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dimanche 24 mars 2024

Ottone de Haendel au Staatstheater Karlsruhe

© Photo Felix Grünschloss.  Teofane et Ottone


 Un opéra héroïque et romanesque

Ottone, re di Germania HWV 15, est un opéra seria en trois actes dont la musique est de Georg Friedrich Haendel (1685-1759) et le livret de Nicola Francesco Haym (1678-1729) d’après Teofane (1719) de Stefano Benedetto Pallavicino (1672-1742). Il fut créé à Londres le 10 janvier 1723 au Kings Theater de Haymarket.


Les dix plus grands opéras italiens de Haendel, sont pour beaucoup de musicologues et d’amateurs, dans l’ordre chronologique, Agrippina, Rinaldo, Ottone, Giulio Cesare, Tamerlano, Rodelinda, Orlando, Ariodante, Alcina et Serse. Si maintenant on demande de citer les trois plus grands, le choix devient beaucoup plus difficile. Musicalement et dramatiquement, Ottone pourrait figurer sur le podium mais il est un peu desservi par une baisse de tension à partir de la deuxième moitié de l’acte III ce qui n’est pas le cas de Giulio Cesare, de Rodelinda ou d’Alcina dont l’intérêt se maintient du début jusqu’à la fin. C’est pourquoi ces trois derniers opéras sont souvent plébiscités par les amateurs.


A Rome au 10 ème siècle après J.-C., Ottone a hérité le royaume d’Italie  de son père, l’empereur Othon 1er d’Allemagne. Gismonda et son fils Adelberto contestent cette décision et poursuivent le combat. Ils accueillent à Rome la princesse byzantine Teofane, promise à Ottone. Gismonda fait passer Adelberto pour Ottone afin qu’il épouse Teofane. Celle-ci n’est guère séduite par celui qu’on lui présente. Pendant ce temps, Ottone aborde l’Italie par la mer et vainc les pirates conduits par Emireno qu’il fait prisonnier. Ottone et Matilda autrefois fiancée à Adelberto, marchent sur Rome. Ottone vainc et capture Adelberto et se fait reconnaître par Teofane. Cette dernière se méprenant sur les liens qui unissent Ottone et Matilda, est désespérée. Adelberto que Matilda a libéré afin qu’il échappe à une mort certaine, en profite pour enlever Teofane avec l’aide d’Emireno qui les accueille sur son vaisseau pirate. Ottone est désespéré d’avoir perdu Teofane. Apprenant l’identité de Teofane, Emireno lui révèle qu’il est son frère, Basile, prince de Byzance. Emireno se retourne contre Adelberto qu’il capture et ramène à Ottone. Sur la prière de Matilda, Ottone épargne son prisonnier, il est alors uni à sa fiancée.


Il y a dans ce récit des pirates, un monarque byzantin déguisé en corsaire, un rebelle romain qui se fait passer pour l’empereur et bien d’autres personnages hauts en couleurs dont trois héroïnes à forte personnalité. L’intrigue est riche en actions d’éclat, en combats sur terre et sur mer, en rebondissements, en trahisons au point qu’Olivier Rouvière dans son ouvrage, Les opéras de Haendel, un vade-mecum, Van Dieren, 2021, utilise la formule d’opéra de cape et d’épée (1). Sur cette trame, le Saxon a composé une musique constamment inspirée qui caractérise avec finesse et sensibilité tous les protagonistes. Teofane n’est pas la princesse écervelée des contes de fée, elle sait ce qu’elle veut ou plutôt ce qu’elle ne veut pas c’est-à-dire Adelberto. Ce dernier un peu mollasson est cependant loin d’être antipathique. Ottone est un chevalier ardent mais impulsif. Le personnage le plus marquant est peut-être Gismonda, une lionne qui défend, unguibus et rostro, sa progéniture. Cet opéra très spectaculaire a fait l’objet de nombreuses représentations. Une des plus séduisantes est celle donnée à Einbeck dans le cadre du festival de Goettingen 2021, commentée dans ces colonnes par notre confrère Bruno Maury (2).


© Photo Felix Grünschloss.  Raffaele Pe (Adelberto) et Lucia Martin-Carton (Teofane)

