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mercredi 13 mars 2024

Iphigénie en Tauride de Desmarest et Campra au Théâtre des Champs Elysées

© Photo Cyprien Tollet/Théâtre des Champs Elysées - Véronique Gens


Apollon a voulu, pour laver mes forfaits que de Diane ici j’enlevasse l’image.

Quel bonheur que celui de découvrir une grande tragédie lyrique restée dans l’ombre depuis près de trois siècles. Il est vrai que cette Iphigénie en Tauride de Henry Desmarest (1661-1741) a eu une genèse compliquée du fait de la vie aventureuse de ce compositeur. Ebauchée en 1695 et composée en grande partie vers la fin du 17ème siècle à partir d’un livret de Joseph-François Duché de Vancy (1668-1704), la partition fut laissée en plan du fait de l’exil de Desmarest. Le compositeur fut en fait obligé de fuir en Belgique pour éviter une action judiciaire pour séduction et rapt d’une jeune fille, intentée par le père de cette dernière. Il fut jugé par contumace et son effigie fut brulée sur la  place de Grève. Avant de prendre la fuite, Desmarest mit sa partition en lieu sûr. André Campra (1660-1744), convaincu de la valeur de la musique, accepta de la terminer. Ses interventions furent notables même si l’essentiel de la musique des cinq actes est de Desmarest mais il composa entièrement le prologue. Il en résulta un opéra complètement abouti qui fut crée en 1704, repris plusieurs fois jusqu’en 1762 à Paris, à Versailles aux concerts de la reine Marie Lekzinska et dans nombre de cours étrangères. Un tel succès se prolongeant pendant plus d’un demi-siècle était chose assez rare à l’époque. Les lecteurs désireux d’en savoir plus sur Desmarest peuvent lire les excellentes chroniques de Bruno Maury d’une part (1) et de Stefan Wandriesse d’autre part (2), sur Circé, tragédie lyrique datant de 1694 (3). 


On pourrait se livrer à des comparaisons entre les styles des deux compositeurs ou à des  considérations visant à rendre à Desmarest  et à Campra ce qui leur revient respectivement. Nous avons jugé ces distinctions stériles et oiseuses. En fait mis à part le prologue qui est entièrement de la main de Campra, il est très difficile à l’écoute d’attribuer une paternité à l’un ou à l’autre si l’on a pas la partition en main, preuve de l’homogénéité et de l’habilité de cette reconstruction. C’est à une version de concert que nous eûmes le bonheur d’assister au théâtre des Champs Elysées, le 9 janvier 2024. Cette recréation a été effectuée ex nihilo en co-production avec le Centre de Musique Baroque de Versailles  et le Concert Spirituel. Le présent article est une extension d’une chronique publiée dans BaroquiadeS (4).


Iphigénie, prêtresse de Diane dans la lointaine Scythie, doit se prêter au rite barbare des Scythes et mettre à mort les étrangers débarqués sur leurs rives. Le roi Thoas est sur le point d’ordonner le sacrifice de Grecs fraichement arrivés mais il hésite car secrètement il aime sa captive Electre. Pour Iphigénie le dilemme est encore plus terrible car il lui semble reconnaître deux des étrangers condamnés à mort. Ces derniers sont Oreste, frère d’Iphigénie et Pilade, ami fidèle d’Oreste. Oreste pour se racheter du meurtre de sa mère et calmer les dieux, doit s’emparer de la statue de Diane située dans le temple des Scythes. Electre annonce aux deux Grecs qu’ils auront la vie sauve si elle consent à épouser le roi Thoas. Ce dernier voyant l’hostilité des deux étrangers  décide de consulter l’oracle de l’Océan qui lui conseille la mansuétude, attitude récusée par le roi. Entre temps Iphigénie apprend la mort d’Agamemnon de la main de sa mère et le meurtre  de cette dernière mais le nom du meurtrier ne lui est pas révélé. Elle décide alors d’organiser la fuite des Grecs et c’est à ce moment qu’Iphigénie et Oreste se reconnaissent comme frères et soeurs. Des combats éclatent, Oreste est fait prisonnier mais Diane paraît dans son temple, pardonne  à Oreste, protège le départ des Grecs et enlève sa propre statue tandis que le sanctuaire s’effondre avec fracas.


Ce beau livret de Duché de Vancy fut par la suite complété par le librettiste de Campra, Antoine Danchet (1671-1748). On voit que l’action se partage assez équitablement entre le rôle titre et quatre personnages principaux: Oreste, Electre, Thoas, roi des Scythes et Diane. Cette oeuvre hautement théâtrale est dans la continuité de celles de Jean-Baptiste Lully (1632-1687) avec des récits très dramatiques ponctués d’airs assez courts. Les actes se terminent le plus souvent par des choeurs flamboyants et des suites de danses. L’instrumentation est très élaborée avec cinq parties de cordes (dessus, haute-contres, tailles, quintes et basses de violons). L’ambitus des parties de tailles et quintes de violons correspond à la tessiture des altos actuels. Toutefois quelques si bémol-1 dans les parties de quintes de violons ne peuvent être joués que si on accorde les altos un ton plus bas (4).



© Cyprien Tollet/Théâtre des Champs Elysées - Olivia Doray



Très dramatique, l’acte I débute avec un air très sombre d’Iphigénie dans la tonalité de fa mineur, dans lequel la prêtresse raconte un rêve affreux: Dans l’horreur d’une nuit terrible. L’air de Thoas en la mineur qui suit: Que vais-je faire! Par quelle barbarie, est long et véhément. L’acte se termine par un grand choeur en si bémol majeur: Chantons un Roy couvert de gloire, incontournable hommage à Louis XIV et un ballet.


