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vendredi 23 avril 2021

Telemann Polonoise

Seweryn Bieszczad, Krosno sous la neige


J'ai fait la connaissance ici et à Cracovie de la musique polonaise et morave dans sa beauté authentique et barbare.
.., témoigne Georg Friedrich Telemann (1681-1767) dans ses autobiographies. Une d'entre elles fut publiée par Johann Mattheson (1681-1764) dans son Grundlage einer Ehren-Pforte (Eléments pour un arc de triomphe) en 1740. Dans d'autres écrits, Telemann évoque avec enthousiasme les soirées passées dans les tavernes de Pologne à écouter les danses et musiques populaires de ce pays. Telemann avait 24 ans quand il fut nommé Kapellmeister à la cour du comte Erdmann von Promnitz en Silésie à Sorau (aujourd'hui Zary en Pologne) qui lui donnèrent l'occasion de visiter Cracovie et Pszczyna et de faire la connaissance du folklore polonais et morave (1-3).


Cette attirance pour les musiques d'Europe Centrale ne quittera plus Telemann. Ce dernier incorporera dans ses propres oeuvres des thèmes ou des mouvements entiers d'inspiration polonaise. C'est le cas de ses nombreuses suites orchestrales TWV 55 ou de son concerto pour flûte à bec et viole de gambe TWV 52 a1, de la Partie polonoise TWV 39:B1 en huit mouvements, écrite pour deux luths. Deux de ses quatuors (TWV 42:B3 et 42:G7) seront intitulés concertos polonois. Enfin la série des 31 danses polonaises TWV 45 pour violon et continuo est certainement la composition la plus riche en musiques populaires. Ces danses sont appelées Polonoise (ou Polonié, Polonesie) quand les thèmes sont d'origine polonaise ou bien Hanak (ou Hanaque, Hanaquoise, Hanasky) quand l'inspiration provient de Moravie.


Jerzy Siemiginowski-Eleuter, Allegorie de l'automne (1681)

Les danses polonaises étaient jouées par des groupes opérant dans les auberges ou en plein air et comportant un violon, une cornemuse polonaise, un trombone basse et un régale (orgue portatif). C'est ainsi que Telemann les entendit et il était probable que les sonorités rustiques et stridentes d'une telle formation fussent considérées par lui comme barbares (rappelons ici que la musique paysanne aux 17ème et 18ème siècles, était perçue comme chaotique et incompréhensible par les musiciens savants) et qu'il eût souhaité les transposer pour les instruments qu'il avait à sa disposition à la cour de Sorau. Quand Telemann s'approprie cette musique, il l'insère donc dans l'art de cour (2,3). On peut d'ailleurs dire la même chose pour la plupart des musiques d'Europe Centrale acclimatées par les compositeurs classiques qu'il s'agisse des danses hongroises de Johannes Brahms ou bien des danses roumaines de Bela Bartok (1881-1945), écrites pour les instruments de l'orchestre classique et non pas pour tarogato (sorte de clarinette hongroise ou roumaine) et cymbalum.


Les œuvres interprétées ici sont très rarement jouées, notamment les deux quatuors TWV 43:B3 et 43:G7, appelés par Telemann concertos polonois. Ces derniers font partie du vaste corpus des quatuors avec un instrument soliste (flûte, hautbois, basson...) et basse continue dont les quatuors Parisiens de 1738 sont les représentants les plus glorieux. Ici l'instrument soliste est un violon s'ajoutant à un violon, un alto et un violoncelle; de ce fait, l'écriture de ces oeuvres est proche de celle des quatuors à cordes (nonobstant la présence du continuo) dont ils seraient ainsi les plus antiques représentants bien avant l'opus 1 de Joseph Haydn (1757) (4). On appréciera les dissonances incroyables du milieu de l'allegro du 43:B3 (piste 13) ou encore les arpèges très italiens du 43:B2 (piste 4). Comme on l'a dit plus haut, des danses polonaises ont été incorporées dans les quelques deux cents suites orchestrales TWV 55 et certaines d'entre elles ont beaucoup de charme comme le délicieux Loure au rythme de Sicilienne tiré des Nations anciennes et modernes TWV 55:g4 ou encore la Polonoise extraite de la suite TWV 55:a4. Dans ces suites les rythmes et modes polonais sont insérés dans un contexte éminemment français ce qui leur donne beaucoup de piquant (5). La Partie Polonaise TWV 39:B1 est au départ une suite pour deux luths. La transcription pour cordes met en valeur la délicatesse de ses sept mouvements, dont un charmant Le Ris, qui contraste avec une sauvage Hanaque. Le premier mouvement, ouverture, est un compromis séduisant de rythmes pointés français et d'harmonies polonaises.


