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mercredi 14 août 2024

Haydn 2032 - volume 3 - Solo e pensoso - Giovanni Antonini



Parmi les titres de ce volume, Solo e pensoso est un air avec accompagnement d'orchestre de Joseph Haydn (1732-1809) écrit en 1798 au soir de sa vie. L’opéra L’isola disabitata (l’île déserte)  a un titre explicite. Le poignant largo de la symphonie n° 64 en la majeur, Tempora mutantur, décrit un cheminement dans une contrée désertique et un air raréfié. Toutes ces musiques nous montrent que Joseph Haydn ne fut pas toujours le joyeux papa Haydn de la légende mais souvent un homme seul, sujet à des accès de mélancolie.

Symphonie n° 42 en ré majeur, Hob I.42

La symphonie n° 42 en ré majeur a été composée en 1771, date inscrite sur le manuscrit par Joseph Haydn. Cette symphonie est donc contemporaine de la symphonie n° 44 en mi mineur Funèbre. De la symphonie funèbre elle a les proportions épanouies et une grande inventivité mais son caractère optimiste et même joyeux est bien différent de celui pessimiste et parfois accablé de la symphonie n° 44. L'instrumentation, plus étoffée que naguère, comporte le quintette à cordes, le continuo, deux hautbois, deux bassons et deux cors. Les bassons ne se contentent pas de doubler la basse, ils ont un rôle de solistes dans certains passages (1).


L'indication de mouvement Moderato et maestoso 4/4 suggère d'emblée un rôle exceptionnel dévolu au premier mouvement. En effet ce dernier a de vastes dimensions si on le compare aux symphonies précédentes (n° 58 Le Feu par exemple), il comporte trois thèmes. Le premier nous transporte dans le monde de l'opéra bouffe, il se compose d'un accord forte de tout l'orchestre suivi d'amusants rythmes lombards. Le deuxième thème exposé piano est remarquable par son instabilité tonale et également par sa longueur. Quelques mesures de transition nous amènent au troisième thème franchement détendu qui clôt l'exposition. Le très beau développement est principalement construit sur le premier thème et en particulier sur les rythmes lombards qui donnent lieu à des modulations raffinées et parfois audacieuses. On remarque également, dans ce développement, la richesse et la profusion des nuances indiquant la dynamique sonore, passant souvent du pianissimo au fortissimo. La ré-exposition est fortement modifiée par rapport à l'exposition, en particulier le second thème donne naissance à une extension très expressive.


Dans le deuxième mouvement Andantino e cantabile 3/8 en la majeur, on remarque la précision de l'indication de mouvement. La plus grande partie est écrite pour les cordes seules avec sourdines donnant ainsi une sonorité rêveuse et voilée. Le thème est très doux et me semble avoir un caractère vocal, impression renforcée par les ornements qui habillent un second exposé du thème. A la fin du développement règne un air raréfié typique de plusieurs mouvements lents de la période Sturm und Drang. Lors de la réexposition, la deuxième exposé du thème principal est chaleureusement harmonisée par les hautbois et les cors dont l'intervention est d'autant plus remarquée qu'ils étaient pratiquement muets dans ce qui précédait. La suite ne présente que peu de changements par rapport au début. L’interprétation de l'orchestre Il Giardino Armonico et de son chef Giovanni Antonini est optimale dans ce mouvement avec des contrastes tout à fait remarquables.


Le menuet Allegretto est un élégant menuet de cour au caractère typiquement autrichien, il me semble. Le trio est écrit pour quatuor à cordes.


Le finale Scherzando e Presto 2/4 est un mouvement très original et inventif. Haydn expérimente une forme nouvelle dans une symphonie, sorte de compromis entre le thème varié et le rondo, structure qui aura une longue et glorieuse postérité dans ses oeuvres futures. Le thème assez bref, exposé par les cordes seules, est encadré par de doubles barres de mesures. La première variation (qui peut être vue comme un premier couplet de rondo) est jouée par les hautbois, cors et bassons solistes et produit un effet de surprise après le thème aux cordes. La deuxième variation pour les cordes aux doubles croches véloces et nerveuses, produit un grand effet et on pense à la première des célèbres variations sur un thème de Haydn de Johannes Brahms. Il Giardino Armonico donne à cette variation un dynamisme extraordinaire. L’épisode suivant en ré mineur ressemble beaucoup plus à un couplet de rondo, bien que l'on puisse aussi imaginer une troisième variation. En tout état de cause ce couplet est remarquablement étendu, oscille entre rires et larmes et évoque nettement l'opéra bouffe. Les vents se joignent aux cordes dans la quatrième variation d'une magnifique sonorité qui reprend presque sans changements le thème initial. C'est par une brillante coda dans laquelle on entend des échos du couplet central que ce termine cette symphonie qui témoigne de façon éloquente de l'évolution prodigieuse du musicien au cours  de la période allant de 1766 à 1773. 


