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mardi 29 décembre 2020

Carlo il Calvo de Porpora


Enluminure représentant Charles le chauve (avant 869), BnF

Carlo il Calvo, drama per musica dont le livret est de Francesco Silvani (1660?-1718?) et la musique de Nicola Porpora (1686-1764), a été représenté au Teatro delle Dame de Rome au printemps 1738, soit deux ans après le départ de Londres du compositeur napolitain. Cet opéra a été créé la même année que Serse de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), dernier opéra italien important du compositeur saxon. Près de trois siècles plus tard, cet opéra a été monté au Markgräfliches Opernhaus Bayreuth, dans le cadre du Bayreuth Baroque Opera Festival, le 3 septembre 2020. N'ayant pu me rendre à Bayreuth, j'ai visionné cette représentation en direct et en différé sur le site web du festival.

Le livret de Carlo il Calvo relate, sans souci de vérité historique, un épisode de la vie du petit fils de Charles Ier le Grand (Charlemagne) (742?-814) (1).

Carlo il Calvo (Charles II le Chauve, 823-877) est issu du deuxième mariage de Giuditta (Judith de Bavière, 797-840) avec Lodovico (Louis le Pieux, 778-840). Lors d'un précédent mariage, Giuditta avait eu deux filles Gildippe et Eduige. A la mort de Louis le Pieux, Lottario (Lothaire I, 795-855), son fils ainé, né d'un précédent mariage, revendique l'Empire mais Giuditta estime que le trône doit revenir à son fils Carlo qui au moment des faits relatés dans le livret, avait sept ans. Deux clans se forment à la cour; l'un, dirigé par Lottario, compte parmi ses rangs le chevalier Asprando, âme damnée de Lottario; l'autre clan, celui de Giuditta, peut compter sur le fidèle Berardo (Bernard de Septimanie, 795-844). Adalgiso, fils de Lottario, souhaite rester neutre car il désire ardemment convoler en justes noces avec Gildippe. Asprando fait courir le bruit que Carlo, le fils de Giuditta, est un bâtard né des amours illégitimes de cette dernière avec Berardo. Il fait enlever le petit Carlo et Lottario menace de le tuer. Carlo sera rendu à sa mère si elle reconnaît par écrit que Carlo n'est pas le fils de Louis le Pieux. Adalgiso prend le parti de Giuditta contre son père et intervient avec des gardes pour démasquer Asprando, le félon. La question sera réglée par un duel entre Berardo qui veut laver l'honneur de l'impératrice et Asprando, combat que remporte Berardo. Son honneur rétabli, l'impératrice autorise Adalgiso d'épouser Gildippe et donne sa bénédiction au mariage de Berardo avec Eduige. Carlo pourra être sacré Empereur d'Occident en temps voulu.


Judith de Bavière, Chronique des Guelfes, abbaye de Weingarten

Cet opéra comportait lors de sa création, sept personnages chantants dont six castrats et un ténor. Les rôles féminins étaient donc tenus par des hommes car les femmes n'étaient pas autorisées à chanter à Rome. Au plan structurel, comme Germanico in Germania du même compositeur (2), cet opéra est l'archétype de l'opéra seria napolitain issu de la première réforme (1700) (3). Il ne comporte pratiquement que des airs, mis à part un duo au troisième acte et un bref choeur final. Au plan strictement musical, force est de constater l'originalité de la musique de Porpora. Cette dernière sonne différemment de celle de ses contemporains. Contrairement à Haendel, Antonio Vivaldi (1678-1741), Leonardo Vinci (1690-1730) qui appréciaient beaucoup le mode mineur, Porpora procède différemment puisque la plupart des airs (26 sur 27) de Carlo il Calvo, y compris les plus dramatiques, sont écrits dans le mode majeur. D'autre part, Porpora use de façon plus constante que ses collègues du bel canto. C'est le triomphe du cantabile et de la messa di voce (son filé, ornement de la musique vocale italienne consistant à attaquer une note pianissimo, à augmenter progressivement le son pour revenir au pianissimo, le tout dans un même souffle) (4) .

