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mardi 5 janvier 2021

Hansel und Gretel à l'Opéra National du Rhin

Hansel et Gretel. Photo Klara Beck

Dirigée en 1894 à Weimar par Richard Strauss l'oeuvre est reprise en 1895 à Hambourg sous la direction de Gustav Mahler. Ce double patronage par deux des plus importants compositeurs de l'époque reflète bien la place que tenait cet opéra dans le paysage musical de la fin du siècle en Allemagne. Ce conte théâtral, adapté par Adelheit Wette à partir du conte des frères Grimm, Hansel und Gretel et magnifié par le don mélodique et le talent d'orchestrateur de Engelbert Humperdinck, va prendre une place incontournable dans le répertoire de nombreuses maisons d'opéra.

Hansel et Gretel. Photo Klara Beck

L'étiquette d'oeuvre wagnérienne fut rapidement collée à cet opéra mais cela ne saurait étonner vu l'immense influence de Richard Wagner sur les musiciens contemporains. Cette étiquette fut également donnée par la critique à presque tous les opéras composés à l'époque y compris à Carmen lors de sa création au grand étonnement de Georges Bizet. Quoique Engelbert Humperdinck fût l'assistant de Wagner, l'influence de ce dernier ne me semble pas aussi importante qu'on l'a dit, du moins dans Hansel und Gretel. Par exemple on ne trouve que peu de traces du chromatisme wagnérien dans cet opéra dont l'écriture est essentiellement diatonique. Pour moi, l'oeuvre relève du romantisme allemand et repose principalement sur le Lied, le chant populaire et le choral luthérien. La musique tire ses racines de celle de Mozart, Haydn, Weber, Brahms et annonce même celle de Mahler, de six ans seulement plus jeune que Humperdinck, comme le montre le Lied chanté par le Père, Eine hex' steinalt haust tieff im Wald dont l'inspiration est proche de ceux que Mahler composait à cette époque. Au tableau II, c'est la grande forêt germanique, déjà présente dans Le Freischutz, qui est évoquée par les quatre cors de l'orchestre. Au tableau III, on remarque une mélodie, Bleib stehn! qui ressemble beaucoup au trio du menuet de la symphonie n° 104 de Haydn. Les développements symphoniques sont surtout concentrés dans l'ouverture et dans les interludes séparant les trois actes comme la fameuse Hexenritt (chevauchée des sorcières). Mais ce sont les chants populaires (Mit den Füsschen, tapp, tapp, tapp, mit den Händchen, klapp, klapp, klapp, einmal hin, einmal her,...au tableau I, Ein Männlein steht im Walde...au tableau II) parcourant l'opéra entier qui sont la marque de l'oeuvre et lui confèrent l'essentiel de son charme. Ces mélodies populaires ou bien chansons enfantines que chantent Hansel et Gretel en solo ou en duo sont basées sur des contines et leur musique facile et naïve se grave immédiatement dans la mémoire. L'orchestration qui témoigne d'un métier accompli, répugne aux effets faciles et est constamment d'une grande noblesse et d'un grand raffinement. Solennelle, pleine et riche dans les moments de recueillement, elle devient pittoresque sans jamais tomber dans la vulgarité dans les passages plus détendus ou pastoraux.


La Sorcière Grignotte. Photo Klara Beck

La mise en scène et la scénographie (Pierre-Emmanuel Rousseau) suivent scrupuleusement le livret pour ce qui est de l'esprit et de la lettre. L'action est simplement transposée à notre époque et de ce fait les costumes (Pierre-Emmanuel Rousseau) sont modernes. Hansel, Gretel et leurs parents sont des victimes de la grande pauvreté. Ils occupent une caravane en ruine dans un bidonville représenté par un mur lépreux. Si le père dans le livret fait commerce de balais, c'est plutôt de chiffons trouvés dans les poubelles que la famille trouve sa subsistance qui se résume à presque rien la plupart du temps. Ce sont ainsi des enfants affamés que la mère expédie vers le bois proche pour récolter des fraises. Mais la forêt de bouleaux, superbement évoquée par les éclairages de Gilles Gentner, est peuplés d'étranges créatures dont la sorcière Grignotte dévoreuse d'enfants. Cette dernière revêt la forme d'une créature androgyne de belle prestance habitant un palais dont le kitsch évoque les lieux de divertissements de Las Vegas sauf qu'ici la devanture toute de clinquant cache un four où la sorcière transforme les enfants en pain d'épice après mains tripotages douteux, métaphore des sévices que les prédateurs sexuels de notre temps font subir à leurs victimes. Le palais héberge aussi une troupe disparate de danseurs (magnifique chorégraphie, harmonieuse et inventive de Pierre-Emile Lemieux-Venne notamment dans la pantomime qui termine le tableau II) parmi lesquels on croit reconnaître des personnages de la comédie italienne, d'autres en haut de forme et collant noir alla Zizi Jeanmaire. Le tout n'est pas sans évoquer également le film Qui veut la peau de Roger Rabbit. Les décors, costumes, accessoires, chaussures, perruques et masques, réalisés par les ateliers de l'Opéra du Rhin, procuraient un plaisir continu pour les yeux et une source continue d'émotion.