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Symphonie n° 4 en ré majeur, Hob I.4

La symphonies n° 4 en ré majeur partage avec la n° 10 dans la même tonalité un certain nombre de traits communs. Toutes deux sont antérieures à 1761, date de l'entrée de Joseph Haydn au service de Nicolas I Esterhazy. Certains traits archaïques font classer ces deux oeuvre parmi les premières symphonies de Haydn et leur date de composition possible se situe entre 1757 et 1761. Elles sont toutes deux en trois mouvements vif, lent et vif et adoptent donc le plan de la sinfonia à l'italienne, plan rapidement abandonné par Haydn dès 1761. Leur instrumentation comporte deux hautbois, deux cors, un basson doublant la basse et le quintette à cordes (2). 


La symphonie n° 4 débute avec un Presto 4/4 dont le sujet principal est très énergique. Le second thème est à la dominante mineure (la mineur), trait archaïque. Le développement est construit sur le thème principal et utilise très ingénieusement des motifs de l'exposition. L'art de construire un développement en élaborant le matériel thématique de l'exposition est vraiment un trait dominant du style de Joseph Haydn et cela dès ses premières oeuvres (2).


L'andante ré mineur 2/4 est certainement un des plus beaux mouvements lents de la "jeunesse" de Haydn. Tandis que les cordes graves et le continuo marquent le rythme, le second violon joue un dessin syncopé qui se maintient pendant pratiquement toute la durée du morceau et le premier violon joue une note tenue pendant plusieurs mesures qui se mue en thème, à la manière d'une messa di voce d'un chanteur d'opéra. On a là un exemple frappant de la manière de Haydn qui fait collaborer plusieurs instruments pour créer à l'audition une phrase musicale envoûtante. Cet andante comme beaucoup de mouvements lents de l'époque est écrit pour les cordes seules. Les archets d'Il Giardino Armonico lui donnent un son inimitable.


Le tempo di minuetto final 3/8 est un menuet de vastes dimensions anticipant les grands menuettos des symphonies de la maturité. Il n'y a pas de trio.


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Symphonie n° 64 en la majeur, Tempora mutantur, Hob I.64

Ce titre tempora mutantur (Les temps changent) apparait sur la copie Esterhazy de Francfort du manuscrit. D’après Marc Vignal, il est peut-être de Haydn lui-même. Selon le même auteur, « de toutes celles composées avant 1773, la symphonie n° 64 en la majeur apparait certainement la plus mozartienne....., par ses frémissements et sa sensibilité à fleur de peau, elle tend d'avance la main à Mozart, qui bientôt allait en donner le pendant avec sa 29 ème symphonie en la majeur KV 201 du 6 avril 1774 » (3,4). A mon humble avis, cette symphonie n'a rien de mozartien, c'est une des plus personnelles, étranges et novatrices de Haydn. Elle pourrait avoir été inspirée par les six symphonies pour cordes Wq 182 de Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), publiées la même année (5).


A la rigueur le premier mouvement Allegro spirituoso par son instabilité tonale, ses extraordinaires modulations à la fin de l'exposition, pourrait annoncer le premier mouvement du quatuor en ré majeur KV 499 (1786) mais il est hautement improbable que Wolfgang Mozart (1756-1791) ait connu cette symphonie et s'en soit inspiré. Giovanni Antonini et Il Giardino Armonico surclassent toutes les autres versions dans ce mouvement particulièrement aventureux dont l'indication de tempo ne reflète pas du tout le caractère. Le chef italien s’y identifie à l’âme inquiète et tourmentée de Haydn. Il interprète avec beaucoup de sensibilité, les multiples nuances dont ce mouvement est truffé.


