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mardi 23 septembre 2025

Aroma di Roma - Marie Lys et Les Talens Lyriques



 

© photo Ars-essentia  Marie Lys

Aroma di Roma

Sur près de cent cinquante cantates italiennes composées par Georg Friedrich Haendel (1685-1759), un faible nombre d’entre elles nous est parvenu. Ces cantates ont été écrites principalement pour le marquis Francesco Maria Ruspoli (1672-1731), lors du séjour italien (1706-1710) du compositeur saxon. Le lecteur intéressé par le sujet pourra consulter deux articles (1,2), un livre (3) et une chronique sur ce dernier (4).


Oeuvres de jeunesse, composées dès l’âge de 22 ans, les cantates profanes sont des œuvres de grande qualité, révélant pleinement le génie du compositeur saxon. Haendel devait être très attaché à ces oeuvres car elles constituèrent un vivier dans lequel il puisera toute sa vie. On retrouvera en effet les airs de ses cantates plus ou moins modifiés dans ses œuvres futures : opéras, pasticcios ou oratorios. Les cantates profanes ont l’intérêt d’être des marqueurs de l’évolution stylistique du compositeur saxon au cours de son séjour italien. Elles reflètent aussi les nombreuses influences qu’exercèrent sur lui de nombreux musiciens italiens contemporains et tout particulièrement Alessandro Scarlatti (1660-1725) et son fils Domenico Scarlatti (1685-1757) avec lequel le jeune Haendel noua une amitié durable.


© photo Christine Vuagniaux.  Christophe Rousset, Benjamin Chénier, Gilone Gaubert, Marie Lys, Emmanuel Jacques

La cantate Notte placida e cheta (Nuit calme et silencieuse) HWV 142 a été composée en 1708. Sous une apparence paisible, cette cantate dévoile progressivement les tourments qui agitent le personnage principal, un amant, qui, languissant pour sa chère Phyllis, traverse toute sorte d’affects : déprime, optimisme, anxiété, espor. Il croit que ses désirs sont enfin satisfaits mais ce n’était qu’un rêve et il est rattrappé par la cruelle réalité. Le premier air débute par de jolies arabesques des deux violonistes Gilone Gaubert et Benjamin Chénier, Marie Lys fait valoir son élégante ligne de chant et son légato harmonieux. La mélodie se complexifie et donne l’occasion à la chanteuse d’orner le chant de magnifiques vocalises, admirablement articulées. On remarque aussi un air dans le mode mineur de forme da capo, Luci belle (charmants yeux étoilés), dans lequel les ritournelles qui séparent les sections consistent en un chant magnifique du violoncelle d’Emmanuel Jacques. Une étrange fugue vient rappeler que la vie n’est qu’un songe. La fugue se déroule régulièrement et la voix de l’amant occupe dans le quatuor la place d’un alto au service unique de la polyphonie. Haendel voulait-il montrer aux italiens sa maitrise du contrepoint ou bien subissait-il l’influence d’Alessandro Scarlatti, qui dans ses Cantate da camera aurait pu impressionner le Saxon par la rigueur, voire la sévérité de son écriture ?


© photo Ars-essentia.  Marie Lys

Son qual stanco pellegrino… (Je suis tel ce pèlerin fatigué…) est une aria tirée de l’opéra seria Arianna in Creta, HWV 32 datant de 1734. C’est une aria di paragone (paragone = métaphore, comparaison) typique dans laquelle le protagoniste, en l’occurence Alceste, chanté par le castrat-sopraniste Carlo Scalzi lors de la création de l’opéra, se compare à un pèlerin, qui a perdu son chemin. Cet air est en fait un duo à deux parties égales, soprano - violoncelle. Le violoncelle dialogue constamment avec la voix et joue la mélodie principale des ritournelles qui séparent les cinq sections de cet aria da capo très développée de structure AA1BA’A’1. Avec la voix large et ample de Marie Lys, ses aigus très purs et son merveilleux legato, le meilleur du bel canto était ainsi offert au public. Au violoncelle, Emmanuel Jacques ravissait par la beauté du son. Une émotion intense se dégageait de toutes ces mélodies planantes. On ne pouvait rêver d’une plus belle euphonie entre deux « instruments » faits l’un pour l’autre. 


