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dimanche 28 mai 2017

Les quintettes à cordes de Mozart

I. A l'écoute de Michael Haydn

Les quintettes à cordes avec deux altos ne tiennent pas une place importante en quantité dans l'oeuvre de Mozart. Au nombre de six, ils ne peuvent rivaliser ni avec les symphonies (une cinquantaine), ni même avec les quatuors à cordes (vingt quatre). Par contre au plan qualitatif, on trouve parmi eux les chefs-d'oeuvres les plus aboutis du compositeur. Nous consacrerons trois textes à ces quintettes.

Le premier d'entre eux, en si bémol majeur K 174, date de mars 1773 mais fut remanié quelques mois plus tard en décembre 1773, le second en do mineur K 406, n'est autre qu'une transcription, effectuée par Mozart probablement en 1787, de sa sérénade en do mineur K 388 pour instruments à vents, composée en 1783. Viennent ensuite, d'abord en 1787 les deux quintettes en do majeur K 515 et en sol mineur K 516, en 1790 le quintette en ré majeur K 593 et enfin en 1791, le quintette en mi bémol majeur K 614.

Michael Haydn par F.-X. Hornöck

Les quintettes avec deux altos de Michael Haydn
En 1773, Michael Haydn compose deux quintettes à cordes en do majeur et en sol majeur. Il semble que Michael Haydn soit l'inventeur du genre du quintette à deux altos (1). Luigi Boccherini, spécialiste du quintette à cordes depuis les années 1760, n'avait écrit jusque là que des quintettes pour deux violons, un alto et deux violoncelles. Les quintettes de Michael Haydn qui sont écrits pour deux violons, deux altos et un violoncelle, comptent parmi ses œuvres les plus remarquables du fait de leur beauté mélodique, la solidité de leur architecture et la vigueur de l'inspiration.
Quel charme dans ce début de l'allegro du quintette en do majeur MH 187, daté de février 1773, avec ce thème pastoral si dansant ! On ne sait ce qu'il faut admirer le plus de la spontanéité des idées lors de l'exposition ou de leur élaboration dans le développement. Le cœur de l'oeuvre est son adagio qui donne son nom de Notturno à l'oeuvre entière. Cette sérénade nocturne, chantée par le premier alto avec sourdines, chant répété en écho par le premier violon, est accompagnée par les autres cordes en pizzicato à la manière d'une guitare ou une mandoline. On note l'économie des moyens utilisés dans ce morceau enchanteur avec un seul motif continuellement varié. Après un menuetto enjoué et incisif et un trio nettement plus profond avec des zones de mystère et d'ombre, le morceau le plus remarquable est le rondo final qui n'a du rondo que le nom car il s'agit d'un vigoureuse structure sonate, allegro molto, d'une folle virtuosité. Les qualités que nous avons aimées dans le MH 187, nous les trouvons décuplées dans le quintette en sol majeur MH 189, plus dense, plus serré que le précédent et bénéficiant surtout d'un presto final étourdissant (2). Alors que le MH 187 relève encore du style divertimento, le MH 189 est déjà une œuvre de musique de chambre pure, voisine par certains côtés des quatuors à cordes contemporains de Joseph Haydn.

Wolfgang Mozart en 1777, portrait d'auteur inconnu, fidèle d'après Leopold Mozart

