera dépassé que par celui du finale de la symphonie n° 41 Jupiter K 551 (6). La ré-exposition est semblable à la première partie mais fourmille de détails orchestraux raffinés et s'achève avec une triomphale péroraison.

Le mouvement lent Andante 6/8 en sol majeur est d'une beauté mélodique saisissante et en même temps d'une grande profondeur. Les instruments à vents flûtes, hautbois et bassons lui donnent un côté pastoral. La beauté des modulations et une sensibilité à fleur de peau donnent à ce morceau un côté Schubertien.

Le finale Presto 2/4 de 380 mesures équilibre par sa taille le premier mouvement. Ce mouvement est bâti sur un thème syncopé de caractère furtif que l'on a rapproché de celui qui immortalise la scène des Noces de Figaro où Cherubino est contraint de disparaître en enjambant la fenêtre. Ce thème se prête à mille combinaisons entre les différents pupitres des cordes et des vents et donne lieu à un puissant développement remarquable pas son énergie et ses dissonances acerbes. L'orchestration est encore plus élaborée dans la ré-exposition tandis que trompettes et timbales se joignent aux jeux contrapuntiques des cordes et des bois. Les multiples références à l'opéra témoignent de la proximité temporelle des Noces de Figaro que Mozart venait de composer et de Don Giovanni, encore à naître.


Ours élevé pour la danse. Photo Hugh Mangum, 1900

Pas d'introduction lente dans la symphonie en do majeur Hob 82.I l'Ours, on entre d'emblée dans le vif du sujet dans l'allegro initial avec un thème conquérant basé sur l'accord parfait de do majeur suivi par une timide réponse mélodique des cordes. Une fanfare éclatante de tout l'orchestre à l'unisson met un terme à toute velléité de discussion. Le rythme à trois temps donne un caractère dansant à tout le mouvement. Les doubles croches déferlent ensuite, semblent tout envahir sur leur passage mais ce mouvement s'arrête tandis que retentissent trois accords violemment dissonants (secondes mineures) à la mesure 51. Le deuxième thème essentiellement mélodique et très simplement accompagné par les seconds violons, contraste vivement avec le premier. Le développement de 66 mesures est basé d'abord sur le premier thème puis sur le deuxième qui donne lieu à de belles imitations entre les violons, les altos et les violoncelles discrètement doublés par les bois. Ce passage magique a une coloration romantique fascinante. Une courte coda en valeurs longues émaillée de modulations mineures apporte une touche rêveuse et la fanfare répondant au premier thème met un point final à un mouvement d'une grande unité et clarté contrastant avec le foisonnement de celui de Mozart.

Le mouvement lent, Andante, en fa majeur 2/4 est un thème varié. Comme c'est souvent le cas chez Haydn, les variations mineures (fa mineur) alternent avec les variations majeures. La dernière variation syncopée, clamée fortissimo par tout l'orchestre, prend un ton populaire presque moqueur qui anticipe la danse de l'ours du dernier mouvement.

Le menuetto est d'une élégante solennité et le délicieux trio évolue dans un paysage bucolique. Dans la deuxième partie de ce dernier des modulations mineures apportent des touches d'ombre.

Le finale presto, 2/4, dépasse en puissance, originalité et signification musicale les trois autres mouvements. Avec sa basse de musette lourdement accentuée grâce à une appogiature ouvrant chaque mesure et son thème agressivement populaire évoquant la danse d'un ours, c'est ce thème répété tel un ostinato qui donne sa personnalité unique à ce splendide mouvement et à la symphonie toute entière. Comme dans le finale de la symphonie de Mozart, tout le mouvement repose sur le premier thème car le deuxième ici est réduit à sa plus simple expression. Le thème principal fait l'objet d'un traitement symphonique magistral avec une fantaisie, une invention inépuisables et une puissance digne de Beethoven notamment dans les mesures 73 à 80. Le fantastique développement de 64 mesures est un des plus impressionnants de Haydn. Le maître d'Eszterhàza arrive à tirer de ce thème de l'Ours des accents très dramatiques et d'une incroyable énergie. Marc Vignal a signalé la ressemblance de ce développement avec celui de la symphonie Hob I.44 en mi mineur (7). Lors de la ré-exposition, la basse de musette est maintenant clamée par les basses, les altos à la quinte et les cuivres puis fortissimo par les timbales déchainées. L'effet est d'une puissance électrisante. Ce finale génial est probablement un des plus impressionnant de toutes les symphonies de Haydn. 

