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lundi 14 décembre 2020

Au pas cadencé

Marches militaires de Mozart et Haydn.

Le 18ème concerto pour pianoforte en si bémol majeur KV 456 (1784) de Wolfgang Mozart (1756-1791) est un des plus intéressants parmi les vingt sept de ce monumental corpus. L'allegro initial à quatre temps commence par une sorte de pas cadencé que l'on retrouve dans les premiers mouvements de maints concertos pour pianoforte et orchestre du natif de Salzbourg. Le même rythme composé d'une noire, croche pointée-double croche, noire, noire, est présent dans le thème initial du premier mouvement des concertos suivants: le 13ème en do majeur K 415 (1782), le 16ème en ré majeur K 451 (1784), le poétique 17ème en sol majeur K 453 (1784), le somptueux 19ème en fa majeur K 459 (1784) dans lequel le thème de marche militaire circule comme le sang dans les veines, le mythique et guerrier concerto en do majeur K 467 (1785) et le royal concerto en mi bémol majeur K 482 (1785). On retrouve ce même rythme pointé dans bien d'autres oeuvres aussi bien antérieures: air du consul romain Marzio au troisième acte de l'opéra seria Mitridate K 87 (1770), la charmante sérénata notturna pour deux petits orchestres et timbales en ré majeur KV 239 (1775), le concerto pour violon n° 4 en ré majeur K 218 (1775), la dramatique sonate en la mineur KV 310 (1778), que postérieures: les fameuses marches militaires des dramme giocosi, Nozze di Figaro (1786), Cosi fan Tutte (1790), et de l'opéra seria La Clemenza di Tito (1791). Ajoutons pour terminer la multitude de petites marches pas toujours militaires que Mozart destinait à précéder ou à suivre les sérénades pour orchestre et les divertimenti que le salzbourgeois composait abondamment entre 1773 et 1779 et dont le prototype pourrait être la marche en ré majeur K 249 qui précède la monumentale sérénade Haffner de même tonalité K 250 (1776).


Armée romaine. Trompettes et cors. Colonne Trajane. Photo © Silvestrik (10)

En 1783, Mozart, désormais installé à Vienne, recopie l'incipit de trois symphonies de Joseph Haydn (1732-1809) parmi lesquelles la 47ème symphonie en sol majeur (1772) dont le premier mouvement débute par le même rythme de marche à quatre temps que celui des oeuvres précitées de Mozart vues plus haut. La ressemblance de ce début avec les premières mesures du concerto pour pianoforte KV 459 (1784) est frappante et a été relevée par Marc Vignal (1); dans les deux oeuvres les vents (flutes, hautbois, bassons, cors) sont mis à contribution et mettent admirablement en valeur ce thème martial. La similitude est d'autant plus significative qu'elle porte aussi bien sur le rythme de la mélodie, les contrastes sonores et les couleurs instrumentales. Il était peu probable que cette similitude fût fortuite et cet exemple parmi tant d'autres, montre bien la connivence spirituelle existant entre Haydn et Mozart à cette époque de leur existence et souligne que le flux musical circulait généralement de Haydn vers Mozart. Les trois symphonies de Haydn ( n° 47, n° 62 et n° 75) auxquelles Mozart s'était intéressé furent une source d'inspiration pour lui. Selon Marc Vignal (2), l'allegretto délicieux de la n° 62 en ré majeur (1779-80) ressemble au duo Sull'aria, dit duo de la lettre de l'acte III des Nozze di Figaro (1786). J'avais également relevé une identité thématique totale entre le thème de l'andante avec variations de la 75ème symphonie en ré majeur de Haydn (1779-80) avec celui de l'andante varié du trio K 563 en sol majeur de 1788 (3,4).


La musique du régiment de Condé à Strasbourg en présence du roi en 1780. Strasbourg Musée Historique.

