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dimanche 27 octobre 2019

Il fanatico burlato de Cimarosa


Il Fanatico Burlato, commedia per musica, musique de Domenico Cimarosa (1749-1801), livret de Francesco Saverio Zini, fut crée à Naples au printemps 1787 au teatro del Fondo. L'oeuvre connut une carrière plus qu'honorable et fut représentée dans plusieurs capitales européennes dont Paris avec comme titre l'Entiché de noblesse dupé (1791). Selon certaines sources, elle fut inscrite au répertoire d'Eszterhàza et fut dirigée par Joseph Haydn (1732-1809) (1). Les treize ou quatorze opéras de Domenico Cimarosa représentés à Eszterhàza sous la direction de Joseph Haydn sont énumérés dans l'ordre de leur composition: L'Infedelta fedele (1779), l'Italiana in Londra (1779), Il Falegname (1780), Giunio Bruto (1781), Il Pittor Parigino (1781), Giannina e Bernardone (1781), La Ballerina amante (1782), l'Amor Costante (1782), I due Baroni di Rocca Azzurra (1783), Chi dell'altrui si veste (1783), Il Marito disperato (1785), I due Supposti Conti (1784), l'Impresario in Angustie (1786), Il Credulo (1786) et Il fanatico burlato. A noter que Haydn a repris le livret de l'Infedele fedele pour sa magnifique Fedelta premiata (2,5).

Domenico Cimarosa peint en 1785 par Francesco Saverio Candido

Les qualités qui font de Le trame deluse (1786) le chef-d'oeuvre de Cimarosa (3), nous les trouvons encore dans ce nouvel opéra avec un caractère plus satirique et plus grinçant.

Entiché de noblesse, Don Fabrizio s'est autoproclamé Barone del Cocomero (4) . Pour être comblé, il souhaite pour sa fille, Doristella, un mariage avec un vrai noble. Justement le comte Romolo, un romain, est tombé amoureux de Doristella et est en route vers Naples pour l'épouser. Malheureusement pour lui, Doristella s'est amourachée de Lindoro, un vagabond sans le sou. Grâce à un déguisement, Lindoro se fait passer pour le comte et donne ensuite à la compagnie des leçons de bonnes manières françaises. Afin d'échapper aux desseins de son père, Doristella s'enfuit et se cache dans une cabane de berger, Lindoro s'enfuit également de son côté. Les fugitifs qu'on croit être des voleurs sont attrapés par Fabrizio et le vrai comte Romolo et on s'aperçoit avec stupeur qu'il s'agit de Doristella et du faux comte. Romolo a compris la situation et chevaleresquement renonce à ses projets matrimoniaux. Il s'associe à Lindoro pour punir Fabrizio et dans ce but tend un piège à ce dernier. Lindoro se déguise en grand Scaratafax, Prince des Iles Moluques et demande à Fabrizio la main de sa fille, en échange Fabrizio sera nommé Grand Mammaluco et deviendra ainsi un grand dignitaire de la cour. Fabrizio, ébloui, accepte et le mariage du grand Scaratafax et Doristella est proclamé. Les espoirs de Fabrizio s'évanouissent quand il découvre la supercherie (5).

Parazzo Duodo, Campo Sant'Angelo, Venise où mourût Cimarosa, photo par Didier Descouens, Wikipedia

Le livret contient la plupart des ingrédients susceptibles de plaire au public de l'époque. Les conflits de générations, un personnage atteint de monomanie, le retour à la nature et l'exotisme font oublier le caractère stéréotypé des caractères et des situations. Cimarosa en tira le meilleur partie possible. Cimarosa va ici plus loin que dans ses opéras précédents en donnant à l'orchestre un rôle inusité jusque là. Dès les premières mesures de la sinfonia, les clarinettes confèrent à l'orchestre une coloration romantique très attachante. Dans certains ensembles, l'orchestre ne se contente plus d'accompagner mais devient un acteur principal du drame qui se joue. Les deux actes sont terminés par de longs finales constitués de morceaux enchainés et sont en plus parcourus par des ensembles qui, à mon avis, sont les sommets dramatiques de l'opéra. Ainsi les airs quoique remarquables, ne sont plus les moteurs de l'action (ils la ralentiraient plutôt), ce rôle est maintenant dévolu aux récitatifs secs et surtout aux ensembles. Ces derniers sont enfin bien plus polyphoniques et élaborés que par le passé.

Tout serait à citer dans cet opéra.

