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dimanche 4 juin 2023

Le conte du Tsar Saltane de Rimski-Korsakoff à l'Opéra National du Rhin

© Photo Klara Beck  Babarikha, la Tisserande, la Cuisinière, la Tsarine Militrissa

Le conte du Tsar Saltane, un opéra en un prologue et quatre actes de Nicolai Rimski-Korsakoff, livret de Vladimir Bielski d'après le conte d'Alexandre Pouchkine, a été créé le 3 novembre 1900 au Théâtre Solodovnikov de Moscou.

Suite à une machination de ses deux soeurs jalouses, la tsarine Militrissa est condamnée à l’exil avec son fils, le tsarévitch Gvidone, accusé d’être un monstre. La mère et son enfant jetés à la mer dans un tonneau, finalement accostent sur l’île de Bouïane. Ayant sauvé avec son arc l’oiseau-cygne des griffes d’un vautour, Gvidone apprend de l’oiseau reconnaissant qu’il a en fait tué un sorcier et que ce dernier avait ensorcelé l’île. Quand Gvidone et sa mère se réveillent, la ville merveilleuse de Ledenetz leur apparaît. Le peuple demande à Gvidone de devenir roi. Ce dernier accepte puis se transforme en bourdon pour revenir à la cour du Tsar. Il apprend l’existence d’une belle princesse et veut la retrouver. L’oiseau-cygne lui révèle que la princesse se trouve devant lui. Ses yeux se décillent et il veut épouser la princesse sur le champ, union bénie par Millitrissa. Le tsar Saltane se rend à Bouïane et le mariage est célébré dans la liesse.


© Photo Klara Beck.  Ledenetz, la ville dont Gvidone est le roi



L’idée majeure qui sous-tend la mise en scène de Dimitri Tcherniakov est que Gvidone, le fils du Tsar Saltane et de la Tsarine Militrissa, n’est effectivement pas un enfant comme les autres, il est autiste, une pathologie qui s’exprime dans le monde réel mais pas dans le monde de ses rêves, en fait celui des contes que sa mère lui lit et particulièrement l’histoire du tsarévitch Gvidone. Le décor de Tcherniakov est totalement en phase avec sa vision du livret. Froid et sans relief quand il décrit le monde réel, il devient luxuriant dans le monde imaginaire. Il en est de même pour les costumes d’Elena Zaytseva: costumes de ville sobres dans le monde réel, ils évoquent la vieille Russie  dans le conte avec des étoffes aux teintes pastels qui tracent des tableaux irréels et parfois oniriques, en accord avec les coupoles et les dômes des églises. Les vidéos de Gleb Filshtinsky tracées au crayon ou au fusain apportent beaucoup de vie et de poésie aux scènes où elles interviennent.


© Photo Klara Beck  La tsarine Militrissa


Bogdan Volkov exprimait avec précision le caractère de Gvidone, un être à la fois souffrant et triomphant. Sa somptueuse voix de ténor tantôt héroïque, tantôt plaintive, est enthousiasmante. Il est en même temps un acteur formidable. Le duo d’amour avec la princesse-cygne à l’acte IV, Chudo ne maloe, est un grand moment d’opéra avec des contre-ré délectables émis sans effort par les deux amoureux. Gvidone a sauvé le cygne des serres du vautour. Reconnaissant, le cygne lui dévoile un secret: « Ce n’est pas un oiseau que tu as protégé, c’est la vie d’une jeune fille que tu as sauvée ». Cette scène nous vaut un des passages les plus fascinants de l’opéra: il débute par une figure en notes répétées des bois au dessus d’arpèges des altos et de la harpe, un magnifique solo de cor et de violon puis la princesse-cygne, nichée dans l’écrin que constitue la vidéo, émet un chant ineffable dans l’aigu d’une pureté admirable, Ty Tsarévitch mog spasitel. Cette scène nous permet de découvrir Julia Muzychenko, soprano colorature dont la voix claire et agile, a en même temps une projection étonnante. Elle est la révélation de la soirée.


© Photo Klara Beck.  La princesse-cygne, le tsarévitch Gvidone


Tatiana Pavlovskaya joue et chante remarquablement le rôle de la Tsarine Militrissa déchue, exilée et devenue mère célibataire. La voix puissante au timbre riche et coloré et aux belles courbes, est très émouvante quand elle apprend qu’elle sera jetée à la mer dans un tonneau avec son fils nouveau-né, c’est alors que débute un chant déchirant tandis qu’une vidéo montre le tonneau ballotté par une mer déchainée. Le tsar Saltane fait preuve d’une naïveté sans égale quand il prête foi aux mensonges des deux soeurs de son épouse, la tsarine Militrissa. A la fin il pardonne aux soeurs calomnieuses. Ante Jerkunica donnait à ce personnage au demeurant un peu simplet beaucoup de chair et d’humanité. La voix de basse a un timbre somptueux et sait faire preuve de finesse et de nuances.


Stine Marie Fischer (La Tisserande), Bernarda Bobro ((La Cuisinière), Carole Wilson (Babarikha) formaient un trio haut en couleurs. Evgeny Akimov (Le vieil homme, premier navigateur), Ivan Thirion (Le messager, deuxième navigateur) et Alexander Vassiliev (Le Bouffon, troisième navigateur) avaient de fort belles voix.


© Photo Klara Beck.  Le tsar Saltane et le tsarevitch Gvidone


Un orchestre Philharmonique des grands jours  était à son affaire avec cette partition étincelante qu’Aziz Shokakhimov connaît parfaitement. Le chef insuffla aux cordes généreuses (remarquable vol du bourdon), aux bois savoureux, à des cors d’une virtuosité confondante, aux vaillantes  trompettes omniprésentes, aux harpes, au célesta… un surplus d’esprit et de créativité pour le plus grand bonheur des chanteurs et du public. Le choeur de l’ONR donnait au spectacle sa couleur populaire russe.  Il intervient en particulier dans un premier acte très coloré et plein d’action qui se termine par un puissant choeur où alternent femmes et hommes avec des modulations brutales (la bémol mineur-do mineur) qui annoncent l’Oiseau de Feu d’Igor Stravinsky. A la fin il fit trembler les murs de l’opéra quand on célébra les retrouvailles de la famille impériale avec le tsar et la tsarine exilés.


L’opéra comme on l’aime: une musique étincelante, des chanteurs d’exception, des décors féériques et une mise en scène intelligente qui apporte de la densité au livret et qui n’empiète pas sur la musique. Un spectacle enthousiasmant.

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