Parmi les rythmes pointés à caractère martial qui parsèment l'oeuvre de Haydn, ceux du Moderato initial du concerto pour violoncelle en do majeur HobVIIb.1 (entre 1762 et 1765) ainsi que l'allegretto avec musique turque de la symphonie n° 100, dite Militaire (1794) ne correspondent pas exactement au schéma de marche avec un rythme pointé au deuxième temps (voir plus haut). En fait ce sont surtout les belles marches militaires pour instruments à vents et les belliqueuses sonneries de trompettes scandant le défilé des soldats Francs du dramma per musica Armida (1784) qui retiennent l'attention et donnent à cet opéra seria son côté guerrier si caractéristique. Dans le célèbre Benedictus de la messe en ré mineur Nelson HobXXII.11, les rythmes pointés sont remplacés par des triolets de doubles croches encore plus percutants aux trompettes. Des fanfares de cuivres quasiment frénétiques interviennent dans l'Agnus Dei de la messe In tempore bello, HobXXII.9. Ces accès de violence intervenant sur les paroles les plus douces et miséricordieuses de l'ordinaire de la messe surprennent chez le bon catholique qu'était Haydn.


Rinaldo e Armida par Battistino del Gessi (1608-1640)

Encore plus passionnant est le quatuor opus 77 n° 1 en sol majeur (1799) qui débute par un allegro moderato de type très martial avec un rythme pointé placé cette fois sur le quatrième temps de la première mesure. Marc Vignal a fait remarquer l'analogie troublante entre ce début et celui du premier mouvement de la symphonie n° 6 en la mineur de Gustav Mahler (1860-1911). Cependant les analogies s'arrêtent là car il n'y a pas grand chose de commun entre le mouvement ensoleillé de Haydn et la marche sombre et menaçante de Mahler (5,6). Les rythmes militaires abondent dans l'oeuvre symphonique de ce dernier compositeur (premier mouvement des symphonies n° 3 en ré mineur et n° 5 en do # mineur) et sont fréquents dans ses Lieder avec orchestre appartenant au cycle Des Knaben Wunderhorn comme Revelge par exemple. Ces marches portent la marque des musiques militaires entendues par Mahler dès l'âge le plus tendre dans les rues de Jilhava où les soldats passent devant la maison pour regagner la caserne (7). Marc Vignal relève bien d'autres analogies entre des passages à la fois parodiques et martiaux d'oeuvres de Haydn, symphonie n° 29 en mi majeur (trio du menuet), n° 82 en do majeur L'Ours (deuxième mouvement allegretto), n° 91 en mi bémol majeur (deuxième mouvement andante avec variations) (8, 9) et des effets grotesques qui prolifèrent dans les symphonies de Gustave Mahler. Cette comparaison du musicologue me parait tout à fait pertinente. Quand, il y a fort longtemps, les symphonies de Mahler me furent révélées, le caractère agressivement populaire de cette musique m'a évoqué immédiatement le style vigoureux et rustique de Haydn.

Gustav Mahler. Photo Joseph Székely

Mais revenons à la 47ème symphonie en sol majeur de Joseph Haydn dont nous avons déjà parlé plus haut. C'est une des symphonies les plus originales de ce compositeur du fait d'un premier mouvement inoubliable aux couleurs chatoyantes, un sublime andante, un étrange menuetto et trio de structure palindromique et un finale exubérant. Il me semble exister, à mon humble avis, des analogies certainement fortuites entre cette symphonie de Haydn, petite par la taille mais si riche et la monumentale 3ème symphonie en sol (1929) d'Albert Roussel (1869-1937). Au delà de ressemblances thématiques inconcevables entre deux oeuvres si distantes dans le temps et l'espace, on retrouve dans les deux oeuvres le même caractère ensoleillé, un dynamisme, une joie et un optimisme en tous points semblables et dans les deux cas un mouvement lent d'une beauté mélodique exceptionnelle. Ce sont les deux finales qui présentent le plus d'analogies en raison de leur caractère extraverti et d'un mélange très séduisant de vivacité, de concentration et de rigueur. Quant au pas cadencé, Albert Roussel, ancien officier de marine, était à son affaire!



  1. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 997.

  2. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1109-10.

  3. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1105

  4. https://piero1809.blogspot.com/2018/12/six-trios-pour-pianoforte-violon-et.html

  5. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1389

  6. https://piero1809.blogspot.com/2017/01/une-symphonie-tragique.html

  7. H.L. de La Grange, Des Knaben wunderhorn, Georges Szell, E.M.I. 33 tours, Notice

  8. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 845-6.

  9. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1208

  10. https://fr.wikipedia.org/wiki/Musique_militaire#/media/Fichier:ColonneTrajaneD%C3%A9tail.jpg



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