L’acte II débute par un duo très expressif de Pilade et Oreste en ré mineur: Nos destins ennemis remportent la victoire. Le trio Electre, Oreste et Pilade qui suit est dramatiquement très important car Electre informe les deux Grecs qu’en cédant à Thoas, elle sauvera leurs vies. D’autre part Oreste rongé par le remords, invective les dieux et sombre dans la folie. La scène 3 est un oasis de paix, de grâce et de douceur avec le séduisant air de Diane en sol majeur avec accompagnement de flûtes: Je ne puis du destin changer la loi suprême. Deux nymphes interviennent ensuite avec beaucoup de charme: Par de célestes chants, duo suivi d’un choeur féminin. L’acte se termine par un superbe trio dans lequel Electre, Oreste, Pilade reprennent espoir! 


L’acte III est scéniquement le plus spectaculaire. Il culmine avec l’air magnifique de Thoas en ré mineur avec orchestre: Vous de qui mes yeux ont reçu la naissance, dans lequel le roi invoque les divinités marines et notamment Triton. Le puissant choeur qui suit: Quittez le vaste sein de l’onde, est un sommet de la tragédie. A la fin l’Océan interpelle Thoas: Tremble, tremble Thoas, air très lugubre en fa mineur dans lequel le dieu marin conseille à Thoas de faire preuve de clémence mais le roi lui répond qu’il se vengera et qu’Electre sera la première victime.


L’acte IV débute avec le sommet de l’opéra, l’air d’Iphigénie: C’est trop vous faire violence, Eclatez vains soupçons, le plus développé de tous les airs de l’oeuvre. Il s’agit d’une chaconne en ré mineur sur un tétracorde descendant, très dramatique et très intense dans laquelle Desmarest s’inspire évidemment de la fameuse passacaille d’Armide de Lully. A cet air magnifique, la réponse de Thoas n’est pas moins impressionnante avec son air: Vous qui goûtez sous mon obéissance, dans lequel il laisse éclater sa fureur et son désir de vengeance. A la fin il invoque Diane avec véhémence. Le grand Sacrificateur vient alors pour exécuter la sentence du roi.


Au début de l’acte V, Iphigénie et Oreste se reconnaissent mutuellement ce qui nous vaut un émouvant duo suivi d’un bel air d’Iphigénie en mi majeur accompagné de deux flûtes allemandes: Seuls confidents de mes peines secrètes. Cet air adopte la forme tripartite ABA’ assez proche de l’aria da capo italienne. La scène ultime débute avec une grande chaconne orchestrale en si bémol majeur et se poursuit avec un grand air de Diane: Que le feu vengeur du tonnerre détruise ce temple odieux. La déesse se retire, les Grecs s’embarquent et le temple s’écroule.  


© Cyprien Tollet/Théâtre des Champs Elysées - Floriane Hasler


Iphigénie et le roi Thoas bénéficient des airs les plus pathétiques. Véronique Gens est une tragédienne née, particulièrement à l’aise dans l’opéra français, baroque, romantique ou même post-romantique comme en témoigne son implication récente dans Hulda de César Franck. Son timbre de voix unique, relativement sombre pour une soprano, son phrasé naturel et élégant lui permettent d’atteindre ses buts dramatiques sans avoir besoin de forcer sa voix et tout en nuançant ses propos. Sa puissance vocale, son sens inné de l’ornementation, sa diction impeccable faisaient merveille dans la chaconne C’est trop vous faire violence.


Olivia Doray m’a impressionné dans le rôle d’Electre par son chant d’une grande noblesse, par un timbre de voix velouté et une diction superlative notamment dans son merveilleux duo en mi mineur avec Pilade: Le ciel est sensible à nos larmes (Acte II, scène 2). Ce duo qui associait les voix (soprano et haute-contre) les plus aiguës de la distribution, était accompagné par deux flûtes. Le résultat sonore était vraiment d’une harmonie indicible. 


Avec trois grands airs intervenant à des endroits stratégiques, dans le Prologue, à la fin de l’acte II, scène 3 et à la toute fin de l’acte V, Diane joue un rôle particulier, celui de Deus ex machina; en tant que tel, elle donne une conclusion heureuse à une histoire tragique. Avec sa silhouette altière, une présence scénique indéniable, Floriane Hasler ne passait pas inaperçue. Sa voix admirablement projetée était celle d’une grande tragédienne et ses vocalises étaient pleines de feu notamment dans l’air en sol mineur qui conclut l’oeuvre: Que le feu vengeur du tonnerre.


Dans le rôle d’Isménide, confidente d’Iphigénie, Jehanne Amzal faisait valoir sa voix au timbre charmeur. Elle formait avec Marine Lafdal-Franc un duo très séduisant, tour à tour habitantes de Délos, Nymphes et Prêtresses, elles apportaient une note plus légère à ce sombre drame notamment à la fin de l’acte II. Les voix riches et fruitées des deux nymphes servantes de Diane formaient avec deux flûtes traversières et un violon solo un ravissant quintette: Loin de nos jeux, importune tendresse.


Avec neuf airs conséquents, Le roi Thoas est le personnage le plus actif de la tragédie, il était remarquablement incarné par David Witczak, baryton, chanteur dont l’expérience et la culture baroque sont connus de tous. La noirceur de ce personnage partagé entre la soumission à une tradition barbare et son amour pour Electre, était de place en place tempérée par des accents plus doux, notamment dans la scène 3 de l’acte I: Que vais-je faire? Les tourments de Thoas étaient rendus plus fidèlement encore dans son air magnifique: Vous, de qui mes aïeux ont reçu la naissance (acte IV, scène 3). La voix bien projetée et pourvue de la rudesse appropriée au caractère du personnage, avait l’autorité et la noblesse de celle d’un roi.


