Motezuma,
musique de Josef
Myslivecek,
livret de Vittorio Amedeo Cigna-Santi, a été créé au théâtre de
la Pergola de Florence le 23 janvier 1771. Le sujet de l’opéra, la
conquête du Mexique au début du seizième siècle et la victoire de
Fernando Cortés sur le roi Motezuma a fasciné des générations de
romanciers, dramaturges et musiciens. C’est ainsi que Antonio
Vivaldi (1733) à partir d'un livret d'Alvise Giusti, Carl Heinrich
Graun (1755), avec la collaboration de Frédéric II de Prusse pour
le livret, ont traité le sujet sous forme d'opéra seria. Plus tard,
Giovanni Paisiello (1772), Antonio Sacchini (1775), Giacomo
Insanguine (1780), Gian Francesco De Majo (1765), Niccolo Antonio
Zingarelli (1781), travaillant sur un livret de Vittorio Amadeo
Cigna-Santi, ont composé de remarquables opéras sur le même thème.
Giuseppe Haydn reprit l'oeuvre de Zingarelli, lui ajouta des morceaux
des compositeurs précités ainsi que de son propre cru et dirigea
avec succès (six représentations) le pasticcio ainsi obtenu à
Eszterhàza en 1785 (1). Au Siècle des Lumières, Motezuma
représente le souverain pacifique, tolérant et clément face aux
entreprises impitoyables de l’envahisseur ibère qui impose sa
civilisation par le fer et le feu. C'est cette interprétation qui
est également retenue par les librettistes et compositeurs
protestants du nord de l'Europe (2). La version du librettiste
Cigna-Santi et de nombreux compositeurs italiens ou résidant en
Italie est différente et tend à justifier l’action de Cortés ce
qui se comprend dans une péninsule où le Pape d’une part et les
Habsbourg d’autre part sont les maîtres du jeu.
Josef
Myslivecek (1737-1781) est un compositeur majeur du classicisme
européen (3). On lira avec intérêt un important dossier rédigé à
propos de la représentation d'un de ses meilleurs opéras :
l'Olimpiade (4).
Moctezuma II Codex Mendoza Folio 15v |
Synopsis.
Alors que les Aztèques procèdent à un sacrifice humain, les
troupes de Fernando Cortés, usant d’armes à feu, terrorisent la
population et investissent la place en brûlant effigies et Codex.
Motezuma, dernier empereur Aztèque, et sa fiancée Quacozinga,
tentent de maintenir leur pouvoir et leurs traditions, tout en
pactisant avec les Espagnols. Lisinga, une indienne d’une tribu
étrangère, esclave de Motezuma, est courtisée par Teutile, général
de l’armée espagnole et par Pilpatoe, soldat de l'armée de
Motezuma. Elle est délivrée par Fernando Cortés et baptisée.
Cortès cherche à convertir également Motezuma mais lors d’un
échange d’emblèmes, la croix chrétienne et une effigie aztèque,
entre Motezuma et Cortés, Motezuma jette à terre la croix. Cortés
harcèle Quacozinga qui résiste vaillamment et menace le
conquistador de sa dague, ce dernier refoule alors son désir pour la belle
indienne. Les attaques espagnoles se multiplient, de plus, l'empire aztèque est miné de l'intérieur, la revolte
couve et Motezuma est finalement assassiné par des indiens
rebelles.. Cortés proclame son triomphe tandis que Quacozinga qui a
tout perdu, amour et pouvoir, crie sa consternation.
Le
style.
Avec un livret si riche en péripéties, il est plus facile de
composer de la belle musique. Motezuma est contemporain du Mitridate
de Wolfgang Mozart (livret de Cigna-Santi également), créé un mois
avant, et apparaît plus traditionnel et conservateur que l’œuvre
du salzbourgeois. En effet, Motezuma consiste en une suite de récitatifs
secs et d’arias. Les ensembles sont exceptionnellement réduits
avec un modeste duetto à la fin de l’acte II et un minuscule tutti
en conclusion de l’œuvre. Les airs sont généralement de forme
semi da capo AA1BA’. Quelques airs sont plus simples en deux
couplets et le duetto est à deux vitesses, andante puis allegro.
