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mardi 17 janvier 2023

Laissez durer la nuit

Claude Gellée,  Arche rocheuse et une rivière (1626-1630), Houston Museum of Fine Arts

Lea Desandre, Mezzo-soprano

Thomas Dunford, Luth

Lundi 7 novembre 2022, Strasbourg-Opéra, Opéra National du Rhin

Michel Lambert (1610-1696) Ma bergère est tendre et fidèle
Robert de Visée (1655-1732) Gavotte en ré mineur
Marc Antoine Charpentier (1643-1704) Celle qui fait tout mon tourment
Sébastien Le Camus ( 1610-1677) On n'entend rien dans ce bocage
Marin Marais (1656-1728) Les voix humaines
Sébastien Le Camus Laissez durer la nuit
Robert de Visée Chaconne en ré mineur
Honoré d'Ambruys Le doux silence de nos bois
Robert de Visée Prélude et Sarabande en ré mineur
Sébastien Le Camus Forêts solitaires
Marc Antoine Charpentier Auprès du feu, on fait l'amour
Pause
Robert de Visée Allemande, La Royale
Marc-Antoine Charpentier Tristes déserts, sombre retraite
Michel Lambert Vos mépris chaque jour
Robert de Visée Rondeau La mascarade
Michel Lambert Ombre de mon amant
Marc-Antoine Charpentier Sans frayeur dans ce bois


Claude Gellée, Le siège de La Rochelle (1631), Musée du Louvre


Laissez durer la nuit
Avec un peu d'imagination, on aurait pu se croire dans une soirée en petit comité à la cour de Louis XIV. Les compositeurs choisis appartiennent en effet au cercle restreint des artistes qui, à différents titres, faisaient partie du proche entourage du monarque. Michel Lambert jouait du théorbe et devint en 1681 maître de musique de la chambre du roi. A la mort de Lully, Marc-Antoine Charpentier capte les regards de la cour par ses audacieux opéras comme David et Jonathas ou Médée. Sébastien Le Camus devint à partir de 1660, surintendant de la musique de la reine Marie-Thérèse. Robert de Visée était peut-être le musicien le plus proche de Louis XIV et la légende veut que le monarque s'endormait au son de son luth enchanté. Si on ne sait pas grand chose sur Honoré d'Ambruys, par contre Marin Marais est devenu une célébrité à notre époque en partie à cause du roman de Pascal Quignard. Tous les matins du monde. Si le roi échoua à convaincre Monsieur de Sainte Colombe, de jouer pour lui de la viole de gambe par contre Marin Marais, élève de l'ombrageux violiste, fit rapidement partie du cercle des musiciens favoris de Sa majesté.

Les œuvres chantées étaient entrecoupées dans un esprit de continuité par des pièces de luth tirées en grande partie de la suite n° 7 en ré mineur de Robert de Visée. Ces solos offraient une transition idéale entre les chants. Ces derniers étaient souvent des mélodies de format modeste, airs de cour, chansons à strophes mais parfois des pièces vocales plus élaborées intégrant la structure de la chaconne. Le cadre était intime: un boudoir, un petit salon, sans façons et au débotté. ''De la musique simple, vivante et accessible'' était chantée et jouée pour le plaisir du roi et de ses proches, selon les termes de Léa Desandre. Cette dernière et son complice Thomas Dunford à la manière des peintres du 17ème siècle ont conçu de superbes tableaux en utilisant les couleurs chaudes de la voix et les lignes raffinées des entrelacs du luth.


Claude Gellée, Campagne romaine (1639), Metropolitan Museum of Arts

Le récital débutait avec Ma bergère est tendre et fidèle de Michel Lambert, une ravissante mélodie sur une basse obstinée en forme de chaconne. Lea Desandre l'a interprétée de façon décontractée et une intonation parfaite notamment sur les paroles Elle mène son troupeau, sa houlette et son chien...tandis que Thomas Dunford faisait résonner son luth sur le mot chien d'une manière simulant un aboiement. La cantatrice interprétait ensuite Celle qui fait tout mon tourment, une très jolie mélodie de Marc-Antoine Charpentier dont les couplets étaient chantés chaque fois un peu plus vite jusqu'au presto final. Pas de drame ici mais l'ivresse de l'amour fou et une pointe d'humour partagée par les deux interprètes. On change d'atmosphère dans On n'entend rien dans ce bocage, un remarquable air de cour de Sébastien Le Camus qui conte avec intensité et des contrastes vifs, les souffrances de l'amour. On arrivait alors au sublime Laissez durer la nuit du même compositeur, un air de cour passionné qui donna lieu à une superbe effusion lyrique de Lea Desandre et des subtiles volutes du luthiste. Lea Desandre nous enchantait et nous envoûtait ensuite avec le troublant Le doux silence de nos bois d'Honoré d'Ambruys où la ligne de chant riche en mélismes, se fait de plus en plus sensuelle au fil des strophes. La première partie du récital se terminait en beauté et dans la joie avec Marc-Antoine Charpentier et Auprès du feu, on fait l'amour, ravissante mélodie à couplets chantée à la perfection par la mezzo et un dernier couplet joliment sifflé...par le luthiste décidément facétieux en cette soirée d'automne.

Tristes déserts, sombres retraites de Marc-Antoine Charpentier ouvre la deuxième partie. Dans cet air de cour plus contrasté et plus véhément que les autres mélodies, les artistes faisaient monter la tension et mettaient l'émotion à son comble. Place ensuite à Michel Lambert et la quintessence de charme et d'élégance de Vos mépris chaque jour qui adopte la structure de la chaconne. Après le sombre et pathétique, Ombre de mon amant de Michel Lambert, les artistes concluent le récital avec le très italien Sans frayeur dans ce bois, je suis venue de Marc-Antoine Charpentier dont la basse obstinée évoque quelque chaconne d'Antonio Bertali, cadre dans lequel la prosodie française se coulait admirablement grâce à la voix veloutée de la mezzo-soprano et les jolies notes égrenées par le luthiste dont on admirait l'agilité, la musicalité et l'élégance.


Claude Gellée, Le Gué (1644), Musée du Prado

Le public fit une ovation aux artistes qui le gratifièrent de trois bis. A Chloris, bijou néo-classique de Reynaldo Hahn se coulait harmonieusement dans le cadre du récital avec son introduction au luth évoquant quelque pièce de Jean Sébastien Bach. Dis, quand reviendras-tu de Barbara dont Lea Desandre laissa au public le soin de deviner le titre, montrait la filiation existant entre la chanson de qualité et la mélodie française des temps passés. Retour aux racines italiennes de la mezzo-soprano avec un magistral Ombra mai fu tiré du Serse de Georg Friedrich Haendel. J'étais remué jusqu'à la moelle par la sublime messa di voce par laquelle débutait l'aria.

Cette heure et demi de musique délicieuse et admirablement interprétée passa malheureusement beaucoup trop vite et jamais titre Laissez durer la nuit ne fut plus approprié.

Claude Gellée, Noli me tangere (1681, Musée Städel de Francfort


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