Reinoud Van Mechelen est sans aucun doute un des plus brillants haute-contre d’aujourd’hui, il enchante par sa voix à la fois ductile et nerveuse au timbre irrésistible. Dans l’aigu il combine à merveille douceur et puissance, pureté et agilité. Il a mis ces immenses qualités au service du rôle de Pilade et a formé avec Oreste un duo très séduisant et expressif  en particulier à l’acte II, scène 1, dans: Nos destins ennemis remportent la victoire


Thomas Dolié, spécialiste incontesté de la tragédie lyrique, incarnait avec un immense talent un Oreste bourrelé de remords. Sa voix superbement projetée de baryton-basse a un très beau timbre et il mettait ses dons vocaux au service de l’expression de son tourment notamment dans son bel air de l’acte V: Mon coeur pour vous servir, ne voit rien d’impossible. Tomislav Lavoie est aussi un habitué des scènes baroques et affectionne les rôles de Grand Prêtre. Dans celui de l’Ordonnateur et de l’Océan, il pouvait mettre en valeur sa belle voix de basse chantante. Antonin Rondepierre impressionnait dans les rôles de Triton et du Grand Sacrificateur de sa voix claire de ténor (taille) au timbre chaleureux.


© Cyprien Tollet/Théâtre des Champs Elysées - Hervé Niquet


L’orchestre et le choeur Le Concert Spirituel ont livré une prestation d’une exceptionnelle qualité. Dans ce  troisième volet de la Tétralogie que nous prépare Hervé Niquet dont nous avons déjà commenté les deux premiers (Ariane et Bacchus de Marin Marais et Médée de Marc-Antoine Charpentier) (BaroquiadeS), Hervé Niquet a privilégié une disposition spatiale des musiciens propre à bien mettre en évidence les groupes vocaux et instrumentaux indiqués dans la partition: les récits, les airs avec continuo renforcé par quelques instrumentistes (souvent deux dessus de violons et une basse de violon), les airs accompagnés par l’orchestre, enfin les grands tutti avec choeurs. L’orchestre et le choeur ont fait montre de la plus grande précision dans les attaques, les imitations ou les passages fugués. Les cordes nous ont impressionné par une grande expressivité.


Merci à Hervé Niquet et aux artistes pour cette représentation inoubliable mais hélas unique d’une  tragédie lyrique totalement aboutie. En tant que privilégiés qui assistèrent à cette recréation, nous aimerions partager notre bonheur c’est pourquoi nous attendons avec impatience une gravure de ce chef-d’oeuvre. 



  1. https://www.baroquiades.com/articles/recording/1/circe-desmarest-nouveaux-caracteres-cvs
  2. https://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/circe-desmarest-nouveaux-caracteres-versailles-2022
  3. Michel Antoine, Henry Desmarest (1661-1741), Biographie critique., Picard, Paris 1965.
  4. https://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/iphigenie-desmarest-campra-niquet-tce-2023 









dimanche 31 décembre 2023

Haydn 2032 - volume 6 - Lamentatione





La symphonie n° 26 Lamentatione a donné son nom à l’album tout entier. C’était assez logique car elle en est l’oeuvre de loin la plus connue. Pourtant ce titre ainsi que la photo de couverture tous deux très dramatiques ne reflètent pas du tout le caractère de l’album car les trois autres symphonies au programme  (n° 3, 30 et 79) sont très joyeuses. 

La symphonie n° 3 en sol majeur Hob I.3 fait partie d'un groupe de 20 symphonies antérieures à l'entrée de Joseph Haydn (1732-1809) chez les Esterhazy (1761). Cette symphonie possède quatre mouvements, commence par un allegro et possède un menuetto en troisième position comme ce sera toujours le cas dans la symphonie de l'époque classique (1).


Le premier mouvement Allegro 3/4 est une structure sonate à deux thèmes. Le premier thème est formé de quatre blanches pointées et frappe par son énergie; le second fait dialoguer de façon étonnement moderne les cordes et les vents. Le développement lui est basé uniquement sur le premier thème et dans sa dernière partie joue aussi sur des oppositions vents cordes. 


Le deuxième mouvement, Andante moderato, en sol mineur est remarquable par son sentiment mélancolique. Il se déroule constamment à mezza voce.


Le Menuetto est un canon entre violons et basses au mouvement très entraînant, on remarque le rôle des cors qui font la liaison entre les deux groupes. Quant au trio, il nous ravit par sa grâce et son charme mélodique, les vents, bois et cors, ont la part du lion et dialoguent avec un violon solo.


Le Finale Alla breve Allegro est une fugue dont le sujet, quatre rondes, rappelle le premier thème du premier mouvement et fait immanquablement penser au thème du finale de la symphonie Jupiter de Wolfgang Mozart (1756-1791). Dans ce brillant morceau on admire les qualités de symphoniste de Haydn: tous les instruments de l'orchestre (cordes, hautbois, cors) sont utilisés pour notre plus grand plaisir.


Cette symphonie petite par la taille, est grande par son contenu. Haydn avait moins de trente ans quand il l’écrivit. L’interprétation du Kammerorchester de Bâle est très brillante et la présence des instruments d’époque apporte un plus indiscutable dans une oeuvre encore ancrée dans le monde baroque.


