![]() |
Photo Ars-essentia. Victoire Bunel, Ana Quintans, Vincent Dumestre, David Tricou, Serge Goubioud et Viktor Shapovalov. |
Panorama musical français des années 1660
Le mariage du roi Louis XIV avec Marie-Thérèse d’Espagne, célébré le 9 juin 1660 dans l’église Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean de Luz, est bien plus qu’une fête royale, c’est un évènement politique à portée européenne. Un an plus tôt, la paix des Pyrénées était signée par le cardinal Mazarin (1602-1661) et don Luis de Haro (1598-1661) et ce mariage avait comme but principal de consolider la paix entre les deux puissantes nations catholiques. Les festivités autour de ce mariage furent nombreuses et la musique y joua un grand rôle sous forme d’offices religieux, Te Deum, ballets, comédies agrémentées de musique, sonneries de trompettes… Jean-Baptiste Lully (1632-1687) était lui-même du voyage. On ignore toutefois quelles œuvres furent exécutées lors de ces festivités. Le programme présent réunit un certain nombre de pièces d’inspirations très variées qui auraient pu être jouées à ces occasions. Les unes datent effectivement de l’année 1660, d’autres ne sont pas exactement contemporaines mais correspondent à l’esprit de l’évènement et aux modes et goûts de l’époque. Pour tous les aspects historiques de cet évènement capital, je renvoie le lecteur vers la chronique très détaillée publiée par mon confrère Michel Boesch sur l’enregistrement effectué en 2021 à la chapelle royale du château de Versailles, dont le présent concert reprend le programme (1).
Les Sonneries pour les cornets du Roy et les Airs pour le carrousel de Monseigneur LWV 72 (1686) sont une composition tardive de Lully. Ce dialogue entre les cornets et timbales et l’ensemble des hautbois parfaitement exécuté par les instrumentistes du Poème Harmonique, n’ajoute à mon humble avis pas grand chose à la gloire du Surintendant.
L’œuvre suivante, Entrée pour la Maison de France, est tirée d’un ballet, Hercule amoureux LWV 17, composé par Lully en 1662. Ce ballet devait agrémenter un opéra de Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole amante, qui sera donné l’année suivante à Paris. Il s’agit d’une ouverture à la française tout à fait typique. Toujours de Lully, les pittoresques pièces Les Espagnols et Les Basques sont tirées du Ballet des muses LWV 32 et évoquent l’entrée des délégations présentes lors de ces fêtes royales. Elles étaient interprétées avec vigueur par le Poème Harmonique.
Contraste total avec la pièce d’orgue qui suit de Louis Couperin (1626-1661), écoutée tous feux éteints, que l’on pourrait appeler Orgue dans les Ténèbres, musique sévère et dense, animée par un authentique sentiment religieux. On aimerait en entendre d’avantage tant cette musique est belle, profonde et admirablement interprétée par l’organiste Jean-Luc Ho au grand-orgue Riepp-Formentelli de la basilique.
Le motet O filii e filiae de Jean Veillot (1600-1662) est emblématique des morceaux joués en ces années à la chapelle du roi en l’honneur de la paix des Pyrénées. Il s’agit d’un Alleluia pascal célébrant la résurrection du Christ, une pièce écrite en plain chant, a capella, une musique venant du fond des âges et chantée par des voix féminines très pures ; à la fin un magnifique tutti étonne par ses harmonies audacieuses. Le Chœur du Poème Harmonique en a donné une interprétation saisissante.
![]() |
Photo Ars-essentia. Ana Quintans |
L’œuvre suivante, le Jubilate Deo, Motet pour la Paix LWV 77/16 de Jean-Baptiste Lully datant de 1660, surclasse par ses dimensions et sa profondeur, la plupart des œuvres de ce concert. Il s’agit du premier grand motet de Lully, un genre spécifiquement français, premier représentant d’une série de chefs-d’œuvre sublimes comme le Te Deum, le Miserere ou le De Profundis. Ce motet fut donné dans l’église du couvent des Pères de la Merci en présence d’Anne d’Autriche, de Marie-Thérèse, de Monsieur, frère du roi…et obtint un succès immédiat. Louis XIV le goûtera neuf fois à la chapelle du Louvre ! Dans le présent concert, on admire le long prélude joué par l’orchestre puis l’enchevêtrement harmonieux de l’orchestre, du petit chœur (en fait le quintette de solistes) et le grand chœur. Une sèche analyse ne saurait rendre compte de la vie et de l’intensité émotionnelle de cette musique. Mention spéciale à Viktor Shapovalov, baryton, pour son superbe solo dans la séquence Qui posuit fines Nostra. Le timbre est magnifique, la projection parfaite. Dans Lux orta est, David Tricou, ténor haute-contre fait entendre sa voix : le timbre est superbe, l’intonation impeccable. La soprano Ana Quintans projette sa voix angélique et bien modulée dans la séquence Taliter non fecit. Elle est rejointe par Victoire Bunel, soprano et les deux artistes chantent à la perfection un duo très émouvant. Dans le dernier épisode, Jubilate, Ana Quintans lance une vertigineuse gamme ascendante, véritable fusée, reprise par David Tricou et par le ténor Serge Goubioud. La fin essentiellement chorale est impressionnante de beauté et de puissance. Ma seule critique relevait de l’acoustique du lieu et de ma position dans l’église. Le chœur et l’orchestre m’ont paru très puissants mais les solistes, à l’exception de Viktor Shapovalov, étaient parfois difficilement audibles.
