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vendredi 7 juillet 2023

Haydn 2032. Volume 12. Les jeux et les plaisirs

Pantalone, Maurice Sand (1860), Michel Lévy frères.


Le projet Haydn 2032 a été présenté dans un article précédant (1). Il consiste en l’enregistrement des 107 symphonies de Joseph Haydn dans une optique historiquement informée. Giovanni Antonini, directeur musical du projet, est à la tête du Kammerorchester de Bâle. Les trois symphonies, n° 69, 66 et 61 qui font partie de cet enregistrement, sont des oeuvres aimables et sans histoires mais la n° 61 se distingue nettement des deux autres par un adagio exceptionnel, un des plus vibrants de toute l’oeuvre de Haydn.

Arlequin, Maurice Sand (Comédie italienne), 1860.


La symphonie n° 69 en ut majeur Laudon fut composée probablement en 1775, année féconde qui vit naître un superbe oratorio Il Ritorno di Tobia, un grand opéra mi-bouffe, mi-seria, L'Incontro improviso et quatre ou cinq symphonies dont les n° 66, 67, 68 en plus de la symphonie n° 69 Laudon. Le mouvement Sturm und Drang est maintenant derrière Joseph Haydn, un esprit nouveau souffle, le style galant règne en Europe. A la même époque Wolfgang Mozart et Michael Haydn cessent de composer des symphonies et le premier nommé multiplie les divertissements et les sérénades (2,3). Chez Joseph Haydn la galanterie n’est pas absente mais toujours équilibrée par un vigoureux style populaire. La symphonie n° 69 fut dédiée au maréchal Laudon par Artaria et prit le nom de ce héros national avec l'accord de Haydn (4).


La tonalité d'ut majeur est synonyme de fête dans les symphonies n° 38, 40, 48 et 56. La symphonie n° 69 ne déroge pas à cette règle et le thème initial de l'allegro au rythme de marche scandé par les trompettes et les timbales a beaucoup d'éclat. Par contre le second thème contraste par son caractère essentiellement mélodieux. Le développement basé sur les deux thèmes de l'exposition ne possède pas le caractère dramatique associé généralement chez Haydn à cette phase de la structure sonate. La réexposition est peu modifiée et le mouvement se termine comme il avait commencé par des fanfares des cuivres.


Le Poco adagio piu tosto andante en fa majeur ¾ commence avec un thème sinueux d'une remarquable longueur et très doux chanté par les corde seules (excepté quelques notes de soutien des cors au tout début) en doubles croches principalement. Un passage forte dans lequel interviennent les vents apporte une note plus sombre et termine l'exposition. Après un intermède central dramatique, la réexposition est légèrement variée, en particulier le thème du début est en son début doublé par les cors ce qui le rehausse singulièrement. 


Le remarquable menuet plein de feu et d'éclat offre un beau contraste avec l'adagio. Les trompettes et timbales très actives donnent vraiment un caractère festif à ce mouvement. Le trio est un laëndler très séduisant consistant en un solo du hautbois avec d'amusantes notes répétées.


C'est un rondo sonate Presto 2/4 qui termine l'oeuvre. Le thème du finale piano est encadré de doubles barres de reprises. Le premier couplet forte est écrit dans un magnifique style symphonique très puissant évoquant les symphonies tardives de Haydn. Le retour du refrain est suivi par un couplet central très véhément et dramatique. Après cet épisode violent, les violons, piano, s'emparent de lambeaux du thème du refrain et grâce à de troublantes modulations amènent la réexposition ou plutôt un retour éclatant du refrain cette fois forte. Une courte coda aboutit à la fin de ce somptueux finale qui une fois de plus dépasse le premier mouvement en taille et en magnificence sonore.


Colombine, Maurice Sand (comédie italienne), 1860.


Il est possible que la symphonie n° 66 en si bémol majeur, soit la dernière composée en 1775 par Joseph Haydn, après la n° 68 et les n° 67 en fa majeur et 69 en ut majeur Laudon (5).


Le premier mouvement Allegro con brio 4/4 avec ses nombreux gruppettos ironiques évoque irrésistiblement quelque musique de scène. Le thème initial (accord parfait de si bémol majeur) exposé par les violons ouvrirait volontiers la sinfonia ou la première scène d'un opéra bouffe. Le second thème et surtout la partie de ce dernier concluant l'exposition nous maintient dans l'ambiance de l'opéra et nous rappelle que Joseph Haydn venait d'achever, l'Incontro improviso, un remarquable dramma giocoso. Le développement est bâti d'abord sur le thème principal puis sur un fragment du second thème.


L'adagio en mi bémol majeur avec sourdines 3/4 commence aussi avec un gruppetto. Le thème initial très doux, réservé aux cordes, est répété quatre fois avec des variantes. Une réponse des vents au dessus des secondes mineures des violons est frappante par son caractère plus sombre. Un solo du violon en triolets staccato ponctué par quelques accords des autres cordes se termine par une cadence et aboutit aux barres de reprises. Dans la partie centrale éclate forte le minore d'autant plus dramatique qu'il contraste avec la douceur de la première partie, premier exemple, à ma connaissance, de ces intermèdes mineurs qui jalonneront plus tard les mouvements lents de plusieurs symphonies londoniennes. La dernière partie reproduit la première sans grands changements.


Un charmant menuet est suivi par un merveilleux trio dont le rythme sensuel évoque presque une valse.