La Sorcière

La distribution était homogène et sans faiblesse. Anaïk Morel (mezzo-soprano) a déjà brillé à Strasbourg en Charlotte dans Werther de Massenet. Sa prestation en Hansel, rôle très différent, n'a pas déçu. Le timbre de voix est fabuleux, la projection excellente et très homogène du grave vers l'aigu, la ligne de chant tire son harmonie d'un superbe légato. Son personnage de grand frère protecteur est très émouvant d'autant plus qu'il est sauvé in fine par sa petite sœur Gretel. Cette dernière était incarnée par Elisabeth Boudreault que je ne connaissais pas et que j'ai ainsi découverte. Cette jeune soprano québécoise m'a charmé de sa voix aérienne et agile et par son interprétation riche et émouvante d'un personnage auquel elle s'identifie avec beaucoup d'engagement. Les envolées vers l'aigu, véritables fusées, suggéraient que des rôles plus acrobatiques (Zerbinetta) pussent lui être attribués dans le futur. Ces deux remarquables artistes, unies dans un magnifique duo au début du troisième tableau, ont su parfaitement exprimer l'esprit d'enfance, cette capacité qu'ont les petits, placés dans des conditions épouvantables, de s'émerveiller pour un rien (Cf le rôle d'Yniold dans Pelléas et Mélisande). Spencer Lang a créé la surprise en campant une sorcière absolument inattendue mais particulièrement perverse. Ce ténor par sa voix au timbre superbe de brillance et de clarté et du fait d'un travestissement ébouriffant a empli la scène de sa présence maléfique. Marcus Marquardt (baryton) tenait le rôle de Peter, père des enfants et sa venue sur scène avec son air Rallala, chanté d'une voix à la projection insolente, était irrésistible. La mère, Gertrud, interprétée par Irmgard Vilsmaier, se situait un cran légèrement au dessous du fait d'aigus un peu stridents mais sa prestation était globalement très convaincante. Enfin Hélène Carpentier interprétait les rôles du marchand de sable et de la fée Rosée avec une très jolie voix.

Le Père. Photo Klara Beck

La Maitrise de l'ONR et les Petits Chanteurs de Strasbourg apportaient leurs jeune voix pures et claires lors de la conclusion féérique du spectacle.

Mention spéciale à l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg en petite formation mais en grande forme sous la direction éclairée de Marko Letonja. Tous les pupitres étaient à louer mais j'ai adoré le son des cordes dans leur ensemble avec de superbes moments solistes au violon, à l'alto et au violoncelle. Un magnifique hautbois solo faisait entendre une voix mélancolique tandis que la clarinette s'illustrait avec quelques traits d'une virtuosité époustouflante. Les champions étaient à mon avis, les quatre cors parmi lesquels se détachait un cor solo tout à fait fabuleux par sa douceur et son moelleux. Après avoir entendu pendant un an sans discontinuer les cors naturels en usage dans la musique baroque, l'écoute d'un cor à pistons joué par un artiste pareil, devenait une expérience très plaisante, il faut le reconnaître.

Un spectacle génial à visionner d'urgence (1, 2)!


(1) https://www.viavosges.tv/musique/live/H ... k62fAQ8au8

(2) Cette chronique est une extension de mon compte rendu paru dans Odb-opéra: https://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=23146

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