Avec 34 numéros dont 27 airs avec da capo, Ottone est une oeuvre très riche. Haendel aime beaucoup la sicilienne, une danse possédant une formule rythmique caractéristique. La plus célèbre est le duo des Sirènes dans l’acte II de Rinaldo (3). Pratiquement tous ses opéras en possèdent au moins une. Ottone en contient quatre dont trois dans une tonalité mineure. Il est difficile de faire une sélection des plus beaux passages d’Ottone car tous les airs des actes I et II sont splendides. Au premier acte, l’air d’Adelberto en ré mineur (I.2), Bel labbro, formato per farsi beato, a un caractère presque Monteverdien avec son thème magnifique de huit mesures répété douze fois avec des variations à la manière d’une chaconne. L’air de Teofane qui suit (I.3), Falsa imagine, tu m’ingannasti, est en la majeur. Cet air d’une délicatesse extrême est accompagné par un violone, la harpe, un théorbe et le clavecin. Un moment de pur bonheur! A l’acte II l’air de Gismonda (II.4), Veni, O filio, en mi majeur est l’expression la plus intense de l’amour maternel. C’est une superbe cantilène richement accompagnée par les cordes et par les bassons; sur les mots, mori almen in questo sen, la musique a des accents lyriques d’une puissance inusitée même chez Haendel. A la fin de l’acte II survient un duetto génial en fa majeur (II.12) entre Matilda et Gismonda dans lequel les deux femmes se réjouissent de la capture d’Ottone. Les rythmes syncopés donnent à cette musique des accents presque jazzy. Enfin la grande scène dramatique d’Ottone, qui comporte le récitatif accompagné, Io son tradito, et le lamento, Tanti affina ho in core, tous deux en fa mineur (III.2), est l’acmé de l’oeuvre entière.


© Photo Felix Grünschloss.  Raffaele Pe (Adelberto) et Olena Leser (Gismonda)

Ottone a été donné le 25 février 2024 lors du 47 ème Internationale Händel Festpiele Karlsruhe au Staatstheater. Le présent article est une extension d’une chronique publiée dans BaroquiadeS (4). La mise en scène (Carlos Wagner) joue sur trois tableaux. Le premier représente le palais de l’empereur à Rome. Le décor (Christophe Ouvrard) conjugue avec différents éclairages (Rico Gerstner) une architecture baroque toute blanche inspirée de l’antiquité. Le deuxième se passe sur un vaisseau avec une mer démontée très réaliste représentée en vidéo. Dans le troisième tableau, le vaisseau s’est échoué sur une plage et il n’en reste que des débris, des planches, des oculus et quelques rames. Les riches costumes (Christophe Ouvrard) sont d’époque Régence et visent plus à définir le statut social des protagonistes qu’un quelconque souci de vérité historique. Les plus riches sont ceux tout blancs des Romains ou celui scintillant de la princesse byzantine. Les combattants: Ottone, Matilda, Emireno et les pirates ont des costumes foncés ou noirs. Les éclairages de Rico Gerstner sont très contrastés, les scènes en intérieur sont bien éclairées à la différence des scènes marines ou évidemment nocturnes. Le livret a été adapté par le dramaturge Matthias Heilmann.


Yuriy Mynenko incarnait Ottone.  Les qualités de ce magnifique contre ténor éclatent aux yeux de tous. Il possède une voix au timbre riche et plein, une intonation parfaite. Il réussit les vocalises les plus acrobatiques sans effort apparent. Son jeu très sobre lui permet de donner plus de force lorsqu’il veut exprimer des sentiments exceptionnels comme dans son formidable lamento en fa mineur, Tanti affani ho in core, de l’acte III.


Lucia Martin-Carton a composé une figure de Teofane très attachante. On était loin de la princesse mièvre que l’on entend parfois, mais une femme angoissée très émouvante dans la magnifique sicilienne en fa mineur (I.9), Affani del pensier ou encore l’amoureuse trahie dans le dramatique récitatif accompagné en sol mineur, II.8, O grati orrori, qui débute avec un arpège très dissonant de septième majeure avec une tierce mineure qui traduit bien le trouble de la princesse. La voix de la soprano espagnole a plus de densité qu’attendu pour ce rôle qualifié souvent de léger, elle possède l’agilité et la ductilité requise pour chanter les mélismes qui abondent dans plusieurs airs de son rôle.


Adelberto n’est pas un personnage très attirant, volontiers pleurnichard, il passe la plupart du temps affalé sur un fauteuil ou par terre. Incarné par Raffaele Pe, tout change quand ce dernier chante. Son amour pour Teofane apparaît alors sincère dans Bel labbro (I.2). Sa peine l’est tout autant dans l’air magnifique en sol mineur (II.2), Lascia che nel suo viso, avec ses dissonances étranges. On en vient presque à le trouver sympathique et à le plaindre. Dans ces deux airs mélancoliques Raffaele Pe nous régale avec un chant très pur dépouillé de mélismes ou de vocalises. La virtuosité lui va très bien par contre dans le brillant air en do majeur, Tu puoi straziarmi (I.11).


Olena Leser donnait au personnage de Gismonda toute la force et la conviction qui s’imposent. La plus éclatante preuve de son talent se trouve dans l’air, Veni, o filio dans la tonalité sensuelle de mi majeur, Dans ce grand air solennel, largo e piano sempre, typiquement haendélien, Olena Leser se révèle une grande mezzo-soprano lyrique et nous émeut jusqu’à la moelle.