Quid de l'orchestration de ces deux symphonies? La symphonie Prague témoigne des progrès effectués par Mozart dans l'écriture symphonique. Mozart y oppose des blocs d'instruments, le bloc des bois dialoguant ou s'opposant à celui des cordes, tendance qui s'affirmera encore plus dans les trois dernières symphonies de 1788. Haydn préfère colorer les thèmes en doublant les cordes avec des bois; par exemple, il adore doubler les premier violons avec les bassons ce qui produit un effet très flatteur. Les deux procédés s'inscrivent dans une évolution constante de l'écriture orchestrale de plus en plus colorée, nuancée et expressive au cours de la deuxième moitié du 18ème siècle. On notera l'usage audacieux et percutant fait par Haydn des timbales et des trompettes.

Ces deux symphonies sont des jalons importants pour les deux compositeurs car après elles, on change de dimension. En 1787, Haydn compose la symphonie n° 88 en sol majeur Hob I.88 que je considère comme un point culminant non seulement de ses symphonies mais encore de son œuvre toute entière (8). A ce chef-d'oeuvre, Mozart réplique en 1788 avec sa symphonie n° 40 en sol mineur K 550, aussi différente qu'on peut l'être de la symphonie n° 88 de Haydn mais équivalente par la concentration, la beauté des idées et la puissance de leur élaboration dans les développements. Pas un atome de graisse, que du muscle a dit à leur propos Howard Chandler Robbins Landon (9). Quand la carrière symphonique de Mozart s'achève en 1791, celle de Haydn redémarre en flèche à Londres à partir de cette date avec de nouveaux sommets.


  1. Théodore de Wizewa et Georges de Saint Foix, W. A. Mozart. I. L'enfant prodige. Desclée de Brouwer, Paris 1936, pp 450-463.

  2. https://piero1809.blogspot.com/2015/11/haydn-et-mozart-lannee-1772.html

  3. Isabelle Moindrot. L'opéra seria ou le règne des castrats. Fayard 1993, pp 119-123.

  4. Alfred Einstein, Mozart, L'homme et l'oeuvre. Desclée de Brouwer, 1954, pp 282-'.

  5. Georges de Saint Foix. IV. L'épanouissement. Desclée de Brouwer, Paris 1939, pp 225-9. Il serait plus juste de dire que ce thème s'inspire de celui de la sonate en si bémol majeur opus 24 n° 2 de Muzio Clementi composée en 1781 soit dix ans avant la Flûte enchantée.

  6. Ces passages des symphonies n° 38 et 41 où plusieurs thèmes sont combinés annoncent la magistrale ouverture des Maîtres chanteurs de Richard Wagner.

  7. Marc Vignal. Joseph Haydn, Fayard 1988, pp 1198-2002.

  8. https://piero1809.blogspot.com/2017/09/symphonie-n-88-de-joseph-haydn.html

  9. H.C. Robbins Landon, Mozart connu et inconnu, Arcades, Gallimard, 1996, pp 129 et sequentes.

  10. Les illustrations libres de droit sont tirées de Wikipedia que nous remercions.


mardi 5 janvier 2021

Hansel und Gretel à l'Opéra National du Rhin

Hansel et Gretel. Photo Klara Beck

Dirigée en 1894 à Weimar par Richard Strauss l'oeuvre est reprise en 1895 à Hambourg sous la direction de Gustav Mahler. Ce double patronage par deux des plus importants compositeurs de l'époque reflète bien la place que tenait cet opéra dans le paysage musical de la fin du siècle en Allemagne. Ce conte théâtral, adapté par Adelheit Wette à partir du conte des frères Grimm, Hansel und Gretel et magnifié par le don mélodique et le talent d'orchestrateur de Engelbert Humperdinck, va prendre une place incontournable dans le répertoire de nombreuses maisons d'opéra.

