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© Photo Klara Beck, Marcelin à la guitare, Giuditta, Octavio, un sous-officier |
Giuditta, comédie en musique en cinq tableaux de Franz Lehar sur un livret de Paul Knepler et Fritz Löhner, a été créée à l’opéra de Vienne le 20 janvier 1934. Peu après une version française a été réalisée par André Mauprey. C’est cette version qui a été représentée à l’Opéra National du Rhin le 15 mai 2025. Il s’agit d’une co-production de l’ONR avec l’Opéra de Lausanne.
Giuditta, une chanteuse, danseuse de cabaret ne supporte plus la compagnie de Manuel, un vieil homme amoureux. Séduite par le fringant Octavio, capitaine dans la Légion Etrangère, elle suit ce dernier au Maroc et tous deux filent le parfait amour. Octavio doit partir avec son corps d’armée pour une mission mais choisit de rester avec son amante. Son bras droit, le lieutenant Marcelin, le traitant de déserteur, Octavio quitte brutalement Giuditta, qui est désespérée. Cette dernière se produit dans un célèbre cabaret de Tanger et est entretenue par Lord Barrymore, un riche anglais. Démobilisé Octavio se retrouve pianiste dans un grand hôtel où il voit Giuditta au bras d’un grand aristocrate. Giuditta le reconnait et lui dévoile ses sentiments intacts mais il la repousse car, dit-il, il est désormais incapable d’aimer.
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© Photo Klara Beck, Anita et Séraphin |
La mise en scène de Pierre-André Weitz, dense et fouillée, s’inspire en partie du film Morocco (1930) de Josef von Sternberg et évoque remarquablement les années 1930. Elle s’affranchit de ces influences en proposant un spectacle plein de trouvailles, spirituelles, amusantes, émouvantes et des gags loufoques. L’affiche de la Messagerie Maritime et la maquette du Champollion font rêver. La direction d’acteurs est optimale : dans une scène souvent surpeuplée, la visibilité des acteurs est toujours parfaite, ils sont à leur place, au bon endroit, et interviennent à bon escient. Pour obtenir ce résultat, Pierre-André Weitz a bénéficié des splendides éclairages de Bertrand Killy. La scène dans laquelle Giuditta placée sous la haute autorité de Neptune et entourée de Néréides, chante : « Dans l’océan des rêves… », est un chef-d’oeuvre de Music-hall. Très beaux costumes et parures de Pierre-André Weitz.
Au plan musical, Giuditta est-elle le chef-d’oeuvre qui nous est vanté ? J’en doute personnellement. L’oeuvre est ambitieuse. On voit bien que Lehar a bien écouté les opéras classiques contemporains, notamment ceux de Richard Strauss. Les harmonies parfois hardies et une très belle orchestration le suggèrent fortement. Malheureusement ces instants sont très brefs et on retombe très vite dans la gaudriole, les rengaines et des banalités. Le manque d’unité est flagrant et le mélange des genres, continu : opérette viennoise, harmonies orientales, mélodies espagnoles avec castagnettes, passages burlesques, etc…Je ne comprends pas trop la comparaison faite de façon fréquente avec Giacomo Puccini. Ce dernier, par l’unité qui règne dans ses grands opéras, la typicité et le souffle de ses mélodies, est aux antipodes de Lehar dans cette oeuvre. Au risque de choquer, je me permets une remarque supplémentaire : ayant dans l’oreille les principales mélodies de Giuditta en langue allemande, j’ai été surpris par l’emploi du français qui, à mon humble avis, gomme l’aspect viennois de cette musique. Reste cependant un livret remarquable et une conclusion très émouvante, de loin la meilleure partie de l’oeuvre à mon goût avec la fin du tableau 3, vraiment très dramatique.
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© Photo Klara Beck, Giuditta, Neptune et les Néréides |
Le plateau vocal est excellent. Melody Louledjian servie par sa belle plastique, gratifie le public d’une interprétation très élaborée. En parfaite actrice de music-hall, elle chante, danse et évolue sur scène avec grâce, dynamisme et beaucoup d’engagement. Ici les performances vocales sont à mettre en relation avec la réalisation scénique et il convient de juger sa prestation à l'aune de cette dernière. L'ensemble est en tous points remarquable avec une belle interprétation de l’air célébrissime : « Sur ma lèvre se brûle ton coeur… ».
Le rôle d’Octavio est moins scénique mais comporte beaucoup de difficultés vocales avec des parties vocales très tendues. Thomas Bettinger s’est joué de ces difficultés et a livré une prestation saisissante avec une "O ma belle étoile" d’anthologie. Magnifique duo d’Anita ( la pétillante Sandrine Buendia) et de Séraphin (le surdoué Sahy Ratia), deux artistes sympathiques, désopilants et constamment inspirés. Les autres protagonistes sont excellents notamment la remarquable basse Jaques Verzier (Jean Cévenol), le baryton Christophe Gay (Marcelin, Lord Barrymore) dont la voix a un beau timbre chaleureux, le baryton Nicolas Rivenq (Manuel), le ténor Rodolphe Briand (Le Maitre d’hôtel) et le baryton Pierre Lebon (Un chanteur de rue, un sous-officier). Les rôles parlés sont également très bien interprétés.
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© Photo Klara Beck, Giuditta Octavio |
L’orchestration de Giuditta est très élaborée et donne la part belle aux bois. L’orchestre symphonique de Mulhouse a été excellent. J’ai apprécié les très beaux solos de flûtes, de clarinettes et un magnifique cor anglais. Les bois étaient souvent associés à la harpe et au célesta qui enrichissaient la petite harmonie de sonorité grisantes et féériques. Le chef Thomas Rösner connaît sur le bout de sa baguette cette musique et lui a donné un surplus d’expressivité aux passages les plus palpitants.
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