Quintette en si bémol majeur K 174 de Wolfgang Mozart.
Quand en décembre 1773, Mozart met la dernière main à son quintette en si bémol majeur K 174, il a dans l'oreille les quintettes de Michael Haydn mais il faut bien l'avouer, le quintette de Mozart déçoit à côté de ceux de Haydn. A force de vouloir imiter son ainé, Mozart oublie son style propre et nous donne une œuvre un peu empruntée ne possédant pas le charme mélodique que l'on attribue généralement à ses œuvres. Le premier mouvement étonne par l'absence de fil conducteur, il n'y a pas moins de cinq thèmes durant l'exposition. La suite qui n'a d'un développement que le nom, est une simple transition sur une idée nouvelle de plus. Dans l'adagio, Mozart tente de recréer la magie de l'adagio de Haydn en utilisant le procédé de l'écho et y parvient dans une certaine mesure. Le finale, entièrement refondu en décembre 1773, est le morceau de loin le plus intéressant. Il s'inspire de très près du finale de Michael Haydn et Mozart effectue un travail thématique assez poussé sur le second thème du morceau. A noter l'existence d'une fausse rentrée, procédé utilisé quatre fois seulement dans toute l'oeuvre de Mozart, uniquement dans ses œuvres viennoises de 1773 et visiblement inspirées de Joseph et de Michael Haydn (2). Ce quintette, oeuvre d'un musicien de dix sept ans, pâlit devant celle d'un musicien au faîte de ses moyens et maître de son art. Nulle part dans cette œuvre on ne trouve l'équivalent, en charme et en fantaisie, du second thème du finale du quintette en ut MH 187 ou du pétillant presto final du quintette en sol MH 189. Je ne peux m'empêcher de trouver ces quintettes de Haydn plus mozartiens que ce quintette du jeune Mozart, paradoxe reflétant sans doute la parenté stylistique et spirituelle existant entre les deux musiciens.

Du quintette en do mineur K 406, nous ne dirons pas grand chose, vu que ce n'est qu'une simple transposition, sans aucun changement, de la sérénade pour instruments à vent K 388 en quintette à cordes. Indiscutablement avec la transcription pour cordes, on perd ce qui faisait la beauté de la sérénade pour vents, c'est-à-dire les timbres bien distincts et souvent individualisés des instruments à vents, pour obtenir avec les cordes un fondu qui n'est pas en phase avec l'esprit de l'oeuvre. Dans le quatrième mouvement de la version originale, les deux cors jouent des sixtes, tierces et quintes moelleuses évoquant la chasse, sonorités qui disparaissent dans la transcription pour cordes ! De nombreux traits des deux bassons, tantôt moqueurs tantôt dramatiques, sont également perdus dans la transcription.

En 1787 arrive le temps des chefs-d'oeuvre. Pourquoi Mozart va-t-il se mettre à composer des quintettes avec deux altos. Il est probable qu'une fois de plus Michael Haydn sera le catalyseur de cette entreprise. Ce dernier compose un quintette en si bémol majeur MH 367 en mai 1784 puis deux divertimentos pour la même formations, en fa majeur MH 411 et en si bémol majeur MH 412 en 1786 et il est très possible que Mozart ait connu ces œuvres. Les deux derniers quintettes de Michael Haydn sont en six mouvements et relèvent pleinement du style divertissement comme leur nom l'indique. Ce sont des œuvres charmantes au caractère populaire affirmé mais l'examen rapide des nouveaux quintettes de Mozart montrent que ce dernier ne semble pas s'en être inspiré.
Ce n'est d'ailleurs plus le même homme qui prendra la plume pour écrire le quintette en do majeur K 515. Treize années ont passé depuis son quintette de 1773, Wolfgang Mozart entre temps est allé à Paris, a quitté définitivement Salzbourg, a découvert Jean Sébastien Bach et ses fils, s'est familiarisé avec l'oeuvre de Joseph Haydn, notamment avec ses quatuors du Soleil, opus 20 et nombre de ses symphonies. Il a donné le jour à Idomenée, qui domine et de très haut ses opéras antérieurs ainsi d'ailleurs que son œuvre vocale et instrumentale passée, il a composé les Noces de Figaro, ses plus beaux concertos pour piano et ses magnifiques quatuors dédiés à Haydn. En possession de tous ses moyens, au sommet de sa puissance créatrice, il veut frapper un grand coup et met en chantier son quintette en do majeur. Il est possible qu'il ait pu s'y reprendre à deux fois. Nous disposons d'une émouvante esquisse d'une centaine de mesures d'un quintette en la mineur K 515c qui possède des motifs voisins de ceux que l'on trouve dans le quintette en do K 515 (3).

