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dimanche 7 mai 2023

Les concertos pour pianoforte et orchestre de Mozart. Des sourires et des larmes

Etourneau commun (Sturnus vulgaris) par John Gould (1804-1881).


Comme il ne peut être question de passer en revue les 27 concertos pour piano de Wolfgang Mozart, ce travail ayant été réalisé dans le remarquable ouvrage de C.M. Girdlestone (1), nous avons préféré nous focaliser sur les oeuvres les plus importantes. Le choix était difficile et aboutissait à un vrai crève-coeur car il fallait éliminer de merveilleux concertos dont le n° 9 Jeunehomme K 271, le n° 22 K 482 qui ressemble tant au précédent ou le n° 27 K 589. Finalement notre choix s’est porté sur les concertos n° 14 en mi bémol majeur K 449, n° 17 en sol majeur K 453, n° 19 en fa majeur K 459, n° 20 en ré mineur K 466, n° 21 en do majeur K 467, n° 23 en la majeur K 488, n° 24 en do mineur K 491, n° 25 en do majeur K 502.


Concerto n° 14 en mi bémol majeur K 449

Composé le 9 février 1784, il fait la liaison entre les trois concertos K 413, 414 et 415 de 1782 et les concertos de maturité. Ce concerto est plus bref et plus concentré que la plupart des concertos qui vont suivre. Les traits de virtuosité sont peu nombreux et la partie soliste ne joue aucune des fastidieuses ritournelles que l’on trouve parfois comme matériau de remplissage. L’agrément mélodique est constant et de plus l’usage du contrepoint donne beaucoup de caractère à cette oeuvre. Ce style polyphonique s'explique par le vif intérêt que Mozart manifeste pour la musique des anciens maîtres, Georg Friedrich Haendel et Jean Sébastien Bach pendant les années 1782 et 83 qui se concrétise par la composition de la grand messe en do mineur K 427 et de la fugue pour deux pianos K 447 (2).


Le premier mouvement, Allegro vivace, 3/4 est plein de contrastes. Le thème avec son profil initial anguleux, déroule ensuite une ample mélodie piano qui est brusquement interrompue par un épisode forte en do mineur très dramatique. Cet épisode possède des ressemblances avec un passage  du finale presto de la symphonie n° 47 en sol majeur de Joseph Haydn (3). On sait que Mozart à cette époque connaissait cette symphonie puisqu’il en copia l’incipit dans son carnet de notes. Le pianoforte reprend cet exposé orchestral mais l’épisode mineur a disparu. Cette exposition s’achève par un thème avec un trille aux basses inspiré du thème initial, repris par le piano. Ce nouveau thème est repris ex abrupto en si bémol mineur après les barres de reprises et fera les frais du développement. La rentrée est similaire à l’exposition mais l’épisode dramatique du début sera chargé d’amener la cadence du soliste. Les sautes d’humeur de ce mouvement rappellent la manière de Carl Philipp Emanuel Bach ce qui ne saurait étonner car à cette époque, Mozart lui portait beaucoup d’intérêt.


L’andantino en si bémol majeur qui suit est au contraire un morceau beaucoup plus intériorisé. L’introduction orchestrale est remarquable par sa beauté mélodique. Le thème initial est très lyrique, d’un souffle inépuisable et admirablement harmonisé. On croirait déjà entendre les plaintes de la comtesse dans les Noces de Figaro (1786). Ce thème magnifique est repris par le pianoforte avec des modulations encore plus dramatiques qui rappellent certains passages d’Idomeneo. L’épisode central en la bémol majeur a valeur de développement. Les modulations atteignent un niveau d’intensité extraordinaire et inédit pour l’époque et c’est la rentrée. Cette dernière est profondément variée et le mouvement s’achève tout doucement. Du chant sans interruption et pas une note de trop!


Le troisième mouvement allegro ma non troppo, alla breve, est unanimement considéré comme le sommet de l’oeuvre et un des plus beaux finale de Mozart. Olivier Messiaen qui a joué avec Yvonne Loriod tous les concertos de Mozart, l’admirait beaucoup et pointait l’originalité de sa structure: mélange de rondo, de sonate, de variations et de toccata (4). On peut aussi le considérer comme un mouvement perpétuel. A partir du moment où le soliste s’empare du thème initial, il s’engage dans une ronde folle qui se poursuit sans reprendre son souffle jusqu’à la fin du morceau. L’usage permanent du contrepoint, de l’imitation et de la fugue rappelle certes l’influence de Bach et Haendel mais en fait ces influences sont si bien assimilées que le style du salzbourgeois prédomine et ce morceau est en même temps très mozartien. Une sèche analyse ne peut rendre compte du dynamisme et de la vie qui parcourt ce morceau enchanteur. C’est aussi un des premiers exemples de mouvement bâti sur un thème unique, pratique inspirée de Joseph Haydn qui sera abandonnée dans les concertos suivants jusqu’aux oeuvres de l’année 1786 comme on le verra prochainement. On peut trouver sur You tube une version de Murray Peraya qui satisfera les amateurs les plus difficiles (5).


