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mercredi 17 mai 2017

La Calisto de Cavalli à l'Opéra National du Rhin




Calisto se désaltère à une source que Jupiter a fait surgir. Photo Klara BecK

La Callisto, dramma per musica sur un livret de Giovanni Faustini, est créé le 28 novembre 1651, au teatro San Apollinare de Venise. Francesco Cavalli (1602-1676), élève de Claudio Monteverdi (1567-1643), emprunte le sillon tracé par son maître pour créer une œuvre originale. Il ne révolutionne cependant ni l'harmonie, ni les principaux codes de l'opéra baroque naissant. Afin de populariser le nouveau genre de l'opéra et de le rendre accessible à de petites compagnies, Cavalli diminue considérablement l'effectif orchestral. Ce dernier, très copieux du temps de Monteverdi, est réduit au strict minimum : la basse et deux violons. Les parties de ces derniers ne sont même plus écrites dans une partie du manuscrit de La Calisto (1). 
Les opéras de Cavalli sont foisonnants et mélangent volontiers éléments comiques et dramatiques au gré des évènements surgissant dans le livret. Cette tendance est très sensible dans Elena, Il Giasone et Eliogabalo. Tandis que chez Monteverdi le récitatif est le plus souvent dominant, Cavalli donne une place plus importante aux airs, à l'agrément mélodique et à une certaine forme de sensualité. La ville de Venise de mœurs bien plus libres que celles du reste de la Péninsule, fut pour cette raison, excommuniée par Rome (1). Ce style fleurira pendant toute la deuxième moitié du 17ème siècle. 
Au début du 18ème siècle devant la prolixité des livrets, leur tendance à aller dans tous les sens, une première réforme appliquera les principes du théâtre classique à l'opéra et séparera le genre sérieux (opéra seria) du genre comique (commedia per musica). Cette transition est nette dans l'oeuvre de Georg Friedrich Haendel (1685-1759). Tandis qu'Agrippina (1710) mélange allègrement la bouffonerie au drame, Rinaldo, terminé l'année suivante, a déjà tous les caractères de l'opéra seria classique.

Callisto, nymphe suivante de Diane, a fait vœu de chasteté pour servir la déesse. Jupiter, ayant aperçu la nymphe, a résolu de la séduire. Pour ce faire, il emprunte les traits de Diane, et sous cette apparence, arrivera à ses fins. Junon, épouse du plus puissant des dieux, est jalouse et pour se venger transforme Calisto en ourse. Jupiter, bien qu'ayant décidé à rendre forme humaine à la nymphe, ne peut aller contre la marche du destin. Il donne à la nymphe en compensation l'immortalité sous la forme d'une constellation, la Grande Ourse.

Autour de cette trame mythologique, le librettiste tisse une histoire foisonnante de personnages variés et d'épisodes connexes : l'intervention des satyres, la romance entre Endimione et Diane, les amours contrariés de la nymphe Linfea etc...Aucun de ces épisodes n'est gratuit et s'intègre harmonieusement dans la trame de départ. Tous offrent au compositeur un canevas et une galerie de personnages propres à susciter son inspiration. Si le récitatif monteverdien est dominant, il y a plusieurs beaux airs. Junon bénéficiera par exemple d'un air magnifique au troisième acte : Mogli miei sconsolate, . Calisto aura aussi les plus beaux airs de la partition. Son terzetto avec Jupiter et Mercurio, au troisième acte, au cours duquel le plus grand des dieux lui révèle ce que sera sa destinée, Al cielo s'ascenda. est un sommet de la partition. Ce poignant terzetto est construit autour d'une superbe chaconne qui devait plaire à Cavalli car il l'a développée dans une remarquable sonata a tre instrumentale en la mineur, pour deux dessus et le continuo, contemporaine. Le comique est souvent présent dans le personnage de Mercurio, entremetteur et organisateur des plaisirs de Jupiter ou encore dans ceux de Pan et Satirino. Ces derniers personnages sont ambigus et leur truculente brutalité ne peut cacher leur frustration, très présente dans l'air de Pan : Numi sevatici, custodii e genii.... Mis à part quelques épisodes comiques, c'est plutôt un vision en demi-teintes, élégiaque, voire mélancolique qui domine dans la musique comme le montre bien la scène finale, bien éloignée des réjouissances générales des opéras seria à venir.

