Manhattan Bridge Loop Edward Hopper 1928 The Addison Gallery of American Art |
Isidore Haiblum est un auteur de
Science Fiction américain, né à New York en 1935 et décédé à
New York en 2012. Sa production littéraire est modeste mais de
grande qualité. Parmi les romans traduits en français, Le Retour,
Le Spectre du Passé, Mondes Frontières, Destination Cauchemar et
Wilk sont typiques du style de cet auteur influencé par celui du
roman noir. Comme souvent dans ce genre littéraire, l'action se
déroule à toutes vitesse (...une rame de métro détournée par
des martiens a dit Norman Spinrad à propos du Retour). A cela il faut ajouter une
remarquable imagination et un humour sarcastique qui me font penser
à la musique de Dmitri Chostakovitch. Ajoutons que l'enracinement
d'Isidore Haiblum dans la culture yiddish lui a permis d'écrire un
premier livre : le Tsaddik aux sept merveilles, livre qui
a obtenu un certain succès aux Etats Unis mais qui ne m'a pas
convaincu.
Le Spectre du Passé (Transfer
to Yesterday), écrit en 1970, est par contre un des romans les plus
aboutis de son auteur, il conte deux histoires au départ
indépendantes qui se rejoignent à la fin.
La première se situe dans le passé,
entre 1930 et 1940. Le héros, Eddy Fleisher, gangster ou détective,
on ne sait pas trop, échafaude une action de représailles envers un
collègue peu scupuleux afin de récupérer un beau magot. L'action
se déroule de façon classique à la manière d'un roman noir.
Toutefois, les intentions de Fleisher apparaissent plus complexes, il
semble également vouloir mener une enquête qui le mène
progressivement vers le cerveau d'une bande rivale. On voit se
dessiner les ombres de Hitler et Staline et se dérouler des évènements tragiques qui conduisent le monde à une dictature
germano-russe.
La seconde se situe dans le présent.
Une guerre civile règne en Amérique. La notion d'état à disparu
et des structures de petite taille (la Ligue Dorée, la Fédération
Bleue, L'Alliance Verte, la Corporation Argentée, la Coalition
Brune....) forment des factions rivales, avec à leur tête un chef.
Un dictateur contrôle tout le système et une partie de son pouvoir
réside dans le culte de l'inceste dont la pratique est encouragée.
Ainsi sur les ruines de New York, se sont érigées des cités
contigües, appelées tours, chacune protégée par une milice
puissamment armée. Les combats sont quotidiens, les milices
s'affrontent et les citoyens affamés se révoltent contre les
milices. On se bat partout à l'arme lourde, dans les cités, à
l'intérieur des bâtiments, dans les souterrains qui prolifèrent
sous les tours. La guerilla urbaine est sanglante, les destructions
énormes et les cadavres jonchent le sol. En dehors des cités,
survivent les exclus du système : rançonneurs, esclavagistes,
et au bout de la chaine, les bousards qui n'ont presque plus rien
d'humain.
James Norton est professeur d'histoire
de la Ligue. Déclaré hérétique, il est exclu de la Ligue Dorée
mais tente d'y retourner afin de poursuivre ses recherches et
d'expliquer comment on en est arrivé là. Ses travaux clandestins
l'amènent à penser que le mal trouve sa
source dans le passé et que le culte de l'inceste y est pour
quelque chose ce qui l'amène à établir un contact avec Eddy
Fleisher.
Agir sur le passé pour modifier le
présent et surtout améliorer l'avenir, telle est le défi tenté
par Norton et Fleisher...
En tous cas Haiblum réussit à
passionner son lecteur. Le paradoxe temporel pose des problèmes à
tout esprit cartésien mais ici ça passe très bien..
Nighthawks Edward Hopper 1942 The Art Institute of Chicago |
Dans Destination Cauchemar
(Nightmare Express), le voyage dans le temps et les univers
parallèles forment ici la base du récit. On retrouve dans cet
ouvrage, le climat de violence du Spectre du Passé. Mark Craig n'arrive pas à se fixer à une époque
et un lieu donné. Sa quête l'amène invariablement vers un lieu
fixe, antichambre terrifiante d'un voyage temporel. Il navigue entre
Old York, dans une Amérique fascinante, figée à une époque
indéterminée, dans laquelle règne la corruption et où il affiche
la profession peu reluisante d'intermédiaire dans la distribution de
pots de vins (1), et York, une mégalopole du futur dans laquelle,
amnésique, il est confiné dans l'Hopital d'Etat et où il s'avère
être une non personne. Au terme d'épreuves constamment
angoissantes, il atterrit à New York en pleine prohibition où il travaille dans la
logistique au service de Lou Fox, un associé d'Al Capone.