On ne présente pas Sonia Prina dont la voix au timbre unique lui permet souvent de chanter des rôles travestis. Ce n’est pas le cas ici dans le rôle de Matilda. Cette voix grave de mezzo-soprano tirant vers le contralto, est en même temps très ronde comme elle le montre dans le très bel air en la mineur (II.3), Ah! Tu non sai,  qu’elle chante accompagnée par un mouvement ondulant de l’orchestre du plus bel effet. Avec Olena Leser, elle formait un duo irrésistible dans le fameux, Notte, cara (II.12).


A Nathanael Tavernier (basse) était attribué le rôle d’Emireno, personnage dont les revirements font basculer le cours des évènements. Le caractère un peu fanfaron de ce dernier se manifeste dans son air énergique en ré mineur (I.4), Del minacciar del vento, où il se compare à un chêne à l’épreuve de la tempête. La voix est superbe, la projection parfaite et les vocalises très précises.


© Photo Felix Grünschloss.  Yuri Mynenko (Ottone) et Sonia Prina (Matilda)

Ottone est un opéra délicatement orchestré. On n’y trouvera pas d’effets spectaculaires faute de timbales et de trompettes. L’art est dans le détail. La fugue en si bémol majeur de l’ouverture à la française est écrite en contrepoint complexe qui demande à l’orchestre précision et solidité rythmique, besoins totalement assurés par l’excellent Deutschen Händel Solisten sous la direction sobre et efficace de Carlo Ipata. Hautbois et flûtes colorent agréablement le tissu orchestral mais ne donnent lieu à aucun solo du moins dans les airs. Par contre les bassons sont en dehors dans plusieurs airs à notre grande délectation. Le continuo (harpe, clavecin, théorbe et violone) joue seul dans le premier air de Teofane, un moment magique d’intense émotion.


Des solistes et un orchestre au sommet, une mise en scène raffinée et par dessus tout la divine musique d’un Haendel particulièrement inspiré, ont donné lieu à une standing ovation du public.



  1. (1)Olivier Rouvière, Les opéras de Haendel, Van Dieren Editeur, Paris, 2021, pp. 153-8.
  2. (2)https://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/ottone-haendel-goettingen-2021
  3. (3)https://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/rinaldo-halle2018
  4. (4)https://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/ottone-haendel-ipata-karlsruhe-2024

© Photo Felix Grünschloss.  Nathanael Tavernier (Emiren), Yuri Mynenko (Ottone), Raffaele Pe (Adelberto), Sonia Prina (Matilda), Olena Leser (Gismonda)


mardi 19 mars 2024

Siroe, Re di Persia de Haendel au Staatstheater Karlsruhe

© Photo Felix Grünschloss, Filippo Mineccia (Medarse)

 

Drame domestique au palais de Cosroe II, empereur sassanide

Siroe, re di Persia, HWV 25, est un opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel (1685-1759) dont le livret de Pietro Metastasio (1698-1782) a été adapté par Nicola Francesco Haym (1678-1729). Il a été créé à Londres le 17 février 1728 au King’s theater de Haymarket.


Cosroe, roi de Perse, se méfie de son fils ainé Siroe qui aime Emira, fille de son ennemi. Le roi confie sa succession à son fils cadet Medarse. Emira, princesse de Cambaja, est présente à la cour déguisée en homme sous le nom d’Idaspe. Elle veut tuer Cosroe pour venger la mort de son père. Siroe repousse les avances de Laodice, la favorite du roi; voulant alerter ce dernier, Siroe laisse trainer un document relatant un projet de meurtre du roi. Cosroe qui en a pris connaissance, est alors convaincu que Siroe veut attenter à sa vie. Emira tente d’assassiner le roi mais, surprise par Medarse, elle dépose son épée aux pieds du monarque en signe d’allégeance. Cosroe partage son pouvoir avec Medarse et ce dernier triomphe. Cosroe demande à Siroe le nom du traitre mais Siroe refuse de livrer Emira. Ignorant les prières de Laodice, Cosroe a condamné Siroe à mort. Emira demande au roi la grâce de son amant et Cosroe accepte. Trop tard! Siroe a déjà été exécuté et Cosroe bourrelé de remords, se lamente. Emira, folle de chagrin, dévoile sa véritable identité à Cosroe; elle seule en voulait à sa vie. En fait Siroe n’est pas mort mais prisonnier dans un cachot. Emira et Arasse, frère de Laodice surprennent Medarse sur le point d’assassiner son frère et l’empêchent de commettre son crime. Siroe accorde son pardon à Medarse, Dans la salle du trône, Siroe sauve son père du coup fatal que voulait lui porter Emira. Cosroe pardonne, bénit Siroe et Emira tandis que Laodice accueille favorablement les avances de Medarse. Une double union est célébrée au palais.