Le Largo en ré majeur est le sommet de l'oeuvre, c'est un morceau sublime dont Marc Vignal en a fait une analyse pénétrante après laquelle il n'y a plus rien à ajouter (3). C'est un des premiers exemples de ces grands largos métaphysiques qui ponctuent la production de Haydn, le second étant le mouvement lent de la 86 ème symphonie en ré majeur (1786), le troisième, celui stratosphérique de la symphonie n° 88 en sol majeur de 1787. Avec le présent disque, nous avons une excellente version sur instruments d'époque qui rend justice à ce mouvement, un des sommets de la création haydnienne des années 1770. A la fin du Largo on entend les harmoniques graves d'un des cors frotter dangereusement avec les cordes graves tandis que l'autre cor émet des notes répétées très expressives. L'effet est époustouflant!


Le finale Presto à 2/2 est d'une intense originalité, révolutionnaire par la forme et le fond, c’est un rondo présentant des caractéristiques d'un thème varié car refrain et couplets sont souvent apparentés et ceux d'une structure sonate du fait que certains couplets peuvent être considérés comme des développements. Le thème du refrain à la fois brillant, incisif et d'une grande énergie latente donne à ce finale concis toute sa personnalité. L'intermède le plus remarquable est l'intermède mineur d'une extrême violence qui nous replonge dans le climat Sturm und Drang (Tempête et tension) (7). Cité par Marc Vignal, le musicologue Jonathan Foster fait remarquer que le refrain s'adapte aux paroles d'une épigramme du poëte gallois John Owen (1565-1622) "Tempora mutantur nos et mutamur in illis" (Les temps changent et par eux nous sommes changés) (3).


L’Isola disabitata, Ouverture 

L’isola disabitata Hob XXVIII.9 est un opéra composé par Haydn en 1779 qui décrit une intrigue sentimentale sur une île déserte (6). Il est introduit par une ouverture qui a la coupe vif, lent, vif de la sinfonia à l'italienne. Le premier mouvement en sol mineur, précédé par une dramatique introduction lente, est un mouvement de sonate très "Sturm und Drang", munie d'un superbe développement contrapuntique. Ce mouvement puissant et fougueux est interrompu par un délicat allegretto très mélodieux en sol majeur. Le troisième mouvement est une version considérablement abrégée du premier. Cette magnifique sinfonia a le mérite de mettre le spectateur en condition pour apprécier l’action dramatique qui suit ; elle est probablement la plus étonnante ouverture de Joseph Haydn par ses vastes dimensions, ses rythmes sauvages, ses harmonies féroces qui en font un mouvement d'exception. On peut même se demander si cette introduction n'est pas excessive vu le caractère plus apaisé de l'azione dramatica qui suit. En fait cette ouverture décrit probablement la terrible tempête responsable du naufrage du bateau dans lequel se trouvaient Costanza et sa jeune soeur Silvia, cause de leur échouement sur une ’île déserte. En tous cas Giovanni Antonini en donne une interprétation fulgurante à la hauteur de la valeur de cette oeuvre.


Solo e pensoso, air pour soprano

Le texte de cet air Hob XXIVb.20 est le sonnet XXVIII de Pétrarque. « Seul et pensif, le poète parcourt à pas lents les camps les plus déserts… ». En 1798, Haydn écrit sur ce texte une musique mélancolique et dépouillée qui est presque une confession (7). Comment ne pas voir dans ce sonnet la manifestation de la solitude morale du compositeur et son regret de n’avoir pu trouver l’âme soeur qui aurait pu le comprendre ? Francesca Aspromonte, en donne une version maitrisée et émouvante. D’abord sereine, la voix s’anime dans l’intermède en si bémol mineur et révèle le feu qui couve dans le coeur du poète mais que la soprano réprime car l’heure n’est pas aux épanchements inconsidérés.  

  1. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp. 995-7.
  2. Marc Vignal, ibid, pp 822-7.
  3. Marc Vignal, ibid, pp. 1004-6.
  4. Luigi Dalla Croce, Les 107 symphonies de Haydn, Dereume, Bruxelles, 1976, pp. 195-7.
  5. https://www.baroquiades.com/articles/recording/1/cpe-bach-symphonies-alte-musik-berlin-hm
  6. https://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/isola-disabitata-haydn-karoui-dijon-202
  7. Marc Vignal, ibid, pp. 1384.




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