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lundi 10 juillet 2017

Nancy Storace Muse de Mozart et de Haydn par Emmanuelle Pesqué

Emmanuelle Pesqué, historienne de formation, en poste au Ministère de la Culture, a entrepris il y a plusieurs années, des recherche sur Ann Selina (Nancy) Storace, interprète inspirée des principaux musiciens de la deuxième moitié du 18ème siècle dont Wolfgang Mozart. Une partie de ses travaux a fait l'objet du présent ouvrage que j'ai eu le plaisir de lire et dont je dirai quelques mots.


L'ouvrage est organisé de la manière suivante : il comporte un avant propos suivi de trente trois chapitres relatant les évènements importants de la vie d'Ann Selina Storace pour trente d'entre eux et des considérations plus générales pour les trois derniers. Les chapitres possèdent un titre qui résume de manière concise et avec une pointe d'humour leur contenu. L' inglese en Italie (chapitre III) et l'Italienne à Londres (chapitre XII), Les époux mécontents (chapitre VII) sont des clins d'oeil bienvenus (1). Les chapitres III à XII relatent les débuts en Italie d'Ann Selina, son mariage avec John Abraham Fischer, sa brillante et heureuse carrière à Vienne et sa rencontre avec Mozart. Les chapitres suivants XIII à XXX se situent en Angleterre, sa terre natale, mis à part une escapade sur le continent, alors en pleine guerre (chapitre XXII). Au cours de la période anglaise, sont décrits : la rencontre avec Haydn, divers épisodes très dramatiques dont le décès de son frère Stephen, sa liaison avec le fameux ténor John Braham ainsi que la pénible séparation des deux amants. Suivent des annexes : un dossier iconographique, une chronologie résumant la carrière de la Storace, les synopsis et la chronologie des opéras anglais qu'elle a créés (notamment ceux de son frère Stephen Storace), un chapitre très important consacré aux sources et à une vaste bibliographie (impressionnante liste des titres de la presse périodique), la discographie correspondant au répertoire de la chanteuse et un index onomastique (noms propres présents dans le texte).

L'impression générale est celle d'un ouvrage fournissant une quantité considérable d'informations émises avec une obsession pour la fiabilité et la rigueur. La véracité de l'information est garantie par des références renvoyant à des ouvrages de musicologues et d'historiens de la musique, à des revues musicales, à des articles journalistiques, à des témoignages trouvés dans la presse de l'époque, à la correspondance d'Anna Selina Storace et de tous ceux qui l'ont approchée. Des notes en bas de page permettent d'éclairer ou d'approfondir certains aspects du récit. De plus l'auteure utilise constamment des documents authentiques intercalés dans le récit. Ces derniers illustrent de facon à la fois éloquente, vivante, dramatique mais aussi souvent amusante (rocambolesque escapade en Campanie du compagnon d'Ann, le ténor John Braham) les principaux évènements ayant jalonné l'existence bien remplie de l'artiste. Ces textes écrits pour la plupart en anglais, allemand et italien ont requis un travail considérable de traduction.

Au cours de la lecture de cet ouvrage, le lecteur verra s'animer et vivre une personnalité douée d'un grand pouvoir de séduction mais également de traits moins avantageux. D'après les témoignages des contemporains rapportés dans cet ouvrage, se dégage un personnage possédant un franc-parler, beaucoup d'audace, une grande vivacité, une énergie considérable en dépit d'une santé fragile. Le reproche de la vulgarité revient souvent. Le physique est souvent critiqué, de façon choquante à mon avis, la voix a aussi ses limites. Mais ce qui ressort et que l'on retiendra c'est l'incomparable talent de la chanteuse, à la fois musicienne et actrice née. Elle exprime avec beaucoup de sentiment les affects les plus variés, elle émeut ou amuse suivant le cas et elle incarne de manière incomparable les personnages populaires de la comédie italienne ou bien anglaise. C'est d'elle dont dépend le plus souvent le succès d'un opéra et les impresarios ou responsables d'opéras l'on bien vite compris. La Storace ne vit que pour la scène et la musique. Visse d'arte. C'est sa plus grande force.

Vicent Martin i Soler. Ann Selina Storace fut Lilla dans Una Cosa rara.