Le livret de Pietro Metastasio datant de 1726 est le premier des trois que Haendel utilisa dans sa carrière de compositeur d’opéras. Il s’agit d’un drame familial respectant l’unité de lieu, de temps et d’intrigue  du théâtre classique et mettant en exergue les valeurs morales et la clémence. Le monarque Cosroe accorde son pardon à celle qui voulait le tuer et son fils Siroe pardonne à son frère Medarse qui projetait de l’assassiner dans son cachot mais avant cette fin heureuse, les relations entre les protagonistes sont âpres, tourmentées et souvent violentes. Curieusement Haendel va écrire une musique d’une austérité sans équivalent dans ses autres opéras, en fait une succession monotone de récitatifs secs et d’airs. Aucun duo ou trio n’est prévu pour terminer chaque acte. L’instrumentation est très simple, les hautbois et les bassons doublent les cordes. La partition ne prévoit ni tambours ni trompettes alors que l’apparat de la cour de Perse justifiait que des moyens exceptionnels fussent utilisés. Haendel adopte pour presque tous les airs la structure de l’aria da capo dans sa forme la plus classique en cinq parties séparées par des ritournelles orchestrales, forme dont il s’affranchira progressivement dans ses opéras plus tardifs comme Serse (1,2).


© Photo Felix Grünschloss, Rafal Tomkiewicz (Siroe) et Sophie Junker (Amira)


Malgré cette austérité, la partition regorge de beautés diverses. On retiendra cependant trois ou quatre sommets. Au début de l’acte II, la magnifique aria de Laodice en la mineur, Mi lagnero tacendo (II,1), est un larghetto alla siciliana dont les paroles ont été reprises une fois par Mozart et trois fois par Rossini. Précédé d’une somptueuse introduction instrumentale, l’air de Cosroe, Gelido in ogni vena (III.4) en fa# mineur, est le prototype de l’aria di disperazione. La douleur du roi croyant avoir envoyé son fils à la mort, est palpable à travers les sanglots de l’accompagnement orchestral. Enfin l’air du cachot de Siroe, Deggio morire, o stelle (III.7), précédé d’un récitatif accompagné rude et tragique, Son stanco, est un des sommets de l’oeuvre du Saxon. C’est la quintessence de l’aria haendelienne, dont le bel canto est soutenu par un accompagnement orchestral fait de grands gestes dramatiques surpointés. La tonalité de si bémol mineur « obscure et terrible », selon Marc-Antoine Charpentier et l’expressivité du chant contribuent à donner à cet aria un rôle central dans la dramaturgie de l’oeuvre.


Cet opéra a été représenté le 24 février 2024 au Staatstheater dans le cadre du 47ème Internationale Händel Festpiele Karlsruhe. La Mise en scène (Ulrich Peters) se veut résolument classique et héroïque. Sur scène figure un monument impressionnant, sorte de mausolée au pied duquel se trouve une énorme tête de guerrier sassanide ou achéménide à moins que Christian Floeren (Décors) n’ait voulu représenter le temple du Soleil dont les rayons se déploient autour du trône. Incidemment ce dernier rappelle étrangement le trône de fer, objet de toutes les convoitises dans la célèbre saga Games of Thrones. Les costumes (Christian Floeren) sont beaux, harmonieux et évoquent l'Héroic Fantasy: les hommes portent des tabards ou des cuirasses, de beaux ceinturons et des épées impressionnantes. Laodice porte une tunique couverte par une cape mais se reconnaît aisément par sa couronne d’étoiles d’un très bel effet. Siroe et Cosroé étant des personnages historiques ayant vécu entre le sixième et le septième siècle, cette mise en scène se rapproche d’une certaine authenticité mais, revers de la médaille, son réalisme bride un peu l’interprétation. Une version plus ancienne dirigée par Laurence Cummings (2013) au festival de Goettingen, et transposée à l’époque moderne dans un huis clos étouffant, permettait aux protagonistes de s’affranchir quelque peu des contraintes du livret. Les éclairages (Christoph Pöschko) faisaient un usage abondant de torches dans les scènes d’intérieur, donnant un surplus de vérité historique. Une chorégraphie discrète (Annette Bauer) donnait plus de vie à l’action. Le texte de Metastasio était adapté par le dramaturge Matthias Heilmann (3).


© photo Felix Grünschloss, Sophie Junker (Emira) et Rafal Tomkiewicz (Siroe)


Ks. Armin Kolarczyk (basse) incarnait le roi Cosroe, personnage historique, empereur de la dynastie Sassanide, connu sous le nom de Khosro II (570-628). Le rôle, un des plus beaux confiés à une voix de basse chez Haendel, est doté d’airs magnifiques et en particulier Se il mio paterno amore (I,1) en ré mineur, d’une grande rudesse et évidemment le formidable, Gelido in ogni vena (III.4). Armin Kolarczyk a chanté et joué parfaitement avec l’autorité et l’âpreté voulue par le rôle. Sa voix possèdait une projection tout à fait phénoménale.