Une autre histoire se situe en 1935 et
tourne autour d'un scientifique, le docteur Ingram dont les
recherches visent à combattre une invasion d'extra terrestres et
l'irruption d'un trou noir. Il disparaît le 15 mai 1935 dans
l'explosion de son laboratoire.
A tout cela s'ajoutent : un troisième personnage, Alexis Rike,
naviguant également dans l'espace-temps, successivement victime de
l'inquisition au quatorzième siècle, espion communiste au temps de
la guerre froide, et finalement, le Golem, figure en argile de la
mythologie juive, matérialisé à partir du cimetière de Prague
sous la forme d'un robot.
C'est alors que la fête, qui ressemble
de plus en plus à une danse macabre, devient complète.
Le lieu commun de ces univers parallèlles c'est un monorail fou, venant, on ne sait d'où et dont
la destination est Cauchemar (1).
Avec Wilk (The Wilk are among
Us), le style de Haiblum évolue et donne lieu à un livre plus
léger, un space-opera imaginatif avec extra-terrestres très variés
et en prime un humour ravageur. Trois histoires se déroulent en
parallèle :
-l'histoire principale concerne les
tribulations d'un extra-terrestre Leonard dont la forme native est
celle d'une pieuvre munie de huit tentacules débarquée sur Terre qui
prend la forme de l'espèce dominante ce qui entraine un conflit
violent entre son esprit d'ET et sa forme humaine ainsi que la naissance d'une religion nouvelle;
-la seconde intervient quand Leonard
s'assoupit, il se voit en rêve dans la peau d'un soldat revenu du
Vietnam sans un sou en poche, chargé de porter à domicile pour une
poignée de dollars, une lettre à un mystérieux destinataire, tâche
qui le conduit dans des situations de plus en plus ténébreuses ;
-quand Leonard utilise son
transmetteur, un appareil qui lui permet de passer d'un monde à un
autre, il effectue une plongée onirique dans un monde improbable,
espace clos organique où d'étranges créatures s'activent sans
aucun repos sur de mystérieuses machines dont le sens leur échappe
totalement.
L'ET réalise bientôt que d'autres
concurrents galactiques sont à l'oeuvre sur Terre sous des formes
variées. Certains parmi eux, les Wilks, ne peuvent être distingués
des hommes par leur aspect physique nonobstant leur agressivité
frénétique. Les situations hilarantes et cauchemardesques sont
légion et l'action est constamment passionnante et intriguante. Bien
que l'auteur s'emploie activement à brouiller les pistes, un fil
tenu relie les trois histoires et ce fil d'Ariane permettra de
résoudre les nombreuses enigmes (2).
Les livres d'Isidore Haiblum sont
écrits dans un style percutant, ils foisonnent d'idées originales
et sont toujours passionnants. Parfois l'auteur se perd en chemin
(Mondes Frontières) mais malgré cette réserve, on passe toujours
un excellent moment. Certes sa vision de l'avenir n'est guère
réjouissante car le futur qu'il dépeint est généralement pire que
le présent qui n'est pas toujours rose, c'est le moins qu'on puisse
dire. Quant-au passé, n'en parlons pas ! En tout état de
cause, l'auteur éprouve visiblement une certaine tendresse vis à
vis des années 1930 et de la ville de New York (1).
Bibliographie. On peut trouver les
romans d'isidore Haiblum traduits en français dans les collections
Galaxie-bis et Club du livre d'anticipation (CLA). Ces collections
sont épuisées depuis longtemps mais on peut les trouver assez
aisément chez Amazon à prix très doux compte tenu de la valeur
initiale de la collection CLA ou bien chez les bouquinistes.
- Dans beaucoup de romans d'Isidore Haiblum, les allusions ou clins d'oeil aux vedettes des années 1930 et 1940 sont nombreux et nécessitent une bonne connaissance de la culture cinématographique et musicale des Etats Unis. L'étrange cité d'Old York possède des aspects typiques de 1930, et d'autres antérieurs au vingtième siècle puisque des voitures à cheval y remplacent les tramways et les trains.
- http://www.charge-shot.com/2011/07/yellowed-pages-wilk-are-among-us-by.html