La date de composition de la cantate Agrippina condotta a morire HWV 110 n’est pas connue avec certitude. Malgré ses vastes dimensions, elle s’écarte résolument de l’opéra seria dont les règles venaient d’être fixées vers 1700, du fait de sa fin tragique. Elle débute en sol mineur par une aria di furore typique dans laquelle l’héroïne demande aux éléments de se déchainer à l’instant de sa mort. Les vocalises périlleuses étaient parfaitement maîtrisées par la chanteuse. Dans le deuxième air, de forme da capo, dans le mode majeur, l’héroïne exige de Jupiter qu’il foudroie l’auteur de ses tourments. Le thème principal, répété maintes fois par les cordes est parsemé d’âpres dissonances et de traits heurtés. Ensuite une suite de récitatifs accompagnés et d’ébauches d’airs reflètent le délire d’une mère déchirée entre une haine meurtrière pour son fils et l’amour maternel. Ce passage assuré avec un engagement intense et un magnifique investissement vocal par Marie Lys, me semble anticiper la scène de la Folie dans Orlando (1733). Un récitatif accompagné débouche sur un dernier air en forme de fugue dans lequel la condamnée à mort presse le bourreau d’accomplir sa tâche. Quelques mots bouleversants de récitatif murmurés et c’est tout, une fin saisissante qui surpasse en noirceur des déchainements de violence trop prévisibles.


© photo Ars-essentia.   Gilone Gaubert et Benjamin Chénier

Les sonates en trio (ici deux violons concertants et le continuo) ont circulé librement sous forme de manuscrits pendant de nombreuses années et ce n’est qu’en 1739 qu’elles seront publiées par l’éditeur John Walsh avec l’accord de Haendel. Leur date de composition est inconnue et certaines auraient pu être écrites pendant le séjour du Saxon en Italie sous l’influence d’Arcangelo Corelli ( 1653-1713). 


La sonate en trio opus 2 n° 1 en si mineur HWV 386b débute avec une merveilleuse mélodie, andante, chantée par le premier violon (Gilone Gaubert) sur une admirable basse descendante (Emmanuel Jacques). Dans la deuxième partie, le thème est très joliment orné. Le deuxième mouvement, allegro débute par des entrées canoniques du premier, du second violon (Benjamin Chénier) et du violoncelle. La coda très énergique sur une pédale de basse, a un caractère passionné. L’adagio, un chant très ornementé du premier violon de caractère italien, pourrait illustrer une scène du sommeil dans un opéra seria. Un allegro 3/8 à l’allure de gigue  conclut l’oeuvre.


Trois mouvements sur les cinq que compte la sonate en trio opus 5 n° 4 en sol majeur HWV 399, ont été exécutés. L’oeuvre débute comme une ouverture à la française avec un mouvement en rythmes pointés très marqués de caractère brillant. L’allegro qui suit est léger et guilleret malgré quelques incursions dans le mode mineur. Une belle passacaille sur une basse obstinée descendante sert de conclusion à l’oeuvre ; elle débute d’abord en valeurs longues, les croches succèdent aux noires, puis les doubles croches permettent aux instrumentistes de montrer leur virtuosité d’où une impression de vitesse alors que le tempo est rigoureusement le même. Plusieurs variations mineures apportent une touche de mélancolie. L’auditoire était subjugué par la sonorité pleine et profonde produite dans cette oeuvre par le clavecin de Christophe Rousset et les trois instruments à cordes.


En bis, les artistes ont ravi le public d’un air célèbre de Cleopatra tirée de Giulio Cesare.  


© photo Ars-essentia  La chapelle des Jacobins

Dans une chapelle des Jacobins, joyau médiéval à l’acoustique remarquable, Marie Lys a livré une prestation vocale éblouissante tandis que les musiciens des Talens Lyriques lui offraient un partenariat de rêve. En une heure et demi de bonheur absolu, chanteuse et instrumentistes ont parcouru et partagé avec le public toute la gamme des émotions et des affects.


(1) https://baroquiades.com/cantates-italiennes-haendel-haim-erato/

(2) https://baroquiades.com/aminta-e-fillide-haendel-petrou-goettingen-2022/

(3) Olivier Rouvière, Les opéras de Haendel, un vade mecum, van Dieren, Paris, 2021.