Pietro Perugino (1448-1523) - Crucifixion avec la Vierge Marie et Saint Jean. National Gallery of Art - Washington D.C.

La symphonie n° 26 en ré mineur Lamentatione Hob I.26 a été composée en toute probabilité en 1768. Elle est donc contemporaine de la symphonie n° 49 en fa mineur La Passione. Joseph Haydn utilise dans la symphonie n° 26 des thèmes religieux se référant précisément à la liturgie de la Semaine Sainte ce qui n'était pas le cas de la symphonie La Passione dont la musique pouvait aussi bien correspondre à une action dramatique profane. Toutefois il était exclu que l’on jouât la symphonie n° 26 pendant le Triduum pascal (Jeudi, Vendredi et Samedi Saints). Toute musique instrumentale était en effet prohibée à l’église durant cette période. Rien n’excluait cependant que cette musique fût jouée dans la résidence privée d’un notable. Il était aussi possible que cette symphonie fît partie de la liturgie du Mercredi Saint pendant laquelle étaient chantés des psaumes dont les textes étaient tirés des Lamentations de Jérémie.


Le premier mouvement, Allegro assai con spirito, débute forte avec un thème fougueux, typiquement Sturm und Drang, remarquable par ses syncopes. Les quatre mesures piano qui suivent marquent un temps de réflexion et le thème du début reprend avec la même énergie. Tout s'arrête et les seconds violons doublés par les deux hautbois entonnent fortissimo un choral solennel (marqué chorale sur la partition), accompagné par les arpèges des premiers violons qui termine l'exposition. Le développement, véhément et passionné, est entièrement bâti sur le thème initial ainsi que les quelques mesures méditatives qui interrompaient l'énoncé du thème. Lors de la réexposition, le choral reparaît avec une puissance accrue cette fois en ré majeur, tonalité sur laquelle se termine le mouvement. Dans l’interprétation du Kammerorchester de Bâle, le thème du choral ne ressort pas assez à notre avis car il est étouffé par des premiers violons trop forts.


L'Adagio en fa (2) est entièrement basé sur une sublime mélodie de choral, chantée par les seconds violons doublés par les hautbois dans leur registre grave, tandis qu'au dessus les premiers violons dessinent un magnifique contrechant qui se transforme en un accompagnement de triolets de doubles croches. Le thème de choral est ensuite repris dans le registre le plus grave des hautbois (3) et on arrive aux barres de reprises. Au cours du développement, en fait une simple transition, le début du choral est énoncé dans plusieurs tonalités et on arrive à la réexposition dans laquelle le choral est énoncé par les hautbois et les cors à l'unisson avec un surcroît de vigueur. La conclusion pianissimo est empreinte de recueillement. Les interprètes placés sous la direction de Giovanni Antonini participent à cette ineffable prière collective avec une intensité extraordinaire .


Dans le Menuetto en ré mineur tout caractère proprement religieux a disparu mais le ton reste grave. Le tempo mesuré donne a ce mouvement un caractère solennel, digne de conclure l'oeuvre. Dans la deuxième partie du menuet, un vigoureux canon entre les violons et les basses donne lieu à des harmonies acerbes dont Marc Vignal souligne la parenté avec la fugue pour deux pianos KV 426 de Wolfgang Mozart (4). Le trio en ré majeur, seul passage un peu "léger" dans la symphonie, fait alterner de façon amusante un thème piano aux violons doublés par les vents avec un violent accord sabré par tout l'orchestre.


Camille Corot (1796-1879), Forêt de Fontainebleau, Musée des Beaux Arts, Boston

La symphonie n° 79 en fa majeur Hob I.79 fait partie d'une série de trois (n° 79 en fa majeur, n° 80 en ré mineur et n° 81 en sol majeur) composées en 1784, peu après Armida, dernier opéra écrit à Eszterhàza. Fa majeur est une tonalité assez rarement utilisée par Joseph Haydn dans ses symphonies (six symphonies en tout, les n° 17, 40, 58, 67, 79 et 89) surtout si on compare avec ré majeur (22 symphonies), ut majeur (20 symphonies), si bémol majeur (14 symphonies), et sol majeur (12 symphonies), tonalités les plus utilisées. Pourtant fa majeur avec un seul bémol à la clé est une tonalité sans histoires! La symphonie n° 79 est écrite pour une formation comportant le quintette à cordes, une flûte, deux hautbois, deux bassons, deux cors en si bémol et en fa.


Le premier mouvement allegro con spirito 4/4 débute par un thème très chantant aux premiers violons doublés par le basson. Curieusement ce thème disparaît de la scène. Il n'en reste qu'une sorte de gruppetto qui revient ensuite deux fois et même quatre fois de suite, sous des formes diverses dont une manifeste une ressemblance avec le sujet de fugato sur lequel est construit l'ouverture de la Flûte Enchantée de Mozart. A plusieurs reprises, on s'attend à un second thème qui ne vient pas car c'est toujours le même gruppetto qui reparait dans un contexte différent. Dans le développement le thème initial reparaît fugitivement mais ce développement est très court et c'est bientôt la réexposition, pleine de surprises car profondément remaniée. Elle donne lieu à un passage extraordinaire qui est en fait un second développement sur un motif contenant le fameux gruppetto donnant lieu à des modulations hardies et à des dissonances troublantes. A la fin le gruppetto sera répété huit et enfin douze fois!! Il y a dans ce mouvement une aptitude extraordinaire de Haydn à tirer tout le parti possible d'une cellule de six notes. Alors qu'à première audition ce mouvement semble improvisé, on s'aperçoit en écoutant attentivement que c'est un des plus rigoureusement construit de Haydn. On doit cette révélation à Giovanni Antonini et le Kammerorchester qui arrivent à maintenir la cohésion nécessaire pour que les idées géniales de ce morceau ne partent pas dans tous les sens. 


