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| © photo Klara Beck. Hänsel et Gretel |
Hänsel und Gretel
Engelbert Humperdinck
Conte théâtral en trois tableaux
Adelheid Wett, Livret
Crééle 23 décembre 1803 au Hoftheaterde Weimar
Christoph Koncz, Direction musicale
Pierre-Emmanuel Rousseau, Mise en scène, Décors et Costumes
Matthew Straw*, Assistant à la direction musicale
Florence Bas, Assistanteà la mise en scène
Maitrise de l’Opéra National du Rhin
Luciano Bibiloni, Directeur artistique et musical
Patricia Nolz, Hänsel
Julietta Aleksanyan, Gretel
Damien Gastl°, Peter
Catherine Hunols, Gertrud
Spencer Lang, La Sorcière
Louise Stirland*, Le Marchand de sable, La Fée Rosée
Artistes chorégraphiques
Joris Conquet, Anne Cordary, Mathis Nour, Ilda Suvalic
* Artiste de l’Opéra Studio de l’ONR, ** Ancien artiste de l’Opéra Studio de l’ONR,
Quand fut créé Hänsel und Gretel, conte théâtral, à Weimar au Hoftheater en 1893, sous la direction de Richard Strauss (1865-1948), Engelbert Humperdinck (1854-1821) avait 39 ans. Il était déjà un musicien expérimenté. Ayant séjourné à Naples, il y fit la connaissance de Richard Wagner (1813-1873) qui lui proposa d’être son assistant pour la composition de Parsifal à Bayreuth au courant des années 1881 et 1882. Ayant recopié cette vaste partition, il s’impregna du style musical et de la science de l’orchestration de son mentor et cette influence est aisément reconnaissable dans Hänsel und Gretel.
Au début Hänsel und Gretel fut pensé comme un conte féérique privé pour enfants sur un livret écrit par Adelheid Wette, la soeur du compositeur. Ce dernier composa sur le texte de sa soeur seize chants populaires pour ce qui devait être une pièce modeste pour voix et piano à quatre mains. Humperdinck se prit au jeu et petit à petit une oeuvre bien plus ambitieuse prit forme dans laquelle il vit l’opportunité d’incorporer les connaissances d’orchestration qu’il avait acquises au contact de Wagner dix ans auparavant. Le succès fut immédiat et l’oeuvre devint rapidement un classique représenté généralement aux fêtes de Noël. Le livret est fortement inspiré d’un conte de Jacob et Wilhelm Grimm et en propose une version édulcorée avec des connotations religieuses appuyées (intervention d’anges et nombreuses prières).
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| © photo Klara Beck. La sorcière et Gretel. On notera la ressemblance avec certaines toiles de Balthus |
La musique de Humperdinck est construite à partir de plusieurs thèmes populaires qui se gravent instantanément dans la tête, point qui explique le succès immédiat de l’oeuvre. Cette musique « folk » est enchassé dans un flux mélodique continu à la manière de Wagner. L’intérêt musical se concentre dans l’ouverture et deux interludes précédant les tableaux II et III. On y trouve de très beau mouvements orchestraux post-romantiques. On dit souvent que cette musique préfigure Richard Strauss, à mon humble avix, elle ressemble beaucoup plus à celle de Gustav Mahler (1860-1911) dans la mesure où, comme chez ce dernier, elle mélange le savant et le populaire. La chanson de Peter au premier tableau est une version édulcorée du Lied avec orchestre Revelge de Mahler par exemple. On trouve aussi chez les deux compositeurs des chorals religieux en plein milieu du discours musical (Prélude du 3ème tableau chez Humperdinck, finale de la 5ème symphonie chez Mahler). Même si la musique de Humperdinck ne se hisse jamais au niveau de celle de ses illustres contemporains Mahler et Strauss, elle est cependant très agréable et admirablement orchestrée (1).
La mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau revient à l’esprit du texte des frères Grimm et passe sous silence les accents Saint-Sulpiciens du livret d’Adelheid Wette. Il insiste sur l’extrême misère d’une famille vivant dans le bidonville oublié d’une société consumériste et vaine. Le dénuement de la famille est tel que les deux enfants sont affamés et se disputent les restes d’une bouteille de lait dont le contenu se répand sur le sol. Contrairement aux parents désespérés, les enfants peuvent se réfugier dans leurs rêves. Chassés du logis pour chercher leur pitance, les enfants se perdent dans la forêt où ils rencontrent des créatures bonnes ou mauvaises mais toujours étranges et inquiétantes. Ils tombent finalement dans les griffes d’une sorcière appelée Grignotte. Celle-ci apparaît sous les traits d’un travesti et possède une voix de ténor ; elle vit dans un parc d’attractions appelé The witch palace, un établissement rutilant et ruisselant de kitch qu’on s’attendrait plus à voir à Las Vegas que dans une forêt germanique. La sorcière est devenue un prédateur sexuel qui multiplie les gestes équivoques sur les enfants, aspect déjà présent dans le livret d’Adelheid Wette. Cette interprétation actualisée du cannibalisme du conte de Grimm donne beaucoup de force au spectacle. La mise en scène et la scénographie qui va avec, fourmillent de trouvailles. Parmi ces dernières j’ai relevé que l’ombre de la robe de la sorcière sur les marches du palais donne l’illusion d’une longue traine, grâce aux astucieux éclairages de Gilles Gentner. Ce personnage de la sorcière a été particulièrement soigné ; le mal est paré de la beauté du diable à moins que l’on y trouve une réincarnation de certains personnages jouées par Marlène Dietrich, Une chorégraphie originale et inventive de Pierre-Emile Lemieux-Venne vient agrémenter certaines scènes qui autrement sembleraient un peu statiques.
