Libellés

jeudi 24 février 2022

Les Oiseaux de Walter Braunfels à l'ONR

© Photo Klara Beck,  Marie-Eve Munger


Créé le 30 novembre 1920 au Théâtre National de Munich, Les Oiseaux de Walter Braunfels obtient d'emblée un immense succès avec 50 représentations, succès confirmé dans la plupart des grandes villes d'Allemagne et également à Vienne. Quelques œuvres religieuses et notamment un Te Deum furent également très appréciées et Braunfels était appelé à faire une belle carrière quand l'avènement du nazisme y mit un terme. Sa musique fut qualifiée de dégénérée, il fut destitué de son poste de directeur du Conservatoire de Cologne et banni tandis que ses œuvres furent interdites de représentation. Braunfels se retira à Uberlingen sur les rives du lac de Constance où il tenta de se faire oublier tout en continuant de composer de la musique pour lui seul. Après la guerre, les goûts ayant changé, sa musique, considérée comme réactionnaire et passéiste, ne fut plus du tout interprétée (1,2).


L'opéra, Les Oiseaux, tire son origine de la comédie satirique homonyme du poète de l'ancienne Grèce, Aristophane datant de 414 avant Jésus-Christ. Braunfels suivit à la lettre le texte antique pendant tout le premier acte. Il s'en écarte notablement durant le deuxième.


Fidelami et Bonespoir, deux citadins fatigués de la compagnie des hommes, décident de se réfugier dans le royaume des oiseaux situé entre ciel et terre. Ils proposent aux oiseaux de construire une cité-forteresse capable de capter les fumées des sacrifices faits aux dieux et ainsi de faire payer tribut à ces derniers. Les oiseaux d'abord réticents finissent par être convaincus et mettent le chantier en route. Zeus averti de ce projet, déclenche une terrible tempête qui détruit la cité aérienne. Les deux humains décident de rentrer dans le monde des hommes mais pour Bonespoir, rien ne sera plus comme avant car il s'estime transformé par les oiseaux et particulièrement par Rossignol.


 Photo Klara Beck,  Cody Quattlebaum et Tuomas Katajala

Musicalement l'opéra de Braunfels relève de la mouvance post-romantique et s'enracine dans la tradition romantique germanique. L'influence de Wagner et de Brahms y est évidente. Compte tenu de la date (1920) de composition, il est clair que cette musique est beaucoup moins hardie que celle de ses contemporains, notamment celle de Richard Strauss dans Elektra (1910) ou celle de Alexander von Zemlinsky dans Une tragédie florentine (1916). Dans le premier acte, on trouve de larges mélodies diatoniques, généreusement accompagnées par les instruments à vents. Les ravissantes vocalises de Rossignol et certaines cadences sont presque belcantistes. L'acte II débute avec un prélude orchestral d'une écriture symphonique très subtile faisant un large usage de la division des cordes. Ce prélude débouche sur une scène capitale, cœur de l'ouvrage, le grand duo nocturne entre le Rossignol et Bonespoir. Ce duo qui dure plus de vingt minutes, n'est pas un duo d'amour mais consiste plutôt en un échange philosophique. Bonespoir chante la beauté de la forêt et entre en communion avec la nature, il appelle de tous ses vœux une connection avec l'âme de Rossignol. Cette dernière lui signifie que ses sensations et émotions ne peuvent être cmmuniquées à un humain et le quitte en déposant un chaste baiser sur son front. Bonespoir et Rossignol vont alors assister au lever du soleil. Ces deux scènes donnent l'occasion à Braunfels de montrer ses qualités de coloriste et d'orchestrateur. L'écriture musicale est devenue bien plus complexe et l'instrumentation très riche donne un rôle important au célesta. Il en est de même dans la scène finale de la destruction de la ville céleste et la proclamation par les oiseaux vaincus de la grandeur de Zeus où toutes les forces de l'orchestre, des solistes et du choeur sont déployées.


© Photo Klara Beck,  Christoph Pohl et Julie Goussot

Selon le metteur en scène Ted Huffman, Aristophane et Braunfels ont vu chacun leur monde se disloquer et c'est justement ce qui est en train de se passer pour notre société du XXIème siècle. Le capitalisme sans limite est devenu un monstre incontrolable et le risque est devenu grand d'aboutir à une catastrophe comparable à celles qui ont frappé le monde précédemment. Pour illustrer ce monde moderne, l'action des Oiseaux se situe dans un open-space impersonnel comme on peut en trouver partout dans notre monde occidental. Les employés dont les deux héros Bonespoir et Fidelami et leurs collègues de bureau, subissent un asservissement moderne. Visiblement ils s'ennuient à mourir devant leur morne ordinateur. Pour réagir contre cette déliquescence de l'âme, ils n'ont plus d'autre solution que de s'évader dans un monde rêvé, le monde des oiseaux comme métaphore de la fantaisie et de l'imaginaire, où ils espèrent vivre d'art et d'amour. Contrairement à Fidelami qui transpose dans le monde des oiseaux ses ambitions et sa volonté de puissance, Bonespoir est transformé de l'intérieur suite à son contact avec Rossignol qui à l'issu d'un duo très profond, lui dit: Eveille-toi et écoute le monde qui t'entoure. C'est la seule façon de trouver la paix. Comme leur mission a échoué, les deux employés retrouvent leur bureau et reprennent leur travail fastidieux. Le monde qu'ils avaient imaginé n'était rien de plus qu'un rêve. Il fallait quand même tenter le coup se dit Bonespoir car au moins moi, j'ai changé. Le décor (Andrew Libermann) montre au début une grande salle généreusement éclairée par de grandes baies, remplie de bureaux strictement alignés dans un monde metallique sans la moindre fantaisie. Les costumes (Doey Lüthi) très discrets sont ceux de la vie courante et rien ne distingue les humains des oiseaux mis à part quelques discrets attributs en papier censés indiquer une crête, une aigrette ou bien des plumes. Seule Rossignol bénéficie d'un plumage plus attirant sous la forme d'un ensemble élégant composé d'une veste cintrée et d'un pantalon en tissu pied de poule avec un débardeur blanc sous la veste. Belle chorégraphie de Pim Veulings.