Le mouvement lent Adagio cantabile ¾ est également très curieux. Il débute par un thème au rythme pointé, comportant deux parties, et se poursuit par une variation des deux parties du thème, jouée par les bois, à laquelle répondent les syncopes des violons. Le climat à la fois recueilli et solennel évoque les dernières compositions de Haydn ainsi que, selon Marc Vignal, l'andante con moto de la symphonie n° 39 de Mozart (5). Il semble qu'à ce point de l'oeuvre, le compositeur fut face à un problème, posé par une nouvelle variation dans le même tempo. Réveillez-vous, on est en train de s'endormir! s'exclama-t-il peut-être en pensant à ses musiciens ou son public et il composa en guise de deuxième partie un poco allegro 2/2 rapide n'ayant rien à voir avec ce qui précède. Ce passage est aussi exubérant que le début était réservé c’est pourquoi il serait tentant de considérer ce morceau comme un intermezzo, un mouvement supplémentaire entre l’adagio et le menuet.


Dans le trio du menuet on notera un très joli solo de hautbois. D'aucuns ont noté une ressemblance avec le rondo du concerto pour cor K 412/386b de Mozart de 1791 tout en signalant qu'il était peu probable que Mozart eût connu cette symphonie (6-8)


Le finale Vivace est un rondo aux vastes proportions de structure A B A C A. Le refrain A est typiquement haydnien avec sa fraiche et franche gaité. Le premier couplet B en fa mineur au thème très énergique, issu de celui du refrain, fonctionne comme un développement. C'est un refrain A habillé par une nouvelle orchestration qui reparaît ensuite et qui laisse la place au second couplet C en si bémol majeur au caractère vigoureusement rustique. Dans le dernier retour du refrain le basson double le premier violon de la manière la plus spirituelle et on aboutit à une coda endiablée et à la fin du mouvement (9).


La symphonie n° 30 en ut majeur "Alleluia" Hob I.30 date de l'année 1765. Au cours de cette féconde année, Joseph Haydn composa trois autres symphonies: les n° 31 en ré majeur Appel du cor, 28 en mi majeur et 29 en la majeur dans l'ordre chronologique probable. La symphonie Alleluia est la dernière symphonie en trois mouvements avec la coupe vif, lent, vif de la sinfonia italienne (10). A partir de cette oeuvre, Haydn abandonne définitivement la coupe à l'italienne pour ne composer exclusivement que des symphonies en quatre mouvements avec généralement un menuetto en troisième position. Son surnom provient du fait que dans le premier mouvement Haydn utilise l'alleluia grégorien pour la nuit de Pâques (11). L'effectif instrumental utilisé est important, il comprend une flûte, deux hautbois, un basson doublant la basse, deux cors et deux trompettes (12).


Théodore Rousseau (1812-1867), Chênes à Apremont, Musée d'Orsay

Dans le premier mouvement, Allegro 4/4, le thème clamé par les trompettes est quelque peu différent de l'alleluia grégorien, ce début éclatant est tout à fait typique des symphonies festives en ut majeur qui jalonnent la production symphonique de Haydn. Le second thème piano est très proche du premier. On peut donc considérer ce mouvement comme monothématique. Le développement, basé sur le thème initial, consiste en vigoureuses imitations sur les quatre premières notes du thème de l'alleluia tandis que les violons parcourent l'espace sonore de brillantes gammes ascendantes et descendantes en doubles croches. Lors de la réexposition, les trompettes interviennent en force pour conclure brillamment ce mouvement. 


Avec l'Andante en sol majeur 2/4 nous retrouvons l'esprit de l'adagio de la symphonie n° 24 avec un ravissant solo de traverso. Toutefois la flûte ne monopolise pas toute la scène et laisse au hautbois quelques passages mélodieux. Le développement, une simple transition en fait, consiste en une marche harmonique d'esprit baroque à la flûte solo.


Le troisième mouvement Tempo du menuetto, piu tosto allegretto 3/4, est plus proche d'un rondo que d'un menuet. On ne saurait trop admirer dans ce morceau l'extraordinaire charme mélodique du thème principal ou refrain joué par les cors et les violons. Le premier intermède, un solo de la flûte et du violon solo à l'unisson, est une merveille de grâce et d'élégance. Le retour du refrain est suivi par un nouvel intermède mineur assez étrange: le thème est énoncé d'abord par les violons alors que les cors et les hautbois à l'unisson tiennent un mi un peu inquiétant pendant toute la durée de cette première partie. Dans une deuxième partie le thème passe aux basses avec de brusques sforzandos et devient quelque peu menaçant mais tout se calme vite avec le retour du refrain. Une coda dans laquelle le thème du début est repris par les cors et un violon solo de manière très poétique termine cette symphonie particulièrement joyeuse. L’interprétation du Kammerorchester de Bâle (Giovanni Antonini) donne à cette symphonie festive (et aux trois autres) un éclat extraordinaire. Un virtuose est assis devant chaque pupitre: un flûtiste génial, deux hautbois mordants, des cors naturels confondants de moelleux ou d’énergie, des cordes incisives ou soyeuses etc.…  


Plusieurs musicologues ont considéré à juste titre que ces symphonies de l'année 1765, généralement sereines, correspondaient à la fin d'une époque et à un adieu de Haydn à sa jeunesse (11). A partir de cette date, l'inspiration de Haydn devient plus sombre comme en témoigne la symphonie n°34 en ré mineur, composée vers 1766, premier exemple peut-être du style Sturm und Drang chez Haydn. 