Hansel et Gretel. Photo Klara Beck

L'étiquette d'oeuvre wagnérienne fut rapidement collée à cet opéra mais cela ne saurait étonner vu l'immense influence de Richard Wagner sur les musiciens contemporains. Cette étiquette fut également donnée par la critique à presque tous les opéras composés à l'époque y compris à Carmen lors de sa création au grand étonnement de Georges Bizet. Quoique Engelbert Humperdinck fût l'assistant de Wagner, l'influence de ce dernier ne me semble pas aussi importante qu'on l'a dit, du moins dans Hansel und Gretel. Par exemple on ne trouve que peu de traces du chromatisme wagnérien dans cet opéra dont l'écriture est essentiellement diatonique. Pour moi, l'oeuvre relève du romantisme allemand et repose principalement sur le Lied, le chant populaire et le choral luthérien. La musique tire ses racines de celle de Mozart, Haydn, Weber, Brahms et annonce même celle de Mahler, de six ans seulement plus jeune que Humperdinck, comme le montre le Lied chanté par le Père, Eine hex' steinalt haust tieff im Wald dont l'inspiration est proche de ceux que Mahler composait à cette époque. Au tableau II, c'est la grande forêt germanique, déjà présente dans Le Freischutz, qui est évoquée par les quatre cors de l'orchestre. Au tableau III, on remarque une mélodie, Bleib stehn! qui ressemble beaucoup au trio du menuet de la symphonie n° 104 de Haydn. Les développements symphoniques sont surtout concentrés dans l'ouverture et dans les interludes séparant les trois actes comme la fameuse Hexenritt (chevauchée des sorcières). Mais ce sont les chants populaires (Mit den Füsschen, tapp, tapp, tapp, mit den Händchen, klapp, klapp, klapp, einmal hin, einmal her,...au tableau I, Ein Männlein steht im Walde...au tableau II) parcourant l'opéra entier qui sont la marque de l'oeuvre et lui confèrent l'essentiel de son charme. Ces mélodies populaires ou bien chansons enfantines que chantent Hansel et Gretel en solo ou en duo sont basées sur des contines et leur musique facile et naïve se grave immédiatement dans la mémoire. L'orchestration qui témoigne d'un métier accompli, répugne aux effets faciles et est constamment d'une grande noblesse et d'un grand raffinement. Solennelle, pleine et riche dans les moments de recueillement, elle devient pittoresque sans jamais tomber dans la vulgarité dans les passages plus détendus ou pastoraux.


La Sorcière Grignotte. Photo Klara Beck

La mise en scène et la scénographie (Pierre-Emmanuel Rousseau) suivent scrupuleusement le livret pour ce qui est de l'esprit et de la lettre. L'action est simplement transposée à notre époque et de ce fait les costumes (Pierre-Emmanuel Rousseau) sont modernes. Hansel, Gretel et leurs parents sont des victimes de la grande pauvreté. Ils occupent une caravane en ruine dans un bidonville représenté par un mur lépreux. Si le père dans le livret fait commerce de balais, c'est plutôt de chiffons trouvés dans les poubelles que la famille trouve sa subsistance qui se résume à presque rien la plupart du temps. Ce sont ainsi des enfants affamés que la mère expédie vers le bois proche pour récolter des fraises. Mais la forêt de bouleaux, superbement évoquée par les éclairages de Gilles Gentner, est peuplés d'étranges créatures dont la sorcière Grignotte dévoreuse d'enfants. Cette dernière revêt la forme d'une créature androgyne de belle prestance habitant un palais dont le kitsch évoque les lieux de divertissements de Las Vegas sauf qu'ici la devanture toute de clinquant cache un four où la sorcière transforme les enfants en pain d'épice après mains tripotages douteux, métaphore des sévices que les prédateurs sexuels de notre temps font subir à leurs victimes. Le palais héberge aussi une troupe disparate de danseurs (magnifique chorégraphie, harmonieuse et inventive de Pierre-Emile Lemieux-Venne notamment dans la pantomime qui termine le tableau II) parmi lesquels on croit reconnaître des personnages de la comédie italienne, d'autres en haut de forme et collant noir alla Zizi Jeanmaire. Le tout n'est pas sans évoquer également le film Qui veut la peau de Roger Rabbit. Les décors, costumes, accessoires, chaussures, perruques et masques, réalisés par les ateliers de l'Opéra du Rhin, procuraient un plaisir continu pour les yeux et une source continue d'émotion.


