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lundi 24 juin 2024

Haydn 2032 - volume 7 - Gli impresari - Giovanni Antonini



Les trois symphonies n° 67, 65 et 9 au programme du septième volume - Gli Impresari - de la collection Haydn 2032, présentent un caractère théâtral. Selon Marc Vignal, plusieurs mouvements de ces symphonies auraient pu servir du vivant de Joseph Haydn (1732-1809) de musique de scène pour une représentation organisée par un des directeurs de théâtre (Impresario) itinérants recrutés par Nicolas I Esterhazy, dit le Magnifique. Parmi ces derniers Carl Wahr (1745-1798) fut un des plus actifs (1).


Symphonie n° 67 en fa majeur Hob I.67

Les symphonies n° 66 en si bémol, n° 67 en fa et 68 en si bémol de Haydn forment un trio homogène, elles ont un air de famille et des caractéristiques communes : pas d'introduction adagio, prééminence de la mélodie, caractère pastoral. La présence de deux bassons (en plus des deux hautbois, des deux cors, du quintette à cordes) jouant un rôle indépendant des basses permet de les dater toutes les trois en 1775. A partir de 1776, la production symphonique de Haydn va nettement diminuer. Il est vrai qu’à cette époque, il compose environ un opéra de vaste dimension tous les deux ans  : L’incontro improviso (1775), Il mondo della luna (1776), La Vera costanza (1779), activité théâtrale déjà anticipée dans les symphonies précédentes qui possèdent un caractère scénique indéniable.


Le premier mouvement Presto 6/8 de la symphonie n° 67 en fa majeur s'ouvre par un thème de chasse d'une grande agilité suivi par une ritournelle qui brusquement module en ut mineur et prend un tour dramatique. Le second thème bien individualisé ne contraste pas beaucoup avec le premier et maintient une ambiance aimable. Le développement est entièrement construit sur le premier thème. Ce dernier exposé par les premiers violons avec un accompagnement des seconds, donne lieu à de belles modulations. On entend ensuite un magnifique canon entre les violons et les basses ; ce canon se poursuit pendant tout une page et remplit merveilleusement l'espace sonore ; les voix semblent surgir de partout. La ré-exposition est sensiblement modifiée du moins dans sa première partie. Une belle coda termine le mouvement avec des appels des cors renforçant le caractère cynégétique de ce mouvement. Alors que le presto final était le mouvement le plus original de la symphonie n° 66, et que l'adagio était le mouvement le plus profond dans la symphonie n° 68, c'est ce presto initial à la fois subtil et spirituel qui a ma préférence parmi les mouvements de la présente symphonie.


L'adagio en si bémol majeur 2/4 n'a peut-être pas l'intense originalité de celui en mi bémol de la symphonie n° 68 mais c'est quand même un morceau très agréable et remarquablement élaboré. Il est bâti sur un thème unique dont le début évoque fortement le prélude orchestral par lequel commence le troisième acte d'Armida, opéra seria composé par Joseph Haydn en 1783. Le développement de cet adagio est particulièrement remarquable et consiste en un travail très modulé sur des éléments du thème principal. Durant un long moment, on assiste à un canon très expressif entre les les premiers et les seconds violons suivi par des échos mystérieux entre les deux groupes de violons sans aucun support des autres instruments, passage étrange d'une grande nudité mais émouvant du fait de belles modulations. A la fin du mouvement Haydn demande aux cordes de jouer col legno dell'arco (avec le bois de l’archet)!


Après les menuets très développés de l'année 1774 (menuet de la symphonie n° 60 par exemple), les menuets des symphonies n° 66, 67 et 68 sont bien plus courts. Celui de la symphonie n° 67 est particulièrement charmeur et dansant. Le trio est un duo pour deux violons solistes, tous deux avec sourdines. Le premier violon joue uniquement sur la corde mi et grimpe dans les hauteurs tandis que la corde sol du second violon est accordée un ton plus bas,  procédé appelé scordatura, et fournit ainsi une pédale de fa. La sonorité produite évoque une musette.


