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vendredi 30 octobre 2020

Samson et Dalila à l'Opéra du Rhin

Dalila coupe les cheveux de Samson. Le Caravage. Musée de Tolède

 

Camille Saint-Saëns (1835-1921) n'est certes pas mon compositeur préféré, j'avoue que sa symphonie avec orgue, ses cinq concertos pour piano, son concerto pour violoncelle en la mineur, ses poèmes symphoniques me laissent froid, je ne saurais dire pourquoi. L'architecture de ces œuvres est d'une souveraine harmonie, la musique est admirablement composée, d'une clarté lumineuse, d'une concision exemplaire mais voilà, elle ne m'émeut guère. Curieusement je suis bien plus ému par les petites œuvres de Saint-Saëns : ses mélodies pour voix et piano ou bien quelques perles de musique de chambre comme ses sonates pour hautbois (opus 166), clarinette (opus 167), basson (opus 168) et piano (toutes trois datant de 1921).

Samson et Dalila, composé en 1877 sur un livret de Ferdinand Lemaire (1832-1879), constitue cependant une exception. Toutes les qualités que j'ai énumérées plus haut y sont présentes mais il y a quelque chose en plus dans cet opéra qui provoque l'intérêt et l'émotion: en fait une fusion parfaitement réussie entre une dramaturgie spectaculaire et une musique inspirée. Saint-Saëns est un homme de théâtre génial comme le montrent la grande scène de séduction de l'acte II et surtout l'air Mon cœur s'ouvre à ta voix qui sont devenus des tubes mondialement célèbres. Pour ma part je préfère le magnifique premier acte, une grande fresque à la fois épique, héroïque et religieuse de caractère cinématographique qui culmine avec la splendide exhortation de Samson: Israël! Romps ta chaine, O peuple, lève-toi..., reprise de façon grandiose par le choeur et avec la curieuse scène 5, Hymne de joie, hymne de délivrance où en lieu et place de la musique triomphale attendue, on entend une prière mystique faisant usage des modes anciens et du plain chant. Au troisième acte, la Bacchanale apparaîtra par contre bien sage si on la compare à celle bien plus subversive que Wagner composa pour Tannhauser trois décennies auparavant. Dans le domaine du charme, le gracieux choeur des Philistines du premier acte, Voici le printemps nous portant des fleurs... si joliment orchestré, est une merveille. Mais quel souffle dans cet opéra, quelle variété et pourtant il n'y a pas une note de trop. Malgré cette densité musicale exceptionnelle qui aurait pu dérouter certains, le succès ne s'est jamais démenti et Samson et Dalila est inscrit dans les répertoires de tous les théâtres du monde, il est d'ailleurs le seul sur les treize opéras du maître à bénéficier d'un tel honneur. En 2014 le Palazzetto Bru Zane et l'opéra de Saint Etienne ont remis en selle Les Barbares et il serait souhaitable que d'autres opéras (Phryné par exemple) fussent montés.


Samson et Dalila. Gérard van Honthorst, 1615. Cleveland Museum of Art

Traditionnellement les mises en scène de cet opéra sont de type Péplum biblique et font la part belle à l'orientalisme tellement à la mode en cette fin de 19ème siècle. L'option prise par Marie-Eve Signeyrole est essentiellement politique dans un univers résolument contemporain. Selon ses propres mots, la mise en scène met en parallèle l'Alliance fondatrice avec Dieu, mise à mal dans l'épisode biblique et la rupture du Pacte Social dans nombre de pays du monde contemporain (1).

Un scrutin politique est à la base de l'action. Cette dernière se situe dans une Démocrature dont le président est Dagon (1), le cadre est une campagne électorale noyautée par le parti conservateur de Dagon et orchestrée par Dalila, directrice de campagne et Abimelech, porte parole. En face des Philistins se tiennent les Hébreux et leur chef charismatique Samson. Ce dernier n'est pas un Hercule, il est sur une chaise roulante et s'apparente à un être de souffrance. Il ressemble plus au Serviteur du prophète Isaïe qu'à un surhomme. Sa force, avant tout est psychologique et morale. Ce n'est pas lui mais le peuple qui agit et se libère par les armes. Comme le dit la metteuse en scène, Samson vient du peuple, il est porté par le peuple, il tombera par le peuple.


Samson et Dalila. Photo Klara Beck

Ce message politique, aussi pertinent soit-il, a l'inconvénient d'occulter le message biblique qui est la relation du peuple hébreu avec son Dieu, relatée dans le Livre des Juges, 13-15 et explicitée dans l'excellent livret, relation perturbée en ces temps très anciens par l'attraction des divinités païennes au mépris du premier commandement, transgression précipitant en guise de châtiment, le peuple sous le joug des Philistins. On pouvait cependant s'accommoder de ce déplacement du centre de gravité de l'oeuvre vers la sphère politico-sociale pourvu que la mise en scène possédât la cohérence et accrochât l'intérêt voire la participation des spectateurs. Ce fut généralement le cas malgré certains passages où ce qui se passe sur scène ne correspond pas à ce qui est chanté. Cette mise en scène présente des points positifs et contient des trouvailles: les Hébreux et leur chef revêtent tous un même masque de clown. Ce masque indique que Samson fait corps avec le peuple et que ce dernier est totalement uni. Avec ce masque, Samson cache son visage. Ce dernier est le secret que Dalila veut connaître et que Samson finira par dévoiler ce qui causera sa perte. On notera une situation analogue dans Turandot de Puccini où c'est le nom du héros Calaf qui est masqué. Seule la connaissance de ce nom permettra à Turandot d'atteindre ses objectifs

La scénographie (Fabien Teignié) est sobre et use de grands panneaux gris ou bleus qui se déplacent pour figurer les différents lieux de pouvoir. Les costumes (Fabien Teigné) sont appropriés aux fonctions des uns et des autres: stricts costumes noirs pour les Philistins, tenues plus débraillées pour les Hébreux. Se détachent les magnifiques tenues de Dalila et notamment son costume deux pièces blanc du troisième acte d'une élégance superlative.