Junon dans son boudoir. Photo Klara Beck

Dans cette nouvelle production de l'Opéra National du Rhin, la mise en scène de Mariame Clément se place sur deux plans du temps et de l'espace : d'une part un zoo  contemporain et d'autre part les lieux variés où se déroule le mythe avec de nombreuses passerelles entre les deux plans. Le décor de Julia Hansen représente plus particulièrement la fosse aux ours. Un cylindre en béton est présent au milieu de cette fosse. D'un côté un escalier mène vers une plate forme élevée qui permet d'observer le ciel, de l'autre se trouve un local, sorte de boutique aux destinations variées, allant de la demeure de Junon jusqu'au laboratoire où un vétérinaire sera chargé d'euthanasier l'ourse. Les éclairages de Marion Hewlett apportent les contrastes permettant une parfaite lisibilité du spectacle. Les costumes sont modernes ou bien inspirés de l'antique.

L'ourse, personnage silencieux malgré quelques grognements, joue un grand rôle, avant tout par ce qu'elle va abriter pendant un temps l'âme de Calisto. Animal emblématiques de Diane, il devient dans cette mise en scène un témoin de l'ambiguïté des relations entre l'homme et l'animal. Nounours, doudou des enfants et en même temps, honni quand son mode de vie interfère avec les intérêts des humains, l'ours est victime d'une chasse impitoyable. Dans la présente mise en scène, l'ourse traine sa misérable existence, confinée dans la fosse, sous l'oeil et le fouet du gardien qui pourra disposer de sa vie quand bon lui semble. Mais l'ourse n'est pas le seul animal présent dans le mythe, la biche, les chiens, sont également les compagnons de Diane chasseresse et les paons, ceux de Junon. Les satyres mi-hommes, mi-boucs cristallisent cette relation entre l'homme et la bête et la mise en scène leur donne une place importante en insistant sur leurs caractères caprins et leur bestialité.

D'autres attributs de Diane, le croissant de lune et une couronne d'étoiles, sont présents dans diverses représentations de la déesse et évoqués dans l'opéra. Christophe Rousset voit dans ces représentations , une version païenne de ce qui sera celle de la Sainte Vierge dans l'iconographie chrétienne. On peut voir une autre allusion christique dans la monté aux cieux et la promesse d'immortalité faite par Jupiter à Calisto.
L'initiative la plus heureuse de cette mise en scène est d'avoir donné à Jupiter l'apparence, copie conforme, de Diane (2) . C'est donc la même chanteuse qui incarne la vraie et la fausse déesse de la chasse, alors que dans d'autres mises en scènes, Jupiter est travesti en femme et chante avec une voix de fausset. L'initiative de Mariame Clément donne une bien plus grande vraisemblance à l'action. Calisto qui voue à Diane une adoration sans limites et refuse tout commerce avec un homme, peut en toute bonne conscience se laisser séduire par celle qu'elle croit être la déesse, en accord avec les relations saphiques présumées entre Diane et ses nymphes que suggèrent les textes mythologiques. En tous cas la direction d'acteurs met parfaitement en lumière la subtilité des affects mis en jeu.

Endimione est soumis à la torture. Photo Klara Beck

Opéra de travestis suggère Christophe Rousset ? Calisto, amoureuse d'une fausse Diane, est repoussée par la vraie tandis que Endimione, amoureux de la vraie Diane, est repoussé par la fausse. Voilà des situations propres à séduire les Vénitiens, amateurs de déguisements. L'amour sous toutes ses formes précise Mariame Clément, de l'amour bestial des satyres à l'amour non charnel d'Endimione, un amour rarement payé de retour et que l'héroïne va payer cher. Double peine pour la nymphe, d'abord violée, puis enfermée à perpétuité dans la peau d'une ourse.