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| © photo Klara Beck. Gretel et Hänsel |
Le couple formé par Hänsel (Patricia Nolz) et Gretel (Julietta Aleksanyan) est remarquable. Les actrices-chanteuses insistent peu sur les aspects sordides de leur triste condition et privilégient une vision dynamique et un optimisme chevillé au corps. Leur force est l’amour que Frérot éprouve pour Soeurette et vice versa. Julietta Aleksanyan (soprano) brille dans les passages aigus et les jolies coloratures de son air au début du troisième tableau. Sa voix possède une belle projection et beaucoup de brillant. Patricia Nolz, mezzo-soprano, possède un timbre de voix séducteur et a donné un solo très émouvant dans sa prison. Les deux nous enchantent dans le fameux Abendsegen (prière du soir) à la fin du tableau II. La voix de la mezzo-soprano s’accorde admirablement avec celle de la soprano dans ce magnifique duo.
Peter (le Père) était interprété par Damien Gastl, un chanteur issu de l’Opéra Studio de l’ONR. Il a pris beaucoup d’assurance et a donné une version aboutie et humaine de ce père alcoolique qui est encore capable de ressentir de l’inquiétude pour ses enfants. La chanson à boire du premier tableau fut interprétée avec une grande maîtrise. Catherine Hunold incarnait le rôle de Gertrud (la Mère). La cantatrice wagnérienne était dans son élément. Contrairement aux autres protagonistes, elle ne disposait d’aucun air mais plutôt d’une mélodie continue. Elle a parfaitement interprété ce rôle de femme désespérée, au bout du rouleau, tellement épuisée par la misère et les angoisses qu’elle ne trouve plus la force de veiller sur ses enfants. Cette description de la très grande pauvreté qui gangrène nos sociétés actuelles, rappelle qu’à la fin du 19ème siècle régnait le mouvement naturaliste, contemporain de Humperdinck ainsi que le Vérisme de Pietro Mascagni et de Ruggero Leoncavallo. Cet aspect social donne à cet opéra une grande partie de son intérêt.
La Sorcière incarnée magistralement par Spencer Lang imprègne cette production de sa personnalité sulfureuse. Quelle allure et quel brio ! Ce personnage attire tous les regards vers lui. Aussi bon dans le paraître et le chant, Spencer Lang éblouit dans son énorme monologue de la scène 3 du tableau III sur un rythme de Waltz très fin de siècle. Sa voix bien projetée possède la ductilité et l’agilité exigée par le texte. Elle nous régale de très beaux suraigues à l’intonation impeccable. Louise Stirland (artiste de l’Opéra Studio) avait à son actif les rôles du marchand de sable et de la fée. Dans le premier rôle, elle chante d’une très jolie voix acidulée, une des plus belles mélodies de l’opéra accompagnée par un orchestre étincelant.
Félicitations aux danseurs et danseuses : Joris Conquet, Anne Cordary, Mathis Nour, Ilda Suvalic pour leurs figurations originales, audacieuses et acrobatiques.
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| © photo Klara Beck. Gretel et Hänsel |
L’orchestre National de Mulhouse était placé sous la direction inspirée de Christoph Koncz. Le chef autrichien connait parfaitement ce style musical et a insufflé à l’orchestre un élan magnifique. Les cordes étaient à leur avantage avec une chaude sonorité et des solos remarquables du premier violoniste et du premier violoncelliste. Les bois (flûtes, hautbois, clarinettes et bassons) n’étaient pas en reste avec de beaux solos des clarinettes et de la clarinette basse ainsi que des hautbois et du cor anglais. Félicitations aux quatre cors moelleux dont le rôle est essentiel dans presque tout l’opéra. Les cuivres puissants sans être envahissants assuraient un volume sonore équilibrant harmonieusement les voix.
La maïtrise de l’Opéra National du Rhin (Directeur Luciano Biblioni) a fourni une très jolie prestation notamment dans le choeur final des enfants délivrés.
L’opéra fut donné au Stadttheater de Strasbourg en 1894. La production actuelle est, à ma connaissance, la seconde exécution en langue allemande. Ce spectacle féérique, superbement mis en scène et chanté, plaira autant aux jeunes qu’aux adultes et chacun y trouvera matière à réflexion.
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| © photo Klara Beck. La sorcière, Hänsel et Gretel |
1. Entretien avec Christof Koncz par Camille Lienhard. Le symphonisme au coeur : le réalisme merveilleux de Hänsel und Gretel, programme de salle, ONR, décembre 2025.





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