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jeudi 7 décembre 2023

Haydn 2032 - Volume 13 - L'appel du cor

 

Cor naturel - photo © Lexofadown

L’album l’Appel du cor, volume 13 du projet Haydn 2032 (enregistrement d’une intégrale des symphonies de Joseph Haydn par Giovanni Antonini et Il giardino armonico), comporte trois symphonies, n° 31, 59 et 48, dans l’ordre chronologique, donnant au cor une place prépondérante. Toutefois le titre appel du cor s’applique spécifiquement à la n° 31 qui comporte quatre cors dans son orchestration.  La période comprise entre mai et septembre 1765, seul moment de cette année où l'orchestre de Haydn comptait quatre cors (1), est sans doute celle de la composition de la symphonie n° 31 en ré majeur Appel du Cor. Bien plus développée que la symphonie n° 72, composée en 1763 que l’on considère souvent comme une étude préliminaire à la n° 31, elle garde le même aspect divertimento caractérisé par d'importants solos instrumentaux dans chaque mouvement (2,3). 

Cor postal - photo © Kandschwar - Erbes-Büdesheim

Symphonie en ré majeur Hob I.31

Le premier mouvement Allegro 3/4 débute par une éclatante fanfare des quatre cors. Un siècle et  demi plus tard, Gustav Mahler confiera à huit cors à l’unisson le soin d’ouvrir sa troisième symphonie. La fanfare des cors est suivie par des sauts d'octaves du premier cor, sortes d'appels (indiqués sur la partition par la mention: cor de poste de Nuremberg) qui marquent de leur sceau ce mouvement. On retrouvera ces appels dans le second menuetto de la sérénade en ré majeur KV 320 dite Cor de Postillon de Mozart. Dans ce mouvement au caractère symphonique affirmé, le second thème survient juste avant les barres de reprises comme ce sera souvent le cas dans maintes oeuvres ultérieures de Haydn. Le développement débute avec les fanfares du début dans des tonalités mineures mais s'oriente rapidement vers le second thème qui fera l'objet d'une élaboration digne des grandes symphonies à venir. On remarque tout particulièrement à la fin du développement un passage dans lequel le second thème, réduit à ses deux premières mesures, est sans cesse modulé par le premier violon piano et accompagné par les batteries des autres cordes, les violoncelles dans leur registre aigu et sans les contrebasses (4). Comme dans la symphonie n° 72, la réexposition omet le premier thème qui reparaîtra à la fin du morceau qui s'achèvera comme il avait commencé par de brillantes fanfares.


Dans L'adagio en sol majeur 6/8 au rythme de sicilienne, plusieurs solistes alternent: un violon, un violoncelle et deux cors (sur les quatre). Chaque solo est accompagné par les pizzicatos des cordes et interrompu par des unissons forte de tout l'orchestre. Le violon monte à des hauteurs stratosphériques (étonnant Stefano Barneschi) et les solos de cors sont acrobatiques. Le tout est harmonieusement fondu et dégage une poésie indicible. Cet adagio est un des plus profonds parmi les mouvements lents de cette époque. Avant les barres de reprises le thème principal remanié revient pianissimo deux fois avec une harmonisation chaque fois différente, passage sublime préfigurant les moments les plus intenses des quatuors à cordes à venir. On pense à la petite phrase de la sonate de Vinteuil qui fera les délices du narrateur dans A la Recherche du Temps perdu (5).


Le menuetto est remarquable par son caractère symphonique et son allure viennoise. Une petit développement commence dans la seconde partie. Dans le trio qui est un laendler, le premier cor monte jusqu'au ré suraigu, partie qui devait probablement être jouée par les cornistes fraichement recrutés en mai 1765 Franz Stamitz et Joseph Dietzl (1).


Comme dans la symphonie Hob I.72, le finale Moderato molto 2/4 est un thème varié. Le thème avec ses syncopes et la variété de ses rythmes porte indubitablement la marque de Joseph Haydn. La première variation appartient aux hautbois et aux cors, les cordes accompagnent. Le violoncelle solo (Paolo Beschi) règne avec une grande virtuosité dans la seconde variation. C'est au tour de la flûte (Marco Brolli) avec ses sauts d'octaves et ses arabesques de nous ravir dans la troisième variation. La quatrième variation est confiée aux quatre cors. Le premier cor (Johannes Hinterholzer) nous éblouit par sa démonstration de haute voltige, il grimpe jusqu'au fa# suraigu. Comme tout ce passage doit se jouer piano voire pianissimo, on se demande comment cela était possible avec des cors naturels mais les virtuoses d’Il giardino armonico sous la direction de Giovanni Antonini y arrivent parfaitement. Le violon solo est aux commandes dans la cinquième variation puis l'orchestre au complet dans la sixième qui reprend le thème sans changements et enfin la contrebasse (ou le violone à cinq cordes) dans la septième qui s'enchaine à un joyeux finale presto se terminant par les fanfares du début scellant ainsi un chef-d’oeuvre absolu et peut être la fin d'une époque insouciante (2).