© Photo Klara Beck, Toon Lobach et Marie-Eve Munger

Quel rôle merveilleux que celui de Rossignol. Il était attribué à l'artiste québécoise Marie-Eve Munger (soprano colorature) dont la présence séductrice emplit la scène du début à la fin et qui a ravi le public par ses vocalises stratosphériques et ses suraigus d'une pureté admirable. La voix tantôt étonne par sa belle projection quand, dans les ensembles les plus complexes et puissants, elle survole les voix de l'orchestre et du choeur mais impressionne encore plus dans les pianissimos jubilatoires du début et de la conclusion de l'oeuvre. Elle formait avec Tuomas Katalaja un couple remarquable dans le fameux duo du début de l'acte II. Elle fut pour moi la révélation de la soirée.


Tuomas Katalaja fut un magnifique Bonespoir. Spécialiste des rôles de ténor mozartien, il a brillé dans ceux de Tamino, Idoménée, Don Ottavio, Belmonte. Il projette hardiment une voix au timbre très chaleureux et aux belles couleurs. Il a particulièrement brillé dans le fameux duetto avec Rossignol en dépit d'une écriture musicale dont le registre très tendu oblige le ténor à un effort considérable pendant plus de vingt minutes mais qui prodigue aussi des passages chambristes nuancés et enchanteurs.


Cody Quattelbaum incarnait Fidelami de sa belle voix de baryton-basse et une présence scénique remarquable. Christoph Pohl (La Huppe), de sa voix de baryton bien timbrée, donnait à son personnage, médiateur entre les hommes et les oiseaux (car il fut un homme dans une vie antérieure), une grande majesté. Josef Wagner (Prométhée) a un rôle important à l'acte II avec un monologue d'une grande puissance où d'une superbe voix de baryton-basse, il avertit les oiseaux qu'il ne faut pas négliger la colère de Zeus comme il l'a appris à ses dépens.


© Photo Klara Beck,  Cody Quattelbaum

J'avais beaucoup apprécié Julie Goussot (soprano) dans sa superbe prestation dans Mort à Venise de Britten et c'est avec plaisir que je l'ai retrouvée dans le rôle du Roitelet qu'elle chante avec une très jolie voix, beaucoup de charme et d'engagement. Antoin Herrera-Lopez Kessel fit une intervention remarquée au premier acte dans le rôle de l'aigle, roi des oiseaux. Young-Min Suk (baryton) et Daniel Dopulja (ténor) furent aussi convaincants dans leur incarnation de Zeus, roi des dieux et du Flamand rose respectivement à l'acte II. Simonetta Cavalli et Nathalie Gaudefroy endossèrent le rôle des deux Grives et Dilan Ayata, Tatiana Zolotikova et Aline Goslan celui des trois hirondelles dont le joli chant en onomatopées était bien reconnaissable. A noter que les cinq artistes chantent également dans le choeur.


Le choeur de l'Opéra National du Rhin (Alessandro Zuppardo) a un rôle très important car il représente le choeur antique et la communauté des Oiseaux. Ses interventions sonnaient admirablement et conféraient à la musique beaucoup de solennité et de puissance. L'orchestre Philharmonique de Strasbourg était à l'ouvrage et tous les pupitres ont brillé par leur talent. Comme dans l'orchestre vériste, les violons avaient parfois l'occasion de doubler le chant et de mettre en valeur la plénitude de leur sonorité. Les violoncelles qui disposaient de plusieurs passages solistes, ravissaient par la chaleur de leurs interventions. Les bois en général, les flûtes et les clarinettes en particulier avaient de très beaux solos. Les six cors jouaient sur le volume mais également sur la douceur avec de nombreux passages à découvert. A noter aussi la performance des deux harpes et surtout du célesta. Ce dernier, en dépit de sa sonorité délicatement cristalline, était parfaitement audible en raison sans doute de l'habilité de Braunfels en tant qu'orchestrateur et de la valeur de l'instrumentiste. Il ne restait plus qu'à remercier le magicien Aziz Shokakhimov dont c'était la première intervention à l'opéra, de nous offrir cette exécution à la fois contrastée et nuancée.


Une musique très séduisante, un plateau vocal de grande classe, une exécution alternativement sensible ou flamboyante, tous les ingrédients d'un spectacle exceptionnel étaient présents ce mardi 25 janvier. Il est possible de visionner et d'écouter ce spectacle sur ARTE (3,4).


  1. Cet article a été publié sous une autre forme dans : https://odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=23967

  2. https://www.operanationaldurhin.eu/files/58d0a061/les_oiseauxid_dossier_pedagogique_2021_def.pdf

  3. https://www.arte.tv/fr/videos/106610-000-A/walter-braunfels-les-oiseaux/

  4. Nouvelle création de l'ONR