A travers le personnage de la Storace, le lecteur sera également témoin de la vie musicale de son temps. Avec les très nombreux opéras qu'elle interprète, on voit défiler les principaux compositeurs d'opéra italiens de l'époque. Pasquale Anfossi, Giovanni Paisiello, Domenico Cimarosa, Giuseppe Sarti, Antonio Salieri, Wolfgang Mozart, Giuseppe Haydn, Vicent Martin i Soler etc...puis plus tard Giovanni Simone Mayr et Francesco Gnecco.. Ce sont les mêmes compositeurs (et bien d'autres encore) qui, avec la complicité de Joseph Haydn à la baguette, enchantent dans le même temps les soirées du prince Nicolas II Eszterhazy, preuve que le prince s'abreuvait aux mêmes sources que la cour de Vienne. La Storace a servi tous ces compositeurs avec grand professionalisme et sans états d'âme. La hiérarchie qui fut forgée dans les temps qui suivirent, mettant Mozart sur un piédestal, n'apparaît pas dans sa bouche et ses écrits. Considérant les relations de la diva et Mozart, Emmanuelle Pesqué montre bien dans le chapitre XI, poétiquement intitulé Ch'io mi scordi di te... (2), qu'aucun élément ne permet actuellement de conclure à des relations autres que professionnelles. Le compositeur qui émerge de ce vaste récit est indiscutablement son frère, Stephen Storace, compositeur d'opéras et auteur de pasticcios, aujourd'hui oublié et pour qui la Storace va donner tout son art et son énergie. Les lecteurs de cet ouvrage vont probablement brûler d'impatience de découvrir les opéras de Stephen Storace, notamment The Haunted Tower....

Stephen Storace, frère d'Ann Selina et son compositeur préféré.

Les plus brillants interprètes du temps furent les familiers de la chanteuse. De Michael Kelly, collègue et ami fidèle de Stephen et Ann Selina, jusqu'au célèbre John Braham, collègue puis amant en passant par Venanzio Rauzzini, le castrat pour qui Mozart composa son Exsultate Jubilate KV 165 en 1773, mentor d'Ann Selina auquel Ann et John feront ériger une plaque commémorative.

Les librettistes font aussi partie de l'environnement artistique de la diva. Giovanni Battista Casti, Lorenzo da Ponte, Giovanni Bertati, Carlo Francesco Badini, sont bien présents avec leurs rivalités ou leurs intrigues. Da Ponte, auteur inspiré du livret des Noces de Figaro, de celui de l'Arbore di Diana, d'Una Cosa rara, de La Grotta di Trofonio...y joue évidemment un rôle de premier plan, pas toujours à son avantage, que le lecteur découvrira avec intérêt.

Témoin d'une époque troublée, d'une révolution et de guerres incessantes, Ann Selina traverse cette période sans trop de dommages. Grâce à la plume de l'auteure, on trouve d'intéressants témoignages de la vie de l'époque et tout particulièrement de celle d'une Angleterre in tempore bello à travers une presse pas tellement éloignée des tabloids d'aujourd'hui. Les temps troublés n'empêchent pas une vie musicale active relatée presqu'au jour le jour. On y apprend plein de choses notamment l'existence de ces concerts à bénéfice si lucratifs pour les artistes. Ces pages témoignent d'une remarquable connaissance de la culture anglo-saxonne.

Dans un chapitre conclusif, Nancy Storace, personnage de fiction, l'auteure montre combien la vie riche et romanesque de la chanteuse a fasciné de nombreux romanciers ou dramaturges et cela jusqu'à aujourd'hui dans le cinéma et la télévision. Comme le dit l'auteure dans sa conclusion Ann Selina Storace, au travers des images de la fiction, demeure un fantasme mozartien autant qu'une icône du Siècle des Lumières (3).

Ce splendide ouvrage qui se présente comme une thèse de doctorat, se lit en même temps comme un roman. Un livre de 505 pages, incontournable pour les amoureux de Haydn et Mozart, les amateurs de la musique de la deuxième moitié du 18ème siècle, les chercheurs en musicologie et en histoire de la musique.

  1. Clin d'oeil à L'Italiana in Londra, dramma giocoso de Domenico Cimarosa et à Gli sposi malcontenti de Stephen Storace..
  2. Que je t'oublie ? Titre d'un magnifique air de concert pour soprano, pianoforte et orchestre K 505 de Mozart.
  3. Emmanuelle Pesqué, Nancy Storace, muse de Mozart et de Haydn, Emmanuelle Pesqué 2017. ISBN 978-2-9560410-0-9


Pierre Benveniste

1 commentaire:

  1. A noter que Nancy Storace, muse de Mozart et de Haydn d'Emmanuelle Pesqué est disponible chez Amazon.

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