Apothéose de Gdansk, Isaak van den Blocke (1608)

Les danses polonaises TWV 45 (Danse d'Polonie) sont une collection de pièces de musique découvertes en 1987 à Rostock et sont les morceaux les plus surprenants de cet album. D'après l''examen du manuscrit de Rostock, il semble que la musique fut notée sur place par Telemann à l'écoute de musiciens de taverne. Selon le violoncelliste Tomasz Pokrzywinski, la polonaise est une danse élégante, noble et fière qui capte l'esprit de la vieille Pologne et qui ne doit pas être jouée trop vite. Les plus remarquables sont la langoureuse Polonié (n° 2), l'étrange Polonié (n° 3) avec ses gammes tziganes ou orientales, la subtile Polonoise (n° 4) et la féroce Hanasky qui termine l'album. La distinction entre musique de cour et musique rustique n'est plus de mise face à une expression particulièrement aboutie de musique populaire sublimée. L'approche de Telemann n'est pas éloignée, à mon avis, de celle d'un Bela Bartok deux siècles plus tard.



La violoniste Judith Steenbrink et la claveciniste Tineke Steenbrink, piliers de l'orchestre Holland Baroque, ont arrangé toutes les pièces (sauf les deux concertos polonois qui sont joués en quatuor) pour un ensemble comportant trois violons, un alto, un violoncelle et le continuo (clavecin et théorbe). Elles ont fait appel à une violoniste baroque réputée, Aisslinn Nosky pour animer l'ensemble. Cette dernière nous ravit par sa technique impeccable, son jeu agile, délié et raffiné et sa superbe sonorité. J'avais remarqué Judith Steenbrink dans son interprétation au violon de Didon et Enée de Henry Purcell (1659-1695) sous la direction de Christina Pluhar au festival Oude Muziek Utrecht 2015 et son jeu sobre et rigoureux m'avait impressionné. Ici sa performance sensible et passionnée est celui d'une musicienne accomplie. Chloe Prendergast complète harmonieusement le pupitre des violons. Filip Rekiec à l'alto et Tomasz Pokrzywinski au violoncelle équilibrent parfaitement les violons de leur son nourri et confèrent à cette réalisation beaucoup de profondeur. Les fondements harmoniques de l'ensemble sont assurés par Tineke Steenbrink (clavecin) et Christoph Sommer (luth). Ce dernier nous régale d'un superbe solo dans la Polonoise n° 17 et la première nommée réalise un féérique accompagnement de clavecin dans la Partie polonoise TWV 39:B1 (Le Ris). A l'écoute de cette musique, il apparaît qu'un compromis très séduisant a été obtenu entre la musique rugueuse originelle et les partitions plus policées de Telemann. En effet les instrumentistes tirent du ventre de leurs violes des sons captivants grâce à de nombreux ornements, appogiatures, flattements et parfois portamentos discrets, mettant en valeur cette musique tout en en respectant l'esprit, et sans une once de vulgarité.

Les virtuoses de Holland Baroque nous offrent ici une illustration vibrante du génie de Telemann, compositeur européen par excellence.


  1. J Mattheson, Grosse General-Bass-Schule (Hamburg 1731). Les trois autobiographies de Telemann en traduction française par Gabrielle Marq, Symétrie, 2021.

  2. Holland Baroque, Notice du CD Telemann Polonoise, © Pentatone-2021

  3. Robert G. Rawson, Courtly contexts for Moravian Hanàk music in the 17th and 18th centuries, Early music 40(4), 577-591, 2012.

  4. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard 1988, pp 801-17.

  5. Ian Payne, Telemann and the french style revisited: Transformative imitation in the Ensemble Suites TWV 55, Bach, 37(2), 45-80, 2006.

  6. Cet article est une extension d'une chronique publiée dans BaroquiadeS: http://www.baroquiades.com/articles/recording/1/polonoise-telemann-holland-baroque-pentatone

  7. Les illustrations libres de droits proviennent de Wikipedia que nous remercions.



mardi 6 avril 2021

Armida de Salieri par Les Talens lyriques

 

Rinaldo ed Armida, Battistino del Gessi (1608-1640)

Derrière la magicienne, une femme amoureuse.