Quintette en do majeur K 515.
L'autographe indique la date avril 1787. Mozart élargit considérablement les cadres, le premier mouvement, allegro 4/4, comporte en effet 368 mesures, soit deux fois plus qu'une premier mouvement de quatuor à cordes classique ainsi que trois thèmes parfaitement identifiés, s'étalant dans l'exposition. Le premier thème magnifique consiste en un arpège couvrant plus de deux octaves du violoncelle auquel répond un gruppetto du premier violon. Ce début qui va se répéter huit fois avec des modulations spectaculaires, avec un souffle inépuisable et un caractère schubertien, est unique dans l'oeuvre de Mozart. Le troisième thème est très différent du premier, énoncé sempre piano, il a un caractère sinueux et serpente à travers les cinq instruments. Ces trois thèmes seront puissamment élaborés dans le magnifique développement. Le troisième thème toujours pianissimo, devenu mystérieux, donnera lieu alors à de très belles modulations et de savants contrepoints. Les ponts entre les thèmes donnent lieu à d'ébouriffantes modulations. Mesure 46, on passe sans transition de do majeur à la bémol majeur tandis que mesure 230, ce passage est subtilement modifié avec une modulation allant de do majeur à sol dièze majeur, enharmonique de la bémol majeur. La coda très développée est également unique dans toute l'oeuvre de Mozart. Par sa dimension et sa puissance, ce premier mouvement s'élance vers de nouveaux horizons et anticipe le mouvement correspondant du quatuor en fa majeur opus 59 n° 1 de Beethoven.
Le menuetto est également hors normes dans l'oeuvre de Mozart par ses dimensions, sa beauté mélodique et son originalité. Avec son allure de valse viennoise, le trio en fa majeur est un des plus surprenants de toute l'oeuvre de Mozart.
L'andante en fa majeur, ¾, revient dans la norme mozartienne. Le dialogue qui s'établit entre le premier alto et le premier violon n'est pas sans rappeler les quintettes de Michael Haydn de 1773.
Le finale, allegro, 2/4 est un rondo sonate de 539 mesures, qui, par ses dimensions, équilibre parfaitement le premier mouvement. Bien que le thème du refrain joue un rôle prépondérant, on a trois autres thèmes bien individualisés dont le second en sol majeur possède un grand charme mélodique. Les thèmes du refrain et le deuxième thème feront l'objet tout au long du mouvement de développements savants et donneront lieu à de belles modulations. La coda de longueur inusitée terminera l'oeuvre dans un climax de puissance sonore.
Avec ce quintette grandiose, Mozart se démarque de ses contemporains et semble initier la création d'oeuvres de musique de chambre d'un genre nouveau, marquées du sceau de l'individualisme et de la liberté.
Les trois autres quintettes seront examinés prochainement.



  1. Marc Vignal, Michael Haydn, bleu nuit éditeur, 2009.
  2. T. de Wizewa et Georges de Saint Foix, W.A. Mozart. II. Le jeune maître, Desclée de Brouwer et Cie, 1936.
  3. Toutefois ce projet de quintette pourrait également appartenir à la dernière période de la vie de Mozart et plus précisément à l'année 1791 car le thème initial possède, à mon humble avis, une ressemblance avec l'accompagnement des violons de l'Agnus Dei du Requiem K 626.
  4. Les quintettes MH 187 et 189 ont eu une influence durable sur Mozart. J'ai noté la quasi identité du menuetto du quintette MH 189 avec un merveilleux mouvement en la majeur pour quatuor à cordes KV 464a composé par Mozart, première esquisse peut-être du quatrième mouvement du quatuor en la majeur K 464 composé en 1784. On peut l'écouter dans le site suivant: https://www.youtube.com/results?search_query=k+464a


