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dimanche 31 décembre 2023

Haydn 2032 - volume 6 - Lamentatione





La symphonie n° 26 Lamentatione a donné son nom à l’album tout entier. C’était assez logique car elle en est l’oeuvre de loin la plus connue. Pourtant ce titre ainsi que la photo de couverture tous deux très dramatiques ne reflètent pas du tout le caractère de l’album car les trois autres symphonies au programme  (n° 3, 30 et 79) sont très joyeuses. 

La symphonie n° 3 en sol majeur Hob I.3 fait partie d'un groupe de 20 symphonies antérieures à l'entrée de Joseph Haydn (1732-1809) chez les Esterhazy (1761). Cette symphonie possède quatre mouvements, commence par un allegro et possède un menuetto en troisième position comme ce sera toujours le cas dans la symphonie de l'époque classique (1).


Le premier mouvement Allegro 3/4 est une structure sonate à deux thèmes. Le premier thème est formé de quatre blanches pointées et frappe par son énergie; le second fait dialoguer de façon étonnement moderne les cordes et les vents. Le développement lui est basé uniquement sur le premier thème et dans sa dernière partie joue aussi sur des oppositions vents cordes. 


Le deuxième mouvement, Andante moderato, en sol mineur est remarquable par son sentiment mélancolique. Il se déroule constamment à mezza voce.


Le Menuetto est un canon entre violons et basses au mouvement très entraînant, on remarque le rôle des cors qui font la liaison entre les deux groupes. Quant au trio, il nous ravit par sa grâce et son charme mélodique, les vents, bois et cors, ont la part du lion et dialoguent avec un violon solo.


Le Finale Alla breve Allegro est une fugue dont le sujet, quatre rondes, rappelle le premier thème du premier mouvement et fait immanquablement penser au thème du finale de la symphonie Jupiter de Wolfgang Mozart (1756-1791). Dans ce brillant morceau on admire les qualités de symphoniste de Haydn: tous les instruments de l'orchestre (cordes, hautbois, cors) sont utilisés pour notre plus grand plaisir.


Cette symphonie petite par la taille, est grande par son contenu. Haydn avait moins de trente ans quand il l’écrivit. L’interprétation du Kammerorchester de Bâle est très brillante et la présence des instruments d’époque apporte un plus indiscutable dans une oeuvre encore ancrée dans le monde baroque.


Pietro Perugino (1448-1523) - Crucifixion avec la Vierge Marie et Saint Jean. National Gallery of Art - Washington D.C.

La symphonie n° 26 en ré mineur Lamentatione Hob I.26 a été composée en toute probabilité en 1768. Elle est donc contemporaine de la symphonie n° 49 en fa mineur La Passione. Joseph Haydn utilise dans la symphonie n° 26 des thèmes religieux se référant précisément à la liturgie de la Semaine Sainte ce qui n'était pas le cas de la symphonie La Passione dont la musique pouvait aussi bien correspondre à une action dramatique profane. Toutefois il était exclu que l’on jouât la symphonie n° 26 pendant le Triduum pascal (Jeudi, Vendredi et Samedi Saints). Toute musique instrumentale était en effet prohibée à l’église durant cette période. Rien n’excluait cependant que cette musique fût jouée dans la résidence privée d’un notable. Il était aussi possible que cette symphonie fît partie de la liturgie du Mercredi Saint pendant laquelle étaient chantés des psaumes dont les textes étaient tirés des Lamentations de Jérémie.


Le premier mouvement, Allegro assai con spirito, débute forte avec un thème fougueux, typiquement Sturm und Drang, remarquable par ses syncopes. Les quatre mesures piano qui suivent marquent un temps de réflexion et le thème du début reprend avec la même énergie. Tout s'arrête et les seconds violons doublés par les deux hautbois entonnent fortissimo un choral solennel (marqué chorale sur la partition), accompagné par les arpèges des premiers violons qui termine l'exposition. Le développement, véhément et passionné, est entièrement bâti sur le thème initial ainsi que les quelques mesures méditatives qui interrompaient l'énoncé du thème. Lors de la réexposition, le choral reparaît avec une puissance accrue cette fois en ré majeur, tonalité sur laquelle se termine le mouvement. Dans l’interprétation du Kammerorchester de Bâle, le thème du choral ne ressort pas assez à notre avis car il est étouffé par des premiers violons trop forts.


L'Adagio en fa (2) est entièrement basé sur une sublime mélodie de choral, chantée par les seconds violons doublés par les hautbois dans leur registre grave, tandis qu'au dessus les premiers violons dessinent un magnifique contrechant qui se transforme en un accompagnement de triolets de doubles croches. Le thème de choral est ensuite repris dans le registre le plus grave des hautbois (3) et on arrive aux barres de reprises. Au cours du développement, en fait une simple transition, le début du choral est énoncé dans plusieurs tonalités et on arrive à la réexposition dans laquelle le choral est énoncé par les hautbois et les cors à l'unisson avec un surcroît de vigueur. La conclusion pianissimo est empreinte de recueillement. Les interprètes placés sous la direction de Giovanni Antonini participent à cette ineffable prière collective avec une intensité extraordinaire .