(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1788. pp 829-830.

(2) La tonalité de fa surprend après le ré majeur qui conclut le premier mouvement, audace dans la succession des tonalités qui deviendra monnaie courante après 1784.

(3) Haydn a-t-il pensé à des cors anglais pour cette symphonie?

(4) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp. 987-8.

(5) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp. 1115-6.

(6) http://en.wikipedia.org/wiki/Symphony_No._79_(Haydn)

(7) Luigi della Croce, Les 107 symphonies de Haydn, Editions Dereume, Bruxelles, 1976, pp. 265-7.

(8) Pourquoi Mozart n'aurait-il pas connu la symphonie n° 79? Les références à Mozart sont nombreuses dans cette symphonie. Elles sont encore plus évidentes dans la symphonie n° 78 en ut mineur (1782) dans laquelle Mozart puisa largement comme le signalent EC Robbins Landon ou Marc Vignal.

(9) Partition consultable et écoute gratuite sur le site http://www.haydn107.com/index.php?id=2&sym=79&lng=2

(10) La symphonie n° 34 en ré mineur qui date vraisemblablement de 1766, est également en trois mouvements mais c'est une symphonie d'église débutant avec un mouvement lent.

(11) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1788, pp. 846-7.

(12) http://en.wikipedia.org/wiki/Symphony_No._30_(Haydn)

jeudi 7 décembre 2023

Haydn 2032 - Volume 13 - L'appel du cor

 

Cor naturel - photo © Lexofadown

L’album l’Appel du cor, volume 13 du projet Haydn 2032 (enregistrement d’une intégrale des symphonies de Joseph Haydn par Giovanni Antonini et Il giardino armonico), comporte trois symphonies, n° 31, 59 et 48, dans l’ordre chronologique, donnant au cor une place prépondérante. Toutefois le titre appel du cor s’applique spécifiquement à la n° 31 qui comporte quatre cors dans son orchestration.  La période comprise entre mai et septembre 1765, seul moment de cette année où l'orchestre de Haydn comptait quatre cors (1), est sans doute celle de la composition de la symphonie n° 31 en ré majeur Appel du Cor. Bien plus développée que la symphonie n° 72, composée en 1763 que l’on considère souvent comme une étude préliminaire à la n° 31, elle garde le même aspect divertimento caractérisé par d'importants solos instrumentaux dans chaque mouvement (2,3). 

Cor postal - photo © Kandschwar - Erbes-Büdesheim

Symphonie en ré majeur Hob I.31

Le premier mouvement Allegro 3/4 débute par une éclatante fanfare des quatre cors. Un siècle et  demi plus tard, Gustav Mahler confiera à huit cors à l’unisson le soin d’ouvrir sa troisième symphonie. La fanfare des cors est suivie par des sauts d'octaves du premier cor, sortes d'appels (indiqués sur la partition par la mention: cor de poste de Nuremberg) qui marquent de leur sceau ce mouvement. On retrouvera ces appels dans le second menuetto de la sérénade en ré majeur KV 320 dite Cor de Postillon de Mozart. Dans ce mouvement au caractère symphonique affirmé, le second thème survient juste avant les barres de reprises comme ce sera souvent le cas dans maintes oeuvres ultérieures de Haydn. Le développement débute avec les fanfares du début dans des tonalités mineures mais s'oriente rapidement vers le second thème qui fera l'objet d'une élaboration digne des grandes symphonies à venir. On remarque tout particulièrement à la fin du développement un passage dans lequel le second thème, réduit à ses deux premières mesures, est sans cesse modulé par le premier violon piano et accompagné par les batteries des autres cordes, les violoncelles dans leur registre aigu et sans les contrebasses (4). Comme dans la symphonie n° 72, la réexposition omet le premier thème qui reparaîtra à la fin du morceau qui s'achèvera comme il avait commencé par de brillantes fanfares.


Dans L'adagio en sol majeur 6/8 au rythme de sicilienne, plusieurs solistes alternent: un violon, un violoncelle et deux cors (sur les quatre). Chaque solo est accompagné par les pizzicatos des cordes et interrompu par des unissons forte de tout l'orchestre. Le violon monte à des hauteurs stratosphériques (étonnant Stefano Barneschi) et les solos de cors sont acrobatiques. Le tout est harmonieusement fondu et dégage une poésie indicible. Cet adagio est un des plus profonds parmi les mouvements lents de cette époque. Avant les barres de reprises le thème principal remanié revient pianissimo deux fois avec une harmonisation chaque fois différente, passage sublime préfigurant les moments les plus intenses des quatuors à cordes à venir. On pense à la petite phrase de la sonate de Vinteuil qui fera les délices du narrateur dans A la Recherche du Temps perdu (5).


Le menuetto est remarquable par son caractère symphonique et son allure viennoise. Une petit développement commence dans la seconde partie. Dans le trio qui est un laendler, le premier cor monte jusqu'au ré suraigu, partie qui devait probablement être jouée par les cornistes fraichement recrutés en mai 1765 Franz Stamitz et Joseph Dietzl (1).


