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vendredi 25 novembre 2016

Motezuma ou la conquête du Mexique

Motezuma, musique de Josef Myslivecek, livret de Vittorio Amedeo Cigna-Santi, a été créé au théâtre de la Pergola de Florence le 23 janvier 1771. Le sujet de l’opéra, la conquête du Mexique au début du seizième siècle et la victoire de Fernando Cortés sur le roi Motezuma a fasciné des générations de romanciers, dramaturges et musiciens. C’est ainsi que Antonio Vivaldi (1733) à partir d'un livret d'Alvise Giusti, Carl Heinrich Graun (1755), avec la collaboration de Frédéric II de Prusse pour le livret, ont traité le sujet sous forme d'opéra seria. Plus tard, Giovanni Paisiello (1772), Antonio Sacchini (1775), Giacomo Insanguine (1780), Gian Francesco De Majo (1765), Niccolo Antonio Zingarelli (1781), travaillant sur un livret de Vittorio Amadeo Cigna-Santi, ont composé de remarquables opéras sur le même thème. Giuseppe Haydn reprit l'oeuvre de Zingarelli, lui ajouta des morceaux des compositeurs précités ainsi que de son propre cru et dirigea avec succès (six représentations) le pasticcio ainsi obtenu à Eszterhàza en 1785 (1). Au Siècle des Lumières, Motezuma représente le souverain pacifique, tolérant et clément face aux entreprises impitoyables de l’envahisseur ibère qui impose sa civilisation par le fer et le feu. C'est cette interprétation qui est également retenue par les librettistes et compositeurs protestants du nord de l'Europe (2). La version du librettiste Cigna-Santi et de nombreux compositeurs italiens ou résidant en Italie est différente et tend à justifier l’action de Cortés ce qui se comprend dans une péninsule où le Pape d’une part et les Habsbourg d’autre part sont les maîtres du jeu.

Josef Myslivecek (1737-1781) est un compositeur majeur du classicisme européen (3). On lira avec intérêt un important dossier rédigé à propos de la représentation d'un de ses meilleurs opéras : l'Olimpiade (4).

Moctezuma II Codex Mendoza Folio 15v

Synopsis. Alors que les Aztèques procèdent à un sacrifice humain, les troupes de Fernando Cortés, usant d’armes à feu, terrorisent la population et investissent la place en brûlant effigies et Codex. Motezuma, dernier empereur Aztèque, et sa fiancée Quacozinga, tentent de maintenir leur pouvoir et leurs traditions, tout en pactisant avec les Espagnols. Lisinga, une indienne d’une tribu étrangère, esclave de Motezuma, est courtisée par Teutile, général de l’armée espagnole et par Pilpatoe, soldat de l'armée de Motezuma. Elle est délivrée par Fernando Cortés et baptisée. Cortès cherche à convertir également Motezuma mais lors d’un échange d’emblèmes, la croix chrétienne et une effigie aztèque, entre Motezuma et Cortés, Motezuma jette à terre la croix. Cortés harcèle Quacozinga qui résiste vaillamment et menace le conquistador de sa dague, ce dernier refoule alors son désir pour la belle indienne. Les attaques espagnoles se multiplient, de plus, l'empire aztèque est miné de l'intérieur, la revolte couve et Motezuma est finalement assassiné par des indiens rebelles.. Cortés proclame son triomphe tandis que Quacozinga qui a tout perdu, amour et pouvoir, crie sa consternation.

Le style. Avec un livret si riche en péripéties, il est plus facile de composer de la belle musique. Motezuma est contemporain du Mitridate de Wolfgang Mozart (livret de Cigna-Santi également), créé un mois avant, et apparaît plus traditionnel et conservateur que l’œuvre du salzbourgeois. En effet, Motezuma consiste en une suite de récitatifs secs et d’arias. Les ensembles sont exceptionnellement réduits avec un modeste duetto à la fin de l’acte II et un minuscule tutti en conclusion de l’œuvre. Les airs sont généralement de forme semi da capo AA1BA’. Quelques airs sont plus simples en deux couplets et le duetto est à deux vitesses, andante puis allegro. Cette structure sans ensembles entraine inévitablement une certaine monotonie mais Myslivecek soutient l’intérêt de l’auditeur grâce à une caractérisation poussée des personnages. Au centre de l’intrigue se trouvent Motezuma et sa fiancée Quacozinga. Motezuma incarne bien un personnage idéaliste qui voudrait la paix tout en sauvegardant l’identité de son peuple. Son attachement à des rites sanglants, son indécision dans des moments cruciaux lui sera fatale. Quacozinga est un magnifique personnage féminin qui domine le plateau avec quatre airs et un duetto, elle ne croit plus en l’avenir de son peuple mais cherche courageusement à sauvegarder ce qui peut l’être encore. Cortés est à la fois le diplomate avisé mais aussi le soldat prêt à tout pour assurer le succès de son entreprise. La conquête du Mexique apparaît comme un mal nécessaire: qu'importe les moyens pourvu que la fin (conversion des paiens, abolition des sacrifices humains) soit noble.