Tous les airs revêtent la structure avec da capo dans sa forme la plus stricte: A A1 B A' A'1 (les sections A' étant des versions plus ou moins ornées de A et A1). Contrairement à Haendel qui dans Serse fait preuve d'une grande liberté formelle, Porpora reste donc fidèle à une structure issue de la première réforme de l'opéra seria. La musique, peu modulante, offre une assise harmonique solide permettant au chanteur de procéder à une ornementation spontanée et improvisée lors de la reprise da capo. Les arie di paragone (comparaison, métaphore) sont au nombre de cinq avec trois airs de tempête et deux airs bucoliques. Selon Isabelle Moindrot, les airs de tempête produisent des images permettant d'associer la violence des passions à celle de la nature (5).


Médaillon d'argent du Psautier de Lothaire 1er à son effigie (IXème siècle) British Library

On a vu que le librettiste prenait beaucoup de liberté avec la vérité historique sans que nul ne s'en offusquât. Dans ces conditions, Max Emanuel Cencic (metteur en scène) et Boris Kehrmann (dramaturge), avaient carte blanche pour concocter une mise en scène imaginative et déjantée. L'action est transposée dans les années 1920. L'Empire d'Occident devient une contrée exotique dirigée par une maffia où sévit une guerre entre deux clans dont l'enjeu est le pouvoir. Lottario est le parrain de l'Organisation et Giuditta sa rivale. Autour des chefs naviguent leurs affidés (famille, clients) et aussi pléthore de petites frappes qui rivalisent de brutalité.

Plusieurs points de la mise en scène divergent avec le livret. Giuditta est très portée sur la séduction et le flirt, jeux dangereux pour elle car ils valident les accusation d'adultère d'Asprando. Le petit Carlo est très handicapé avec de multiples prothèses aux jambes, aux bras, à la mâchoire qu'il balancera à la fin de l'opéra, à la grande joie de tous. Lottario a un point faible, il est passionnément amoureux d'Asprando. Ce dernier sera abattu d'un coup de feu par l'épouse de Lottario, horrifiée et humiliée par l'infidélité de son époux. L'action est menée tambour battant jusqu'au dénouement final de cette farce loufoque et cruelle..

Les décors (Giorgina Germanou): appartements cossus de style néo-baroque ou Art Nouveau sont très beaux et bien mis en valeur par des éclairages appropriés (David Debrinay) mais assurément les somptueuses scènes de plein air qui se déroulent dans une jungle touffue de bananiers et de strélitzias, sont les plus réussies. Les costumes (Maria Zorba) sont typiques des années folles, les hommes sont patibulaires et les femmes très élégantes. La chorégraphie (Mimi Antonaki) basée en partie sur des figures de self-défense ou de combat rapproché, est originale et plaisante. Enfin la direction d'acteurs est superlative et éclaire avec une gestuelle et des mimiques appropriées, les obscurités du livret.


Charles le chauve, miniature peinte vers 870.

Julia Lehzneva incarnait le personnage de Gildippe, fille de Giuditta. Je croyais que l'art de cette soprano colorature se résumait à la pyrotechnie vocale et j'ai découvert ici une cantatrice dont la voix s'est notablement étoffée et a gagné en profondeur expressive sans rien perdre de sa prestigieuse technique et de son agilité. Elle a brillé dans les cinq airs qui lui étaient attribués et notamment à l'acte I dans Se nell' amico nido non trova il caro bene, air en mi bémol majeur de battue 12/8, aria di paragone de caractère pastoral où Gildippe se compare à une tourterelle qui, ne trouvant pas sa compagne dans le nid, volète ici et là en soupirant et se désespère (5,6). Dans cet air Julia Lehzneva nous bouleverse d'un magnifique cantabile, relativement peu orné mis à part les nombreux trilles qui miment les soupirs de l'oiseau, quelques portamenti et de ravissants pianissimos. Elle chante à l'acte III un merveilleux duo avec Franco Fagioli (Adalgiso), un sommet absolu de splendeur vocale. Les deux protagonistes nous ravissent par leur chant pur et sobre tandis qu'ils se livrent sur scène à des ébats torrides. La chanteuse russe eut le privilège de mettre un terme à l'opéra avec une étincelante aria di paragone: Come nave in mezzo all'onde, entrainant toute la maisonnée dans un Charleston débridé.