![]() |
Photo Ars-essentia. Victoire Bunel. |
Plein jeu du troisième ton et récit de cromorne du troisième ton de Gabriel Nivers (1632-1714) : le solo d’orgue très doux de Jean-Luc Ho s’enchaîne harmonieusement avec une magnifique tenue du violon issue d’une sinfonia grave a cinque de Salomone Rossi (1570-1630), extraite d’Il primo libro delle sinfonie e gagliarde (1607).
![]() |
Photo Ars-essentia. Serge Goubioud, Victoire Bunel, Ana Quntans et David Tricou. |
On arrive alors à la deuxième œuvre phare de la soirée : le Magnificat (1656) de Francesco Cavalli. Le Magnificat est un texte de l’Evangile selon Saint-Luc. Ces paroles furent prononcées par Marie enceinte de Jésus lors de la visite de sa cousine Elisabeth (Visitation), elle-même enceinte de Jean le Baptiste. Les paroles du Magnificat sont inspirées du cantique que chante Anne, la mère du prophète Samuel dans le Premier livre de Samuel. Le texte du Magnificat a fasciné les musiciens à cause des images puissantes qu’il véhicule, propices à l’usage de moyens orchestraux et vocaux importants comme ici dans le verset Esurientes implevit bonis (Il comble de biens les affamés et renvoie les riches les mains vides), une fugue magistrale à huit voix pour double chœur qui décrit de façon épique, avec des cornets éclatants, les mouvements de foule du texte sacré. Un autre passage : Et misericordia est très émouvant. David Tricou entonne la mélodie, suivi de Serge Goubioud et finalement de Viktor Shapovalov, interventions reprises par le chœur avec ferveur. Les femmes sont en évidence dans Suscepit Israël avec les interventions très pures de Ana Quintans et Victoire Bunel. Une brillante péroraison porte aux nues la Doxologie finale (Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit).
![]() |
Photo Ars-essentia. La nef de Notre Dame de Beaune. |
On reste ensuite avec Cavalli dans une œuvre profane, Lasciate mi morire, un lamento tiré de son opéra Xerse. Le puissant empereur Xerse, ayant échoué dans sa tentative de conquérir Romilda, la fiancée de son frère Arsamène, se désespère. La harpe démarre une chaconne basée sur un tétracorde descendant. Victoire Bunel, soprano, chante cet air poignant avec beaucoup de sentiment. Le chant se termine comme il avait commencé dans la nuance morendo.
Au programme venaient ensuite de courtes pièces : Après une si longue guerre d’André de Rosiers (1634-1672), chanson populaire interprétée avec truculence par Viktor Shapovalov et Serge Goubioud au dessus d’une basse de musette, Ô France, de Nicolas Métru (1600-1663) est un hymne à la paix chanté par le chœur diffusant une intense émotion. Dos zagalas venian, extrait de Celos aun del aire Matan (1660) de Juan Hidalgo (1614-1685), est une chaconne fort animée chantée en espagnol. Enfin le concert s’achevait avec un magnifique Agnus Dei de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704).
Les Noces royales de Louis XIV ont ainsi été mises en musique, dans un souci scrupuleux d’authenticité et de respect du contexte historique, par de merveilleux solistes, un Poème Harmonique admirable aux plans vocal et instrumental et sous la direction éclairée et brillante de Vincent Dumestre. Ce spectacle inaugurait en beauté le 43ème festival d'opéra baroque de Beaune.
Cet article a été publié dans une autre forme dans BaroquiadeS. On y trouvera la composition détaillée des instrumentistes du Poème Harmonique et celle du choeur du Poème Harmonisue. (2).
(1). https://baroquiades.com/noces-royales-de-louis-14-dumestre-cvs/
(2). https://baroquiades.com/noces-royales-louis-14-dumestre-beaune-2025/