Dans le Menuetto en ré mineur tout caractère proprement religieux a disparu mais le ton reste grave. Le tempo mesuré donne a ce mouvement un caractère solennel, digne de conclure l'oeuvre. Dans la deuxième partie du menuet, un vigoureux canon entre les violons et les basses donne lieu à des harmonies acerbes dont Marc Vignal souligne la parenté avec la fugue pour deux pianos KV 426 de Wolfgang Mozart (4). Le trio en ré majeur, seul passage un peu "léger" dans la symphonie, fait alterner de façon amusante un thème piano aux violons doublés par les vents avec un violent accord sabré par tout l'orchestre.


Camille Corot (1796-1879), Forêt de Fontainebleau, Musée des Beaux Arts, Boston

La symphonie n° 79 en fa majeur Hob I.79 fait partie d'une série de trois (n° 79 en fa majeur, n° 80 en ré mineur et n° 81 en sol majeur) composées en 1784, peu après Armida, dernier opéra écrit à Eszterhàza. Fa majeur est une tonalité assez rarement utilisée par Joseph Haydn dans ses symphonies (six symphonies en tout, les n° 17, 40, 58, 67, 79 et 89) surtout si on compare avec ré majeur (22 symphonies), ut majeur (20 symphonies), si bémol majeur (14 symphonies), et sol majeur (12 symphonies), tonalités les plus utilisées. Pourtant fa majeur avec un seul bémol à la clé est une tonalité sans histoires! La symphonie n° 79 est écrite pour une formation comportant le quintette à cordes, une flûte, deux hautbois, deux bassons, deux cors en si bémol et en fa.


Le premier mouvement allegro con spirito 4/4 débute par un thème très chantant aux premiers violons doublés par le basson. Curieusement ce thème disparaît de la scène. Il n'en reste qu'une sorte de gruppetto qui revient ensuite deux fois et même quatre fois de suite, sous des formes diverses dont une manifeste une ressemblance avec le sujet de fugato sur lequel est construit l'ouverture de la Flûte Enchantée de Mozart. A plusieurs reprises, on s'attend à un second thème qui ne vient pas car c'est toujours le même gruppetto qui reparait dans un contexte différent. Dans le développement le thème initial reparaît fugitivement mais ce développement est très court et c'est bientôt la réexposition, pleine de surprises car profondément remaniée. Elle donne lieu à un passage extraordinaire qui est en fait un second développement sur un motif contenant le fameux gruppetto donnant lieu à des modulations hardies et à des dissonances troublantes. A la fin le gruppetto sera répété huit et enfin douze fois!! Il y a dans ce mouvement une aptitude extraordinaire de Haydn à tirer tout le parti possible d'une cellule de six notes. Alors qu'à première audition ce mouvement semble improvisé, on s'aperçoit en écoutant attentivement que c'est un des plus rigoureusement construit de Haydn. On doit cette révélation à Giovanni Antonini et le Kammerorchester qui arrivent à maintenir la cohésion nécessaire pour que les idées géniales de ce morceau ne partent pas dans tous les sens. 


Le mouvement lent Adagio cantabile ¾ est également très curieux. Il débute par un thème au rythme pointé, comportant deux parties, et se poursuit par une variation des deux parties du thème, jouée par les bois, à laquelle répondent les syncopes des violons. Le climat à la fois recueilli et solennel évoque les dernières compositions de Haydn ainsi que, selon Marc Vignal, l'andante con moto de la symphonie n° 39 de Mozart (5). Il semble qu'à ce point de l'oeuvre, le compositeur fut face à un problème, posé par une nouvelle variation dans le même tempo. Réveillez-vous, on est en train de s'endormir! s'exclama-t-il peut-être en pensant à ses musiciens ou son public et il composa en guise de deuxième partie un poco allegro 2/2 rapide n'ayant rien à voir avec ce qui précède. Ce passage est aussi exubérant que le début était réservé c’est pourquoi il serait tentant de considérer ce morceau comme un intermezzo, un mouvement supplémentaire entre l’adagio et le menuet.


Dans le trio du menuet on notera un très joli solo de hautbois. D'aucuns ont noté une ressemblance avec le rondo du concerto pour cor K 412/386b de Mozart de 1791 tout en signalant qu'il était peu probable que Mozart eût connu cette symphonie (6-8)


Le finale Vivace est un rondo aux vastes proportions de structure A B A C A. Le refrain A est typiquement haydnien avec sa fraiche et franche gaité. Le premier couplet B en fa mineur au thème très énergique, issu de celui du refrain, fonctionne comme un développement. C'est un refrain A habillé par une nouvelle orchestration qui reparaît ensuite et qui laisse la place au second couplet C en si bémol majeur au caractère vigoureusement rustique. Dans le dernier retour du refrain le basson double le premier violon de la manière la plus spirituelle et on aboutit à une coda endiablée et à la fin du mouvement (9).