(4) Véronique Du Moulin https://baroquiades.com/operas-de-haendel-rouviere-van-dieren/

(5) Cet article est une extension d'une chronique antérieure : https://baroquiades.com/aroma-di-roma-marie-lys-beaune-2025/



Détails


Date

7 juillet 2025

Lieu

Chapelle des Jacobins, Beaune. Concert donné dans le cadre du XLIII Festival International d’Opéra Baroque de Beaune.

Programme

Notte placida e cheta HWV 142 (1708) - cantate

Sonate en trio opus 2 n° 1 en si mineur, HWV 386b (1733)

Arianna in Creta, HWV 32 (1734), Son qual stanco pellegrino.

Sonate en trio, opus 5, n° 4, en sol majeur, HWV 399 (1733), extraits

Agrippina condotta a morire, HWV 110 (ca 1707 - 1709) - cantate

Distribution

Marie Lys, Soprano

Les Talens Lyriques

Gilone Gaubert, Violon

Benjamin Chénier, Violon

Emmanuel Jacques, Violoncelle

Christophe Rousset, Clavecin et Direction.










 




















mardi 9 septembre 2025

Proserpine de Lully par Les Talens Lyriques

© photo Ars-essentia.  Marie Lys dans le rôle titre


 « Cet opéra est au dessus de tous les autres »

La collaboration de Jean Baptiste Lully (1632-1687) avec Philippe Quinault (1635-1688), interrompue durant la composition d’Isis, reprit en 1679 avec Proserpine, une nouvelle tragédie lyrique en un prologue et cinq actes. Cette dernière fut représentée le 3 février 1680 à Saint-Germain-en-Laye. Le succès de l’oeuvre fut immédiat et durable et la marquise de Sévigné (1626-1696) en donna un compte rendu enthousiaste dont j’ai cité une phrase choc dans le titre du présent article. Proserpine est un des meilleurs livrets de Quinault ; c’est celui où il s’est le plus élevé dans sa versification et Voltaire (1694-1778) en cita avec admiration quelques passages. Le sujet du livret, qui donne la primauté à Cérès, déesse des moissons, peut intriguer. L’auteur du programme de salle, Kaï Wessler, suggère l’influence d’une mini-glaciation culminant à la fin du 17 ème siècle, qui, en ravageant les récoltes, aurait amené les esprits à considérer l’importance capitale de l’agriculture et le pouvoir qu’elle peut donner à ceux qui la maîtrisent. 


© photo Ars-essentia.  Véronique Gens (Cérès)


Selon certains, Proserpine se distinguerait des opéras précédents de Lully et inaugurerait une nouvelle manière de composer. Sans aller jusque là, j’ai pour ma part remarqué que dans Proserpine, les récits sont particulièrement mélodiques et riches. Quel bonheur d’écouter cette admirable déclamation française ! Comme d’habitude ou glisse insensiblement des récitatifs vers les airs avec accompagnement orchestral. Ces derniers m’ont paru plus longs et plus fournis qu’à l’accoutumée. Les ensembles : duos et trios sont particulièrement nombreux et développés. Enfin avec un orchestre chatoyant et des choeurs éclatants et expressifs, on peut conclure que Proserpine est un opéra très coloré et vivant.


Cet opéra, qui exalte à la fois l’amour maternel et l’amour passionnel (le plus souvent non payé de retour) est en permanence palpitant. L’intrigue principale est le rapt de Proserpine par Pluton ainsi que les tribulations de sa mère Cérès. Une intrigue secondaire décrit les amours contrariés du fleuve Alphée pour la nymphe Aréthuse, un marivaudage générateur de beaux duos passionnés, qui se rattache au sujet principal du fait qu’Aréthuse est chargée par Cérès de veiller sur Proserpine.


© photo Ars-essentia.  Ambroisine Bré (Aréthuse) et  Laurence Kilsby (Alphée)


Le prologue consiste en un chant de louange adressé à celui qui rend la paix à l’unvers après avoir vaincu mille peuples divers, hommage à peine déguisé à Louis XIV et passage obligé en ces temps d’absolutisme. 


