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mardi 15 octobre 2024

Rinaldo de Georg Friedrich Haendel Beaune 2024

© Photo ars-essentia - La cour des Hospices de Beaune. En raison d'un orage, la représentation de Rinaldo fut transférée à Notre-Dame de Beaune.


Le plus somptueux des opéras italiens de Haendel

Premier opéra londonien en langue italienne de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Rinaldo, HWV 7, constitue le plus grand succès du Caro Sassone avec plus de cinquante représentations. Cet opéra seria a été composé en 1711 sur un livret écrit en italien par Giacomo Rossi (?-1731) à partir d’un scénario fourni par Aaron Hill (1685-1750). L’œuvre a été donnée pour la première fois le 24 février 1711 au Queen’s Theatre Haymarket à Londres. Les circonstances de la création et son analyse ont été évoquées dans des articles antérieurs de la revue musicale BaroquiadeS (voir les chroniques des productions de Halle (1) et de Nantes (2)). Le lecteur désireux d’en savoir plus sur l’oeuvre, peut consulter l’excellent article paru dans Wikipédia (3). Une version de concert donnée au Théâtre des Champs Elysées en février 2024 avec une distribution très voisine de celle du présent concert, a été récemment commentée par l’un de mes confrères (4).

La distribution de la production jouée au 42ème Festival International d’Opéra Baroque et Romantique de Beaune le 27 juillet 2024, est voisine de celle du TCE mentionnée plus haut, avec cependant d’importantes différences. Le rôle d’Almirena, précédemment attribué à Emöke Barath est désormais confié à Gwendoline Blondeel tandis que Chiara Skerath naguère attributaire du rôle d’Almirena au TCE, prend celui d’Armida à Beaune. Lucile Richardot, une habituée du rôle de Goffredo, cède la place à Lorrie Garcia. Il n’y a pas d’autres changements : Carlo Vistoli incarne toujours Rinaldo tandis que les rôles d’Eustazio et d’Argante sont toujours confiés respectivement à Anthéa Pichanick et Victor Sicard.

© Photo ars-essentia - Carlo Vistoli

Ayant entendu plusieurs contre-ténors dans le rôle de Rinaldo, il est devenu évident pour moi ce samedi soir que Carlo Vistoli en était l’interprète idéal. Il a toutes les qualités requises pour ce rôle. La projection de la voix est optimale, le timbre est rond, clair et pur, la diction idéale, le légato parfait. Cette dernière qualité est particulièrement précieuse : les notes sont liées et ont le même poids quel que soit le registre et le chanteur évite les à-coups et les éclats de voix si fréquents chez les contre-ténors. Avec une technique aussi éprouvée, Vistoli peut se concentrer sur l’expression. Le résultat est au-delà de toute espérance, notamment dans le sublime Cara sposa où le contre-ténor donne un supplément d’âme à ce morceau proche de la musique d’église avec ses austères marches harmoniques des basses. Il donne enfin une magistrale démonstration de virtuosité dans Or la tromba in suon festante, aria da capo accompagné de deux trompettes électrisantes et des timbales. Les prouesses vocales, mélismes, accaciatures, trilles, intervalles de plus d’un octave, sont d’autant plus délectables qu’elles ne sont jamais gratuites mais toujours au service de l’expression dramatique.

Connaissant bien la voix de Chiara Skerath mais ne l’ayant jamais vue sur scène, j’ai été conquis par cette soprano. En plus de son art vocal, elle m’est apparue comme une actrice remarquable. Son intervention dans Furie terribili est certes fracassante comme il se doit mais elle a bien d’autres cordes à son arc et il n’est pas possible de les citer toutes tant ce rôle d’Armida est riche d’affects et de contrastes. Dans le magnifique lamento avec hautbois et basson obligés, Ah ! crudel, il pianto mio, d’une écriture très raffinée, elle fait montre à l’évidence de ses dons de tragédienne. Changement complet de registre avec Voi far guerra e vincer voglio où la soprano piaffe d’impatience avec beaucoup d’humour tandis que le génial claveciniste Philippe Grisvard se lance dans un concerto pour clavecin et semble ne devoir jamais s’arrêter (cette partie était tenue par Haendel lui-même ! ). Enfin elle peut démarrer son chant et exprimer ses magnifiques qualités, notamment la projection à la fois puissante et douce de sa voix, son dynamisme et sa sensibilité à fleur de peau.

© Photo Lucie Bolzan - Chiara Skerath

Le rôle d’Almirena est un cadeau pour une chanteuse mais aussi un piège. On « l’attend au tournant » dans le mythique, Lascia ch’io pianga. Gwendoline Blondeel montra qu’elle avait toutes les qualités pour faire de cet air un merveilleux moment musical. La tâche n’est pas facile car la voix doit avoir une certaine ampleur afin d’éviter un son trop maigre. D’autre part le sens des nuances est essentiel car les parties A et B de l’air sont différentes : résignation dans A et esprit de révolte dans B. La soprano a parfaitement géré ces conditions et a livré une prestation poignante d’une grande précision dans l’expression des sentiments. Auparavant elle nous avait emmené dans le monde des rêves dans le suave Augelletti, che cantate, air accompagné par deux flûtes à bec alto et une flute à bec sopranino, morceau enchanteur que la soprano chanta avec ferveur.