Le finale Allegro di molto 2/4 débute comme une structure sonate à deux thèmes. Aux barres de reprises, à la place du développement, débute un adagio e cantabile 3/8 pour deux violons et violoncelle, fait exceptionnel dans une symphonie de Haydn (2). On a du mal à croire qu'avec si peu d'instruments il soit possible d'obtenir une sonorité si pleine et chaleureuse ; par sa sensualité, cet adagio évoque à Marc Vignal, un épisode de Cosi fan Tutte de Wolfgang Mozart (3,4). Quand les deux hautbois et le basson se joignent aux cordes pour reprendre le thème initial de l'adagio, la sonorité obtenue est un enchantement. Après cet adagio, on revient sur terre avec une reprise de l'allegro di molto. La coda consiste en un long trille du premier violon au dessus de poétiques échos des hautbois et des cors, le tout pianissimo. Deux accords sabrés forte par tout l'orchestre mettent un point final à cette symphonie unique par son originalité.


Symphonie n° 65 en la majeur Hob I.65.

Au cours de l'année 1773, Joseph Haydn compose quatre symphonies, la n° 50 en ut majeur, n° 51 en si bémol (solo du cor), n° 64 en la majeur (Tempora Mutantur), n° 65 en la majeur. La trilogie géniale des symphonies n° 45 en fa# mineur (Adieux), n° 46 en si majeur et n° 47 en sol majeur marquait en 1772 l'apogée du style "Sturm und Drang" (orage et tension). En 1773 le mouvement Sturm und Drang commence à perdre de sa force dans l'oeuvre de Haydn. Tandis que les extraordinaires symphonies n° 51 (solo du cor) et n° 64 (Tempora mutantur) restent encore dans cette mouvance artistique, les symphonies n° 50 et 65 s'en échappent complètement et offrent un visage tout différent. La symphonie n° 65 en la majeur garde toutefois encore une instrumentation minimale comme ses devancières avec le quintette à cordes, le basson doublant les basses, deux hautbois et deux cors (5).


Le premier mouvement Vivace con spirito 4/4 débute comme uns sinfonia ouvrant un opéra par trois accords sabrés par l'orchestre (Cf sinfonia Orlando paladino), cette introduction est suivie par le premier groupe de thèmes comportant un premier motif doux exposé par les violons et un motif forte très rythmé énoncé par les basses. Après une répétition de ce premier groupe apparaît le second sujet, ce dernier assez développé est d'un grand charme mélodique et aboutit aux barres de reprises. Le développement élabore successivement les deux motifs du premier groupe de thèmes de façon très ingénieuse et lors de la ré-exposition s'articule sur le second thème, éliminant ainsi le premier groupe de thèmes. Le second thème reparait une dernière fois avant la fin du mouvement. La construction de ce mouvement de sonate est tout à fait inhabituelle et rappelle celle des symphonies antérieures à 1761 (pré-Eisenstadt).


L'Andante 3/8 en ré majeur est un des mouvements lents les plus originaux de Haydn. Il consiste en une alternance de trois motifs, un motif principal comportant un triolet de doubles croches exposé par les violons presque totalement à découvert au caractère interrogatif, une première réponse par les vents sur un rythme de marche et une deuxième réponse consistant en un unisson assez sinistre des cordes dans leur registre grave. Ces trois motifs se succèdent avec des contrastes sonores spectaculaires et donnent l'impression d'un récitatif accompagnant une scène dramatique ou bien un ballet. Nulle part dans l'oeuvre de Haydn on a cette impression qu'une histoire est contée avec des moyens purement instrumentaux.


Autre mouvement très original, le menuetto ; ce dernier est remarquable par son instabilité rythmique. Il débute comme il se doit dans un rythme ternaire ¾, il évolue rapidement vers un rythme plutôt 4/4. Il est très difficile de danser dans ces conditions! Ce menuet m'évoque en fait la musique populaire hongroise ; il est suivi par un trio en la mineur réservé aux cordes seules. L'ambiguïté rythmique reprend de plus belle dans ce trio très remarquable par sa couleur modale. De plus la nuance piano est maintenue pendant tout le mouvement. 