Le rôle de Siroe est assez lourd avec six airs et un récitatif accompagné, il était tenu par Rafal Tomkiewicz (contre-ténor). Les cinq premiers airs sont tous beaux, notamment le dramatique, Se il labbro mio ti giura (I,6) en sol mineur mais ils sont surclassés par l’exceptionnel  Deggio morire, o Stelle (III,7). La voix est large, pleine, d’une grande douceur et souplesse. Elle trouvait les accents appropriés pour émouvoir jusqu’aux larmes dans la fameuse scène du cachot de l’acte III.


Medarse est pourvu de trois airs dont un exceptionnel, Fra l’orror della tempesta (II,5) en si bémol majeur. C’est une double fugue associant l’orchestre et la voix et annonçant les oratorios à venir. Handel y réussit le tour de force de faire rentrer la forme de la fugue dans la structure de l’aria da capo. Filippo Mineccia a chanté cet air avec une voix claire au timbre très pur et une remarquable diction.


Emira est déguisée en homme pendant la plus grande partie du spectacle. Le personnage fait preuve d’un tempérament viril et est prompt à dégainer l’épée. Curieusement les airs qu’Emira chante ne sont rien moins que belliqueux. En particulier deux airs pastoraux, Vedeste mai sul prato (I,12) et Non vi piacque ingiusti dei (II, 10), contrastent par leur caractère Virgilien avec la volonté de vengeance de l’héroïne. Sophie Junker, très applaudie à Goettingen dans le rôle de Cléopatre, a montré l’étendue de son talent dans l’air virtuose en fa majeur D’ogni amator la fede (I,5). Avec son élocution véloce et son sens du rythme, elle est une des meilleures sopranos Haendeliennes du moment.


Shira Patchornik, soprano, incarnait Laodice. Cette dernière est constamment dans la séduction; après avoir été l’amante de Cosroe, elle tombe amoureuse de Siroe. Elle hérite d’airs particulièrement intéressants notamment le magnifique Mi lagnero tacendo (II,1) avec sa métrique 12/8 et son rythme de barcarolle alanguie. L’aria O mi perdo di speranza (I,13) est particulièrement palpitant, il contraste avec le précédent par son dynamisme et ses syncopes d’allure vivaldienne. La voix de Shira Patchornik a un beau timbre charnu, une superbe projection et possède l’agilité et l’éclat requis pour interpréter les passages virtuoses et les brillantes vocalises dont la plupart de ses airs sont pourvus.


Konstantin Ingenpasse, baryton, interprétait le rôle d’Arasse, général de l’armée perse et frère de Laodice, d’une voix bien timbrée dans les récitatifs. Dans son unique aria que je n’ai pas trouvé dans la partition, le baryton faisait résonner sa belle voix chaleureuse.


© Photo Felix Grünschloss, Rafal Tomkiewicz (Siroe) et Shira Patchornik (Laodice)


Avec douze violons, quatre altos, quatre violoncelles, deux violone, deux luths, deux hautbois et deux bassons, Le Deutsche Händel-Solisten est bien pourvu en cordes ce qui explique un son très généreux mais qui ne couvre jamais les chanteurs. La fugue de l’ouverture à la française a été menée avec beaucoup de brio ainsi que la gigue qui suivait. Malgré l’absence de solistes, les accompagnements de plusieurs airs ont brillé de très belles couleurs. La direction du chef Attilio Cremonesi était très précise et son geste très expressif.


Le public ovationna longuement les artistes. Merci à l’Internationale Händel Festpiele Karlsruhe d’avoir permis de découvrir un opéra de Haendel très rarement donné malgré son grand intérêt. Avec un superbe plateau vocal, un bel orchestre et une mise en scène harmonieuse, très respectueuse du texte et de la musique, il serait très souhaitable qu’un DVD fût publié. Cet article est une extension d’une chronique publiée dans BaroquiadeS (4).



  1. Piotr Kaminski, Haendel, Purcell et le baroque à Londres, Fayard, 2010.
  2. Olivier Rouvière, Les Opéras de Haendel, Un vade-mecum, van Dieren Editeur, Paris, 2021.
  3. Matthias Heilmann, Perfect ausgefeilte Intrigen, Notice de Siroe, re di Persia,  Internationale Händel Festspiele Karlsruhe, 2024.
  4. https://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/siroe-haendel-cremonesi-karlsruhe-2024



© Photo Felix Grünschloss, Rafal Tomkiewicz (Siroe) et Ks. Armin Kolarczyk (Cosroe)




































mercredi 13 mars 2024

Iphigénie en Tauride de Desmarest et Campra au Théâtre des Champs Elysées

© Photo Cyprien Tollet/Théâtre des Champs Elysées - Véronique Gens


Apollon a voulu, pour laver mes forfaits que de Diane ici j’enlevasse l’image.

