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mardi 16 avril 2024

Lohengrin à l'Opéra National du Rhin

© Photo Klara Beck.  Michael Spyres (Lohengrin) et Johanni van Oostrum (Elsa)


Composé entre 1845 et 1850 à Dresde, Lohengrin est un jalon important dans la carrière musicale de Richard Wagner. Du point de vue de la forme, le compositeur y abandonne la structure à numéros encore présente dans Tannhaüser pour adopter une forme intermédiaire entre cette dernière et le flux musical continu durchcomponiert des oeuvres ultimes (1). La musique est encore imprégnée de romantisme allemand ce qui est normal étant donné que Wagner est né à peine trois ans plus tard que Felix Mendelssohn, Robert Schumann, ou Frédéric Chopin. De nombreux passages rappellent ces compositeurs et même Franz Schubert. La révolution chromatique de Tristan et Isolde consacrera le passage à la troisième période du compositeur.  Wagner est déjà dans Lohengrin un orchestrateur génial. Contrairement à Tchaikowski qui 40 ans plus tard fait jouer ses pauvres bassonistes dans le registre le plus grave quadruple pianissimo, tâche impossible, Wagner relaie ses bassons avec la clarinette basse qui peut jouer avec élégance de tels passages. Au milieu du troisième acte, il y a un très long passage où les trompettes (placées à l’occasion dans les loges) se répondent au dessus d’un incroyable accompagnement des violoncelles en triolets extrêmement rapides qui produit un son splendide tout à fait novateur. Enfin la sonorité inouïe du prélude est une nouveauté due à l’extrême division du pupitre des violons dans lequel un des solistes grimpe jusqu’au mi 6!


© Photo Klara Beck. Martina Serafin (Ortrud) et Johanna van Oostrum (Elsa)

Face aux exigences du Chevalier au cygne de ne jamais demander son nom, le cheminement d’Elsa est logique et cohérent. Elle va amener le héros à se dévoiler et en payera le prix fort, c’est-à-dire le départ définitif de son époux. On peut même imaginer qu’elle n’aurait pas besoin des machinations d’Ortrud pour arriver à ce résultat. Elsa est saine d’esprit et elle pressent que le statut de héros et ses corollaires: l’obéissance aveugle au chef, le sacrifice de l’individu à la collectivité sont incompatibles avec l’amour conjugal et sont la marque du pouvoir absolu, celui du monarque ou du dictateur. Elle trouve ainsi selon Florent Siaud, le chemin de l’affirmation de soi. La mise en scène qui place l’action dans une époque intemporelle comme le montrent les beaux uniformes militaires (Jean-Daniel Vuillermoz) est une critique de l’absolutisme, pouvoir dont le compositeur eut lui-même à souffrir et est donc fidèle à l’esprit du livret. Le décor (Romain Fabre) qui figure une sorte de temple dans lequel séjourne Lohengrin, pourrait représenter Montsalvat le lieu d’où vient le chevalier à moins qu’il ne s’agisse d’une allusion à la démocratie athénienne. Le fait que ce temple soit à demi détruit, peut être interprété comme la perte des illusions de Wagner concernant l’avènement d'un système politique conforme à ses idées. L’observation au début de l’oeuvre de la constellation du cygne est une belle idée poétique non présente dans la didascalie. La mise en scène est sobre, respecte la musique et les chanteurs. La direction d’acteurs est excellente avec de belles interactions entre les protagonistes. De ce point de vue la confrontation de Lohengrin et d’Elsa au début de l’acte III est d’une admirable intensité. Seul handicap, l’exiguïté de la scène, bondée de choristes et de figurants, entraine quelques difficultés dans les déplacements des chanteurs.


© Photo Klara Beck. Edwin Fardini (Le Héraut)

Pour Michael Spyres, il s’agit d’une prise de rôle. Après deux actes où son activité est modérée, le troisième est par contre très chargé. Il donne le meilleur de lui-même dans le grand duo avec Elsa du début de l’acte III (Atmest du nicht mir die sussen Dufte), scène extrêmement dramatique où le ténor peut faire briller sa typologie vocale particulière, ses beaux graves et l’intonation parfaite d’aigus aux brillantes couleurs. L’air, In ferne Land…, seule concession à l’opéra à numéros, est magistralement chanté du moins en sa première partie, à la fin le son devient plus plat, moins coloré, reflétant sans doute un début de fatigue. Néanmoins la prestation de Spyres fut globalement remarquable.