Comme dans la symphonie Hob I.72, le finale Moderato molto 2/4 est un thème varié. Le thème avec ses syncopes et la variété de ses rythmes porte indubitablement la marque de Joseph Haydn. La première variation appartient aux hautbois et aux cors, les cordes accompagnent. Le violoncelle solo (Paolo Beschi) règne avec une grande virtuosité dans la seconde variation. C'est au tour de la flûte (Marco Brolli) avec ses sauts d'octaves et ses arabesques de nous ravir dans la troisième variation. La quatrième variation est confiée aux quatre cors. Le premier cor (Johannes Hinterholzer) nous éblouit par sa démonstration de haute voltige, il grimpe jusqu'au fa# suraigu. Comme tout ce passage doit se jouer piano voire pianissimo, on se demande comment cela était possible avec des cors naturels mais les virtuoses d’Il giardino armonico sous la direction de Giovanni Antonini y arrivent parfaitement. Le violon solo est aux commandes dans la cinquième variation puis l'orchestre au complet dans la sixième qui reprend le thème sans changements et enfin la contrebasse (ou le violone à cinq cordes) dans la septième qui s'enchaine à un joyeux finale presto se terminant par les fanfares du début scellant ainsi un chef-d’oeuvre absolu et peut être la fin d'une époque insouciante (2).


Trompe de chasse -  Contrairement au cor naturel, elle ne possède pas de coulisse d'accord qui permet de jouer dans plusieurs tonalités - © Photo Luna 04 (12)

Symphonie en la majeur Hob I.59

La numérotation de Manckiewicz est erronée dans le cas de la symphonie n° 59 en la majeur Le Feu, et dans celui de la n° 58 en fa majeur (6,7). Comme la symphonie n° 60 en ut majeur Le Distrait date de 1774-5, on pourrait croire à une date de composition voisine pour les n° 58 et 59. Il n'en est rien car les symphonies n° 58 et 59 ont vu le jour bien avant, très probablement en 1767-8. Viennent à l'appui de cette datation, des arguments stylistiques et le fait que le menuet alla zoppa de la n° 58 est pratiquement identique à celui du trio pour baryton n° 52 datant de 1767-8. Le surnom Le Feu ne fut pas donné par Joseph Haydn, il résulte du fait que cette symphonie a été utilisée comme musique de scène pour le spectacle Die Feursbrunst (l'Incendie) de Gustav Grossmann, donné à Eszterhazà en 1774 ou 1778. Contemporaine de la tragique symphonie n° 39 en sol mineur, emblématique de cette période dite "Sturm und Drang" qui débute, la symphonie n° 59 est par contre une oeuvre résolument optimiste et extravertie.


Le premier mouvement Presto 4/4 débute en fanfare par un thème très incisif des cors et violons dont le caractère quelque peu hystérique pourrait évoquer une alerte incendie, mais ce caractère ne se maintient pas: le contraste est vif en effet entre ce début tonitruant et la suite énoncée en rondes mystérieuses pianissimo. Un second thème très calme termine l'exposition pianissimo. Le très beau développement est bâti sur le thème principal et donne lieu à de vigoureuses imitations entre violons et basses.


L'andante o piu tosto allegretto en la mineur 3/4 qui comme le reste de la symphonie, servit de musique de scène pour la pièce Die Feursbrunst, a une dimension théâtrale évidente. Le premier thème en la mineur à la fois énergique et mélancolique illustre bien une comédie sentimentale. Un second thème cantabile en ut majeur a une grande beauté mélodique et s'apparente de près à un passage du deuxième mouvement de la symphonie n° 60 Le Distrait. Le retour du thème initial en ut majeur est suivi par une ritournelle assez longue jusqu'aux barres de reprises. Toute cette première partie est écrite pour les cordes seules. Après les barres de reprises et une transition, le premier thème revient accompagné par une pédale de mi aux basses d'aspect assez menaçant puis brusquement c'est la surprise: le second thème plus cantabile que jamais refait surface avec un accompagnement somptueux des hautbois et des cors. Ces derniers font par la suite, une apparition incongrue fortissimo lors de la dernière apparition du thème initial, intervention surprenante, véritable incivilité correspondant peut-être à un événement surgissant dans la pièce de théâtre ou bien premier effet de surprise, procédé dont Haydn sera coutumier dans de nombreuses symphonies suivantes. 


Le thème du menuetto 3/4 est très similaire à un thème de l'andante nonobstant la transposition de la mineur en la majeur. Le trio en la mineur est écrit pour un quatuor à cordes (deux violons, un alto, un violoncelle). En fait il se réduit presque à un duo des deux violons (Haydn et Tomasini?), l'alto et la basse intervenant de part en part de façon discrète. Ce menuet et son trio possèdent une certaine élégance contrastant avec le caractère agressivement populaire des morceaux correspondants de la symphonie n° 58 en fa contemporaine.


L'allegro assai final, alla breve, est certainement le mouvement le plus connu des quatre. Il débute par une magnifique sonnerie de cors auxquels répondent les hautbois, se poursuit avec un passage véhément, véritable torrent de croches. Enfin un second thème très doux, joué par les deux hautbois, nous amène aux barres de mesures. Après un développement court mais au contrepoint très serré,  ce sont les violons piano à la place des cors qui démarrent la réexposition avec un effet de surprise témoignant de l'humour inépuisable de Haydn. Les cors reviennent en force dans la coda en renouvelant leurs sonneries d'abord forte puis plus doucement piano. Marc Vignal cite la Water Music de Georg Friedrich Haendel (Suite n° 2, alla hornpipe, HWV 349) dans son commentaire sur ce finale (6). Deux accords de tout l'orchestre forte mettent un point final à cette oeuvre contrastée et colorée.