Heureux spectateurs du Burgtheater de Vienne qui purent assister le 2 juin 1771 à Armida, dramma per musica d'Antonio Salieri (1750-1825) sur un livret de Marco Coltellini (1724-1777) écrit à partir du poème épique, La Gerusalemme liberata de Torquato Tasso (1544-1595); ils eurent le bonheur de voir un opéra à grand spectacle comportant des choeurs, des ensembles, des ballets, des machines complexes comme il se doit pour un opéra issu des réformes de Christoph Willibald Gluck (1714-1787) et Ranieri de' Calzabigi (1714-1795) d'une part et Tommaso Traetta (1727-1779) d'autre part. Cette deuxième réforme, entreprise au début des années 1760, bien après la première de 1700, prit pour modèle la tragédie lyrique française (1). Ces opéras réformés demandaient de gros moyens que peu de maisons d'opéra de l'époque avaient en leur possession (2). La suite de cet exposé s'est inspirée d'un dossier sur l'Armida de Salieri publié par Emmanuelle et Jérôme Pesqué (3).

A l'époque de la composition d'Armida par Salieri, un phénomène culturel majeur que Jérôme Pesqué appelle le mirage chevaleresque médiéval était très en vogue en Italie, en Autriche comme en France (4). L'histoire des amours tourmentés du chevalier franc Rinaldo et de la princesse sarrasine Armida avait fait l'objet d'un nombre énorme d'oeuvres lyriques dérivées de l'épopée du Tasse. Les auteurs en étaient Francesca Caccini, Jean-Baptiste Lully, Georg Friedrich Haendel, Tommaso Traetta, Nicolo Jommelli, Antonio Sacchini, Antonio Salieri, Christoph Willibald Gluck, Joseph Haydn, Giuseppe Sarti, Gioachino Rossini. Ces aspects ont été récemment commentés par Jérôme Pesqué à propos de l'Armida de Haydn (4) et par Nicola di Nino dans une revue récente (5).

L'influence d'Orfeo ed Euridice (1762) de Gluck sur l'Armida de son élève Salieri est évidente, mais il ne faut pas négliger celle de Sofonisba, dramma per musica, de Traetta (livret de Mattia Verazi), encore plus révolutionnaire, créée à Mannheim au Hoftheater en 1762 (2). Si on considère maintenant les opéras seria non réformés contemporains, Mitridate (1770) de Wolfgang Mozart (1756-1791), Armida abbandonata (1770) de Nicolo Jommelli (1714-1774) ou encore Temistocle (1772) de Johann Christian Bach qui consistent pour une grande part en une suite d'airs avec da capo très développés séparés par le récitatif sec, on constate qu'on est en présence de deux conceptions théâtrales profondément différentes qui vont chacune poursuivre leur chemin au cours du dernier quart du 18ème siècle.


Renaud et Armide (1734) François Boucher

En tout état de cause, Salieri ne lésina pas sur les moyens avec des choeurs opulents et un orchestre fourni comprenant des bois très actifs et trois trombones. Ces derniers instruments utilisés dans la musique d'église où ils doublent souvent les voix du choeur, sont rarissimes dans l'opéra contemporain du moins à ma connaissance; ils sont toutefois présents chez Gluck dans Alceste (1667) de façon discrète. Du fait de cet usage très audacieux des bois et des cuivres, la musique d'Armida sonne avec puissance. 

Au premier acte, sorte de prologue décrivant les plaisirs des jardins d'Armida, Ismene, confidente d'Armida est angoissée car des vaisseaux ennemis sont en vue sur mer. Au début du deuxième acte, Rinaldo et Armida filent le parfait amour mais leur tranquillité est de courte durée car des croisés ont débarqué sur l'île. Ubaldo, un des chefs des troupes venus délivrer Jerusalem, surprend Rinaldo endormi. Quand ce dernier se réveille, il voit son image reflétée par le bouclier d'Ubaldo. Cette image d'un guerrier avachi par les plaisirs lui fait prendre conscience de sa trahison. A l'acte III Rinaldo, déchiré entre son amour pour Armida et son honneur de guerrier, finit par renoncer à la magicienne qui désespérée s'évanouit. Cette dernière tentative n'empêche pas Rinaldo de partir combattre avec les croisés tandis qu'Armida jure vengeance.