Le point culminant de la symphonie est indubitablement le finale scherzando e presto 2/4, un rondo sonate d'une grande originalité. Le refrain très dynamique qui évoque une scène du finale du premier acte de La vera Costanza "Che miro, Rosina…" (6), est encadré par de doubles barres de reprises. Le premier couplet est un premier développement contrapuntique sur le refrain. Retour du refrain varié par des traits spirituels du basson. Le second couplet fait office de développement principal. Entièrement construit sur un motif qui n'est autre qu'une modification du refrain, il offre une éblouissante élaboration contrapuntique de ce thème. Nouveau retour du refrain encore une fois varié avec humour. Une coda très spirituelle entièrement basée sur le thème initial donne un grand rôle aux cors alto et tout se termine comme cela avait commencé à la manière d'un finale d'opéra bouffe. Cette formule du rondo sonate, peut-être une invention de Joseph Haydn, offre de splendides possibilités à l'imagination sans aucune des redondance inhérentes à la structure sonate.


Brighella, Maurice Sand (comédie italienne), 1860



Seule symphonie composée par Joseph Haydn en 1776, la symphonie n° 61 en ré majeur se rattache encore par son style et son ambiance aux deux symphonies n° 66, 67 de 1775 mais elle s’en distingue par une instrumentation plus riche incluant une flûte et deux bassons en sus des hautbois et des cors et un caractère plus dramatique. Ses quatre mouvements évoquent l'opéra ou la musique de scène. Il faut savoir qu'à cette époque la troupe théâtrale de Carl Wahr, qui venait de traduire les pièces de Shakespeare en allemand, se produisit à Eisenstadt et à Eszterhazà. Dans cette symphonie, Haydn fait preuve d’une inspiration mélodique hors pair.


Dans le premier mouvement Vivace le thème initial, introduit par un vigoureux accord de ré majeur, évoque irrésistiblement l'opéra bouffe. Le second thème, très étendu, est d'abord confié aux vents et impressionne par sa beauté mélodique. Nous lui trouvons une parenté avec le thème principal de l'air célèbre de Donna Elvira au deuxième acte du Don Giovanni de Mozart "In quali eccessi, o Numi...". L'exposition se termine avec un rappel du premier thème. Le développement s'ouvre avec le second thème mais c'est le premier qui revient à l'assaut et donne lieu à une suite syncopée aux violons, le thème passe alors aux basses et la rentrée reproduit d'abord le début du mouvement. Le second thème à la tonique est encore plus chantant et est accompagné de la plus pittoresque façon par les cors.


Haydn nous gratifie, une fois de plus, d'un admirable adagio. Le premier thème, un cantabile aux premiers violons accompagnés par les deux bassons, est très émouvant et tendu. Le second thème en mineur est une mélodie d'une beauté déchirante au caractère vocal affirmé dont le lyrisme évoque la cavatine d'un opéra imaginaire. Le développement reprend d'abord le premier thème et les modulations atteignent un rare degré d'intensité. La réexposition reprend en les variant les deux thèmes de l'exposition. Cet adagio d'une beauté indicible laisse l'auditeur sous son charme.


Le menuetto Allegretto très symphonique, annonce les grands menuets de la période londonienne. Le trio est une petite valse dont la mélodie est jouée par le hautbois.


Le finale Prestissimo (indication de tempo assez rare chez Haydn) est un magnifique rondo. Le thème du refrain, a un caractère nettement humoristique et fantaisiste, son harmonisation extrêmement brillante dans laquelle participent cors à contre temps, timbales et vents, a une coloration presque néoclassique. On croirait parfois écouter Les Biches de Francis Poulenc! Ce rondo a une structure ABACDA+coda avec A = refrain et B, C, et D = couplets. Comme ce sera souvent le cas dans les rondos de Mozart, il n'y a pas retour du refrain entre les couplets C et D. Le couplet B est un vigoureux minore d'un sentiment passionné mais non dépourvu d'humour. A chaque retour du refrain l'orchestration est plus fournie et plus brillante. Une coda endiablée termine cette étonnante symphonie, une des plus belles de Haydn.


Dans ces trois symphonies Giovanni Antonini surclasse tous ses concurrents. Son orchestre a un son magnifique conféré par des instruments d’époque de qualité exceptionnelle et des virtuoses à chaque pupitre. Les cors naturels sont enthousiasmants, les trompettes brillantes et éclatantes, les hautbois,  flûtes et bassons sont coruscants. Antonini cultive l’art des contrastes ce qui convient admirablement à une musique de caractère scénique assumé. Il met en valeur les effusions lyriques de la symphonie n° 61 tout en restant dans les limites du classicisme et nous gratifie d’une version de référence de ces symphonies rarement exécutées. 



(1)  https://piero1809.blogspot.com/2020/11/la-roxolana-giuseppe-haydn.html

(2)  Théodore de Wyzewa et Georges de Saint Foix, W.-A. Mozart. II. Le jeune maître. Desclée de Brouwer, 1936, pp. 174-265.

(3) Certaines sérénades pour orchestre de Mozart, la sérénade Hafner KV 250 par exemple de 1776, ont toutefois un caractère symphonique marqué (référence 2, pages 309 à 324).

(4)  Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp. 1017-18.

(5)  Ibid, pp. 1018-19.

(6). La vera costanza, un dramma giocoso, sera achevé en 1779. Le manuscrit ayant brûlé peu après, Haydn recomposera l’opéra en 1785 en y rajoutant quelques passages nouveaux. 

(7)  Les illustrations libres de droits proviennent de Wikipedia que nous remercions.