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lundi 27 octobre 2014

Baudolino




Baudolino a une imagination inépuisable. Il possède le don de parler les langues des pays qu'il traverse et est tellement habile à communiquer ses rêves que ces derniers finissent par prendre de la substance et devenir réalité pour ses contemporains et peut-être pour lui-même. Mythomane ou mystificateur? La question reste posée jusqu'à la dernière page du livre d'Umberto Eco.

Quand le roman débute, nous sommes en 1205, à l'époque de la quatrième croisade, les Vénitiens et les Francs sont entrés dans Constantinople et la ville est en flammes. Baudolino sauve du massacre un notable byzantin Niceta Coniate et lui assure la sécurité. Les deux hommes se prennent d'amitié et Baudolino conte sa vie à Niceta.

Originaire du Piemont, Baudolino, fils de paysan, est adopté par l'empereur Romain Germanique Frédéric Barberousse à l'occasion d'une de ses nombreuses expéditions en Italie. Séduit par la vivacité d'esprit du jeune homme, l'empereur lui assure l'éducation d'un prince et l'envoie étudier à Paris. C'est là que Baudolino avec un groupe d'amis étudiants échafaude un projet grandiose : partir à la recherche du Prêtre Jean, qui selon la légende serait à la tête d'un immense royaume chrétien aux confins de l'Asie et en bordure du Paradis terrestre. Au départ, canular d'étudiant, le projet qui ne repose sur rien de concret, prend de la substance grâce à l'imagination des amis qui minutieusement vont décrire dans ses moindres détails ce royaume. Baudolino emporté par son imagination délirante, va rédiger une lettre d'invitation du Prêtre Jean adressée à l'empereur Barberousse. Cette lettre arrive à point nommé car l'empereur Romain Germanique, voulant assurer son pouvoir politique et spirituel et damer le pion au pape Alexandre III, souhaite s'engager dans une grande entreprise et est séduit par la perspective d'une alliance avec le prêtre Jean. Pendant ce temps Baudolino, revenu au pays, trouve dans l'humble écuelle en bois utilisée par son père pour boire son vin, une ressemblance avec le Graal et persuade ses amis que cet objet sacré, ayant recueilli le sang du Christ en Croix, pourrait être un présent acceptable pour le prêtre Jean. C'est ainsi qu'à l'occasion de la troisième croisade, l'Empereur, accompagné de Baudolino et de ses amis, entreprend une expédition vers l'est. Arrivé aux portes de l'Arménie, l'empereur meurt noyé en se baignant dans une rivière et les compagnons vont poursuivre seuls leur expédition. Après une marche de plusieurs années vers l'est, et la traversée d'un fleuve sans eau, le Sambatyon, qui charrie avec fracas des rochers, Baudolino et sa troupe vont arriver aux portes d'un royaume, antichambre de celui de Jean; mais ce n'est pas du tout le pays de cocagne dont ils avaient rêvé, mais une contrée inhospitalière où survivent péniblement au milieu d'une ville appelée Pndapetzim, des êtres étranges, Sciapodes, courant sur une seule jambe, Blemmyes avec une bouche au milieu du corps, Panozi qui ont des oreilles tombant sur les genoux, pygmées, géants....dirigés par un groupe d'eunuques dont le chef se prétend le représentant de Jean dans cette contrée. Dans une forêt voisine, Baudolino fait connaissance avec Ipazia, une Amazone montant une licorne, et en tombe éperdument amoureux. Au cours d'une relation intime, il fait une découverte étonnante concernant la morphologie de sa bien-aimée. Plus tard il est contraint de quitter sa compagne et l'enfant de lui qu'elle porte pour secourir Pnapetzim assiégée par des envahisseurs, il va regrouper les semi-humains dans une bataille qui s'achève rapidement par une défaite écrasante et un massacre. Apprenant qu'Ipazia a rejoint sa tribu d'Amazones et confié son fils à une troupe de Satyres, il quitte la contrée avec le reste de ses amis sans avoir pu approcher le prêtre Jean et s'engage sur le chemin du retour. Au terme de dix années de voyage, il atteint Constantinople.
Sciapode - Chroniques de Nuremberg

Comme toujours dans les romans d'Eco, la plupart des faits relatés sont historiques, par contre le personnage titre est imaginaire. Au plan historique, le roman traite de deux évènements majeurs : le sac de Constantinople ; les guerres de Frédéric Barberousse contre les cités italiennes en révolte.