L'Armida de Salieri débute donc quand le chevalier Rinaldo est déjà en la puissance de la magicienne. En fait le scénario est centré en partie sur le combat qui se livre chez Rinaldo entre son amour et son honneur de soldat, dilemme cornélien qui trouvera son accomplissement dans l'Armida (1784) de Joseph Haydn (1732-1809) (4,6). Incidemment, les sept aquarelles des costumes préalablement attribués à Pietro Travaglia pour l'Armida du maître d'Eszterhàza, se sont avérées avoir été peintes pour l'Armida de Salieri (7).


Siège de Jérusalem par les croisés (14-15ème siècle), attribué à Sébastien Mamerot

Salieri est déjà tout entier dans cette œuvre composée à 21 ans et qualifiée par lui: d'ouvrage de style magique-héroïque-amoureux touchant le tragique. Les tournures musicales qu'on aime tant dans La grotta di Trofonio, dans Tarare, dans Axur re d'Ormus, dans Falstaf, nous enchantent également ici. La musique de Salieri ne doit rien à personne et certainement pas au jeune Mozart que le natif de Legnago ne connaissait peut-être pas à cette époque d'autant plus que le salzbourgeois était en Italie du 11 décembre 1769 au 28 mars 1771. Les airs sont courts, de forme soit tripartite, soit en deux sections, une lente suivie par une autre plus rapide, parfois durchcomponiert et diffèrent des airs avec da capo très longs, des opéras serias contemporains de Mozart ou du Bach de Londres. Si les formes closes (airs et duos) servent à exprimer les affects des protagonistes, les choeurs et les ensembles, toujours expressifs et très dramatiques, concentrent la partie magique, noire ou blanche, de l'oeuvre (1). Le soin apporté à la partie orchestrale est proprement sidérant dans Armida. L'orchestre est ici plus qu'un protagoniste à part entière. Qu'il s'agisse de la sinfonia, des généreux préludes orchestraux, des récitatifs accompagnés, l'orchestre impose partout sa loi et il suffit de quelques accords pour que le climat d'une scène soit porté à l'incandescence.

L'oeuvre regorge de passages magnifiques. La mystérieuse sinfonia en do mineur donne le ton de l'oeuvre. A l'acte I, scène 3, le magnifique récitatif accompagné en fa majeur d'Ubaldo, Ecco, l'onda insidiosa (I.3) débute avec le gruppetto sui generis de Salieri, répété inlassablement par les violons et les flûtes tandis que s'élève un chant admirable du hautbois. On trouvera le même gruppetto et la même ambiance dans l'air d'Aspasia à l'acte I d'Axur re d'Ormus. A l'acte 2, l'air d'Armida Tremo, bel idol mio (II,1), un air tripartite de forme libre avec des vocalises raffinées lors de la troisième partie est un des plus remarquable de la partition. Rinaldo lui donne la réplique dans un air avec hautbois obligé d'une grande beauté mélodique, Vieni a me, sull'ali d'oro (II.2). Le duo Rinaldo, Armida, Dilegua il tuo timore (II.4) est un bel exemple de duo d'amour anticipant le fantastique duo qui termine le premier acte de l'Armida de Haydn. L'air très virtuose en si bémol majeur de Rinaldo, Vedo l'abisso orrende (II.5) termine l'acte II. Le sommet de l'oeuvre est indubitablement le morceau entièrement magique ( Salieri dixit) en do mineur, Chi sorde mi rende, qui ouvre l'acte III, précédé d'une magnifique introduction orchestrale avec trombones et suivi d'une intervention très dramatique d'Armida. Autre sommet, le vaste terzetto passionné, Armida, Rinaldo, Ubaldo, Strapparmi il cuor dal seno (III.5), entièrement durchcomponiert et sommet dramatique de l'opéra. Enfin quand Armida revient à elle après son évanouissement, Par chi ritorno in vita, sa fureur éclate en imprécations et en malédictions. Dans la scène ultime (III.6), le choeur et les trombones se déchainent dans une fanfare dans laquelle on croit presque entendre Giuseppe Verdi.