mercredi 17 mai 2017

La Calisto de Cavalli à l'Opéra National du Rhin




Calisto se désaltère à une source que Jupiter a fait surgir. Photo Klara BecK

La Callisto, dramma per musica sur un livret de Giovanni Faustini, est créé le 28 novembre 1651, au teatro San Apollinare de Venise. Francesco Cavalli (1602-1676), élève de Claudio Monteverdi (1567-1643), emprunte le sillon tracé par son maître pour créer une œuvre originale. Il ne révolutionne cependant ni l'harmonie, ni les principaux codes de l'opéra baroque naissant. Afin de populariser le nouveau genre de l'opéra et de le rendre accessible à de petites compagnies, Cavalli diminue considérablement l'effectif orchestral. Ce dernier, très copieux du temps de Monteverdi, est réduit au strict minimum : la basse et deux violons. Les parties de ces derniers ne sont même plus écrites dans une partie du manuscrit de La Calisto (1). 
Les opéras de Cavalli sont foisonnants et mélangent volontiers éléments comiques et dramatiques au gré des évènements surgissant dans le livret. Cette tendance est très sensible dans Elena, Il Giasone et Eliogabalo. Tandis que chez Monteverdi le récitatif est le plus souvent dominant, Cavalli donne une place plus importante aux airs, à l'agrément mélodique et à une certaine forme de sensualité. La ville de Venise de mœurs bien plus libres que celles du reste de la Péninsule, fut pour cette raison, excommuniée par Rome (1). Ce style fleurira pendant toute la deuxième moitié du 17ème siècle. 
Au début du 18ème siècle devant la prolixité des livrets, leur tendance à aller dans tous les sens, une première réforme appliquera les principes du théâtre classique à l'opéra et séparera le genre sérieux (opéra seria) du genre comique (commedia per musica). Cette transition est nette dans l'oeuvre de Georg Friedrich Haendel (1685-1759). Tandis qu'Agrippina (1710) mélange allègrement la bouffonerie au drame, Rinaldo, terminé l'année suivante, a déjà tous les caractères de l'opéra seria classique.

Callisto, nymphe suivante de Diane, a fait vœu de chasteté pour servir la déesse. Jupiter, ayant aperçu la nymphe, a résolu de la séduire. Pour ce faire, il emprunte les traits de Diane, et sous cette apparence, arrivera à ses fins. Junon, épouse du plus puissant des dieux, est jalouse et pour se venger transforme Calisto en ourse. Jupiter, bien qu'ayant décidé à rendre forme humaine à la nymphe, ne peut aller contre la marche du destin. Il donne à la nymphe en compensation l'immortalité sous la forme d'une constellation, la Grande Ourse.

Autour de cette trame mythologique, le librettiste tisse une histoire foisonnante de personnages variés et d'épisodes connexes : l'intervention des satyres, la romance entre Endimione et Diane, les amours contrariés de la nymphe Linfea etc...Aucun de ces épisodes n'est gratuit et s'intègre harmonieusement dans la trame de départ. Tous offrent au compositeur un canevas et une galerie de personnages propres à susciter son inspiration. Si le récitatif monteverdien est dominant, il y a plusieurs beaux airs. Junon bénéficiera par exemple d'un air magnifique au troisième acte : Mogli miei sconsolate, . Calisto aura aussi les plus beaux airs de la partition. Son terzetto avec Jupiter et Mercurio, au troisième acte, au cours duquel le plus grand des dieux lui révèle ce que sera sa destinée, Al cielo s'ascenda. est un sommet de la partition. Ce poignant terzetto est construit autour d'une superbe chaconne qui devait plaire à Cavalli car il l'a développée dans une remarquable sonata a tre instrumentale en la mineur, pour deux dessus et le continuo, contemporaine. Le comique est souvent présent dans le personnage de Mercurio, entremetteur et organisateur des plaisirs de Jupiter ou encore dans ceux de Pan et Satirino. Ces derniers personnages sont ambigus et leur truculente brutalité ne peut cacher leur frustration, très présente dans l'air de Pan : Numi sevatici, custodii e genii.... Mis à part quelques épisodes comiques, c'est plutôt un vision en demi-teintes, élégiaque, voire mélancolique qui domine dans la musique comme le montre bien la scène finale, bien éloignée des réjouissances générales des opéras seria à venir.