En 1204, les croisés (Francs et Vénitiens), prenant avantage des divisions qui secouent l'empire byzantin, s'emparent de Constantinople, capitale des chrétiens d'Orient, incendient la ville et se livrent au pillage. Les églises ne seront pas épargnées et les objets du culte, merveilles d'orfèvrerie, sont systématiquement fondus. Chacun s'empare de ce qu'il peut trouver. Par contre les reliques font l'objet d'une razzia plus organisée, elles seront remises aux dirigeants des croisés qui décideront quelle abbaye ou évêché pourra les accueillir. Les contrevenants, hommes du peuple ou chevaliers, sont pendus haut et court. Alors que les grecs de Byzance avaient réussi à maintenir quasiment intact leur brillant héritage antique gréco-romain pendant un millénaire, ce patrimoine fut détruit ou incendié en quelques jours, les statues antiques en bronze, fondues. Echappèrent au désastre le quadrige antique de chevaux de bronze doré de l'hippodrome qui comme beaucoup de sculptures et colonnes furent enlevées de Constantinople en 1204 pour orner la basilique Saint Marc à Venise. Cet épisode dramatique laissera des traces indélébiles et scellera de manière définitive le schisme entre l'église d'Orient et la Papauté.

Les cités du nord de l'Italie acceptent de plus en plus mal la domination de l'empereur Romain Germanique, elles se rebellent les unes après les autres en formant des alliances (ligues), d'autres cités s'inquiètant de la puissance accrue des ligues, se rangent aux côtés de l'empire. En 1159, Crema, une ville de Lombardie, s'allie avec Milan contre Crémone, restée fidèle à l'empereur. Au terme d'un assaut d'une grande brutalité, Crema est rasée par les troupes de Frédéric Barberousse et la population (hommes, femmes, enfants) massacrée. Ce type de situation se reproduit plusieurs fois dans d'autres cités et en particulier à Milan. Au Piémont plusieurs habitants chassés de leurs villes ou villages dont le père de Baudolino décident de s'associer pour fonder une cité nouvelle, sans l'accord de Frédéric. La cité, construite de bric et de broc mais dotée de belles murailles, est bientôt assiégée par Frédéric. C'est cet épisode tragi-comique qui est conté par Baudolino. La cité neuve survivra à ce siège et sera baptisée Alessandria en hommage au pape Alexandre III.

La troisième partie du récit de Baudolino vire progressivement vers le fantastique. S'agit-il d'une nouvelle mystification de Baudolino, ou le produit de son imagination inépuisable ? Il est clair que les peuples (sciapodes, blemmyes,....) que Baudolino décrit dans ses voyages sont présents dans l'imaginaire collectif du moyen-âge et on les voit sur les tympans des portails des abbayes romanes de Vezelay, Autun, Conques, édifices à peu près contemporains de l'époque de Baudolino..., en tant que symboles de l'universalité du message chrétien adressé aux confins de la terre. Toutefois la parole de Dieu arrive plus ou moins déformée dans ces contrées lointaines puisque les croyances de chaque peuples représentent autant d'hérésies par rapport à l'orthodoxie catholique romaine. Chaque peuple prétend détenir la vrai foi et ne se mélange en aucun cas avec les autres qualifiés d'hérétiques infréquentables.

On retrouve donc dans Baudolino les ingrédients qui font la force des romans d'Eco : Religion (orthodoxie, hérésie, culte des reliques) ; Politique  (unité italienne, théorie du complot, sociétés secrètes) ; Représentation de l'univers ; Histoire du Piémont (région d'origine d'Eco). Il y a de plus une légereté de ton qui rend ce livre particulièrement attachant et qui tranche avec ses autres romans.
La lecture de ce livre en italien est évidemment délectable chez un auteur qui manie les mots avec virtuosité. Je n'ai pas lu la version française mais on peut faire confiance à la traduction de Jean Noël Schifano.

Umberto Eco, Baudolino, Grasset 2002.



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