Rinaldo et Armida dans son jardin. Gianbattista Tiepolo (1696-1770) 

Lors de la création de l'oeuvre, Armida était chantée par une soprano et Rinaldo par un castrat soprano, distribution déjà présente dans l'Armida abbandonata de Jommelli et l'Armida d'Antonio Sacchini(1730-1786). Quoique l'ambitus des deux parties de soprano soit comparable, le registre dans lequel évolue la voix d'Armida est nettement plus tendu. Une des difficultés était d'avoir un bon équilibre entre les deux voix de dessus qui sont souvent écrites à la tierce dans les duos. Excellente mozartienne, Lenneke Ruiten a brillé auparavant dans le rôle de Giunia (Lucio Silla). Son timbre de voix est très séduisant et paré de belles couleurs, sa ligne de chant harmonieuse avec un beau legato, ses vocalises parfaitement articulées sans la moindre raideur. Son chant avait une puissance émotionnelle et une portée dramatique qui convenaient parfaitement à ce rôle de femme amoureuse abandonnée par son amant. Son dépit et sa fureur éclatait de façon impressionnante dans le formidable incantation qui suit les mots d'Ismène, Infelice regina, ancora respira (III.6). Sa prestation en tous points admirable, donne à cet enregistrement sa griffe. Rinaldo étant le type d'amant faible et efféminé très à la mode à l'époque de Salieri, une soprano de typologie vocale assez légère s'imposait donc et le choix de Florie Valiquette me paraissait tout à fait judicieux. En tous cas, la soprano québécoise a une voix agile, un peu acidulée qui a fait merveille dans les nombreux récitatifs accompagnés et les airs notamment dans Vieni a me sul ali d'oro (II.2) où elle dialogue avec un magnifique hautbois et vocalise avec beaucoup de grâce, de sentiment et de précision. Elle triomphait dans l'air héroïque, Vedo l'abisso orrendo (II.5), un des plus virtuoses de la partition. Teresa Iervolino de sa superbe voix de mezzo soprano incarnait un personnage non dépourvu d'humanité. Elle déployait l'étendue de son talent dans le bel air Schernita, tradita (III.3). Ashley Riches campait un Ubaldo bien droit dans ses bottes dont la voix de baryton claire et impérieuse était propre à remettre le faible Rinaldo dans le droit chemin notamment dans son air superbe Torna schiavo infelice (III.4) aux modulations audacieuses..


Christophe Rousset
et les Talens lyriques connaissent Salieri mieux que personne après les représentations et enregistrements magistraux de la Grotta di Trofonio, Les Danaïdes, Les Horaces et Tarare. On est émerveillé par la suavité, l'élégance et la virtuosité des cordes (doubles croches de la sinfonia impressionnantes de précision), la richesse de sonorité des vents parmi lesquels se distingue un admirable hautbois et trois fiers trombones. Le choeur de chambre de Namur, très sollicité, crée une ambiance tour à tour pastorale (magnifiques cori di donzelle) ou menaçante dans les scènes infernales. Du fait de la pureté des voix de dessus et la nervosité des voix graves, cet ensemble me paraît être un modèle difficile à dépasser.


Armida triompha en 1771 et ce succès ouvrit à Salieri toutes les portes jusqu'à ce qu'il devînt finalement Kapellmeister de la cour impériale en 1788. Il occupa ensuite les plus hautes fonctions qu'un musicien pût obtenir (3). Il est temps de reconnaître en lui après deux siècles et demi de purgatoire, un des plus importants compositeurs de son époque. Il ne pouvait trouver meilleur défenseur que Christophe Rousset et les Talens lyriques qui, avec cette Armida, signent une de leurs plus belles réussites.

Cet article est une extension d'une chronique parue dans BaroquiadeS (8)



  1. Marina Mayrhofer, Armida, Texte de présentation de l'enregistrement par les talens lyriques, Aparte 2021

  2. Margaret Butler, Administration and innovation at Turin's Teatro Regio : Producing Sofonisba (1764) and Oreste (1766), Cambridge Opera Journal, 14(3), 243-262, 2002.

  3. Emmanuelle et Jérôme Pesqué, Ressources documentaires, Armida de Salieri (1771) https://www.lestalenslyriques.com/resources/armida-ressources/

  4. Jérôme Pesqué https://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=15307&p=307323&hilit=Armida+Haydn#p307323

  5. Nicola di Nino, La strega innamorata. Riprese di la figura di Armida sulla scena teatrale, Italica, 95(3), 334-371, 2018.

  6. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1054-8.

  7. Caryl Clark, Fabricating magic : costuming Salieri's Armida, Early music 31(3), 451-61, 2003.

  8. http://www.baroquiades.com/articles/recording/1/armida-salieri-rousset-aparte

  9. Les illustrations libres de droits proviennent d'articles sur Renaud et Armide de Wikipedia que nous remercions.