Trompe de chasse -  Contrairement au cor naturel, elle ne possède pas de coulisse d'accord qui permet de jouer dans plusieurs tonalités - © Photo Luna 04 (12)

Symphonie en la majeur Hob I.59

La numérotation de Manckiewicz est erronée dans le cas de la symphonie n° 59 en la majeur Le Feu, et dans celui de la n° 58 en fa majeur (6,7). Comme la symphonie n° 60 en ut majeur Le Distrait date de 1774-5, on pourrait croire à une date de composition voisine pour les n° 58 et 59. Il n'en est rien car les symphonies n° 58 et 59 ont vu le jour bien avant, très probablement en 1767-8. Viennent à l'appui de cette datation, des arguments stylistiques et le fait que le menuet alla zoppa de la n° 58 est pratiquement identique à celui du trio pour baryton n° 52 datant de 1767-8. Le surnom Le Feu ne fut pas donné par Joseph Haydn, il résulte du fait que cette symphonie a été utilisée comme musique de scène pour le spectacle Die Feursbrunst (l'Incendie) de Gustav Grossmann, donné à Eszterhazà en 1774 ou 1778. Contemporaine de la tragique symphonie n° 39 en sol mineur, emblématique de cette période dite "Sturm und Drang" qui débute, la symphonie n° 59 est par contre une oeuvre résolument optimiste et extravertie.


Le premier mouvement Presto 4/4 débute en fanfare par un thème très incisif des cors et violons dont le caractère quelque peu hystérique pourrait évoquer une alerte incendie, mais ce caractère ne se maintient pas: le contraste est vif en effet entre ce début tonitruant et la suite énoncée en rondes mystérieuses pianissimo. Un second thème très calme termine l'exposition pianissimo. Le très beau développement est bâti sur le thème principal et donne lieu à de vigoureuses imitations entre violons et basses.


L'andante o piu tosto allegretto en la mineur 3/4 qui comme le reste de la symphonie, servit de musique de scène pour la pièce Die Feursbrunst, a une dimension théâtrale évidente. Le premier thème en la mineur à la fois énergique et mélancolique illustre bien une comédie sentimentale. Un second thème cantabile en ut majeur a une grande beauté mélodique et s'apparente de près à un passage du deuxième mouvement de la symphonie n° 60 Le Distrait. Le retour du thème initial en ut majeur est suivi par une ritournelle assez longue jusqu'aux barres de reprises. Toute cette première partie est écrite pour les cordes seules. Après les barres de reprises et une transition, le premier thème revient accompagné par une pédale de mi aux basses d'aspect assez menaçant puis brusquement c'est la surprise: le second thème plus cantabile que jamais refait surface avec un accompagnement somptueux des hautbois et des cors. Ces derniers font par la suite, une apparition incongrue fortissimo lors de la dernière apparition du thème initial, intervention surprenante, véritable incivilité correspondant peut-être à un événement surgissant dans la pièce de théâtre ou bien premier effet de surprise, procédé dont Haydn sera coutumier dans de nombreuses symphonies suivantes. 


Le thème du menuetto 3/4 est très similaire à un thème de l'andante nonobstant la transposition de la mineur en la majeur. Le trio en la mineur est écrit pour un quatuor à cordes (deux violons, un alto, un violoncelle). En fait il se réduit presque à un duo des deux violons (Haydn et Tomasini?), l'alto et la basse intervenant de part en part de façon discrète. Ce menuet et son trio possèdent une certaine élégance contrastant avec le caractère agressivement populaire des morceaux correspondants de la symphonie n° 58 en fa contemporaine.


L'allegro assai final, alla breve, est certainement le mouvement le plus connu des quatre. Il débute par une magnifique sonnerie de cors auxquels répondent les hautbois, se poursuit avec un passage véhément, véritable torrent de croches. Enfin un second thème très doux, joué par les deux hautbois, nous amène aux barres de mesures. Après un développement court mais au contrepoint très serré,  ce sont les violons piano à la place des cors qui démarrent la réexposition avec un effet de surprise témoignant de l'humour inépuisable de Haydn. Les cors reviennent en force dans la coda en renouvelant leurs sonneries d'abord forte puis plus doucement piano. Marc Vignal cite la Water Music de Georg Friedrich Haendel (Suite n° 2, alla hornpipe, HWV 349) dans son commentaire sur ce finale (6). Deux accords de tout l'orchestre forte mettent un point final à cette oeuvre contrastée et colorée.


Première représentation de Musiques sur l'eau en 1717 sur la Tamise par Edmond Jean Conrad Hamman


Symphonie en do majeur Hob I.48  Marie-Thérèse

Les circonstances de la composition par Joseph Haydn de la symphonie n° 48 en ut majeur et le débat concernant sa date de conception, sa dédicace à l'Impératrice Marie Thérèse et son orchestration (authenticité des parties de trompettes en particulier) sont détaillées par Marc Vignal (8) et Antony Hodgson (9). Cette symphonie date probablement de 1769 (et non de 1773 comme on l'a cru longtemps) et de ce fait forme avec les symphonies n° 38 (Echo) et n° 41, toutes deux en ut majeur et datant de la même année, une véritable trilogie de symphonies festives. Composée peut-être en dernier, la symphonie n° 48 est plus ambitieuse et plus développée que ses devancières.