Cette structure sans ensembles entraine inévitablement une certaine
monotonie mais Myslivecek soutient l’intérêt de l’auditeur
grâce à une caractérisation
poussée des personnages.
Au centre de l’intrigue se trouvent Motezuma et sa fiancée
Quacozinga. Motezuma incarne bien un personnage idéaliste qui
voudrait la paix tout en sauvegardant l’identité de son peuple.
Son attachement à des rites sanglants, son indécision dans des
moments cruciaux lui sera fatale. Quacozinga est un magnifique
personnage féminin qui domine le plateau avec quatre airs et un
duetto, elle ne croit plus en l’avenir de son peuple mais cherche
courageusement à sauvegarder ce qui peut l’être encore. Cortés
est à la fois le diplomate avisé mais aussi le soldat prêt à tout
pour assurer le succès de son entreprise. La conquête du Mexique apparaît comme
un mal nécessaire: qu'importe les moyens pourvu que la fin
(conversion des paiens, abolition des sacrifices humains) soit
noble.
Guerrier Jaguar Codex Magliabechiano |
Les
sommets.
Acte
I
Aria
de Motezuma Cara
fiamma del mio sene.
Air très doux. Motezuma proclame son amour pour son épouse
Quacozinga.
Aria
de Quacozinga. Nel
mar di tanti affani.
Aria
di paragone. Cet air avec da capo plein de feu exprime une métaphore classique de l'opéra seria : le navire en
perdition sur une mer démontée, Quacozinga exprime son angoisse de
l’avenir.
Acte
II
Aria
de Cortés. A
mio Danno in vano. Cet Aria avec da
capo, écrit dans un registre assez tendu, est en phase avec la violence du personnage.
Rien ne peut résister à Cortés, ni les tempêtes, ni les armées
les plus puissantes car la Fortune est avec lui.
Aria de Lisinga. Mi
scordo lo scempio...,
(Je me souviens d'un massacre...). C’est une ariette sur
un tempo di minuetto dont la musique gracieuse ne concorde pas avec les
paroles très violentes.
Aria de Quacozinga. Frena
l’insano orgoglio.
Le
sommet de l’opéra.
Dans un magnifique aria
di furore,
Quacozinga menace Cortés avec un poignard ce qui de toute évidence
tempère les ardeurs du conquistador pour la belle indienne.
Duetto
Motezuma Quacozinga.
Ah ! Se mi sei fedele.
Il termine l’acte II dans une situation très dramatique puisque
Motezuma est ligoté par les Espagnols qui combattent avec succès
les guerriers Aztèques. Motezuma et Quacozinga manifestent leurs
angoisses.
Acte
III
Aria de Lisinga. M’ingombra
d’orrore.
Seul air dans le mode mineur de la partition. Les Intervalles vocaux
périlleux sont typiques du style « Sturm und Drang » pratiqué en
cette année 1770 par de nombreux compositeurs dont Haydn et Vanhal..
Aria
de Cortés.
Basta
il mio brando solo.
Aria
di furore.
Cortés va faire parler la poudre. Dans cet air il déclare vouloir
obtenir, par les armes et pour la gloire de son roi, un résultat et
non une vengeance.
Il
est intéressant de comparer cette œuvre ainsi que le remarquable
Motezuma de Francesco De Majo avec le Mitridate
contemporain de Mozart. Myslivecek et De Majo me semblent plus à
l'aise dans l'opéra seria que le jeune salzbourgeois (quatorze ans
en 1770). Les œuvres du tchèque et du napolitain m'apparaissent
plus riches en mélodies, plus chantantes. Les vocalises et ornements
de leurs airs me semblent plus naturels et couler plus de source que ceux du salzbourgeois.
