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jeudi 8 juillet 2021

Haydn 2032. Volume 9. l'Addio

 Poursuivant le voyage le long du projet Haydn 2032 de Giovanni Antonini, nous voici arrivés au volume 9, l'Addio. Ce projet a été décrit dans l'article consacré au volume 8, La Roxolana (1). Le lecteur est prié de se rapporter à ces lignes.

Le volume 9 contient trois nouvelles symphonies, la n° 15 en ré majeur composée avant 1761, la n° 35 en si bémol majeur datant de 1767 et la célèbre symphonie en fa # mineur Les Adieux (1772) qui a donné son nom à l'enregistrement. Tous les volumes parus de cette intégrale comportent en plus des trois symphonies, l'oeuvre d'un compositeur invité. Aujourd'hui c'est Joseph Haydn, lui-même qui s'invite à la fête puisque l'oeuvre enregistrée est la Scena di Berenice Hob XXIVa.10, une scène dramatique ou cantate très tardive composée à Londres en 1795.


Le gobelet d'argent (1760). Jean Siméon Chardin (1690-1779)

La symphonie n° 15 en ré majeur fait partie de la vingtaine de symphonies antérieures à 1761, date d'installation de Joseph Haydn au service du prince Paul Anton Eszterhàzy. Elle comporte quatre mouvements voire cinq si on compte la longue introduction comme un mouvement, coupe assez rare dans les symphonies de cette époque fréquemment en trois mouvements. Très italienne d'esprit, elle est souvent datée de l'année 1760 (2,3). Toutefois certains traits archaïques que nous avons relevés, suggèrent une date de composition antérieure (1757-9).

L'introduction adagio est une très belle cantilène du premier violon simplement accompagnée par les pizzicatti des autres cordes et les deux cors, une sérénade en somme dont la sonorité est fascinante (4). Cet adagio est enchainé à un Presto 4/4 dont le thème est une marche harmonique baroque à la manière de Arcangelo Corelli (1653-1713) ou bien Antonio Vivaldi (1678-1741). Ce presto comporte d'autres traits archaïques notamment un second sujet à la dominante mineure en l'occurence la mineur. On se trouve ici à la frontière entre deux mondes, l'époque baroque finissante et le début du classicisme. Le retour de l'adagio en fin de mouvement est également très surprenant.
Le
menuet tout en rythmes pointés, se distingue par son élégance. Le trio, confié au quintette à cordes, consiste en respons entre le groupe des deux violons et la contrebasse dans sa première partie. Dans la seconde, violons altos et violoncelles se livrent à une spirituelle conversation.
L'andante en sol majeur 2/4 est écrit pour le quintette à cordes. Au thème joué par les violons répondent de discrets échos des autres cordes. On a ici un autre exemple de cette musique minimaliste évoluant dans une atmosphère raréfiée, typique de certaines oeuvres de jeunesse de Haydn A la fin des deux parties de ce mouvement, on notera les syncopes caractéristiques des violons et le murmure très poétique qui clôt ce beau mouvement très calme mais non exempt de mélancolie.
Le Presto final 3/8 comporte trois parties, une première partie avec son rythme ternaire ressemble à un tempo di minuetto, la seconde partie est un vaste intermède très expressif dans le mode mineur chanté par le premier violon avec un très bel accompagnement du second violon et le mouvement se termine par une récapitulation à peine modifiée de la première partie, suivie d'une brève coda.


Fleurs dans un vase (1763). Jean Siméon Chardin, Edimbourg, Galerie nationale d'Ecosse

Le manuscrit autographe de la symphonie n° 35 en si bémol majeur est précisément daté du mois de décembre 1767. C'est donc une oeuvre contemporaine de l'opéra de chambre La Canterina. Elle précède de peu la période Sturm und Drang inaugurée avec la symphonie n° 39 en sol mineur composée quelques mois après probablement. D'une sérénité à peine teintée de mélancolie et basée principalement sur la séduction mélodique, elle réserve à l'auditeur des passages enchanteurs (5). Cette symphonie, une des plus chantantes de son auteur, a peut-être inspiré Wolfgang Mozart (1756-1791) dans les années 1771 à 1773, époque pendant laquelle le salzbourgeois compose un grand nombre de symphonies dont certaines (KV 130 en fa, 132 en mi bémol et 133 en ré) témoignent de l'influence du maître d'Eszterhàza (6,7).

