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mardi 7 mars 2023

La voix humaine à l'Opéra National du Rhin

 

© Photo Klara Beck

Les enregistrements actuellement disponibles de La voix humaine ne sont pas très nombreux. Parmi les interprétations marquantes, celle de Anna Caterina Antonacci qui d'ailleurs chanta l'oeuvre à l'ONR en 2017, m'avait beaucoup plu. J'ai également relevé la version de Nathalie Gaudefroy (2014) accompagnée par le Vlaanderen Symphonie Orkest sous la direction de Jan Latham-Koenig dans laquelle la soprano strasbourgeoise montre un visage plus combatif, plus révolté que celui que l'on prête d'habitude à Elle, tout en délivrant une charge émotionnelle très intense. Une de mes versions préférées est également celle de Karen Vourc'h, particulièrement inspirée dans ce rôle et l'Ensemble orchestral de Paris sous la direction de Juraj Valcuha.

Cette œuvre de Jean Cocteau et Francis Poulenc  créée le 6 février 1959 Salle Favart à Paris, traite d'une situation universelle. On peut facilement s'identifier à Elle. Tout le monde a connu une rupture ou un abandon. Katie Mitchell (mise en scène) affirme que la situation de l'héroïne résulte d'une relation toxique et d'une misogynie intériorisée. Selon elle, aucune femme ne peut s'enfermer dans une telle relation aliénante et douloureuse avec un homme dont le comportement est à ce point immonde et dégradant . Bien que cette interprétation soit convaincante (un être insensible et égoïste semble se trouver à l'autre bout du fil), il est difficile de tirer des conclusions définitives car les propos du protagoniste masculin n'étant pas connus, une seule facette du dialogue nous est accessible. Contrairement à ce qui est souvent dit, l'orchestre ne donne aucune piste pour décrypter les propos de l'ex-amant; en fait il suit essentiellement les états d'âmes et ressentis de la femme comme on peut facilement s'en apercevoir à l'écoute de l'oeuvre et comme le suggère la lettre que Poulenc écrivit à Hervé Dugardin en mars 1958. Bien que les répliques de l'homme eussent été, parait-il, entièrement écrites par Jean Cocteau, elles ne furent jamais diffusées, une bonne chose car leur connaissance amoindrirait probablement la force du texte.


© Photo Klara Beck

Selon Poulenc, ce concerto pour voix de femme et orchestre est une oeuvre tendre et violente, amoureuse et cruelle, sentimentale et sensuelle. Dans une partition écrite essentiellement en chant parlé, une règle d'or a été adoptée: une syllabe, une note et donc aucune fioriture. La ligne de chant est très fragmentée et les phrases musicales n'aboutissent jamais sauf à la fin de l'oeuvre où le lyrisme du compositeur se libère d'une manière bien plus extravertie dans un style que nous trouvons proche de celui de Serge Prokofiev (1891-1953). Patricia Petibon est littéralement pendue au téléphone dont le fil semble représenter un cordon ombilical conduisant un fluide vital qui la maintient en vie. Sa voix plus expressive que jamais, fait preuve d'une ductilité admirable; la soprano peut tout faire avec sa voix y compris un contre ut déchirant sur les mots: A force de marcher de long en large, je devenais folle! Toutefois les prouesses vocales n'ont rien à faire ici. Place à toutes les humeurs imaginables: un espoir insensé, l'exaltation, la dépression, une profonde détresse qui touche l'auditeur-spectateur au plus profond de son être et même l'humour. A l'évocation de souvenirs heureux, le ton devient presque joyeux: Ah! Tu ris! J'ai des yeux à la place des oreilles...A la fin quand l'implacable réalité a pris le dessus et qu'il n'y a plus d'échappatoire, c'est l'abattement, la voix s'éteint. Avec cet appareil, ce qui est fini, est fini.


© Photo Klara Beck

Le décor (Alex Eales) est très réaliste. Le rideau découvre une chambre de meurtre conformément à la didascalie. Les éclairages (Bethany Gupwell) projettent d'abord une lumière cruelle qui s'estompe progressivement jusqu'à l'issue fatale. Elle est habillée d'une longue chemise comme décrit dans le livret (Sussie Juhlin-Wallén).

La direction musicale d'Ariane Matiakh est particulièrement efficace, son geste est sobre et précis, elle fait ressortir les groupes instrumentaux, la sensualité des cordes, le caractère coruscant des bois avec un superbe hautbois, le dynamisme des cuivres dans l'épisode Boeuf sur le toit (bouffée de jazz-panam 1920 selon Poulenc).

Merci à Patricia Petibon, Ariane Matiakh et à l'ONR pour cette heure intense de théâtre et de musique.


©Photo Klara Beck




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