Franco Fagioli chantait le rôle d'Adalgiso, fils de Lottario et amant de Gildippe, personnage déchiré par un choix cornélien entre devoir filial et amour pour sa promise. On ne présente plus ce célèbre contre-ténor dont toutes les prises de rôle sont des évènements. Une fois de plus, il est l'homme de tous les superlatifs: le souffle le plus puissant, la tessiture la plus large, les aigus les plus percutants. Il est difficile de départager les cinq airs qui lui étaient attribués mais j'ai une préférence pour le superbe air de tempête qui clôt le premier acte: Saggio nocchier che vede turbine in aria accolto. Dans cet aria di paragone, Adalgiso s'identifie à un marin qui remarque des nuées tourbillonnantes dans le ciel et qui, gagné par la peur, voit ses espoirs de gagner le rivage s'évanouir. Le contre-ténor est particulièrement inspiré par cette scène. Des notes répétées obsessionnelles, de multiples retards orchestraux donnent à ce finale d'acte une formidable portée dramatique.


Max Emanuel Cencic a composé le remarquable personnage de Lottario. Ce dernier joue avec élégance son rôle d'impitoyable mafieux. Sa passion pour Asprando le rend plus humain. Cet amour s'exprime dans un air exceptionnel: Quando s'oscura il cielo, aria di paragone de battue 12/8, gracieuse barcarolle dont la poésie repose sur une métaphore hardie: un bouton floral caché par les feuilles quand le ciel s'obscurcit mais qui s'épanouit quand l'aurore le baigne de rosée. Cet air magnifique possède une ressemblance étonnante avec l'air de Paolino, Pria che spunti in ciel l'aurora... à l'acte II d'Il Matrimonio segreto de Cimarosa créé en 1792. Dans cet air au tempo assez large, Max Emanuel Cencic peut mettre en valeur sa vaillance, son superbe timbre de voix et de très beaux pianissimos.


Ne connaissant pas Suzanne Jérosme, je fus très heureux de découvrir cette chanteuse et actrice très engagée dramatiquement qui emplissait la scène de sa présence. Son incarnation de Giuditta (impératrice dans le livret mais mafiosa sur scène) fut très riche. Elle fit à la fois preuve de coquetterie pour arriver à ses fins et elle défendit ses enfants comme une lionne. Son tempérament de feu s'est exprimé magnifiquement dans les deux arie di furore de la partition et notamment dans Tu m'ingannasti, oh Dio, barbaro traditor...(Tu m'as trompé, traitre barbare...). Cette tonalité de ré majeur, généralement joyeuse et guerrière d'après Marc Antoine Charpentier (1643-1704), révèle ici un potentiel dramatique inattendu, renforcé par les doubles croches furieuses de l'orchestre.


Dans le rôle de Berardo, allié fidèle de Giuditta, Bruno de Sa est pour moi la révélation de cette production. La voix de ce sopraniste est étonnante par sa pureté, son agilité et son aptitude à lancer des suraigus affolants d'une intonation parfaite. Son timbre est si naturel qu'on a l'impression qu'il ne chante pas en falsetto. Ses vocalises sont d'une précision millimétrée. Avec trois airs son rôle est bien pourvu et lui a permis de faire admirer mille facettes de son art. En plus de ses qualités vocales et musicales, son aisance et son élégance lui donnaient une présence indiscutable.