Le finale Presto 12/8 est une chasse débutant comme il se doit par un énergique appel des cors auxquels les violons répondent timidement. Tout au long du morceau on a l'impression que les cors tentent de réveiller les violons. On l'aura compris ce morceau spirituel et plein d'humour vise essentiellement à distraire et se termine comme il avait commencé par une puissante sonnerie des cors. Ce mouvement devrait être aussi connu que le finale de la symphonie n° 73 La Chasse.


Symphonie n° 9 en do majeur Hob I.9.

La symphonie n° 9 en ut majeur date très probablement de l'année 1762. En trois mouvements, elle ressemble beaucoup à une sinfonia ouvrant un opéra. Selon certains érudits, elle aurait pu être composée par Joseph Haydn pour servir d'ouverture à un des opéras ou comédies musicales malheureusement perdus telles que La Vedova, Il Dottore, Il Scanarello donnés à Eisenstadt en mai-juin 1762 par la troupe de Girolamo Bon (6). L'effectif instrumental comporte deux hautbois, deux cors, un basson doublant la basse et, dans l'andante, deux flûtes. Le premier mouvement allegro molto 2/4 est très brillant, il débute par trois accords forte sabrés par tout l'orchestre et se poursuit par une avalanche de doubles croches qui se poursuit pratiquement sans interruption jusqu'aux barres de reprises avec un passage en octaves brisés très caractéristiques. Le développement, assez court, reprend le thème principal dont le prolongement en octaves brisés passe par des modulations mineures très expressives et se termine pianissimo. La réexposition n'apporte pas de changements notables par rapport à l'exposition.


L'andante en sol majeur 2/4 donne aux deux flûtes la plus grande importance. Les deux flûtes jouent presque tout le temps à l'unisson, sauf de courts passages où elles jouent à la tierce. Ce sont elles qui dessinent la ligne mélodique tout au long du mouvement. Ce dernier s'apparente beaucoup à l'andante également pour solo de flûte de la sinfonia ouvrant l'opéra Lo Speziale (1767). Ce très beau mouvement tient l'auditeur sous son charme.


Le tempo di minuetto Allegretto est un bon exemple de menuet de cour d'une grande élégance. Le trio est un laëndler débutant par un gracieux solo de hautbois ; après les barres de reprises, les deux cors et le basson se joignent aux deux hautbois tandis que les cordes se taisent. Ainsi se termine cette symphonie qui procure beaucoup de plaisir par son abord particulièrement aimable et son charme mélodique.


L’interprétation de Giovanni Antonini et du Kammerorchester Basel est toute en  nuances, finesse et délicatesse. Ces qualités ressortent clairement dans les mouvements lents. Les deux flûtes délicieuses dans l’andante de la symphonie n° 9, les violons ironiques et spirituels qui content une histoire dans l’andante de la symphonie n° 65, les choeurs d’instruments à vent dans l’adagio de la symphonie n° 67 ou les dialogues de violons à découvert dans le même mouvement, sont admirablement mis en valeur. La suavité et la sensualité de l’intermède central, adagio cantabile, du finale de la symphonie n° 67, forcent l’admiration. Mais le côté agressivement populaire de Haydn n’est pas négligé pour autant, il réapparait soudainement dans les fanfares de cors  naturels du finale de la symphonie n° 65 tandis que des accents balkaniques savoureux agrémentent le menuet de la même symphonie. On admire aussi la mise en place impeccable du fugato étourdissant du presto initial de la symphonie n° 67. 


  1. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 173-77.
  2. Peter A. Brown The first Golden Age of the Viennese Symphonies, Indiana University Press, Indianapolis, 2002.
  3. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1016-1
  4. Ce passage m'évoque aussi le larghetto en la bémol majeur qui interrompt le finale du concerto pour piano en mi bémol majeur KV 482 de Mozart.
  5. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp 1002.
  6. Marc Vignal, ibid, pp 860-1


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