A l’acte I, la scène 6 est remarquable avec un duo très vivant, Arethuse - Alphée : Arrêtez, nymphe trop sévère…Plus loin, Cérès, juchée sur son char volant au son d’une remarquable chaconne à l’orchestre (I,7), déclame : Vous, qui voulez pour moi signaler votre zèle…, accompagnez ma fille avec un soin fidèle


A l’acte II, le duo d’amour Aréthuse - Alphée : Ingrate, écoutez-moi… est expressif et lyrique (II.4). Plus loin (II,5), le trio Ascalaphe - Alphée - Aréthuse, Pour être heureux, il faut qu’on aime bien, est particulièrement envoûtant. Le climax se situe à la fin de l’acte (II.8) : tandis que Proserpine et ses nymphes (Cyané, Aréthuse…) se livrent à leurs danses et leurs chants délicieux : Les beaux jours et la paix sont revenus ensemble, Ascalaphe et Pluton sont tapis  sous d’épais feuillages. Une troupe de divinités infernales sort de la terre et le char de Pluton paraît en même temps. Les divinités des enfers se saisissent de Proserpine et l’acte s’achève sur ce rapt brutal. 


L’acte III démarre très fort : la troupe des nymphes appellent Proserpine et l’Echo répercute leurs voix à l’infini (III.1), Alphée et Aréthuse expriment leur inquiétude puis célèbrent leur amour dans un superbe duo (III.2) : Le bonheur est partout où l’amour est en paix, ne nous quittons jamais. On arrive à l’acmé de l’opéra, Cérès se lamente : Ô malheureuse mère ! Les nymphes répondent : Ô trop malheureuse Cérès, accompagnées par les flûtes à bec (III.7). Furieuse, Cérès brûle tout sur son passage (III.8) : Ah ! Quelle épouvantable flamme ! Ah ! Quel ravage affreux


L’acte IV est peut-être le plus riche musicalement. Il débute en beauté avec un superbe choeur féminin des âmes heureuses : Loin d’ici, loin de vous, puis se poursuit avec un sommet de l’opéra : l’air très émouvant de Proserpine, Ma chère liberté (IV.2) . La suite est tout simplement époustouflante avec Aréthuse, Alphée, Proserpine qui chantent plusieurs fois en trio (IV.3) : Rien n’est impossible à l’amour constant. Le duo Proserpine - Pluton (IV.4) est un autre sommet dramatique de l’opéra : Mon amour fidèle ne touche point votre coeur


L’acte V débute avec un magnifique monologue de Pluton qui s’enchaine avec le choeur grandiose des Furies (V.1) : Renversons toute la nature, périsse l’univers. L’émouvant monologue de Céres (V.2) : Déserts escarpés, sombres lieux, cachez mes soupirs et mes larmes, est justement célèbre et on retient son souffle jusqu’à la délivrance finale suite à l’intercession de Jupiter.


© photo Ars-essentia.  Ambroisine Bré (Aréthuse) et Appolline Raï-Westphal (Cyané)


Le librettiste a donné un poids comparable à la plupart des protagonistes. Véronique Gens était toute désignée pour incarner la déesse des moissons. De sa voix au timbre et à la projection uniques, elle exprimait admirablement le désespoir d’une mère à l’annonce de la disparition de sa fille Ah ! Quelle injustice cruelle (III.7). Tragédienne née, elle affichait à la perfection son dépit d’être reléguée au second plan par Jupiter. Enfin, elle libérait sa fureur avec puissance quand elle apprenait que le seigneur des Enfers était coupable du rapt de Proserpine. 


Dans le rôle titre Marie Lys a manifesté son engagement et fait preuve des plus grandes qualités vocales et dramatiques. La fin de l’acte II est particulièrement vibrante : il s’agit d’un dialogue charmant entre Proserpine et le choeur des nymphes : Quand un coeur est trop sensible, rien ne peut le rendre heureux, professe Proserpine de sa voix ample et souple, modulée d’ornements raffinés (II.8). Plus loin elle chante avec sensibilité un air à la versification subtile : Le vrai bonheur est de garder son coeur… Quelques instants après au moment du rapt, Marie Lys exprime de façon poignante sa terreur (II.9) : Ciel, prenez ma défense ! Ô Ciel, protégez l’innocence ! Une prestation impeccable !