C'est Petr Nekoranec, ténor, qui incarnait le traitre Asprando, personnage prêt à tout pour conforter sa position auprès de Lottario, y compris assassiner le petit prince Carlo. Il est cependant saisi par le remords dans un récitatif accompagné dramatique et dans l'air plein de bruit et de fureur qui suit, Pieno di sdegno in fronte.... Sa très belle voix au timbre agréable, son légato harmonieux, des vocalises parfaitement en place, la maitrise du souffle et un jeu expressif devraient permettre à ce jeune ténor d'aborder les grands rôles romantiques.


Nian Wang assurait le rôle d'Eduige. Autre artiste que je ne connaissais pas, cette mezzo-soprano au grand potentiel a interprété superbement les trois airs charmants qui lui étaient attribués et notamment Pender da' cenni tuoi, costante mi vedrai, seul air dans le mode mineur de la partition, avec une voix très pure, une belle ligne de chant et une excellente intonation.


On ne présente plus Georges Petrou qui défend ce répertoire depuis de nombreuses années contre vents et marées. A la tête de l'orchestre Armonia Atenea, il imprimait à cette musique sa culture, sa personnalité et sa marque. Les bois (flûtes, hautbois, bassons) n'avaient pas un rôle important à jouer mais se fondaient agréablement dans la masse orchestrale. Les cuivres (trompettes et cors) coloraient avec vigueur les airs de bravoure. Les cordes très précises donnaient une bonne lisibilité à l'écriture parfois compacte de Porpora, notamment dans les ritournelles orchestrales étoffées des airs. Le continuo (clavecin, basse d'archet et deux théorbes) était ici plus discret qu'ailleurs mais très efficace. Enfin le très long récitatif de l'acte III, acmé dramatique de l'opéra, était scandé par une percussion chaotique. Grâce à cette initiative, la tension et l'angoisse atteignaient un point de rupture, précipitant l'issue du drame.


Avec une mise en scène inspirée de Max Emanuel Cencic, la superbe musique de Porpora et un plateau vocal exceptionnel, on reste pantois devant tant de beautés diverses (7-9).


  1. Charles II le Chauve, Wikipedia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_II_le_Chauve

  2. https://piero1809.blogspot.com/2018/05/la-clemence-de-germanicus.html

  3. Isabelle Moindrot, L'opéra seria ou le règne des castrats, Fayard, 1993, pp. 29-48.

  4. Isabelle Moindrot, ibid, pp. 174-196.

  5. Isabelle Moindrot, ibid, pp. 199-210.

  6. Xavier Cervantes, Les arias de comparaison dans les opéras londoniens de Haendel. Variations sur un thème baroque. International review of the Aesthetics and Sociology of music, 26(2), pp 147-166, 1995.

  7. Cet article est une version légèrement différente d'un article publié dans BaroquiadeS. http://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/carlo-il-calvo-porpora-petrou-bayreuth-2020

  8. Les illustrations, libres de droit, proviennent de Wikipedia que nous remercions.

  9. Carlo il calvo sera redonné à Bayreuth Festival en septembre 2021.




lundi 14 décembre 2020

Au pas cadencé

Marches militaires de Mozart et Haydn.