Le premier mouvement Allegro di molto ¾ est une forme sonate classique à deux thèmes. Le premier thème, exposé par les violons au dessus des batteries des basses, est remarquable par sa douceur, c'est lui qui sera utilisé dans le développement où métamorphosé par des modulations, il fera l'objet d'imitations énergiques entre les basses et les violons puis les hautbois et donnera lieu à un passage très dramatique. On remarque juste après la réexposition une gamme ascendante spectaculaires du cor grimpant à des hauteurs inusitées puis un nouveau "développement" sur le premier thème consistant en imitations ingénieuses entre les deux violons.
Le magnifique
andante pour cordes seules présente un mélange unique de beauté mélodique et de sérieux qui le rendent très attachant. Il est construit sur un thème unique au caractère nostalgique du fait des chromatismes descendants de son accompagnement. C'est une structure sonate munie d'un beau et long développement dans lequel le thème fait l'objet de modulations très expressives. Lors de la réexposition, le thème joué par les basses devient mystérieux et les violons dessinent un contrechant très expressif. Une poétique coda dans laquelle le thème revient une dernière fois à la manière d'un adieu, met fin à ce mouvement. Ce mouvement est un des plus profonds écrits par Haydn à cette date pour une symphonie.
Dans le menuet,
un poco allegretto, les cors jouent un rôle de premier plan, le thème du trio pour cordes seules est directement issu de celui du menuet.
Le finale
Allegro di molto est une structure sonate à deux thèmes. Le premier thème frappe par son caractère joyeux et dynamique. Le second thème donne naissance à une merveilleuse marche harmonique très baroque. Le développement très court est basé sur le premier thème qui passe par de très belles modulations. Lors de la réexposition, la marche harmonique est prolongée pour notre plus grand plaisir et une fois de plus les cors impressionnent par leurs notes aigües presque perçantes. Dans ce finale, l'humour de Haydn se manifeste de façon discrète.


Nature morte avec carafe et fruits (1750) J. S. Chardin, Karlsruhe Staatliche Kunsthalle

Avec la symphonie n° 45 en fa # mineur, Les adieux, les premiers auditeurs du château d'Eszterhàza se trouvaient en face d'un des chefs-d'oeuvre de la musique symphonique du 18ème siècle (8). Quoique la symphonie n° 44 en mi mineur, Funèbre, fût la plus parfaite par sa puissance, son unité, son équilibre et la présence d'un adagio sublime, la n° 45 possédait peut-être le premier mouvement le plus extraordinaire de toute la production symphonique de Haydn.

Allegro. Le thème consiste un un piétinement sauvage fondé sur l'accord parfait de fa # mineur. Il commence là où se terminait la sinfonia n° 5 en si mineur Wq 182 de Carl Philipp Emmanuel Bach (9). Ce thème obsédant va parcourir le mouvement sans le moindre répit à l'exception d'un thème nouveau qui apparaît de façon surprenante au milieu du développement. Cet instant de détente ne dure pas et le thème principal reprend son empire avec une violence accrue. Ce qui frappe également c'est l'instabilité tonale de ce mouvement. Les modulations s'enchainent sans arrêt d'où une impression de course éperdue vers l'abime. On est aux antipodes de l'image rassurante du papa Haydn.

Le bel adagio en la majeur donne aux cordes le rôle principal. Le thème est agrémenté de nombreuses acciaccatures. Le sentiment général est rêveur et mélancolique. Une intervention des vents achève l'exposition. Le développement donnant une grande place aux rythmes lombards, accroit par ses modulations le sentiment d'inquiétude. La réexposition présente le thème avec un riche contrechant des bois et des cors. Les admirables modulations qui suivent témoignent de l'audace harmonique de Haydn et de son art d'exprimer les sentiments les plus divers et les plus profonds.

L'étrange menuet écrit dans la tonalité improbable de fa dièze majeur, Allegretto, surprend toujours même après une centaine d'écoutes avec son allure de fandango! En outre le ré bécarre survenant à la troisième mesure est un trait de génie. On n'en comprend pas toujours la signification mais il fascine toujours autant.