Aréthuse, une des nymphes confidente de Proserpine, est impliquée dans une relation amoureuse  compliquée avec Alphée, le fleuve-dieu, qui a une grande importance tout au long de l’opéra. En témoignent les magnifiques duos des actes I et II. Ambroisine Bré a une voix parfaitement projetée au timbre enchanteur. Chacune des interventions de la mezzo-soprano était un régal. Apolline Raï-Westphal jouait le rôle de la nymphe Cyané chargée comme Aréthuse de la protection de Proserpine, responsabilité périlleuse puisqu’elle est changée en fontaine pour l’empêcher de révéler le nom de l’auteur du rapt. Ses interventions nombreuses avant l’acte IV ont permis de découvrir la belle voix de cette remarquable chanteuse. 


Le rôle de Pluton est évidemment primordial et l’auditeur était comblé par la magnifique prestation d’Olivier Gourdy. De sa voix de baryton-basse à la projection magistrale, le chanteur exprimait avec véhémence et une diction impeccable sa frustration, voire sa rancoeur vis à vis de Jupiter dans le formidable monologue (V.1) : Vous qui reconnaissez ma suprême puissance, mais aussi sa passion toute nouvelle pour la belle Proserpine comme en témoigne ce magnifique duo initié par cette dernière (IV.4) : Venez-vous contre moi défendre un téméraire


Le jeune ténor Laurence Kilsby, dans le rôle très important du dieu-fleuve Alphée, formait de sa voix dorée, un duo de choc avec Ambroisine Bré. Quel bonheur d’écouter une voix au timbre si prenant et séduisant.  On retrouve des qualités voisines chez Nick Pritchard, ténor, dans le rôle de Mercure. La voix est ici plus incisive ce qui ne saurait étonner quand on apprend que les rôles préférés du ténor sont les Evangélistes dans les Passions, notamment celles de Jean Sébastien Bach (1685-1750). A noter l’excellente prononciation du français par les deux ténors britanniques. 


Dans le rôle de Crinise et de La Discorde, Jean-Sébastien Bou impressionne par sa belle voix de baryton, notamment dans le dynamique duo avec Alphée (II,1) : Jupiter a dompté les géants pour jamais. Dans le rôle d’Ascalaphe, Olivier Cesarini, baryton, faisait preuve de grandes qualités vocales et dramatiques dans le très beau duo avec Alphée (II,2). Quelque peu diabolique, il apprend à Proserpine qu’ayant goûté aux fruits de l’Enfer, elle y restera éternellement (IV.3). Dans sa fureur cette dernière le transforme en hibou. Abandonnant momentanément le choeur de Namur dont il assure la préparation musicale, Thibaut Lenaerts interprétait avec talent une Furie et un juge des enfers. Enfin à tout seigneur, tout honneur, le rôle de Jupiter était chanté par David Witczak avec l’autorité et la noblesse qu’on lui connaît.


Le choeur de chambre de Namur (Préparation du choeur, Thibaut Lenaerts) m’a impressionné une fois de plus par la précision de ses interventions. Puissant dans les mouvements choraux triomphaux à la gloire de Louis XIV du prologue, il pouvait se montrer subtil et enjôleur dans de nombreux passages des cinq actes. Je l’ai tout particulièrement apprécié en formation féminine soutenue par les haute-contre, notamment à la fin de l’acte II quand le choeur dialogue avec Proserpine. Un moment de pure beauté.


Dès les premières notes de l’ouverture à la française, j’étais subjugué par le son des cordes de l’orchestre des Talens lyriques. Quelle noblesse dans l’introduction en rythmes pointés, quelle vivacité dans le fugato qui suit ! Un continuo très fourni donnait beaucoup de punch aux récitatifs déclamatoires : tous les instruments étaient dignes de louanges et notamment une merveilleuse basse de viole. En ce qui concerne les vents, les flûtes à bec et une surprenante flûte basse agrémentaient les passages délicats et les choeurs féminins, deux hautbois mordants et un basson coloraient délicieusement les danses. Quatre superbes trompettes guerrières et les timbales donnaient aux tuttis des accents jupitériens.  Avec Proserpine, Christophe Rousset achève en apothéose une intégrale des tragédies lyriques de Lully, un monument de la musique de tous les temps. 


Un ciel d’une pureté étonnante, le cadre merveilleux des hospices, la musique sublime de Lully et la qualité des artistes, tous les éléments d’un spectacle d’exception étaient réunis.