La symphonie n° 30 en ut majeur "Alleluia" Hob I.30 date de l'année 1765. Au cours de cette féconde année, Joseph Haydn composa trois autres symphonies: les n° 31 en ré majeur Appel du cor, 28 en mi majeur et 29 en la majeur dans l'ordre chronologique probable. La symphonie Alleluia est la dernière symphonie en trois mouvements avec la coupe vif, lent, vif de la sinfonia italienne (10). A partir de cette oeuvre, Haydn abandonne définitivement la coupe à l'italienne pour ne composer exclusivement que des symphonies en quatre mouvements avec généralement un menuetto en troisième position. Son surnom provient du fait que dans le premier mouvement Haydn utilise l'alleluia grégorien pour la nuit de Pâques (11). L'effectif instrumental utilisé est important, il comprend une flûte, deux hautbois, un basson doublant la basse, deux cors et deux trompettes (12).


Théodore Rousseau (1812-1867), Chênes à Apremont, Musée d'Orsay

Dans le premier mouvement, Allegro 4/4, le thème clamé par les trompettes est quelque peu différent de l'alleluia grégorien, ce début éclatant est tout à fait typique des symphonies festives en ut majeur qui jalonnent la production symphonique de Haydn. Le second thème piano est très proche du premier. On peut donc considérer ce mouvement comme monothématique. Le développement, basé sur le thème initial, consiste en vigoureuses imitations sur les quatre premières notes du thème de l'alleluia tandis que les violons parcourent l'espace sonore de brillantes gammes ascendantes et descendantes en doubles croches. Lors de la réexposition, les trompettes interviennent en force pour conclure brillamment ce mouvement. 


Avec l'Andante en sol majeur 2/4 nous retrouvons l'esprit de l'adagio de la symphonie n° 24 avec un ravissant solo de traverso. Toutefois la flûte ne monopolise pas toute la scène et laisse au hautbois quelques passages mélodieux. Le développement, une simple transition en fait, consiste en une marche harmonique d'esprit baroque à la flûte solo.


Le troisième mouvement Tempo du menuetto, piu tosto allegretto 3/4, est plus proche d'un rondo que d'un menuet. On ne saurait trop admirer dans ce morceau l'extraordinaire charme mélodique du thème principal ou refrain joué par les cors et les violons. Le premier intermède, un solo de la flûte et du violon solo à l'unisson, est une merveille de grâce et d'élégance. Le retour du refrain est suivi par un nouvel intermède mineur assez étrange: le thème est énoncé d'abord par les violons alors que les cors et les hautbois à l'unisson tiennent un mi un peu inquiétant pendant toute la durée de cette première partie. Dans une deuxième partie le thème passe aux basses avec de brusques sforzandos et devient quelque peu menaçant mais tout se calme vite avec le retour du refrain. Une coda dans laquelle le thème du début est repris par les cors et un violon solo de manière très poétique termine cette symphonie particulièrement joyeuse. L’interprétation du Kammerorchester de Bâle (Giovanni Antonini) donne à cette symphonie festive (et aux trois autres) un éclat extraordinaire. Un virtuose est assis devant chaque pupitre: un flûtiste génial, deux hautbois mordants, des cors naturels confondants de moelleux ou d’énergie, des cordes incisives ou soyeuses etc.…  


Plusieurs musicologues ont considéré à juste titre que ces symphonies de l'année 1765, généralement sereines, correspondaient à la fin d'une époque et à un adieu de Haydn à sa jeunesse (11). A partir de cette date, l'inspiration de Haydn devient plus sombre comme en témoigne la symphonie n°34 en ré mineur, composée vers 1766, premier exemple peut-être du style Sturm und Drang chez Haydn. 




(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1788. pp 829-830.

(2) La tonalité de fa surprend après le ré majeur qui conclut le premier mouvement, audace dans la succession des tonalités qui deviendra monnaie courante après 1784.

(3) Haydn a-t-il pensé à des cors anglais pour cette symphonie?

(4) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp. 987-8.

(5) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp. 1115-6.

(6) http://en.wikipedia.org/wiki/Symphony_No._79_(Haydn)

(7) Luigi della Croce, Les 107 symphonies de Haydn, Editions Dereume, Bruxelles, 1976, pp. 265-7.

(8) Pourquoi Mozart n'aurait-il pas connu la symphonie n° 79? Les références à Mozart sont nombreuses dans cette symphonie. Elles sont encore plus évidentes dans la symphonie n° 78 en ut mineur (1782) dans laquelle Mozart puisa largement comme le signalent EC Robbins Landon ou Marc Vignal.

(9) Partition consultable et écoute gratuite sur le site http://www.haydn107.com/index.php?id=2&sym=79&lng=2

(10) La symphonie n° 34 en ré mineur qui date vraisemblablement de 1766, est également en trois mouvements mais c'est une symphonie d'église débutant avec un mouvement lent.

(11) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1788, pp. 846-7.

(12) http://en.wikipedia.org/wiki/Symphony_No._30_(Haydn)

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