Photo Klara Beck

D'emblée, j'ai été conquis par le Samson de Massimo Giordano. Ce ténor avait chanté Werther à l'ONR en 2018. J'aime ces chanteurs enthousiastes qui n'ont pas peur de jouer leur va-tout. C'est un ténor généreux, sa voix possède un volume sonore impressionnant et de belles couleurs. Il s'est illustré dans de magnifiques aigus émis avec facilité et une intonation de qualité. A la fin tonitruante du deuxième acte, Samson susurre un dernier Dalila, je t'aime avec une délicatesse infinie, preuve qu'il possède plusieurs cordes à son arc et que dans certains passages, il sait mettre en valeur un beau timbre et un phrasé élégant.

Katarina Bradic que j'avais eu le plaisir d'admirer dans le rôle de Bradamante dans l'Alcina de Haendel, a incarné Dalila. De prêtresse de Dagon dans le livret, elle est devenue directrice de campagne du chef d'état éponyme dans la mise en scène. Son élégante silhouette la plaçait constamment au centre de l'image et sous le feu des projecteurs. Par sa voix corpulente toujours bien projetée, son medium velouté, sa ligne de chant harmonieuse, elle avait les moyens vocaux dignes d'un des plus beaux rôles de mezzo-soprano du répertoire comme le montrait, au premier acte, un remarquable Printemps qui commence. La mezzo-soprano troque son rôle de séductrice vénale de la Bible pour un rôle plus complexe incluant, outre son désir de vengeance, une attirance sincère pour sa victime. En tout état de cause, elle formait un superbe duo avec Samson notamment dans le magistral Mon cœur s'ouvre à ta voix, pierre angulaire de l'oeuvre.

Jean-Sébastien Bou, prodigieux Atar dans le Tarare de Salieri produit récemment par Christophe Rousset, est devenu ici le conseiller politique du président Dagon (grand prêtre dans le livret). Il jouait parfaitement le rôle du politicien technocrate d'une très belle voix de baryton aux belles couleurs et aux mille nuances.

Patrick Bolleire, basse, a interprété remarquablement le rôle du Commandeur dans Don Giovanni donné en 2019 à l'ONR. Dans le rôle d'Abimelech, chef de guerre des Philistins, il a chanté au premier acte avec la méchanceté de tradition, Qui ose élever la voix....Dommage qu'il disparaisse au deuxième acte car sa voix de basse profonde était superbe.

Le vieillard hébreu, celui qui veille sur Samson et se désespère de voir ce dernier tomber dans les rets de Dalila, était superbement interprété par Wojtec Smilek avec une voix noble aux inflexions très émouvantes.

Les rôles de messagers philistins étaient tenus excellemment par Damien Arnold, Nestor Galvan et Damien Gastl, tous trois membres de l'Opéra Stdio.

Dans le rôle muet du Président Dagon, l'excellent Alain Weber.


La Liberté guidant le Peuple. Photo Klara Beck

J'ai été enchanté par l'orchestre symphonique de Mulhouse placé sous la direction d'Ariane Matiakh. Du fait des contraintes sanitaires, cet orchestre de 60 exécutants voulu par Saint-Saëns était réduit de moitié. Les coupes concernaient surtout les cordes car plusieurs pupitres de vents sont incompressibles. Ce point a été argumenté dans un passionnant entretien de la cheffe avec Patrick Schneider. Cet effectif réduit a fait montre de clarté et de nervosité supplémentaires sans déficit de puissance notamment chez les violoncelles très présents et chaleureux. Les bois ressortaient d'avantage notamment les belles flûtes dans le choeur féminin, Voici le printemps nous portant des fleurs, joliment accompagnées par la harpe, de même que les cuivres (beaux trombones dans Gloire à Dagon). Les bois interviennent aussi de façon subtile et délicate dans le deuxième couplet de l'air Mon cœur s'ouvre à ta voix. J'ai beaucoup aimé la direction sobre, efficace et sensible d'Ariane Matiakh révélant une culture musicale d'exception.

Les choeurs de l'ONR dirigés par Alessandro Zuppardo ont manifesté leur talent dans la force (Israël, romps ta chaine...) comme la douceur (Hymne de joie). Le choeur joue un rôle capital dans cet opéra qui s'apparente dans tout l'acte I à un oratorio et peut être considéré comme un personnage à part entière. Par sa voix s'exprime le peuple, seul héros de ce drame (2).


  1. Samson et Dalila, Dossier pédagogique. Dagon, dieu des Philistins dans la Bible. https://www.operanationaldurhin.eu/files/7a25e368/samsonetdalila_dossierpedagogique_def_light.pdf

  2. Cette chronique est une version légèrement remaniée de mon compte rendu effectué le lendemain de la représentation du 20 octobre : https://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=23023

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