Guerrier Jaguar Codex Magliabechiano

Les sommets.
Acte I
Aria de Motezuma Cara fiamma del mio sene. Air très doux. Motezuma proclame son amour pour son épouse Quacozinga.
Aria de Quacozinga. Nel mar di tanti affani. Aria di paragone. Cet air avec da capo plein de feu exprime une métaphore classique de l'opéra seria : le navire en perdition sur une mer démontée, Quacozinga exprime son angoisse de l’avenir.
Acte II
Aria de Cortés. A mio Danno in vano. Cet Aria avec da capo, écrit dans un registre assez tendu, est en phase avec la violence du personnage. Rien ne peut résister à Cortés, ni les tempêtes, ni les armées les plus puissantes car la Fortune est avec lui.
Aria de Lisinga. Mi scordo lo scempio..., (Je me souviens d'un massacre...). C’est une ariette  sur un tempo di minuetto dont la musique gracieuse ne concorde pas avec les paroles très violentes.
Aria de Quacozinga. Frena l’insano orgoglio. Le sommet de l’opéra. Dans un magnifique aria di furore, Quacozinga menace Cortés avec un poignard ce qui de toute évidence tempère les ardeurs du conquistador pour la belle indienne.
Duetto Motezuma Quacozinga. Ah ! Se mi sei fedele. Il termine l’acte II dans une situation très dramatique puisque Motezuma est ligoté par les Espagnols qui combattent avec succès les guerriers Aztèques. Motezuma et Quacozinga manifestent leurs angoisses.
Acte III
Aria de Lisinga. M’ingombra d’orrore. Seul air dans le mode mineur de la partition. Les Intervalles vocaux périlleux sont typiques du style « Sturm und Drang » pratiqué en cette année 1770 par de nombreux compositeurs dont Haydn et Vanhal..
Aria de Cortés. Basta il mio brando solo. Aria di furore. Cortés va faire parler la poudre. Dans cet air il déclare vouloir obtenir, par les armes et pour la gloire de son roi, un résultat et non une vengeance.

Il est intéressant de comparer cette œuvre ainsi que le remarquable Motezuma de Francesco De Majo avec le Mitridate contemporain de Mozart. Myslivecek et De Majo me semblent plus à l'aise dans l'opéra seria que le jeune salzbourgeois (quatorze ans en 1770). Les œuvres du tchèque et du napolitain m'apparaissent plus riches en mélodies, plus chantantes. Les vocalises et ornements de leurs airs me semblent plus naturels et couler plus de source que ceux du salzbourgeois.


Quetzalcoatl Codex Borbonicus

Le seul enregistrement existant à ma connaissance de Motezuma est celui effectué en 2011 dans le cadre du festival Znoijmo en République Tchèque et dont voici la distribution.

Motezuma: Jakub Burzynski
Cortez: Jaroslav Březina
Teutile: Tomáš Kořínek
Pilpatoe: Marian Krejčík
Quacozinga: Marie Fajtová
Lisinga: Michaela Šrůmová

Directeur musical: Roman Válek
Régie: Michael Tarant
Mise en scène: Jaroslav Milfajt
Costumes: Klára Vágnerová
Chorégraphie: Pavel Mašek
Světla: Arnošt Janěk
Pyrotechnique: David Kubík
Orchestre: The Czech Ensemble Baroque

Ce spectacle est digne d'éloges en tous points. Il n'a pas fait l'objet d'un CD commercialisé mais peut-être visionné dans d'excellentes conditions et sans états d'âme sur You Tube (5).

Mise en scène. Elle prend quelques libertés avec le livret mais est fidèle à la représentation que les gravures et les textes du début du 16 ème siècle nous laissent de la conquête du Mexique par les Espagnols. Dans cette mise en scène, Motezuma, en proie à des drogues, croyant peut-être que Cortés était le dieu Quetzacoatl, abandonne pour lui et sa fiancée Quacozinga, toute prétention au pouvoir. Alors que Motezuma demande au conquistador un compromis, ce dernier le poignarde dans le dos.

Les acteurs et les chanteurs sont assistés par deux danseurs et cinq danseuses, acteurs d'une superbe chorégraphie. Habillés selon la mode aztèque et munis de lances, ils miment sans relâche des scènes de combat. Tels des jaguars, ils rampent sur la scène, escaladent et dévalent les gradins des temples dans un étrange ballet. La scène est continuellement envahie de fumées provenant peut-être de rituels aztèques et responsables des transes de Motezuma. Cette mise en scène est inventive et donne à l'histoire racontée une grande crédibilité. Les costumes sont magnifiques en particulier ceux de Motezuma, Quacozinga et des danseurs et danseuses. L'emploi de la pyrotechnie donne aux scènes où les conquistadors espagnols manifestent leur supériorité militaire écrasante sur les indiens armés de lances en silex ou obsidienne, un grand réalisme et montre avec peu de moyens l'affrontement de deux mondes inégaux (6)..

Interprétation. Elle est de grande qualité. Jakub Burzinsky (Contre ténor) a un timbre de voix assez particulier, très prenant, qui ne laisse pas indifférent. Sa voix bénéficie d'une excellente projection.Il joue à merveille le rôle du souverain décadent qu'est Motezuma. Marie Fajtova (soprano), manifeste un engagement exceptionnel dans le rôle de la reine Quacozinga et possède une belle voix agile, elle vocalise à merveille. C'est pour moi la révélation du spectacle. Jarozlav Brezina (Ténor), très engagé également, donne à Cortés une allure de brute épaisse tout à fait crédible. Michaela Srumova (soprano) a une jolie voix qui rend justice au personnage de Lisinga, elle bénéficie d'un magnifique air au troisième acte. Tomas Korinek (ténor) et Marian Kejcik (baryton) incarnent avec talent respectivement Teutile et Pïlpatoe, soldats des armées espagnoles et aztèques respectivement.


    (2) Jean Paul Duviols, Le Miroir du Nouveau Monde. Images Primitives d'Amérique. PU Paris Sorbonne, 2006, p 315 et sequentes.
    (3) https://en.wikipedia.org/wiki/Josef_Mysliveček
    (4) http://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=12656
    (5) https://www.youtube.com/watch?v=ivaB5xe_jUw
    (6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Aztèques

Les illustrations proviennent de l'article Aztèques publié par Wikipedia (6).