Sans faute dans la distribution. Elena Tsallagova qu'on avait déjà applaudie dans La petite renarde rusée et qui avait incarné une mystérieuse Mélisande, a réalisé une composition touchante du personnage de Calisto. Sa voix claire et pure a fait merveille dans les récitatifs et les airs, notamment dans le délicieux Verginella, io morir vo', ainsi que dans le bouleversant T'aspetto e tu non viene.Vivica Genaux (Diana), chanteuse rompue au style baroque qui nous avait émerveillés dans Farnace de Vivaldi par sa virtuosité, n'avait pas d'airs de bravoure à savourer dans la partition de Cavalli mis à part des vocalises agiles dans le prologue : Chi qua sale immortale..., la mezzo a cependant agrémenté son chant par d'élégants ornements. Ses mimiques dans les diverses situations embarrassantes dans lesquelles elle était impliquée, étaient irresistibles. 
Rafaella Milanesi m'a enchanté au plan vocal dans le rôle de Junon, notamment dans son air fameux du troisième acte où elle manifeste son humiliation d'être éternellement trompée par son divin époux : Racconsolata, e paga....
Giovanni Battista Parodi (basse) conféra au personnage de Jupiter toute la prestance nécessaire dans un rôle qui par certains aspects et selon René Jacobs évoque Don Giovanni (1). 
Nikolay Borchev (baryton) qu'on pourrait comparer à Leporello (1) donna une interprétation très convaincante de Mercurio avec une voix brillamment projetée et de belles vocalises. 
Filippo Minoccia (contre ténor) fut parfait dans le rôle d'Endimione. Avec sa voix au timbre enchanteur, il manifesta à Diana toute la tendresse et les marques d'un amour sincère. 
Guy de Mey (ténor) fut une excellente Lincea dans un rôle difficile car le travestissement peut conduire à un comique hors sujet. Son air L'uomo è una dolce cosa...fut remarquable. 
Vasily Khorochev (contre ténor) donna à Satirino un grand dynamisme, rôle également ambigu comme d'ailleurs celui du dieu Pan interprété par Lauwrence Ollworth-Peter. Jaroslaw Kitala (basse) fut excellent comme à l'accoutumée dans le rôle deu dieu Sylvain. On remarqua aussi les costumes splendides des deux furies interprétées avec talent par Yasmina Favre et Tatiana Zolothikova.

Christophe Rousset a tenu a enrichir l'instrumentation elliptique de Cavalli avec un continuo bien fourni. Sa vision de l'orchestre de Cavalli est celle d'un très petit ensemble de solistes, sans doublures, avec des sonorités douces et discrètes, bien éloignées du clinquant de certaines reconstitutions dotées de percussions intempérantes. Le résultat est magnifique. Cet ensemble sonne remarquablement et offre une parfaite lisibilité. Les deux violons baroques rivalisent de douceur, les deux cornets remarquables de vélocité, tirent des sons purs et aériens d'un instrument bien difficile à jouer. Les deux flûtes à bec qui ont souvent fort à faire donnent beaucoup de plaisir. Le continuo (deux clavecins, un orgue positif, un luth, remplacé parfois par une guitare, un lirone, un violoncelle et un violone) procurent aux récitatifs beaucoup de relief. Cette formation des Talens lyriques donna le meilleur d'elle-même sous la conduite magique du chef.


  1. Olivier Lexa, Francesco Cavalli, Actes Sus, Classica, 2014.
  2. Mariame Clement, L'amour existe, l'amour est vivant, sous toutes ses formes. Programme de l'Opéra du Rhin, 2017.
  3. Ce texte a été publié sous une forme condensée dans Odb-opéra: http://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=18786
  4. Notre confrère Bruno Maury a publié dans BaroquiadeS une chronique passionnante sur cet opéra: http://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/calisto-cavalli-rousset-onr-2017

2 commentaires:

  1. Merci infiniment pour ce compte rendu très intéressant d'un spectacle que j'ai pu découvrir grâce à Culturebox.

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  2. Merci pour ce commentaire. Les gros plans ont du bon quand ils ne sont pas intrusifs et qu'ils révèlent des détails que le spectateur ne peut pas voir.

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