Junon dans son boudoir. Photo Klara Beck

Dans cette nouvelle production de l'Opéra National du Rhin, la mise en scène de Mariame Clément se place sur deux plans du temps et de l'espace : d'une part un zoo  contemporain et d'autre part les lieux variés où se déroule le mythe avec de nombreuses passerelles entre les deux plans. Le décor de Julia Hansen représente plus particulièrement la fosse aux ours. Un cylindre en béton est présent au milieu de cette fosse. D'un côté un escalier mène vers une plate forme élevée qui permet d'observer le ciel, de l'autre se trouve un local, sorte de boutique aux destinations variées, allant de la demeure de Junon jusqu'au laboratoire où un vétérinaire sera chargé d'euthanasier l'ourse. Les éclairages de Marion Hewlett apportent les contrastes permettant une parfaite lisibilité du spectacle. Les costumes sont modernes ou bien inspirés de l'antique.

L'ourse, personnage silencieux malgré quelques grognements, joue un grand rôle, avant tout par ce qu'elle va abriter pendant un temps l'âme de Calisto. Animal emblématiques de Diane, il devient dans cette mise en scène un témoin de l'ambiguïté des relations entre l'homme et l'animal. Nounours, doudou des enfants et en même temps, honni quand son mode de vie interfère avec les intérêts des humains, l'ours est victime d'une chasse impitoyable. Dans la présente mise en scène, l'ourse traine sa misérable existence, confinée dans la fosse, sous l'oeil et le fouet du gardien qui pourra disposer de sa vie quand bon lui semble. Mais l'ourse n'est pas le seul animal présent dans le mythe, la biche, les chiens, sont également les compagnons de Diane chasseresse et les paons, ceux de Junon. Les satyres mi-hommes, mi-boucs cristallisent cette relation entre l'homme et la bête et la mise en scène leur donne une place importante en insistant sur leurs caractères caprins et leur bestialité.

D'autres attributs de Diane, le croissant de lune et une couronne d'étoiles, sont présents dans diverses représentations de la déesse et évoqués dans l'opéra. Christophe Rousset voit dans ces représentations , une version païenne de ce qui sera celle de la Sainte Vierge dans l'iconographie chrétienne. On peut voir une autre allusion christique dans la monté aux cieux et la promesse d'immortalité faite par Jupiter à Calisto.
L'initiative la plus heureuse de cette mise en scène est d'avoir donné à Jupiter l'apparence, copie conforme, de Diane (2) . C'est donc la même chanteuse qui incarne la vraie et la fausse déesse de la chasse, alors que dans d'autres mises en scènes, Jupiter est travesti en femme et chante avec une voix de fausset. L'initiative de Mariame Clément donne une bien plus grande vraisemblance à l'action. Calisto qui voue à Diane une adoration sans limites et refuse tout commerce avec un homme, peut en toute bonne conscience se laisser séduire par celle qu'elle croit être la déesse, en accord avec les relations saphiques présumées entre Diane et ses nymphes que suggèrent les textes mythologiques. En tous cas la direction d'acteurs met parfaitement en lumière la subtilité des affects mis en jeu.

Endimione est soumis à la torture. Photo Klara Beck

Opéra de travestis suggère Christophe Rousset ? Calisto, amoureuse d'une fausse Diane, est repoussée par la vraie tandis que Endimione, amoureux de la vraie Diane, est repoussé par la fausse. Voilà des situations propres à séduire les Vénitiens, amateurs de déguisements. L'amour sous toutes ses formes précise Mariame Clément, de l'amour bestial des satyres à l'amour non charnel d'Endimione, un amour rarement payé de retour et que l'héroïne va payer cher. Double peine pour la nymphe, d'abord violée, puis enfermée à perpétuité dans la peau d'une ourse.

