Le programme de ce premier volume du projet Haydn 2032, une intégrale des 107 symphonies de Joseph Haydn (1732-1809), est très séduisant avec deux magnifiques symphonies Sturm und Drang, les n° 39 et 49 (La Passione). Le choix de la symphonie n° 1 s’imposait évidemment pour ouvrir ce projet ambitieux. Ce programme est complété par Don Juan ou le Festin de Pierre, ballet pantomime de Christoph Willibald Gluck (1714-1787), une oeuvre composée en 1761, contemporaine des trois symphonies. Giovanni Antonini est à la tête d’Il giardino armonico, un orchestre composé de virtuoses jouant sur instruments d’époque..
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Roger de la Fresnaye (1885-1925), Homme assis (1914), Rouen, musée des Beaux-Arts |
Symphonie n° 1 en ré majeur, Hob I.1
Datée de 1757, la symphonie n° 1 serait la première composée par Joseph Haydn bien que d'autres symphonies parmi la vingtaine écrites avant 1761, date d'installation de Haydn à Eisenstadt au service du Prince Eszterhazy, puissent revendiquer ce privilège. Comme beaucoup de symphonies de cette époque, elle est en trois mouvements à la manière d'une ouverture d'opéra italien (1). Toutefois la dimension opératique me semble absente du contenu de l'oeuvre, plus autrichienne qu'italienne. En tout état de cause, cette symphonie constitue un magnifique portique pour entrer dans l'univers du compositeur.
L'impressionnant crescendo qui ouvre le premier mouvement Presto 4/4 de l'oeuvre et aboutit à un fortissimo de tout l'orchestre, est peut-être unique dans toutes ses symphonies. Après un premier thème aussi brillant et extraverti, le second thème dans le mode mineur, comme c'est souvent le cas dans ces symphonies pre-Eisenstadt, est au contraire très discret. A la fin du développement les cors interviennent fortissimo et marquent le point culminant du morceau.
L'andante en sol inaugure une série de mouvements, nombreux dans les symphonies de "jeunesse", basés sur un rythme de marche lente. Ce remarquable mouvement est basé sur un thème unique débutant par l'accord parfait de sol majeur. Ce motif sera répété constamment pendant tout le morceau dans des tonalités et des arrangements instrumentaux différents. Les cors et les hautbois fort actifs dans le premier mouvements se taisent ici et ce paisible mouvement acquiert une intimité qui le rapproche de la musique de chambre. Si le premier violons jouent le plus souvent la mélodie, on note de belles imitations à l’italienne entre premiers et seconds violons.
Le presto final 3/8 est remarquable par les appogiatures narquoises de son thème principal qui apportent une pointe d'humour typiquement "haydnienne" ainsi que les oppositions entre quatuor à cordes et tutti.
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La conquête de l'air (1913) New York, Museum of Modern Art |
Symphonie n° 39 en sol mineur, Tempesta di mare, Hob I.39.
La symphonie n° 39 en sol mineur date probablement de l'année 1767. Deuxième symphonie écrite dans un ton mineur après la symphonie en ré mineur n° 34 de l'année précédente, c'est la première symphonie typiquement "Sturm und Drang" de Joseph Haydn. Les caractéristiques des oeuvres correspondant à ce mouvement artistiques ont été développés ailleurs (2) et peuvent être résumés comme suit: fréquence du mode mineur, coupe en quatre mouvements, poids du finale équivalent à celui du premier mouvement, grands gestes dramatiques, grands intervalles, rythmes féroces, instrumentation réduite au strict minimum, etc. La symphonie n° 39 en sol mineur possède toutes ces caractéristiques au plus haut degré. Elle est écrite pour le quintette à cordes, deux hautbois, deux cors alto en si bémol et deux cors en sol. On dit souvent qu'elle aurait inspiré la symphonie n° 25 en sol mineur KV 183 de Wolfgang Mozart de 1773 et une symphonie en sol mineur de Johann Baptist Vanhal de 1771 (3) qui ont la même instrumentation avec deux hautbois et quatre cors.
Le premier mouvement, Allegro assai, 4/4 est construit sur un seul thème. Ce dernier presqu'entièrement en croches possède une énergie interne impressionnante. Ce thème m’évoque, bien plus que le début de la symphonie n° 25 en sol mineur de Wolfgang Mozart que l'on cite fréquemment à son propos, celui du quintette en sol mineur KV 516 du même compositeur. Les deux oeuvres débutent toutes les deux par un thème en croches accompagné par des batteries de croches. Il semble cependant douteux qu'en 1787, Mozart ait eu dans l'oreille une symphonie composée vingt années auparavant. Les deux parties du thème sont séparés par quatre temps de silence ce qui augmente encore le côté dramatique de ce début. A la place d'un second thème c'est une variante du premier thème qui revient en si bémol majeur: le début d'abord identique au thème initial est suivi d'une énergique gamme descendante de doubles croches, un troisième énoncé du thème en si bémol majeur est suivi d'un canon très serré entre les violons, les altos et les basses. Les termes exposition, développement et ré-exposition ne signifient pas grand chose dans un mouvement où l'élaboration thématique est permanente et le développement perpétuel. La ré-exposition est génialement refondue et amène la tension à son comble. Ce mouvement est à la fois un des plus rigoureusement construit et un des plus intenses de tout Haydn.
L'andante en mi bémol 3/8 est écrit pour les cordes seules comme dans maintes symphonies pré-Esterhazy. Cet andante est très léger et contraste vivement avec les mouvements environnants. C'est toutefois un morceau très agréable qui apporte une bienfaisante détente après la tension du premier mouvement.
Menuetto. Premier menuet dans le mode mineur dans une symphonie de Haydn, on y retrouve le climat dramatique du premier mouvement mais ici le ton est plus stable et posé.
