© Klara Beck, Gerda et la Vieille Dame |
La Reine des Neiges, opéra en trois actes de Hans Abrahamsen a été créé le 13 octobre 2019 à l'Opéra Royal du Danemark. La version présentée à l'ONR est une création française avec une mise en scène originale. A cette occasion, le livret original en danois de Hans Abrahamsen et du dramaturge Henrick Engelbrecht a été traduit en anglais par Amanda Holden. Ce livret est tiré du conte homonyme de Hans Christian Andersen et raconte l'histoire de la quête initiatique de Gerda.
Gerda cherche à retrouver son ami Kay enlevé par la Reine des Neiges et prisonnier dans le palais de glace de cette dernière. Auparavant Kay a été victime d'un miroir maléfique qui s'est brisé en projetant un éclat dans son œil qui lui fait voir l'aspect affreux du monde et un éclat dans son cœur qui le rend aussi insensible qu'un bloc de glace. Au cours de son périple, Gerda va rencontrer une vieille dame et ses fleurs enchantées, deux corneilles bavardes qui vont l'amener dans un château où se trouvent un prince et une princesse. Ces personnages vont l'aider, chacun à sa manière et finalement Gerda conduite par un renne, pénètre dans les terres les plus septentrionales de la terre. Au terme de son voyage, Gerda arrive au palais de glace et trouve Kay très mal en point. Les larmes qu'elle verse font fondre les éclats fichés dans son cœur et son œil. Le jeune garçon recouvre alors la santé. Les deux enfants résolvent l'énigme que la reine des neiges les a mis en demeure d'élucider. Le mot demandé est éternité. Lorsqu'ils reviennent à la maison, les deux amis réalisent qu'ils ont vieillis et sont devenus de grandes personnes.
La dramaturgie suit de très près le conte d'Andersen. Le souci majeur du metteur en scène, du vidéaste et du scénographe était de prendre en considération qu'au delà du caractère poétique et féérique du conte, il y a une dimension plus profonde de réflexion philosophique sur l'espace et le temps. La scène comporte ainsi deux plans séparés par un rideau très léger composé de fines bandes d'aluminium ajourées. Ces dernières servent de support aux vidéos. Les chanteurs et figurants évoluent surtout dans le premier plan mais peuvent facilement franchir le rideau et se trouver immergés dans les animations. Au fond du deuxième plan se trouve un rideau de tulle noire et derrière lui, un troisième plan où se devine l'énorme orchestre de 86 musiciens, un orchestre d'ombres inquiétant qui participe au climat étrange et onirique de la mise en scène. Les vidéos contribuent à insérer la climatologie, la saison, la ville, la forêt dans la trame de l'oeuvre. La neige est omniprésente sous forme de cristaux, de flocons, de bourrasques, de tempêtes, les forêts de bouleaux accompagnent la longue marche de Gerda vers le nord, des villes fantômes apparaissent, mirages ou bien fruits de son imagination, enfin des aurores boréales montrent que le palais de la reine est proche. Ces vidéos et animations accompagnent les déplacements des chanteurs, interagissent avec eux et ainsi leur magie fait partie intégrante de l'action dramatique. Les éclairages soulignent que l'action se situe dans des terres nordiques pauvres en lumière, les gris dominent et la couleur n'apparaît que dans les courts étés de ces contrées. Ce parti-pris m'a paru très convaincant et cohérent avec le livret. Cette mise en scène et cette scénographie donnent à cet opéra un puissant pouvoir d'évocation et stimulent l'imagination.
© Klara Beck, La Reine des neiges, Kay |
La musique de Abrahamsen est dans l'ensemble peu agressive et peu dissonante. L'énorme orchestre n'est utilisé à plein que rarement, on observe par exemple un climax d'intensité dans l'interlude précédant l'enlèvement de Kay par la reine des neiges. Les bois par trois ou quatre, les six cors, etc...ne sont presque jamais utilisés ensemble pour produire des effets massifs mais plutôt dans le but d'obtenir une diversité de timbres, de registres, de dynamique, de rythmes. La plupart du temps les instruments sont utilisés à l'unité de façon chambriste. L'écriture musicale très fouillée procède souvent par strates, la bourrasque neigeuse du début est figurée par des notes répétées des violons dans l'extrême aigu ppp auxquelles se greffent d'autre motifs des percussions.
Abrahamsen est de toute évidence un magicien de l'orchestre. Ce dernier est chargé de dépeindre la nature: sa respiration, son efflorescence, ses convulsions, sa mort. Les voix sont par contre associées à l'action et comme il s'agit d'un conte, le compositeur n'hésite pas à plonger dans le fond populaire comme par exemple le récit de Gerda du début ou encore la scène des fleurs de la scène 2 de l'acte II. Ces passages d'une grande beauté mélodique, facilitent l'accès de cette musique à un public pas forcément familier de la musique contemporaine. Le pittoresque n'est pas absent comme le montre la scène de l'acte III où Gerda tremble de froid, sensation exprimée par la musique à la manière de Lully dans le choeur des tremblants de sa tragédie lyrique Isis.