Le 18ème concerto pour pianoforte en si bémol majeur KV 456 (1784) de Wolfgang Mozart (1756-1791) est un des plus intéressants parmi les vingt sept de ce monumental corpus. L'allegro initial à quatre temps commence par une sorte de pas cadencé que l'on retrouve dans les premiers mouvements de maints concertos pour pianoforte et orchestre du natif de Salzbourg. Le même rythme composé d'une noire, croche pointée-double croche, noire, noire, est présent dans le thème initial du premier mouvement des concertos suivants: le 13ème en do majeur K 415 (1782), le 16ème en ré majeur K 451 (1784), le poétique 17ème en sol majeur K 453 (1784), le somptueux 19ème en fa majeur K 459 (1784) dans lequel le thème de marche militaire circule comme le sang dans les veines, le mythique et guerrier concerto en do majeur K 467 (1785) et le royal concerto en mi bémol majeur K 482 (1785). On retrouve ce même rythme pointé dans bien d'autres oeuvres aussi bien antérieures: air du consul romain Marzio au troisième acte de l'opéra seria Mitridate K 87 (1770), la charmante sérénata notturna pour deux petits orchestres et timbales en ré majeur KV 239 (1775), le concerto pour violon n° 4 en ré majeur K 218 (1775), la dramatique sonate en la mineur KV 310 (1778), que postérieures: les fameuses marches militaires des dramme giocosi, Nozze di Figaro (1786), Cosi fan Tutte (1790), et de l'opéra seria La Clemenza di Tito (1791). Ajoutons pour terminer la multitude de petites marches pas toujours militaires que Mozart destinait à précéder ou à suivre les sérénades pour orchestre et les divertimenti que le salzbourgeois composait abondamment entre 1773 et 1779 et dont le prototype pourrait être la marche en ré majeur K 249 qui précède la monumentale sérénade Haffner de même tonalité K 250 (1776).


Armée romaine. Trompettes et cors. Colonne Trajane. Photo © Silvestrik (10)

En 1783, Mozart, désormais installé à Vienne, recopie l'incipit de trois symphonies de Joseph Haydn (1732-1809) parmi lesquelles la 47ème symphonie en sol majeur (1772) dont le premier mouvement débute par le même rythme de marche à quatre temps que celui des oeuvres précitées de Mozart vues plus haut. La ressemblance de ce début avec les premières mesures du concerto pour pianoforte KV 459 (1784) est frappante et a été relevée par Marc Vignal (1); dans les deux oeuvres les vents (flutes, hautbois, bassons, cors) sont mis à contribution et mettent admirablement en valeur ce thème martial. La similitude est d'autant plus significative qu'elle porte aussi bien sur le rythme de la mélodie, les contrastes sonores et les couleurs instrumentales. Il était peu probable que cette similitude fût fortuite et cet exemple parmi tant d'autres, montre bien la connivence spirituelle existant entre Haydn et Mozart à cette époque de leur existence et souligne que le flux musical circulait généralement de Haydn vers Mozart. Les trois symphonies de Haydn ( n° 47, n° 62 et n° 75) auxquelles Mozart s'était intéressé furent une source d'inspiration pour lui. Selon Marc Vignal (2), l'allegretto délicieux de la n° 62 en ré majeur (1779-80) ressemble au duo Sull'aria, dit duo de la lettre de l'acte III des Nozze di Figaro (1786). J'avais également relevé une identité thématique totale entre le thème de l'andante avec variations de la 75ème symphonie en ré majeur de Haydn (1779-80) avec celui de l'andante varié du trio K 563 en sol majeur de 1788 (3,4).


La musique du régiment de Condé à Strasbourg en présence du roi en 1780. Strasbourg Musée Historique.

Parmi les rythmes pointés à caractère martial qui parsèment l'oeuvre de Haydn, ceux du Moderato initial du concerto pour violoncelle en do majeur HobVIIb.1 (entre 1762 et 1765) ainsi que l'allegretto avec musique turque de la symphonie n° 100, dite Militaire (1794) ne correspondent pas exactement au schéma de marche avec un rythme pointé au deuxième temps (voir plus haut). En fait ce sont surtout les belles marches militaires pour instruments à vents et les belliqueuses sonneries de trompettes scandant le défilé des soldats Francs du dramma per musica Armida (1784) qui retiennent l'attention et donnent à cet opéra seria son côté guerrier si caractéristique. Dans le célèbre Benedictus de la messe en ré mineur Nelson HobXXII.11, les rythmes pointés sont remplacés par des triolets de doubles croches encore plus percutants aux trompettes. Des fanfares de cuivres quasiment frénétiques interviennent dans l'Agnus Dei de la messe In tempore bello, HobXXII.9. Ces accès de violence intervenant sur les paroles les plus douces et miséricordieuses de l'ordinaire de la messe surprennent chez le bon catholique qu'était Haydn.


