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Le Printemps, François Boucher (1707-1770) |
Les Quatre Saisons de Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) est un cycle de cantates à voix seule et avec symphonie sur un livret anonyme ; elles ont été publiées pour la première fois chez Boivin en 1724. La première cantate, Le Printemps, est dédiée à Louise-Bénédicte de Bourbon, duchesse du Maine (1676-1753) et il est probable que les trois autres ont la même dédicataire. Cette dernière tient salon dans son château de Sceaux où elle accueille les artistes et les écrivains de l’époque. En 1724, le roi Louis XV a désormais quatorze ans, il a atteint sa majorité et a été sacré et couronné l’année précédente. La Régence est donc terminée mais c’est encore le duc Louis-Henri de Bourbon, prince de Condé, puis le cardinal de Fleury, qui tiennent les rènes du pouvoir en attendant que le roi puisse exercer une royauté pleine et entière ce qui n’arrivera pas avant 1743.
L’agriculture devient progressivement une préoccupation majeure et la société dans son ensemble s’intéresse au rythme des saisons et aux activités agricoles qui leur sont associées. A cette époque, comme il est dit avec humour dans la notice de ce disque, la France est peuplée de « bergers qui, c’est bien connu, n’ont rien d’autre à faire que…. conter fleurette aux bergères » c’est du moins ce que nous montrent généreusement la peinture, la musique, les tapisseries…, arts en pleine expansion durant le règne de Louis le Bien Aimé. Toutefois dans cette bergerie du 18 ème siècle naissant, on était bien conscient que la vie des hommes était tributaire des aléas du climat et la société dans son ensemble avait en mémoire les catastrophes climatiques de la fin du règne de Louis XIV et les famines meurtrières qui en avaient résulté.
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L'été, François Boucher (1707-1770) |
Cette préoccupation est palpable dans les quatre cantates présentes et une touche d’inquiétude apparaît souvent au détour d’un vers dans les beaux poèmes anonymes et bien sûr dans la musique de Boismortier. Ainsi l’ambiance frivole et galante qui triomphe dans la cantate Le Printemps, est assombrie par l’évocation de la tragique et cruelle histoire du viol de Philomèle par l’époux de sa soeur Progné. Avec L’Eté, le poète et le musicien ont recherché à provoquer un effet de contraste avec ce qui précède. Cette cantate débute en la mineur avec un récitatif dramatique qui décrit, avec un caractère prémonitoire stupéfiant, un enfer climatique avec son lot de cultures desséchées et d’incendies dévastateurs. Suit un air très expressif dans lequel le poète supplie le Soleil de cesser de briller. Plus loin, grâce est quand même rendue à l’astre radieux, seigneur des moissons. On peut remarquer qu’à la même époque Antonio Vivaldi (1678-1741) et, à l’aube du romantisme, Joseph Haydn (1732-1809), avaient écrits des pages sombres et dramatiques à propos de l’Eté dans les odes à la nature que sont respectivement Les quatre saisons et l’oratorio Les Saisons. L’Automne est comme on peut s’y attendre, un hymne à Bacchus. La culture de la vigne, plus développée à l’époque de Boismortier que de nos jours, s’étendait jusqu’en Bretagne et en région parisienne et chaque paysan avait son carré de vignes. « Phyllis n’a plus d’appâts à côté du jus divin de la treille », excuse banale pour le berger abandonné par sa bergère qui noie son chagrin dans le vin. Deux fois plus long que les autres cantates, L’Hiver frappe par ses contrastes. L’oeuvre débute par une description apocalyptique des malheurs de l’hiver, « Les vents brisent leurs chaines, Quel fracas ! Quelle horreur ! », comparable à ceux de la guerre, comparaison prémonitoire puique l’année suivant la création du cycle, le grain commence à manquer et le prix du pain augmente de façon dramatique du fait de tornades dévastatrices. Le poète supplie alors le plus puissant des dieux de faire cesser les malheurs qui désolent la terre. La fin de la cantate tient lieu d’épilogue pour le cycle entier. Après une récapitulation des saisons, l’air final exorte les mortels de profiter pleinement des trois belles saisons à venir. En définitive, cette oeuvre conçue au départ pour plaire et charmer, est bien plus profonde qu’il n’y paraît.