Le duetto des Sirènes, Il vostro maggio, était chanté par les deux sopranos Gwendoline Blondeel et Chiara Skerath. Impossible pour le commun des mortels de résister au charme fou de ce duo d’enfer. Pourtant Rinaldo et sa troupe de moines soldats y sont arrivés ! Cette merveilleuse et troublante sicilienne, tirée de la cantate Arresta il passo, composée par Haendel en Italie entre 1706 et 1710, pourrait tirer son origine, à mon humble avis, de la musique populaire napolitaine.

Goffredo (Godefroy de Bouillon), général en chef de l’armée des croisés et père d’Almirena, était incarné par la mezzo Lorrie Garcia. Cette dernière donnait le ton dans la première aria de l’opéra, Sovra balze scoscese e pungenti, celui de l’héroïsme. La voix au timbre martial et velouté (oui c’est possible) éblouissait par la qualité de ses graves, une intonation parfaite et une diction impeccable. Le héros ne faiblissait pas – bien que sa fille et son champion fussent aux mains de l’ennemi – dans son air superbe dans le mode mineur, Mio cor, che mi sai dir ? Dans cet air très véhément, le héros prêt au sacrifice suprême, constate la vanité de la gloire. Cette chanteuse remarquable fut pour moi une découverte.

© Photo ars-essentia - Anthea Pichanick

Eustazio, frère de Goffredo, disparait le plus souvent dans les mises en scène modernes de cet opéra, Haendel avait déjà supprimé ce personnage dans sa version de 1731 de Rinaldo. J’étais très heureux de pouvoir enfin l’entendre. Aucune musique du Caro Sassone n’est ainsi perdue et on s’en félicite car les trois airs d’Eustazio sont superbes et Anthéa Pichanick leur donne un lustre phénoménal de sa superbe voix de contralto. J’ai bien aimé l’aria Siam prossimi al porto, dans lequel Eustazio exprime son espoir d’arriver au port, première étape de sa mission, d’une belle voix très douce et parfaitement projetée.

La plupart des opéras de Haendel comportent un rôle de méchant et Rinaldo n’échappe pas à la règle avec Argante. Pas aussi détestable que Polinesso dans Ariodante ou Garibaldo dans Rodelinda, le roi de Jérusalem est prêt à en découdre avec les croisés par tous les moyens, y compris en recrutant la magicienne Armida. Ce rôle est attribué ici à Victor Sicard, baryton-basse. Le premier air, Sibillar gli angui d’Aletto, est remarquable par le contraste existant entre la somptuosité de l’équipage du roi, évoquée par deux martiales trompettes et l’appréhension de ce dernier vis à vis des maléfices promis par son amante, figurés par des hautbois diaboliques. Le baryton éblouit par la projection phénoménale de sa voix, la beauté du timbre et une superbe diction. L’air suivant, Vieni o cara, au rythme de sicilienne, n’est pas moins remarquable par son introduction mystérieuse ; le baryton impressionne par son chant très nuancé alternant entre puissance et séduction mélodique ainsi que par son remarquable travail d’acteur. Un Argante de grande classe !

© Photo ars-essentia - Benjamin Narvey

L’orchestre est le plus fourni utilisé par Haendel pour un opéra seria. La sinfonia ouvrant l’opéra comportait trois mouvements : une vaste ouverture à la française avec rythmes pointés et fugato alla Lully, suivait un poignant solo de hautbois adagio et pour finir un allegro 3/8 guilleret. Thibault Noally à la tête de l’orchestre Les Accents a innové en confiant les bariolages ultra-rapides des premiers violons de la fugue aux flûtes à bec. J’ai été impressionné par la précision des attaques des cordes et leur beau son ainsi que par une excellente violoncelliste soliste. Tous les violonistes et altistes jouaient sur des instruments anciens munis de boyaux, sans coussin, sans mentonnière, le plus souvent posés sur la clavicule. Il faut féliciter les agrestes flûtes à bec, une virevoltante petite flûte, des hautbois mordants, un basson virtuose (Nicolas André) dans l’aria di furore de Rinaldo, Venti, turbini. Les trompettes naturelles guerrières et les timbales (Michèle Claude) apportaient beaucoup d’éclat et de brio. Félicitations au continuo : basse d’archet, clavecin (Philippe Grisvard) ou orgue positif (Brice Sailly), très efficace. Thibault Noally réalisait la prouesse de diriger tout ce beau monde en assurant, violon et archet à chaque main, la place de violon soliste.

J’eusse préféré que toutes les splendeurs du concert de ce samedi 27 juillet 2024 fussent gravées dans le marbre par un enregistrement. Ces espoirs furent hélas rapidement douchés. J’espère que ma modeste contribution permettra d’entretenir un tant soit peu le souvenir de ce mémorable Rinaldo, le meilleur au plan vocal et instrumental que j’ai entendu à ce jour.

  1.   https://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/rinaldo-halle2018
  2. https://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/rinaldo-haendel-cuiller-nantes-2018
  3. https://en.wikipedia.org/wiki/Rinaldo_(opera)
  4. https://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/rinaldo-haendel-noally-tce-2024
  5. Cet article a été déjà publié sous une forme légèrement différente dans BaroquiadeS. https://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/rinaldo-haendel-noally-beaune-2024





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