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lundi 11 octobre 2021

Le Poème Harmonique - Nisi Dominus - Baume-les-Messieurs



© Jack Carrot FMBJ


Giuseppina Bridelli, Mezzo-soprano

Marie Théoleyre, Soprano

Benoît-Joseph Meier, Ténor

Serge Goubioud, Ténor

Virgile Ancely, Basse

Le Poème Harmonique

Vincent Dumestre, Direction

36ème Festival de Musique Baroque du Jura



© Jack Carrot  FMBJ  Giuseppina Bridelli

Processions populaires à Venise

A l'époque d'Antonio Vivaldi (1678-1741), la République de Venise était bien connue pour ses processions dans lesquelles participaient la population sous les bannières des corporations. Les chantres défilaient aux rythmes des tambours, entonnaient des chants traditionnels anciens et s'arrêtaient devant le portail d'une église. Une célébration y avait lieu dans laquelle pouvait retentir une oeuvre d'un des compositeurs en vue à cette époque.

Le concert du 17 août a tenté de reconstituer ce parcours en musique et s'est achevé avec une œuvre emblématique, le Nisi Dominus de Vivaldi.


Le concert commençait avec deux Laudi spirituali Venetia de Serafino Razzi (1531-1613), un frère dominicain. Ces laudes (prières du matin) étaient tirées d'un premier livre de 91 chants pour une à quatre voix. Les deux œuvres inscrites au programme: Venite o voi gentili et O Vergin Santa, sont écrites dans un style composite alliant des chants monodiques venus du fond des âges avec des polyphonies Renaissance plus savantes. Elles étaient accompagnées par la guitare de Vincent Dumestre et un continuo très riche dans laquelle on découvrait le colaccione (sorte de grand luth typiquement napolitain) d'Etienne Galletier.


© Jack Carrot  Serge Goubioud, Virgile Ancely, Benoît-Joseph Meier

Pietro Locatelli (1695-1764) était un des plus grand violoniste de son temps, titre de gloire qu'il partageait avec son collègue et ami Jean-Marie Leclair (1697-1764). Il est surtout connu par son opus 3, l'Arte del violino (1733), recueil de douze concerti grossi, œuvre d'une d'exécution transcendante pour le violon; il est aussi l'auteur de nombreuses œuvres instrumentales dont la sinfonia en fa mineur intitulée Funebre inscrite au programme. Cette œuvre est typiquement une sinfonia da chiesa, reconnaissable à la succession lent-vif-lent-vif de ses quatre mouvements, genre musical typique des temps baroques et pré-classiques. Joseph Haydn écrivit sept oeuvres de ce type dont la magnifique sinfonia La Passione (1). La sinfonia de Locatelli débutait avec un lamento aux harmonies acerbes, se continuait avec une fugue très architecturée mettant en valeur tous les pupitres des cordes. Le Grave très dramatique restait dans l'ambiance du lamento mais le finale non presto en fa majeur (La Consolatione) apportait une note d'espoir. L'interprétation très nuancée, expressive et précise du Poème Harmonique mettait en valeur cette œuvre rare de la plus belle manière.


Francesco Severi (1595-1630), un castrat soprano originaire de Perugia, a accompli sa carrière à Rome. Son Nisi Dominus, écrit pour la voix et le continuo, que je découvrais, m'a paru remarquable par la hardiesse de certaines harmonies et donna à Giuseppina Bridelli l'occasion de montrer sa connaissance intime de la musique prébaroque et sa virtuosité dans la conduite des vocalises et des ornements.


La sinfonia Al Santo Sepolcro en si mineur d'Antonio Vivaldi comporte deux mouvements: une introduction lente Grave mystérieuse dans les nuances pianissimo suivie par une fugue chromatique dont les dissonances étaient très surprenantes mais typiques de l'art de Vivaldi dont le langage harmonique est souvent très hardi. Là encore, le Poème Harmonique en fit une lecture dramatique et sensible à la fois.


© Jack Carrot   Fiona-Emilie Poupart

Enfin le célèbre Nisi Dominus RV 608 de Vivaldi mettait un point final à ce concert. Cette œuvre a sans doute été exécutée à l'Ospedale della Pieta (un des quatre ospedali grandi de la cité), institution laïque de Venise destiné à l'éducation de jeunes filles abandonnées à leur naissance ou orphelines et dont Antonio Vivaldi était l'un des maîtres de chant. En conformité avec l'attribution première de l'oeuvre, la partie chantée était confié à une mezzo-soprano, en l'occurence Giuseppina Bridelli, et non à un contre-ténor comme c'est souvent le cas aujourd'hui.

Le texte utilisé par Vivaldi est celui du Psaume 127 auquel le maître vénitien ajoute comme c'était l'usage à l'époque, une doxologie: Gloria Patris et Filio. L'oeuvre est écrite en sol mineur et le climat général est agité avec neufs mouvements très courts. L'oeuvre débute avec le verset Nisi Dominus et Giuseppina Bridelli nous enchante avec de superbes vocalises. Le Cum dederit est un des passages les plus fascinants de l'oeuvre du prete rosso. Il s'agit d'une sicilienne au rythme lancinant 12/8. L'orchestre joue avec les sourdines à la limite de l'audible car il ne faut pas faire de bruit quand Yahvé comble son bien-aimé qui dort. La voix de la mezzo s'élève et déroule ses volutes dans un climat presque hypnotique. La cantatrice très inspirée par ce passage du psaume et l'orchestre nous régala d'un grand moment de musique. Autre moment d'émotion, le Gloria patris et filio où la mezzo-soprano était accompagnée par un superbe solo de violon. Ce solo a été écrit en scordatura par Vivaldi pour la viole d'amour mais est généralement exécuté par un violon de nos jours (2). On peut facilement imaginer que ce solo fut exécuté par Anna Maria del Violino, une des plus brillantes élèves de Vivaldi et son alter ego féminin selon J.-F. Lattarico (3). L'alchimie produite par la voix pure et chaleureuse de Giuseppina Bridelli et le violon de Fiona Emilie Poupart était fascinante.


© Jack Carrot  Vincent Dumestre

Le public très nombreux fit une ovation à Giuseppina Bridelli et Vincent Dumestre en particulier et aux artistes en général. Parmi eux il faut signaler le magnifique quatuor vocal constitué par Marie Théoleyre, soprano, Benoit-Joseph Meier, ténor, Serge Goubioud, ténor et Virgile Ancely, basse qui résonnait avec puissance dans la nef de l'abbaye de Baume-les-Messieurs.


Les artistes quittaient alors l’église comme ils étaient venus, au son d’une tarentelle napolitaine débridée donnée en bis (4).


(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.

(2) Michael Match, The Red Priest and his sacred music: An examination of the Vivaldi's Nisi Dominus RV 608, PhD Thesis, Indiana University, August 2013

(3) Jean-François Lattarico, Conférence au 36ème Festival du Jura, 17 août 2021.

(4) Ce concert a fait l'objet d'une chronique par Bruno Maury: http://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/jura-baroque-2021-processions-a-venise

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