La vierge au chardonneret. Marie, Jean le Baptiste et l'Enfant Jésus par Raphaël (1483-1520)



Concerto n° 17 en sol majeur K 453

En ce printemps de l’année 1784, une floraison de chefs-d’oeuvre surgit du cerveau fertile de Wolfgang Mozart: le quintette pour piano et instruments à vents en mi bémol majeur K 452 (une oeuvre que Mozart aimait par dessus tout), la sonate pour piano et violon en si bémol majeur K 454 et les concertos n° 15 K 450 en si bémol et n° 16 en ré K 451, concertos qui vous mettent en nage selon le salzbourgeois (6,7), deux oeuvres puissantes à la fois symphoniques et virtuoses. Le concerto n° 17 n’est pas le plus virtuose, il possède même un caractère intimiste mais c’est un chef-d’oeuvre absolu. La qualité de l’inspiration est exceptionnelle, les ritournelles mécaniques et répétitives dont certains concertos de Mozart ne sont pas toujours exempts, sont réduites au minimum, la mélodie la plus fraiche et aérienne règne sans partage.


Le premier mouvement allegro, 4/4 débute par une marche mais contrairement à celle qui ouvre le concerto en ré K 451, cette marche n’a rien de militaire (4), c’est la marche alerte et joyeuse d’un groupe de jeunes gens dans la nature par une belle journée de printemps. Ensuite les thèmes (cinq en tout) plus beaux les uns que les autres s’enchainent harmonieusement. Le second thème en mi mineur est particulièrement expressif et conduit à une brusque modulation de sol majeur à mi bémol majeur qui amène un troisième thème dans une ambiance toute différente, inquiète et agitée, première occurence de ce type de modulation chez Mozart à ma connaissance. Le pianoforte reprend cette exposition et lui ajoute même un nouveau thème très expressif tandis que l’exposition se conclut en ré majeur. Le développement très dramatique s’ouvre par une nouvelle modulation subite en si bémol majeur; il est basé sur le troisième thème qui passe par de superbes modulations qui amènent la rentrée. Cette dernière diffère de l’exposition, le matériel thématique est présenté dans un ordre différent de celui de la première partie si bien que cette réexposition apparaît toute renouvelée. 


L’andante en do majeur, 3/4 est un des mouvements lents les plus fascinants de Mozart. Pour une analyse détaillée, on peut se reporter aux publications de Girdlestone (1) ou de Saint Foix (6). Le premier thème se présente comme un cantique. Un deuxième thème aux harmonies audacieuses et vibrantes termine cette exposition orchestrale. Le piano reprend cette exposition en amplifiant notamment l’expression du deuxième thème. Un nouvel exposé du thème principal amène le développement extrêmement modulant. La liberté tonale de ce développement est extraordinaire et on aboutit à un passage hérissé de dièses dans la tonalité de sol # majeur. En l’espace de trois mesures, le piano, grâce à des modulations bouleversantes, revient à un innocent do majeur. La rentrée est encore plus expressive que l’exposition et on s’émerveille de la collaboration entre les vents, les cordes et le pianoforte.


Le troisième mouvement 4/4 allegretto est un thème varié. Le thème de caractère populaire lui fut soufflé, selon les dire de Mozart, par un étourneau qu’il avait apprivoisé. Comme l’animal faisait régulièrement une fausse note, Mozart modifia légèrement le thème afin que la mélodie et le rythme fussent compatibles avec les règles de l’harmonie. Le thème est plus ou moins modifié dans les variations mais toujours reconnaissable tandis que son harmonisation est toujours plus riche. Dans la géniale variation mineure jouée entièrement pianissimo, le thème est réduit à sa plus simple expression, la tonalité de sol mineur et la riche intervention des vents donnent beaucoup d’intensité à cette variation qui a un caractère quasi brahmsien. La variation suivante, une merveille de fantaisie se partage harmonieusement entre le piano, les cordes et les vents et aboutit  à une conclusion inattendue: un vaste presto qui est un véritable finale d’opéra bouffe. Les personnages arrivent sur scène les uns après les autres, d’abord furtivement, ils élèvent la voix et chantent tous en même temps des mélodies variées. La confusion est à son comble jusqu’à ce que le thème de l’oiseau revienne et s’impose au milieu du brouhaha ambiant. Un unisson en sol mineur dans le registre grave de l’orchestre rappelle que des évènements dramatiques eurent lieu mais le thème reprend finalement le dessus.  Trois accords sabrés de sol majeur par tout l’orchestre donnent une conclusion d’une implacable concision à l’oeuvre.


Ce concerto est souvent joué, l’interprétation de Murray Perahia est digne d’éloges. On peut lui préférer la version de Kristian Bezuidenhout sur instruments d’époque (8).



(1) C.M. Girdlestone, Mozart et ses concertos pour piano, Desclée de Brouwer, Paris, 1953.   

 (2) G. De Saint Foix, Wolfgang Amédée Mozart, III. Le grand voyage, Desclée de Brouwer,    1936.

(3) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 997-8.

(4) Olivier Messiaen, Les 22 concertos pour piano de Mozart, Librairie Séguier, 1981, pp. 45-8 et 55-8. 

(5) Michel Rusquet, https://www.musicologie.org/18/rusquet_mozart_concertos_14_16.html

(6) G. De Saint Foix, Wolfgang Amédée Mozart, IV. L’Epanouissement, Desclée de Brouwer, 1939, pp. 26-43.

(7) Lettre de Wolfgang Mozart à son père Léopold.

(8) https://classicalcandor.blogspot.com/2012/12/mozart-piano-concertos-17-and-22-cd.html

(9) Les illustration dans le domaine public proviennent de Wikipedia que nous remercions.



Turdus merula azorensis (Merle des Açores) Ce prodigieux chanteur est l'oiseau le plus apte à avoir inspiré Mozart


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