Quel bonheur que celui de découvrir une grande tragédie lyrique restée dans l’ombre depuis près de trois siècles. Il est vrai que cette Iphigénie en Tauride de Henry Desmarest (1661-1741) a eu une genèse compliquée du fait de la vie aventureuse de ce compositeur. Ebauchée en 1695 et composée en grande partie vers la fin du 17ème siècle à partir d’un livret de Joseph-François Duché de Vancy (1668-1704), la partition fut laissée en plan du fait de l’exil de Desmarest. Le compositeur fut en fait obligé de fuir en Belgique pour éviter une action judiciaire pour séduction et rapt d’une jeune fille, intentée par le père de cette dernière. Il fut jugé par contumace et son effigie fut brulée sur la  place de Grève. Avant de prendre la fuite, Desmarest mit sa partition en lieu sûr. André Campra (1660-1744), convaincu de la valeur de la musique, accepta de la terminer. Ses interventions furent notables même si l’essentiel de la musique des cinq actes est de Desmarest mais il composa entièrement le prologue. Il en résulta un opéra complètement abouti qui fut crée en 1704, repris plusieurs fois jusqu’en 1762 à Paris, à Versailles aux concerts de la reine Marie Lekzinska et dans nombre de cours étrangères. Un tel succès se prolongeant pendant plus d’un demi-siècle était chose assez rare à l’époque. Les lecteurs désireux d’en savoir plus sur Desmarest peuvent lire les excellentes chroniques de Bruno Maury d’une part (1) et de Stefan Wandriesse d’autre part (2), sur Circé, tragédie lyrique datant de 1694 (3). 


On pourrait se livrer à des comparaisons entre les styles des deux compositeurs ou à des  considérations visant à rendre à Desmarest  et à Campra ce qui leur revient respectivement. Nous avons jugé ces distinctions stériles et oiseuses. En fait mis à part le prologue qui est entièrement de la main de Campra, il est très difficile à l’écoute d’attribuer une paternité à l’un ou à l’autre si l’on a pas la partition en main, preuve de l’homogénéité et de l’habilité de cette reconstruction. C’est à une version de concert que nous eûmes le bonheur d’assister au théâtre des Champs Elysées, le 9 janvier 2024. Cette recréation a été effectuée ex nihilo en co-production avec le Centre de Musique Baroque de Versailles  et le Concert Spirituel. Le présent article est une extension d’une chronique publiée dans BaroquiadeS (4).


Iphigénie, prêtresse de Diane dans la lointaine Scythie, doit se prêter au rite barbare des Scythes et mettre à mort les étrangers débarqués sur leurs rives. Le roi Thoas est sur le point d’ordonner le sacrifice de Grecs fraichement arrivés mais il hésite car secrètement il aime sa captive Electre. Pour Iphigénie le dilemme est encore plus terrible car il lui semble reconnaître deux des étrangers condamnés à mort. Ces derniers sont Oreste, frère d’Iphigénie et Pilade, ami fidèle d’Oreste. Oreste pour se racheter du meurtre de sa mère et calmer les dieux, doit s’emparer de la statue de Diane située dans le temple des Scythes. Electre annonce aux deux Grecs qu’ils auront la vie sauve si elle consent à épouser le roi Thoas. Ce dernier voyant l’hostilité des deux étrangers  décide de consulter l’oracle de l’Océan qui lui conseille la mansuétude, attitude récusée par le roi. Entre temps Iphigénie apprend la mort d’Agamemnon de la main de sa mère et le meurtre  de cette dernière mais le nom du meurtrier ne lui est pas révélé. Elle décide alors d’organiser la fuite des Grecs et c’est à ce moment qu’Iphigénie et Oreste se reconnaissent comme frères et soeurs. Des combats éclatent, Oreste est fait prisonnier mais Diane paraît dans son temple, pardonne  à Oreste, protège le départ des Grecs et enlève sa propre statue tandis que le sanctuaire s’effondre avec fracas.


Ce beau livret de Duché de Vancy fut par la suite complété par le librettiste de Campra, Antoine Danchet (1671-1748). On voit que l’action se partage assez équitablement entre le rôle titre et quatre personnages principaux: Oreste, Electre, Thoas, roi des Scythes et Diane. Cette oeuvre hautement théâtrale est dans la continuité de celles de Jean-Baptiste Lully (1632-1687) avec des récits très dramatiques ponctués d’airs assez courts. Les actes se terminent le plus souvent par des choeurs flamboyants et des suites de danses. L’instrumentation est très élaborée avec cinq parties de cordes (dessus, haute-contres, tailles, quintes et basses de violons). L’ambitus des parties de tailles et quintes de violons correspond à la tessiture des altos actuels. Toutefois quelques si bémol-1 dans les parties de quintes de violons ne peuvent être joués que si on accorde les altos un ton plus bas (4).