Les finales au rythme 3/8 qui terminaient joyeusement les symphonies pré-Eisenstadt sont du domaine du passé. Le finale Allegro di molto 4/4 qui termine la symphonie n° 39 a un poids et une signification musicale égale à celle du premier mouvement. Le caractère Sturm und Drang est particulièrement accusé dans ce finale qui débute par un puissant accord des quatre cors suivi par un arpège descendant de sol mineur et de grands intervalles des violons. On note également les vigoureux accords sabrés par tout l'orchestre dans le développement et lors de la réexposition (4). Tout ce finale a un côté quasi frénétique et se termine comme il avait commencé par un violent accord de sol mineur. La plupart des oeuvres commencées dans le mode mineur entre 1767 et 1773 se terminent en mineur. Par la suite, beaucoup d'oeuvres commencées en mineur se termineront dans le mode majeur à quelques exceptions près hautement significatives: Orfeo ed Euridice (1791), sonate en si mineur Hob XVI.32 (1776) et variations en fa mineur Hob XVII.6 (1793).
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Artillerie (1911), New York Museum of Modern Art |
Symphonie n° 49 en fa mineur, La Passione, Hob I.49
La symphonie n° 49, La Passione, composée par Joseph Haydn en 1768, possède toutes les caractéristiques de la symphonie d'église définies par Marc Vignal (5) et que nous résumons encore ici:
-quatre mouvements dans la même tonalité; -le premier mouvement est un adagio solennel ; le second, généralement un allegro d'une grande énergie ; -sans être strictement religieux, le contenu est plus grave que dans une symphonie ordinaire. En outre, la tonalité chère à Haydn de fa mineur, donne à cette symphonie une couleur particulièrement sombre.
Dernière symphonie d'église composée par Haydn après les n° 5 en la majeur, n° 11 en mi bémol majeur, n° 15 en ut majeur, n° 18 en sol majeur, n° 21 en la majeur, n° 22 en mi bémol majeur Le Philosophe, la n° 49 en fa mineur La Passione est indiscutablement la plus typique, la plus développée et la plus puissante de toutes, elle compte parmi les grands chefs-d'oeuvre symphoniques de Haydn. L'instrumentation avec le quintette à cordes, deux hautbois et deux cors est particulièrement réduite comme c'est le cas de toutes les symphonies de la période que nous étudions. Le nom La Passione ne provient pas de Haydn, il fut donné en 1790 à l'occasion d'une exécution de l'oeuvre pendant la Semaine Sainte à Schwerin. D'autres sources semblent indiquer que cette symphonie aurait pu être une musique de scène et donc n'aurait pas une destination religieuse (6).
L'adagio ¾ qui ouvre l'oeuvre est un des mouvements les plus tragiques de tout Haydn. C'est même un climat d'accablement qui règne ici. Le thème très lent est accompagné par un fa tenu par les cors qui donne une couleur sonore particulièrement sombre. La musique module en la bémol majeur à la fin de l'exposition. Après les barres de reprises le thème initial reparait en la bémol majeur puis après une courte transition c'est la rentrée du thème en fa mineur avec des tenues des cors encore plus expressives. Lors dela ré-exposition, le discours musical est transposé en fa mineur et aboutit à une conclusion sans espoir.
Le deuxième mouvement, allegro di molto 4/4, offre un vif contraste avec l'adagio, il apparaît comme un exutoire à la tension accumulée pendant l'adagio. Le thème initial d'une grande violence est remarquable par ses intervalles descendants (des onzièmes) aux violons. Un second thème piano en la bémol n'apporte aucune détente et participe au climat presque désespéré de ce mouvement. Le développement très long s'ouvre avec le premier thème et ses intervalles furieux puis le second thème donne lieu à des canons très serrés "alla Bartok". La ré-exposition est encore plus déchainée que l'exposition avec des intervalles encore plus vertigineux et le climat devient frénétique. Tout ce mouvement est archétypique du style "Sturm und Drang".
Le ton pathétique de fa mineur persiste dans le menuetto ¾ mais le mouvement est plus retenu et plus calme que dans l'allegro di molto précédent. Seul instant à peu près serein de la symphonie le trio fait dialoguer les hautbois et les cors de façon très séduisante.
Le climat frénétique se retrouve dans le Presto final alla breve 2/2. C'est une véritable tempête qui balaye tout sur son passage. Il n'y a pas la place pour un développement important dans un mouvement aussi déchainé. Nous y retrouvons les larges intervalles cette fois ascendants et les grands gestes dramatiques qui nous avaient frappés dans l'allegro di molto. L'oeuvre s'achève par deux accords de fa mineur vigoureusement sabrés par tout l’orchestre.
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Paysage avec un village (1911) Indianapolis, musée d'art d'Indianapolis |
Il giardino armonico sous la direction de Giovanni Antonini fait preuve d’une grande rigueur dans l’exécution de ces oeuvres. Parfois même (symphonie La Passione), l’interprétation me parait un peu sage et n’a pas, par exemple, le grain de folie ou la violence de celle d’Adam Fischer. On peut imaginer que dans ce premier volume, le chef italien n’avait pas encore totalement pris ses marques. Cela dit, cette interprétation est d’une perfection technique sans faille et un régal pour l’oreille et pour l’intellect.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 822-7.
(2) Ibid, pp 981-3.
(3) H.C. Robbins Landon. Quelques précurseurs inconnus de la symphonie en sol mineur KV 183 de Mozart, Influences étrangères dans l'oeuvre de Mozart, Colloque International du CNRS, Paris 10-13 octobre 1956.
(5) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp.986-7.
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Symphonie_no_49_de_Joseph_Haydn