Johanni van Oostrum faisait ses débuts à l’ONR. Elle était annoncée souffrante mais consentit à tenir son rôle. Sans être corpulente, la voix était chaleureuse et toujours bien projetée. D’emblée j’ai été captivé par son timbre de voix mordoré, la ligne de chant harmonieuse et la parfaite gestion de l’articulation et du phrasé. Tandis que dans les deux premiers actes, son chant se cantonne dans un confortable médium avec cependant quelques aigus très purs, tout change à l’acte III dans son dialogue extrêmement dramatique avec le chevalier inconnu. Ce dernier répète des arguments, toujours les mêmes dont elle ne peut plus se contenter; elle va aller au bout de sa démarche et aligner d’une voix déchirante mais toujours parfaitement controlée, la série de questions interdites qui provoqueront sa perte. 


Anaïk Morel souffrante fut remplacée par Martina Serafin dans le rôle d’Ortrud, un rôle très exigeant. A Ortrud sont confiés les passages les plus audacieux et novateurs au plan harmonique de l’opéra. L’accompagnement des bassons, de la clarinette basse et du cor anglais créent une ambiance oppressante et sinistre. Les passages déclamés alternent avec les ariosos soulignant la complexité du rôle. Martina Serafin faisait valoir ses atouts: une technique vocale affirmée, une perception aigüe des failles d’Elsa. A ce jeu la colombe est rapidement terrassée par l’oiseau rapace. Dans un début d’acte II palpitant, le registre très tendu de la partition d’Ortrud met parfois à mal la soprano avec des suraigus stridents.


Le rôle de Friedrich von Tetramund est complémentaire de celui d’Ortrud. Il fut tenu avec maestria par Josef Wagner. La projection du baryton autrichien que le public strasbourgeois eut le plaisir d’entendre dans Les oiseaux de Walter Braunfels, est phénoménale et il livra un Weil eine Stund d’anthologie.


Dans le rôle d’Henri l’Oiseleur, roi de Germanie, l’excellente basse finlandaise Timo Riihonen faisait montre d’une présence scénique évidente. Chacune de ses interventions effectuées d’une voix d’une grande noblesse, apportait un calme bienfaisant et salvateur. La révélation de la soirée était, à mon sens, le héraut, incarné par Edwin Fardini. Ce jeune baryton a déjà une expérience de l’opéra avec le rôle titre de Guillaume Tell ou encore celui du comte Almaviva dans les Noces de Figaro. Sa voix bien timbrée et puissamment projetée donnait à ce personnage une présence  impressionnante.


© Photo Klara Beck.  Elsa, Lohengrin, Timo Riihonen (Henri l'Oiseleur)

Protagoniste aussi important que les solistes ou le choeur, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg montra clairement qu’il était une des phalanges françaises les plus talentueuses. Pendant tout l’opéra il manifeste sa présence puissante et dominatrice dans les grands ensembles qui terminent les trois actes. Il pouvait aussi montrer de la tendresse et de la subtilité dans les scènes plus intimistes ou encore dans le magique prélude. Les nobles trompettes wagnériennes me réconciliaient avec un instrument souvent galvaudé dans le grand opéra français sous la forme du cornet à piston. A tous les pupitres se trouvaient des artistes prestigieux et notamment les violons éblouissants du prélude. Aziz Shokhakimov infusait son enthousiasme à l’orchestre de son geste large et lui conférait l’impulsion rythmique appropriée sans laquelle la musique ne peut s’épanouir. Le choeur de l’ONR renforcé par le choeur Angers-Nantes apportait une puissance inouïe aux grands ensembles des trois actes. Dans ces derniers il savait aussi chanter pianissimo afin de permettre aux solistes de s’envoler dans les hauteurs les plus éthérées, instants magiques qu’il faudrait fixer dans l’éternité grâce à un enregistrement.


Ce spectacle a fait l'objet d'une critique publiée dans Le forum - Odb-Opéra (2).  



(1) Yael Hèche, Lohengrin: entre morceaux détachés et continuité sans faille, Notice du spectacle donné par l'O.N.R., Strasbourg, 2024.

(2) https://odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=25790




 

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