Le finale débute en fa # mineur avec un mouvement véhément digne pendant du premier. Alors qu'on attend un accord conclusif, tout s'arrête et un adagio en la majeur débute. On assiste ensuite aux départ des musiciens jusqu'à ce que Joseph Haydn et Luigi Tomasini restent seuls pour conclure en fa dièze majeur, homonyme majeur de la tonalité de départ, soulignant le désir d'unité du compositeur malgré les aventures variées survenant dans cette extraordinaire symphonie.


Le bocal d'olives (1760), Jean Siméon Chardin, Musée du Louvre

L'exécution par Il Giardino Armonico est techniquement irréprochable, remarquable par sa brillance et son éclat et constamment inspirée pour toutes les œuvres interprétées. A leur écoute on éprouve un plaisir intense mis à part quelques petites réserves.

Symphonie n° 15. Le choix de confier le thème de l'adagio initial à un nombre réduit de violons ne me semble pas très heureux. Cet adagio, une sérénade, accompagnée par les pizzicati des cordes comme une mandoline, doit chanter généreusement alors qu'il m'a paru un peu décharné. Le presto qui suit, m'a paru un peu brouillon et m'a laissé sur ma faim. L'andante est par contre une merveille de pure délicatesse.

Symphonie n° 35. Lors de l''exécution du premier mouvement, on sent une certaine fébrilité de l'orchestre en contradiction avec le caractère placide de la musique. Ici encore, les cordes ne chantent pas assez tandis que les cors cuivrent inutilement. Les deux derniers mouvements sont par contre excellents nonobstant le trio du menuet pris à toute vitesse.

Symphonie n° 45. Il giardino armonico est ici à son meilleur et donne à mon avis, une version fantastique du premier mouvement. La rudesse de son interprétation, son rythme implacable sont parfaitement en phase avec l'esprit de ce morceau. L'adagio qui suit est admirable et les modulations de la fin mystérieuses à souhait. Mais pourquoi donc les musiciens du Giardino armonico prennent-ils le menuetto tellement vite alors que Haydn l'a noté allegretto? Il perd ainsi une partie de son charme, son mystère et ce côté danse de cour très voisin du mouvement correspondant de la symphonie n° 46 en si majeur. Dans le trio, un laendler, les deux cors naturels font une splendide démonstration de leur talent.

Cette version des trois symphonies par Giovanni Antonini, confrontée aux autres versions historiquement informées existantes, est tout à fait à l'avantage du chef transalpin. Elles posent la question d'une tradition d'interprétation (10).



La scena di Berenice est un régal avec une très grande Sandrine Piau et un superbe orchestre. Les deux géniales modulations enharmoniques des récitatifs accompagnés sont admirablement amenées et mises en valeur.



  1. http://www.baroquiades.com/articles/recording/1/la-roxolana-haydn-antonini-alpha

  2. Luigi della Croce, Les 107 symphonies de Haydn, Dereume, Bruxelles, 1976, pp 81-82.

  3. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 822-825.

  4. A ceux qui regrettent que le deuxième mouvement du quatuor opus 3 n° 5 Sérénade, ne soit pas de Joseph Haydn mais de Roman Hoffstetter, on peut recommander le superbe adagio liminaire de la symphonie n° 15.

  5. Marc Vignal, ibid, pp 983.

  6. https://piero1809.blogspot.com/2015/11/haydn-et-mozart-lannee-1772.html

  7. Marc Vignal, Haydn et Mozart, Fayard, 2001, pp 117.

  8. Marc Vignal, ibid, pp 1000-1002.

  9. https://piero1809.blogspot.com/2021/05/les-six-sinfonie-pour-cordes-wq-182-par.html

  10. La question majeure concerne l'existence du continuo. La présence d'un clavecin me paraît souhaitable dans les symphonies antérieures à 1761 et donc dans la symphonie n° 15. Ce clavecin s'impose même dans le mouvement lent, écrits pour le quintette à cordes et donc dépourvu de cors qui par leurs tenues, assurent le liant harmonique. L'écriture étant presque transparente, à deux voix seulement dans certains passages, le clavecin permettrait de combler les vides et de nourrir le son.

  11. Les illustrations libres de droits proviennent de Wikipedia que nous remercions.


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