L'Allegro initial frappe par la magnificence de son début. Après un accord fortissimo sabré par tout l'orchestre, le thème principal est clamé par les cors altos. Les parties de trompettes dont l’authenticité est douteuse, ont été supprimées par Giovanni Antonini dans la présente version. Quelle grandeur, quel éclat! Le deuxième exposé du thème est suivi par un motif déjà présent dans la symphonie n° 38 mais bien plus richement développé ici. On assiste ensuite à une alternance de moments de grande tension et de détente. On peut noter parmi ces derniers un second thème énoncé piano par les violons délicatement accompagnés par les autres cordes. Ce thème est suivi par un farouche unisson qui jouera un rôle important lors du développement et qu’on retrouvera dans le premier mouvement de la symphonie Hob I.82, l’Ours. La fin de l'exposition est caractérisée par de spectaculaires gammes ascendantes (10) et roulades entonnées par tout l'orchestre. Lors du magnifique développement l'unisson que nous avons signalé reparait et devient encore plus menaçant du fait des modulations auquel il est soumis, il est ensuite suivi par un travail thématique poussé sur le motif qui suivait le thème initial lors de l'exposition..


L'Adagio 6/8 con sordini inaugure une série de mouvements lents solennels et profonds que l'on rencontrera fréquemment dans les symphonies des années suivantes. Le thème initial très doux fait collaborer étroitement cordes avec sourdines et vents avec pour résultat une sonorité splendide. L'exposé du thème est suivi par un passage confié aux violons qui jouent piano un thème syncopé accompagné par quelques timides notes des basses. Ce long passage à une voix, d'une impressionnante nudité (11) se termine par un motif solennel cette fois richement harmonisé. A la fin du développement les cors interviennent de façon quasi wagnérienne! Cet adagio introspectif contraste vivement avec la luminosité des trois autres mouvements.


Le troisième mouvement, Allegretto est le menuetto le plus puissant et le plus symphonique écrit à ce jour par Haydn. La deuxième partie est remarquable: après le retour du thème, on entend une spectaculaire sonnerie de cors qui anticipe certains menuets des symphonies londoniennes. . Contraste étonnant avec le trio en do mineur pour cordes seules qui débute avec un dramatique unisson. La suite adopte l’écriture des quatuors à cordes et notamment celle du quatuor Hob III.22 en ré mineur contemporain.


Le finale allegro 2/2 est un morceau plein de feu et d'énergie. Il s’ouvre par un motif formé de gammes ascendantes et descendantes, que l'on avait déjà entendu lors de l’exposition du premier mouvement. Le développement, court mais concentré débute par des gammes chromatiques ascendantes et descendantes qu’on avait déjà entendues au milieu de l’exposition; il contient un passage qui montre clairement le degré de virtuosité impressionnant exigé des instrumentistes. Une fausse rentrée débouche sur un épisode dramatique issu d'une ritournelle orchestrale de l'exposition. La véritable rentrée n'apporte que peu de changements. Décrire avec des mots la vie et le dynamisme qui se dégagent de ce morceau est chose impossible.


L’orchestre que Haydn avait à sa disposition à Eszterhàza comptait une quinzaine d’exécutants au maximum, formation qui pourrait sembler un peu maigre face aux quatre cors de la symphonie Hob I.31. Avec une vingtaine d’exécutants, l’orchestre Il giardino armonico nous semble parfaitement calibré. L’usage d’instruments anciens de grande qualité à tous les pupitres, confère à cette version de Giovanni Antonini une supériorité incontestable sur les versions sur instruments modernes. L’adéquation du style, le respect du texte et l’art des nuances placent très haut ces interprétations parmi les versions concurrentes historiquement informées. 



(1) https://en.wikipedia.org/wiki/Symphony_No._31_(Haydn) 

(2) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, Paris, 1988, pp. 840-848 

(3) Marc Vignal, Ibid, pp. 846-847.

(4) http://imslp.info/files/imglnks/usimg/9/9c/IMSLP21880-PMLP50273-Haydn-Symphony_No.31.pdf

(5)   Marcel Proust, A la Recherche du Temps perdu, Tome 1, Gallimard 1947, pp 370. 

(6)   Marc Vignal, Ibid, pp. 983-985.

(7)  https://en.wikipedia.org/wiki/Symphony_No._59_(Haydn)

(8)   Marc Vignal, Ibid, pp. 990-991

(9)  Antony Hodgson, The Music of Joseph Haydn: The Symphonies. London: The Tantivy Press (1976): 77. (ISBN 9780904208214)

(10) Ces gammes ascendantes répétées appelées fusées par Marc Vignal, figurent dans un nombre élevé de symphonies antérieures à 1775. 

(11)  Nudité, air raréfié, nombreux silences sont des traits présents dans les mouvements lents de nombreuses symphonies des années 1769 à 1774 (n° 48, 43, 54 etc…).

(12)  https://en.wikipedia.org/wiki/GNU_Free_Documentation_License

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