Rinaldo e Armida par Battistino del Gessi (1608-1640)

Encore plus passionnant est le quatuor opus 77 n° 1 en sol majeur (1799) qui débute par un allegro moderato de type très martial avec un rythme pointé placé cette fois sur le quatrième temps de la première mesure. Marc Vignal a fait remarquer l'analogie troublante entre ce début et celui du premier mouvement de la symphonie n° 6 en la mineur de Gustav Mahler (1860-1911). Cependant les analogies s'arrêtent là car il n'y a pas grand chose de commun entre le mouvement ensoleillé de Haydn et la marche sombre et menaçante de Mahler (5,6). Les rythmes militaires abondent dans l'oeuvre symphonique de ce dernier compositeur (premier mouvement des symphonies n° 3 en ré mineur et n° 5 en do # mineur) et sont fréquents dans ses Lieder avec orchestre appartenant au cycle Des Knaben Wunderhorn comme Revelge par exemple. Ces marches portent la marque des musiques militaires entendues par Mahler dès l'âge le plus tendre dans les rues de Jilhava où les soldats passent devant la maison pour regagner la caserne (7). Marc Vignal relève bien d'autres analogies entre des passages à la fois parodiques et martiaux d'oeuvres de Haydn, symphonie n° 29 en mi majeur (trio du menuet), n° 82 en do majeur L'Ours (deuxième mouvement allegretto), n° 91 en mi bémol majeur (deuxième mouvement andante avec variations) (8, 9) et des effets grotesques qui prolifèrent dans les symphonies de Gustave Mahler. Cette comparaison du musicologue me parait tout à fait pertinente. Quand, il y a fort longtemps, les symphonies de Mahler me furent révélées, le caractère agressivement populaire de cette musique m'a évoqué immédiatement le style vigoureux et rustique de Haydn.

Gustav Mahler. Photo Joseph Székely

Mais revenons à la 47ème symphonie en sol majeur de Joseph Haydn dont nous avons déjà parlé plus haut. C'est une des symphonies les plus originales de ce compositeur du fait d'un premier mouvement inoubliable aux couleurs chatoyantes, un sublime andante, un étrange menuetto et trio de structure palindromique et un finale exubérant. Il me semble exister, à mon humble avis, des analogies certainement fortuites entre cette symphonie de Haydn, petite par la taille mais si riche et la monumentale 3ème symphonie en sol (1929) d'Albert Roussel (1869-1937). Au delà de ressemblances thématiques inconcevables entre deux oeuvres si distantes dans le temps et l'espace, on retrouve dans les deux oeuvres le même caractère ensoleillé, un dynamisme, une joie et un optimisme en tous points semblables et dans les deux cas un mouvement lent d'une beauté mélodique exceptionnelle. Ce sont les deux finales qui présentent le plus d'analogies en raison de leur caractère extraverti et d'un mélange très séduisant de vivacité, de concentration et de rigueur. Quant au pas cadencé, Albert Roussel, ancien officier de marine, était à son affaire!



  1. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 997.

  2. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1109-10.

  3. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1105

  4. https://piero1809.blogspot.com/2018/12/six-trios-pour-pianoforte-violon-et.html

  5. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1389

  6. https://piero1809.blogspot.com/2017/01/une-symphonie-tragique.html

  7. H.L. de La Grange, Des Knaben wunderhorn, Georges Szell, E.M.I. 33 tours, Notice

  8. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 845-6.

  9. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1208

  10. https://fr.wikipedia.org/wiki/Musique_militaire#/media/Fichier:ColonneTrajaneD%C3%A9tail.jpg