© Cyprien Tollet/Théâtre des Champs Elysées - Olivia Doray



Très dramatique, l’acte I débute avec un air très sombre d’Iphigénie dans la tonalité de fa mineur, dans lequel la prêtresse raconte un rêve affreux: Dans l’horreur d’une nuit terrible. L’air de Thoas en la mineur qui suit: Que vais-je faire! Par quelle barbarie, est long et véhément. L’acte se termine par un grand choeur en si bémol majeur: Chantons un Roy couvert de gloire, incontournable hommage à Louis XIV et un ballet.


L’acte II débute par un duo très expressif de Pilade et Oreste en ré mineur: Nos destins ennemis remportent la victoire. Le trio Electre, Oreste et Pilade qui suit est dramatiquement très important car Electre informe les deux Grecs qu’en cédant à Thoas, elle sauvera leurs vies. D’autre part Oreste rongé par le remords, invective les dieux et sombre dans la folie. La scène 3 est un oasis de paix, de grâce et de douceur avec le séduisant air de Diane en sol majeur avec accompagnement de flûtes: Je ne puis du destin changer la loi suprême. Deux nymphes interviennent ensuite avec beaucoup de charme: Par de célestes chants, duo suivi d’un choeur féminin. L’acte se termine par un superbe trio dans lequel Electre, Oreste, Pilade reprennent espoir! 


L’acte III est scéniquement le plus spectaculaire. Il culmine avec l’air magnifique de Thoas en ré mineur avec orchestre: Vous de qui mes yeux ont reçu la naissance, dans lequel le roi invoque les divinités marines et notamment Triton. Le puissant choeur qui suit: Quittez le vaste sein de l’onde, est un sommet de la tragédie. A la fin l’Océan interpelle Thoas: Tremble, tremble Thoas, air très lugubre en fa mineur dans lequel le dieu marin conseille à Thoas de faire preuve de clémence mais le roi lui répond qu’il se vengera et qu’Electre sera la première victime.


L’acte IV débute avec le sommet de l’opéra, l’air d’Iphigénie: C’est trop vous faire violence, Eclatez vains soupçons, le plus développé de tous les airs de l’oeuvre. Il s’agit d’une chaconne en ré mineur sur un tétracorde descendant, très dramatique et très intense dans laquelle Desmarest s’inspire évidemment de la fameuse passacaille d’Armide de Lully. A cet air magnifique, la réponse de Thoas n’est pas moins impressionnante avec son air: Vous qui goûtez sous mon obéissance, dans lequel il laisse éclater sa fureur et son désir de vengeance. A la fin il invoque Diane avec véhémence. Le grand Sacrificateur vient alors pour exécuter la sentence du roi.


Au début de l’acte V, Iphigénie et Oreste se reconnaissent mutuellement ce qui nous vaut un émouvant duo suivi d’un bel air d’Iphigénie en mi majeur accompagné de deux flûtes allemandes: Seuls confidents de mes peines secrètes. Cet air adopte la forme tripartite ABA’ assez proche de l’aria da capo italienne. La scène ultime débute avec une grande chaconne orchestrale en si bémol majeur et se poursuit avec un grand air de Diane: Que le feu vengeur du tonnerre détruise ce temple odieux. La déesse se retire, les Grecs s’embarquent et le temple s’écroule.  


© Cyprien Tollet/Théâtre des Champs Elysées - Floriane Hasler


Iphigénie et le roi Thoas bénéficient des airs les plus pathétiques. Véronique Gens est une tragédienne née, particulièrement à l’aise dans l’opéra français, baroque, romantique ou même post-romantique comme en témoigne son implication récente dans Hulda de César Franck. Son timbre de voix unique, relativement sombre pour une soprano, son phrasé naturel et élégant lui permettent d’atteindre ses buts dramatiques sans avoir besoin de forcer sa voix et tout en nuançant ses propos. Sa puissance vocale, son sens inné de l’ornementation, sa diction impeccable faisaient merveille dans la chaconne C’est trop vous faire violence.


Olivia Doray m’a impressionné dans le rôle d’Electre par son chant d’une grande noblesse, par un timbre de voix velouté et une diction superlative notamment dans son merveilleux duo en mi mineur avec Pilade: Le ciel est sensible à nos larmes (Acte II, scène 2). Ce duo qui associait les voix (soprano et haute-contre) les plus aiguës de la distribution, était accompagné par deux flûtes. Le résultat sonore était vraiment d’une harmonie indicible. 