La Sorcière

La distribution était homogène et sans faiblesse. Anaïk Morel (mezzo-soprano) a déjà brillé à Strasbourg en Charlotte dans Werther de Massenet. Sa prestation en Hansel, rôle très différent, n'a pas déçu. Le timbre de voix est fabuleux, la projection excellente et très homogène du grave vers l'aigu, la ligne de chant tire son harmonie d'un superbe légato. Son personnage de grand frère protecteur est très émouvant d'autant plus qu'il est sauvé in fine par sa petite sœur Gretel. Cette dernière était incarnée par Elisabeth Boudreault que je ne connaissais pas et que j'ai ainsi découverte. Cette jeune soprano québécoise m'a charmé de sa voix aérienne et agile et par son interprétation riche et émouvante d'un personnage auquel elle s'identifie avec beaucoup d'engagement. Les envolées vers l'aigu, véritables fusées, suggéraient que des rôles plus acrobatiques (Zerbinetta) pussent lui être attribués dans le futur. Ces deux remarquables artistes, unies dans un magnifique duo au début du troisième tableau, ont su parfaitement exprimer l'esprit d'enfance, cette capacité qu'ont les petits, placés dans des conditions épouvantables, de s'émerveiller pour un rien (Cf le rôle d'Yniold dans Pelléas et Mélisande). Spencer Lang a créé la surprise en campant une sorcière absolument inattendue mais particulièrement perverse. Ce ténor par sa voix au timbre superbe de brillance et de clarté et du fait d'un travestissement ébouriffant a empli la scène de sa présence maléfique. Marcus Marquardt (baryton) tenait le rôle de Peter, père des enfants et sa venue sur scène avec son air Rallala, chanté d'une voix à la projection insolente, était irrésistible. La mère, Gertrud, interprétée par Irmgard Vilsmaier, se situait un cran légèrement au dessous du fait d'aigus un peu stridents mais sa prestation était globalement très convaincante. Enfin Hélène Carpentier interprétait les rôles du marchand de sable et de la fée Rosée avec une très jolie voix.

Le Père. Photo Klara Beck

La Maitrise de l'ONR et les Petits Chanteurs de Strasbourg apportaient leurs jeune voix pures et claires lors de la conclusion féérique du spectacle.

Mention spéciale à l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg en petite formation mais en grande forme sous la direction éclairée de Marko Letonja. Tous les pupitres étaient à louer mais j'ai adoré le son des cordes dans leur ensemble avec de superbes moments solistes au violon, à l'alto et au violoncelle. Un magnifique hautbois solo faisait entendre une voix mélancolique tandis que la clarinette s'illustrait avec quelques traits d'une virtuosité époustouflante. Les champions étaient à mon avis, les quatre cors parmi lesquels se détachait un cor solo tout à fait fabuleux par sa douceur et son moelleux. Après avoir entendu pendant un an sans discontinuer les cors naturels en usage dans la musique baroque, l'écoute d'un cor à pistons joué par un artiste pareil, devenait une expérience très plaisante, il faut le reconnaître.

Un spectacle génial à visionner d'urgence (1, 2)!


(1) https://www.viavosges.tv/musique/live/H ... k62fAQ8au8

(2) Cette chronique est une extension de mon compte rendu paru dans Odb-opéra: https://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=23146