© Klara Beck, La Reine des Neiges dans son palais de glace |
Gerda, l'héroïne de l'opéra, ne quitte jamais la scène; elle fut incarnée avec brio par Lauren Snouffer, soprano que j'avais déjà appréciée en 2018 dans le rôle d'Alcina de Haendel à l'opéra de Karlsruhe. La soprano américaine est parfaite dans ce rôle au plan vocal et dramatique et fait preuve d'un engagement sans faille. Sa voix bien projetée a un très beau timbre chaleureux dans toute l'étendue de sa tessiture notamment dans la belle mélodie qu'elle chante à l'acte I, Then, listen, I will begin... Rachael Wilson, mezzo-soprano, lui donne la réplique avec un immense talent dans le rôle de Kay, d'une superbe voix au timbre velouté. Avec Lauren Snouffer, elle chante un merveilleux duetto à la fin du troisième acte, Gerda, dearest Gerda...et les voix des deux femmes étaient parfaitement assorties. Helena Rasker, contralto, chante les rôles de la Grand-mère, la Vieille dame et la Finnoise d'une très belle voix grave. Le rôle de la Reine des Neiges et celui du Renne étaient attribués à David Leigh, dont la magnifique voix de basse superbement timbrée formait un étonnant contraste avec l'idée qu'on pouvait se faire d'une reine des neiges. De la princesse (Floriane Derthe de l'Opéra studio), on pouvait apprécier la belle voix dont les envolées vers l'aigu du terzetto de la scène 4 de l'acte II, poor little darling..., étaient remarquables. Moritz Kallenberg, ténor, campait un prince de belle prestance et à la belle voix en or. Michael Smallwood, ténor, incarnait la corneille de la forêt, rôle important à l'acte II, avec beaucoup de vigueur et d'engagement. Théophile Alexandre, contre-ténor dont l'ADN est baroque, prêtait sa très belle voix à la corneille du château, chargée d'accueillir Gerda. Enfin Dilan Ayata et Emmanuelle Schuler, sopranos, intervenaient de leurs voix pures et fraiches dans la séduisante scène des fleurs de l'acte II en compagnie de Lauren Snouffer.
Les interventions du choeur de l'ONR étaient parfaitement dosées et participaient efficacement à créer cette ambiance unique.
L'orchestre philharmonique de Strasbourg a mis sa grande expérience de la musique contemporaine au service de l'oeuvre et on peut féliciter chaleureusement tous les pupitres, notamment ceux des violons qui jouent constamment dans l'extrême aigu ou en harmoniques pour évoquer le silence de la neige qui tombe ou encore jouent des gammes chromatiques descendantes ppp et à toute vitesse ce qui exige une maitrise totale de l'instrument. Les vents ne sont pas en reste avec des parties de cor très virtuoses. On pouvait aussi admirer l'extrême variété des percussions utilisées ainsi qu'une partie de célesta égrenant des notes cristallines évoquant la neige ou bien le miroir qui se brise en mille éclats. Il appartenait à Robert Houssart de réunir toutes ces forces si diverses et d'en faire une synthèse éblouissante.
Je suis sorti envoûté par ce spectacle somptueux fusionnant une musique superbe et une mise en scène inventive et restituant idéalement au conte d'Andersen son aura magique et féérique.
© Klara Beck, La Reine des Neiges, Kay, Gerda, la Vieille Dame, la Corneille du Château |
Robert Houssart, Direction musicale
Grégoire Pont et James Bonas, Conception
James Bonas, Mise en scène
Grégoire Pont, Vidéo et animations
Thibaud Vancraenenbroeck, Scénographie et costumes
Christophe Chaupin, Lumières
Lauren Snouffer, Gerda
Rachael Wilson, Kay
Helen Rasker, La Grand-mère, la Vieille-Dame, la Finnoise
David Leigh, La Reine des Neiges, le Renne, l'Horloge
Michael Smallwood, la Corneille de la Forêt
Theophile Alexandre, la Corneille du château
Floriane Derthe*, la Princesse
Moritz Kallenberg, le Prince
Dilan Ayata**, Emmanuelle Schuler**, Soprani solistes
*Artiste de l'Opéra Studio
**Artiste du Choeur
Choeur de l'ONR
Alessandro Zuppardo, Chef de choeur
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Création française - Nouvelle production de l'Opéra National du Rhin
Représentation du 19 septembre 2021
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