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L'Automne, François Boucher (1707-1770) |
Au plan strictement musical, Boismortier est l’héritier de Jean-Baptiste Lully (1632-1687) et plus généralement du style français classique ; il n’est pourtant pas imperméable à la musique italienne dont il adopte certains aspects et procédés comme l’aria da capo. Plusieurs airs revêtent en effet la structure ABA’ dans laquelle la section A est précédée d’une ritournelle orchestrale et la partie A’ est plus ou moins variée et enrichie d’ornements et de vocalises.
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L'Hiver, François Boucher (1707-1770) |
Sarah Charles, soprano, la soliste de la cantate Le Printemps. possède une voix agile au timbre acidulé très séduisant. Elle donne beaucoup de relief à chacun des airs et est irrésistible dans la délicieuse sicilienne, Venez sous ce feuillage (2) dans laquelle intervient le ravissant traverso de Marta Gawlas . Plus loin, L’amour ordonne la fête (4), est l’unique rondeau de l’oeuvre entière et on attend avec impatience le retour du charment refrain tandis que la chanteuse nous enchante par ses vocalises.
Dans l’Eté, Enguerrand de Hys, ténor, donne beaucoup de puissance expressive à l’air sublime O, toi qui répand l’abondance (9). Cet air débute par une magnifique introduction à la basse de viole de Natalia Timofeeva puis le chanteur déroule une mélopée plaintive très émouvante. On ne peut qu’admirer la diction superlative et le timbre séduisant de ce ténor. A noter que dans cet air chacune des sections est précédée d’une ritournelle indépendante comme dans l’aria da capo. Plus loin, après une longue introduction à la basse de viole, l’air, Moissonnez ces fertiles plaines (11), est très dynamique et nerveux mais évolue dans une ambiance inquiète.
Avec l’Automne, Marc Mauillon pouvait étaler toutes les facettes de son art. Dans l’air Chantons, dansons, Bacchus va combler vos désirs (16), le baryténor fascine grâce au timbre inimitable de sa voix et son admirable diction. Changement d’atmosphère avec l’air mélancolique, Coule, coule dans nos veines (18), accompagné par la flûte langoureuse et le théorbe enchanteur de Léa Masson. La structure de l’air est de type ABA’ et chaque section est précédée d’une jolie ritournelle comme dans l’aria da capo.
Dans l’Hiver, Lili Aymonino attire l’attention avec sa voix au timbre très brillant rehaussé par un léger vibrato. L’air Charmants zéphirs (22) est intense et la soprano lui donne un tour très séduisant. L’accompagnement est très raffiné avec un théorbe qui égrène de belles notes pures. Plus loin on remarque un bel arioso très français, Mais au milieu de tant d’alarmes (23), sur une basse obstinée de chaconne. L’air, Souverain maître du tonnerre (26), est peut-être le sommet de tout le cycle par son caractère intensément expressif. C’est une sarabande dont l’écriture polyphonique met en jeu une basse de viole concertante opérant dans le suraigu et formant avec le traverso et la voix magnifique de la soprano de subtils aggrégats harmoniques. Enfin le dernier air, Enfin Borée arrive met en jeu la symphonie toute entière dans laquelle se distinguent les deux violons enchanteurs de Koji Yoda et Akane Hagigara ainsi que les vocalises et mélismes aériens de la soprano..
Avec sa connaissance approfondie du répertoire baroque, Chloé de Guillebon assure au clavecin la basse continue avec sensibilité et raffinement et en même temps dirige avec brio l’orchestre de l’Opéra Royal et les chanteurs.
Cette ode à la nature est une pièce maitresse de l’art français. Chloé de Guillebon, les chanteurs et l’orchestre de l’Opéra Royal en donnent une interprétation admirable. La présentation de ce CD labellisé Château de Versailles Spectacles est impeccable. A l’intérieur de la notice, quatre magnifiques peintures de François Boucher (1703-1770) illustrent idéalement ce superbe album.
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