Sans faute dans la distribution. Elena Tsallagova qu'on avait déjà applaudie dans La petite renarde rusée et qui avait incarné une mystérieuse Mélisande, a réalisé une composition touchante du personnage de Calisto. Sa voix claire et pure a fait merveille dans les récitatifs et les airs, notamment dans le délicieux Verginella, io morir vo', ainsi que dans le bouleversant T'aspetto e tu non viene.Vivica Genaux (Diana), chanteuse rompue au style baroque qui nous avait émerveillés dans Farnace de Vivaldi par sa virtuosité, n'avait pas d'airs de bravoure à savourer dans la partition de Cavalli mis à part des vocalises agiles dans le prologue : Chi qua sale immortale..., la mezzo a cependant agrémenté son chant par d'élégants ornements. Ses mimiques dans les diverses situations embarrassantes dans lesquelles elle était impliquée, étaient irresistibles. 
Rafaella Milanesi m'a enchanté au plan vocal dans le rôle de Junon, notamment dans son air fameux du troisième acte où elle manifeste son humiliation d'être éternellement trompée par son divin époux : Racconsolata, e paga....
Giovanni Battista Parodi (basse) conféra au personnage de Jupiter toute la prestance nécessaire dans un rôle qui par certains aspects et selon René Jacobs évoque Don Giovanni (1). 
Nikolay Borchev (baryton) qu'on pourrait comparer à Leporello (1) donna une interprétation très convaincante de Mercurio avec une voix brillamment projetée et de belles vocalises. 
Filippo Minoccia (contre ténor) fut parfait dans le rôle d'Endimione. Avec sa voix au timbre enchanteur, il manifesta à Diana toute la tendresse et les marques d'un amour sincère. 
Guy de Mey (ténor) fut une excellente Lincea dans un rôle difficile car le travestissement peut conduire à un comique hors sujet. Son air L'uomo è una dolce cosa...fut remarquable. 
Vasily Khorochev (contre ténor) donna à Satirino un grand dynamisme, rôle également ambigu comme d'ailleurs celui du dieu Pan interprété par Lauwrence Ollworth-Peter. Jaroslaw Kitala (basse) fut excellent comme à l'accoutumée dans le rôle deu dieu Sylvain. On remarqua aussi les costumes splendides des deux furies interprétées avec talent par Yasmina Favre et Tatiana Zolothikova.

Christophe Rousset a tenu a enrichir l'instrumentation elliptique de Cavalli avec un continuo bien fourni. Sa vision de l'orchestre de Cavalli est celle d'un très petit ensemble de solistes, sans doublures, avec des sonorités douces et discrètes, bien éloignées du clinquant de certaines reconstitutions dotées de percussions intempérantes. Le résultat est magnifique. Cet ensemble sonne remarquablement et offre une parfaite lisibilité. Les deux violons baroques rivalisent de douceur, les deux cornets remarquables de vélocité, tirent des sons purs et aériens d'un instrument bien difficile à jouer. Les deux flûtes à bec qui ont souvent fort à faire donnent beaucoup de plaisir. Le continuo (deux clavecins, un orgue positif, un luth, remplacé parfois par une guitare, un lirone, un violoncelle et un violone) procurent aux récitatifs beaucoup de relief. Cette formation des Talens lyriques donna le meilleur d'elle-même sous la conduite magique du chef.


  1. Olivier Lexa, Francesco Cavalli, Actes Sus, Classica, 2014.
  2. Mariame Clement, L'amour existe, l'amour est vivant, sous toutes ses formes. Programme de l'Opéra du Rhin, 2017.
  3. Ce texte a été publié sous une forme condensée dans Odb-opéra: http://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=18786
  4. Notre confrère Bruno Maury a publié dans BaroquiadeS une chronique passionnante sur cet opéra: http://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/calisto-cavalli-rousset-onr-2017