Acte I
L'air de Doristella, scène 2, "Va tra l'erbe, tra le piante..." est un air de type pastoral où Doristella exprime son vague à l'âme en évoquant la beauté de la nature. Le folklore napolitain est perceptible dans cet air.
Le magnifique ensemble, scène 5, "Tutto pien di reverenzia" est désopilant. Lindoro, déguisé en comte, donne des leçons de bonnes manières françaises à Doristella sous le regard admiratif de Fabrizio. Cette scène utilise deux ariettes françaises dont voici le début de l'une d'entre elles: "La charmante fille, elle fait l'amour (6), et le veillard reste enchanté...". La musique d'abord très calme, devient plus agitée au fur et à mesure de l'excitation croissante des trois personnages. A la fin Doristella dit toujours en français: "Arrêtez, la tête me tourne, je vais tomber...", l'orchestre démarre un fugato, repris par les trois voix tout à fait inattendu dans un opéra de Cimarosa, qui exprime parfaitement l'agitation quasi frénétique qui saisit les personnages.
Le remarquable finale "Che faro che mi risolvo?" est composé d'épisodes à la chaine du même type que ceux que Joseph Haydn composa bien avant dans la Fedelta premiata (1780). Le plus dramatique d'entre eux est le magnifique quintette "Papà mio caro e bello", un vaudeville dans lequel chaque protagoniste, quittant son déguisement, y va de son couplet: Doristella désigne Lindoro comme le vrai comte; Giannina s'exclame: lo sposo, il conte è quello (le comte est celui-là), montrant du doigt Romolo; Lindoro se prétend le seul comte; l'authentique comte c'est moi, dit Romolo à son tour; et Fabrizio exprime son désarroi: la fille n'est pas la fille, l'époux n'est pas l'époux,le comte n'est pas le comte, Fabrizio n'est plus Fabrizio. Dans l'ensemble final la métaphore d'une sinistre forêt dans une nuit noire est utilisée pour exprimer la confusion de tous.

Acte II
L'air de Doristella en mi bémol majeur, précédé d'un récitatif accompagné: "Fra queste ombrose piante...", évoque l'opéra seria. Doristella s'est enfuie dans une cabane située en pleine nature, bercée par les bruits des feuilles et le chant des oiseaux, elle s'endort. On a ici un remake d'une scène fameuse de La Cecchina de Nicolo Piccinni (1728-1800). La musique de Cimarosa est aussi inspirée et poétique que celle de son ainé. L'air envoûtant qui suit, à l'intense pouvoir incantatoire, me semble inspiré du folklore napolitain.
L'ensemble "Dove son, di gelo io resto" est, à mon avis, le sommet de l'opéra. Rarement Cimarosa aura écrit musique aussi puissante. Fabrizio et le Comte viennent de s'apercevoir que les deux brigands qu'ils avaient aperçus n'étaient autres que Doristella et Lindoro. Chaque protagoniste exprime son émotion, son désarroi ou sa colère de façon indépendante grâce à une superbe écriture polyphonique et de troublantes modulations. Du fait que les parties de soprano et de ténor sont écrites dans un registre très tendu, cet ensemble et les suivants sonnent brillamment.
Avec le finale de l'acte et de la pièce, on change complètement d'atmosphère et c'est à une irrésistible turquerie à laquelle nous sommes conviés. L'ambiance est totalement bouffonne et même loufoque mais la musique ne perd pas ses droits et on reste confondu par la beauté sonore du quintette vocal qui répète sans cesse les vocables:"Michirimochiera babalasi, totomo chiochiera Mammaluchi". L'orchestration est magnifique avec un rôle prépondérant des cors. Le mariage de Lindoro et Doristella est proclamé et les acteurs expriment leur jubilation dans un prestissimo absolument délirant pendant que Fabrizio donne libre court à son désespoir et ses imprécations. Quand les dernières mesures ont retenti, c'est un sentiment de trouble qui envahit le spectateur de cette farce amère et grinçante.

Tandis que le trame deluse anticipait étonnamment l'art de Vincenzo Bellini (1801-1835), c'est Gioachino Rossini (1792-1868) qui se profile déjà dans les ensembles endiablés d'Il fanatico burlato.


Bien que cet opéra soit musicalement aussi réussi qu'Il matrimonio segreto, la discographie est squelettique. Le seul enregistrement de cette commedia per musica par le label Agora semble épuisé mais peut être écouté sur YouTube. Le chef Carlo Felice Cillario est à la tête de l'orchestre symphonique de San Remo. Les interprètes sont excellents.

Pour en savoir plus sur l'oeuvre et la vie de Domenico Cimarosa, on pourra lire, en complément du livre de Rossi et Fauntleroy (5), un dossier très complet sur ce compositeur (7).


(1) Dossier complet concernant l'Olimpiade de Cimarosa, pp. 89.
https://www.teatrolafenice.it/wp-content/uploads/2019/03/OLIMPIADE-L%E2%80%99.pdf
(2) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1788.
(3) https://piero1809.blogspot.com/2015/10/le-trame-deluse.html Rossini estimait que Le trame deluse était supérieur au Matrimonio segreto
(4) Cocomero = pastèque
(5) Nick Rossi and Talmage Fauntleroy, Domenico Cimarosa, Greenwood Press, 1999, p. 170-1.
(6) Au 18ème siècle, faire l'amour signifie courtiser.
(7) Yonel Buldrini, Hommage à Domenico Cimarosa. https://www.forumopera.com/dossier/cimarosa-hommage

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