Première représentation de Musiques sur l'eau en 1717 sur la Tamise par Edmond Jean Conrad Hamman


Symphonie en do majeur Hob I.48  Marie-Thérèse

Les circonstances de la composition par Joseph Haydn de la symphonie n° 48 en ut majeur et le débat concernant sa date de conception, sa dédicace à l'Impératrice Marie Thérèse et son orchestration (authenticité des parties de trompettes en particulier) sont détaillées par Marc Vignal (8) et Antony Hodgson (9). Cette symphonie date probablement de 1769 (et non de 1773 comme on l'a cru longtemps) et de ce fait forme avec les symphonies n° 38 (Echo) et n° 41, toutes deux en ut majeur et datant de la même année, une véritable trilogie de symphonies festives. Composée peut-être en dernier, la symphonie n° 48 est plus ambitieuse et plus développée que ses devancières.


L'Allegro initial frappe par la magnificence de son début. Après un accord fortissimo sabré par tout l'orchestre, le thème principal est clamé par les cors altos. Les parties de trompettes dont l’authenticité est douteuse, ont été supprimées par Giovanni Antonini dans la présente version. Quelle grandeur, quel éclat! Le deuxième exposé du thème est suivi par un motif déjà présent dans la symphonie n° 38 mais bien plus richement développé ici. On assiste ensuite à une alternance de moments de grande tension et de détente. On peut noter parmi ces derniers un second thème énoncé piano par les violons délicatement accompagnés par les autres cordes. Ce thème est suivi par un farouche unisson qui jouera un rôle important lors du développement et qu’on retrouvera dans le premier mouvement de la symphonie Hob I.82, l’Ours. La fin de l'exposition est caractérisée par de spectaculaires gammes ascendantes (10) et roulades entonnées par tout l'orchestre. Lors du magnifique développement l'unisson que nous avons signalé reparait et devient encore plus menaçant du fait des modulations auquel il est soumis, il est ensuite suivi par un travail thématique poussé sur le motif qui suivait le thème initial lors de l'exposition..


L'Adagio 6/8 con sordini inaugure une série de mouvements lents solennels et profonds que l'on rencontrera fréquemment dans les symphonies des années suivantes. Le thème initial très doux fait collaborer étroitement cordes avec sourdines et vents avec pour résultat une sonorité splendide. L'exposé du thème est suivi par un passage confié aux violons qui jouent piano un thème syncopé accompagné par quelques timides notes des basses. Ce long passage à une voix, d'une impressionnante nudité (11) se termine par un motif solennel cette fois richement harmonisé. A la fin du développement les cors interviennent de façon quasi wagnérienne! Cet adagio introspectif contraste vivement avec la luminosité des trois autres mouvements.


Le troisième mouvement, Allegretto est le menuetto le plus puissant et le plus symphonique écrit à ce jour par Haydn. La deuxième partie est remarquable: après le retour du thème, on entend une spectaculaire sonnerie de cors qui anticipe certains menuets des symphonies londoniennes. . Contraste étonnant avec le trio en do mineur pour cordes seules qui débute avec un dramatique unisson. La suite adopte l’écriture des quatuors à cordes et notamment celle du quatuor Hob III.22 en ré mineur contemporain.


Le finale allegro 2/2 est un morceau plein de feu et d'énergie. Il s’ouvre par un motif formé de gammes ascendantes et descendantes, que l'on avait déjà entendu lors de l’exposition du premier mouvement. Le développement, court mais concentré débute par des gammes chromatiques ascendantes et descendantes qu’on avait déjà entendues au milieu de l’exposition; il contient un passage qui montre clairement le degré de virtuosité impressionnant exigé des instrumentistes. Une fausse rentrée débouche sur un épisode dramatique issu d'une ritournelle orchestrale de l'exposition. La véritable rentrée n'apporte que peu de changements. Décrire avec des mots la vie et le dynamisme qui se dégagent de ce morceau est chose impossible.


L’orchestre que Haydn avait à sa disposition à Eszterhàza comptait une quinzaine d’exécutants au maximum, formation qui pourrait sembler un peu maigre face aux quatre cors de la symphonie Hob I.31. Avec une vingtaine d’exécutants, l’orchestre Il giardino armonico nous semble parfaitement calibré. L’usage d’instruments anciens de grande qualité à tous les pupitres, confère à cette version de Giovanni Antonini une supériorité incontestable sur les versions sur instruments modernes. L’adéquation du style, le respect du texte et l’art des nuances placent très haut ces interprétations parmi les versions concurrentes historiquement informées. 



(1) https://en.wikipedia.org/wiki/Symphony_No._31_(Haydn) 

(2) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, Paris, 1988, pp. 840-848 

(3) Marc Vignal, Ibid, pp. 846-847.

(4) http://imslp.info/files/imglnks/usimg/9/9c/IMSLP21880-PMLP50273-Haydn-Symphony_No.31.pdf

(5)   Marcel Proust, A la Recherche du Temps perdu, Tome 1, Gallimard 1947, pp 370. 

(6)   Marc Vignal, Ibid, pp. 983-985.

(7)  https://en.wikipedia.org/wiki/Symphony_No._59_(Haydn)

(8)   Marc Vignal, Ibid, pp. 990-991

(9)  Antony Hodgson, The Music of Joseph Haydn: The Symphonies. London: The Tantivy Press (1976): 77. (ISBN 9780904208214)

(10) Ces gammes ascendantes répétées appelées fusées par Marc Vignal, figurent dans un nombre élevé de symphonies antérieures à 1775. 

(11)  Nudité, air raréfié, nombreux silences sont des traits présents dans les mouvements lents de nombreuses symphonies des années 1769 à 1774 (n° 48, 43, 54 etc…).

(12)  https://en.wikipedia.org/wiki/GNU_Free_Documentation_License