Avec trois grands airs intervenant à des endroits stratégiques, dans le Prologue, à la fin de l’acte II, scène 3 et à la toute fin de l’acte V, Diane joue un rôle particulier, celui de Deus ex machina; en tant que tel, elle donne une conclusion heureuse à une histoire tragique. Avec sa silhouette altière, une présence scénique indéniable, Floriane Hasler ne passait pas inaperçue. Sa voix admirablement projetée était celle d’une grande tragédienne et ses vocalises étaient pleines de feu notamment dans l’air en sol mineur qui conclut l’oeuvre: Que le feu vengeur du tonnerre.


Dans le rôle d’Isménide, confidente d’Iphigénie, Jehanne Amzal faisait valoir sa voix au timbre charmeur. Elle formait avec Marine Lafdal-Franc un duo très séduisant, tour à tour habitantes de Délos, Nymphes et Prêtresses, elles apportaient une note plus légère à ce sombre drame notamment à la fin de l’acte II. Les voix riches et fruitées des deux nymphes servantes de Diane formaient avec deux flûtes traversières et un violon solo un ravissant quintette: Loin de nos jeux, importune tendresse.


Avec neuf airs conséquents, Le roi Thoas est le personnage le plus actif de la tragédie, il était remarquablement incarné par David Witczak, baryton, chanteur dont l’expérience et la culture baroque sont connus de tous. La noirceur de ce personnage partagé entre la soumission à une tradition barbare et son amour pour Electre, était de place en place tempérée par des accents plus doux, notamment dans la scène 3 de l’acte I: Que vais-je faire? Les tourments de Thoas étaient rendus plus fidèlement encore dans son air magnifique: Vous, de qui mes aïeux ont reçu la naissance (acte IV, scène 3). La voix bien projetée et pourvue de la rudesse appropriée au caractère du personnage, avait l’autorité et la noblesse de celle d’un roi.


Reinoud Van Mechelen est sans aucun doute un des plus brillants haute-contre d’aujourd’hui, il enchante par sa voix à la fois ductile et nerveuse au timbre irrésistible. Dans l’aigu il combine à merveille douceur et puissance, pureté et agilité. Il a mis ces immenses qualités au service du rôle de Pilade et a formé avec Oreste un duo très séduisant et expressif  en particulier à l’acte II, scène 1, dans: Nos destins ennemis remportent la victoire


Thomas Dolié, spécialiste incontesté de la tragédie lyrique, incarnait avec un immense talent un Oreste bourrelé de remords. Sa voix superbement projetée de baryton-basse a un très beau timbre et il mettait ses dons vocaux au service de l’expression de son tourment notamment dans son bel air de l’acte V: Mon coeur pour vous servir, ne voit rien d’impossible. Tomislav Lavoie est aussi un habitué des scènes baroques et affectionne les rôles de Grand Prêtre. Dans celui de l’Ordonnateur et de l’Océan, il pouvait mettre en valeur sa belle voix de basse chantante. Antonin Rondepierre impressionnait dans les rôles de Triton et du Grand Sacrificateur de sa voix claire de ténor (taille) au timbre chaleureux.


© Cyprien Tollet/Théâtre des Champs Elysées - Hervé Niquet


L’orchestre et le choeur Le Concert Spirituel ont livré une prestation d’une exceptionnelle qualité. Dans ce  troisième volet de la Tétralogie que nous prépare Hervé Niquet dont nous avons déjà commenté les deux premiers (Ariane et Bacchus de Marin Marais et Médée de Marc-Antoine Charpentier) (BaroquiadeS), Hervé Niquet a privilégié une disposition spatiale des musiciens propre à bien mettre en évidence les groupes vocaux et instrumentaux indiqués dans la partition: les récits, les airs avec continuo renforcé par quelques instrumentistes (souvent deux dessus de violons et une basse de violon), les airs accompagnés par l’orchestre, enfin les grands tutti avec choeurs. L’orchestre et le choeur ont fait montre de la plus grande précision dans les attaques, les imitations ou les passages fugués. Les cordes nous ont impressionné par une grande expressivité.


Merci à Hervé Niquet et aux artistes pour cette représentation inoubliable mais hélas unique d’une  tragédie lyrique totalement aboutie. En tant que privilégiés qui assistèrent à cette recréation, nous aimerions partager notre bonheur c’est pourquoi nous attendons avec impatience une gravure de ce chef-d’oeuvre. 



  1. https://www.baroquiades.com/articles/recording/1/circe-desmarest-nouveaux-caracteres-cvs
  2. https://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/circe-desmarest-nouveaux-caracteres-versailles-2022
  3. Michel Antoine, Henry Desmarest (1661-1741), Biographie critique., Picard, Paris 1965.
  4. https://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/iphigenie-desmarest-campra-niquet-tce-2023