Le
seul enregistrement existant à ma connaissance de Motezuma est celui
effectué en 2011 dans le cadre du festival Znoijmo en République Tchèque et dont voici la
distribution.
Motezuma:
Jakub Burzynski
Cortez:
Jaroslav Březina
Teutile:
Tomáš Kořínek
Pilpatoe:
Marian Krejčík
Quacozinga:
Marie Fajtová
Lisinga:
Michaela Šrůmová
Directeur
musical: Roman Válek
Régie:
Michael Tarant
Mise
en scène: Jaroslav Milfajt
Costumes:
Klára Vágnerová
Chorégraphie:
Pavel Mašek
Světla:
Arnošt Janěk
Pyrotechnique:
David Kubík
Orchestre:
The Czech Ensemble Baroque
Ce
spectacle est digne d'éloges en tous points. Il n'a pas fait
l'objet d'un CD commercialisé mais peut-être visionné dans
d'excellentes conditions et sans états d'âme sur You Tube (5).
Mise
en scène. Elle prend quelques libertés avec le livret mais est
fidèle à la représentation que les gravures et les textes du début
du 16 ème siècle nous laissent de la conquête du Mexique par les
Espagnols. Dans cette mise en scène, Motezuma, en proie à des
drogues, croyant peut-être que Cortés était le dieu Quetzacoatl,
abandonne pour lui et sa fiancée Quacozinga, toute prétention au
pouvoir. Alors que Motezuma demande au conquistador un compromis, ce
dernier le poignarde dans le dos.
Les acteurs et les chanteurs sont assistés par deux danseurs et cinq danseuses, acteurs d'une superbe chorégraphie. Habillés selon la mode aztèque et munis de lances, ils miment sans relâche des scènes de combat. Tels des jaguars, ils rampent sur la scène, escaladent et dévalent les gradins des temples dans un étrange ballet. La scène est continuellement envahie de fumées provenant peut-être de rituels aztèques et responsables des transes de Motezuma. Cette mise en scène est inventive et donne à l'histoire racontée une grande crédibilité. Les costumes sont magnifiques en particulier ceux de Motezuma, Quacozinga et des danseurs et danseuses. L'emploi de la pyrotechnie donne aux scènes où les conquistadors espagnols manifestent leur supériorité militaire écrasante sur les indiens armés de lances en silex ou obsidienne, un grand réalisme et montre avec peu de moyens l'affrontement de deux mondes inégaux (6)..
Interprétation.
Elle est de grande qualité. Jakub Burzinsky (Contre ténor) a un
timbre de voix assez particulier, très prenant, qui ne laisse pas
indifférent. Sa voix bénéficie d'une excellente projection.Il joue
à merveille le rôle du souverain décadent qu'est Motezuma. Marie
Fajtova (soprano), manifeste un engagement exceptionnel dans le rôle
de la reine Quacozinga et possède une belle voix agile, elle
vocalise à merveille. C'est pour moi la révélation du spectacle.
Jarozlav Brezina (Ténor), très engagé également, donne à Cortés
une allure de brute épaisse tout à fait crédible. Michaela Srumova
(soprano) a une jolie voix qui rend justice au personnage de Lisinga,
elle bénéficie d'un magnifique air au troisième acte. Tomas
Korinek (ténor) et Marian Kejcik (baryton) incarnent avec talent
respectivement Teutile et Pïlpatoe, soldats des armées espagnoles
et aztèques respectivement.
(2) Jean
Paul Duviols, Le Miroir du Nouveau Monde. Images Primitives
d'Amérique. PU Paris Sorbonne, 2006, p 315 et sequentes.
(3) https://en.wikipedia.org/wiki/Josef_Mysliveček
(4) http://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=12656
(5) https://www.youtube.com/watch?v=ivaB5xe_jUw
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Aztèques
(4) http://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=12656
(5) https://www.youtube.com/watch?v=ivaB5xe_jUw
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Aztèques
Les illustrations proviennent de l'article Aztèques publié par Wikipedia (6).