Dans le volume 17 de l’intégrale des symphonies de Haydn (projet Haydn 2032), quelques symphonies de jeunesse de Haydn, parmi les plus spectaculaires ainsi qu’un concerto pour violon, ont été réunis. Toutes ces oeuvres sont antérieures à l’année 1765. Luigi Tomasini (1741-1808) était premier violon de l’orchestre dirigé par Haydn et fut l’interprète du concerto pour violon. Elles sont ici interprétées par le Kammerorchester Basel sous la direction de Giovanni Antonini.
Rien ne justifie le numéro accordé à la symphonie n° 36 en mi bémol majeur (Hob I.36) . Cette dernière possède plusieurs traits archaïques suggérant qu'elle aurait en réalité été composée avant 1761, date de l'installation de Joseph Haydn (1732-1809)au service des Eszterhazy. Du fait de son style encore baroque, elle pourrait même figurer parmi les toutes premières composées. Il s'agit d'une oeuvre tout à fait remarquable à divers points de vue.
Le vivace ¾ initial débute avec un merveilleux thème aux violons, plein de fougue et possédant une sonorité chaude et sensuelle conférée en partie par la tonalité de mi bémol majeur mais aussi par la qualité des instruments à cordes du Kammerorchester Les cors très actifs scandent le rythme. Le second thème un rien mystérieux est à la dominante mineure (si bémol mineur) comme dans les symphonies n° 1 et n° 37 de 1758. Cette exposition de 60 mesures est soutenue par une pulsation incessante de croches des basses, elle est suivie d'un développement très long de 60 mesures exactement qui reprend et développe les deux thèmes ainsi que des motifs secondaires de l'exposition. Après ce développement d'une maîtrise étonnante, la ré-exposition est notablement abrégée. Ce mouvement a une coloration baroque très attachante et combine nervosité et charme mélodique.
L'adagio 2/2 pour les cordes seules possède des solos de violon et de violoncelle très joliment mis en valeur par les solistes du Kammerorchester Basel et ressemble aux mouvements lents des symphonies n° 6, 7 et 8. Pendant tout le mouvement les solos généralement piano voire pianissimo du violon et du violoncelle alternent avec de vigoureux unissons de l'orchestre à la manière des concertos grosso baroques. Fin pianissimo.
Le menuetto est très développé pour une symphonie de cette époque, il est remarquable par la variété de ses rythmes: rythmes pointés (triples croches-croches pointées, croches-croches pointées), triolets. Le trio est très original par son instabilité tonale, il débute en si bémol majeur, passe par ut mineur et se termine à la fin de la première partie en ré mineur. Après un parcours modulant très expressif la seconde partie se termine en si bémol.
L'Allegro final 2/4 possède des traits archaïques: rythmes heurtés, imitations entre premiers et seconds violons et un second thème à la dominante mineure. Ce mouvement comporte deux parties, la seconde partie comporte une ébauche de développement, simple transition en fait de six mesures et c'est la rentrée du thème principal.
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La Paix ramenant l'Abondance (1780) Elizabeth Vigée-Lebrun (1755-1842), Musée du Louvre. |
La symphonie n° 16 en si bémol (Hob I.16) est une de mes préférées parmi les symphonies pré-Eisenstadt. Elle débute par un magnifique allegro ¾ dont le thème chromatique est d'abord énoncé par les basses sous un accompagnement spiccatto des violons, le thème est ensuite plusieurs fois échangé entre violons et basses. Au cours du développement et de la réexposition, le thème chromatique du début et son accompagnement sont enrichis par un nouveau contrechant des premiers violons procurant un sentiment de plénitude grâce à l’interprétation à la fois précise et sensible des artistes.
Tout au long de l'andante ma non troppo en mi bémol majeur 2/4, également confié au quintette à cordes, un violoncelle solo double à l'octave inférieur le chant des premiers violons avec sourdine. Haydn y expérimente des combinaisons sonores toutes nouvelles qu'il utilisera dans ses dernières symphonies (n° 88 et 102). Ce morceau paisible se déroule sans heurts. Les cordes soyeuses du Kammerorchester lui rendent pleinement justicePrès de 20 années plus tard Haydn obtiendra une ambiance analogue dans ses interludes et ballets de son opéra Il Mondo della Luna.
Le Finale, Presto, 6/8, est remarquable par son rythme très dansant et son dynamisme. Strictement monothématique, il allie comme dans beaucoup d'oeuvres ultérieures le savant et le populaire.
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Portrait d'une Jeune Fille (1771), pastel, Coll. particulière. |
La symphonie n° 13 en ré majeur (Hob I.13) fut composée en 1763 alors que Joseph Haydn était déjà au service du Prince Nicolas Eszterhazy depuis trois ans en tant que vice-maître de chapelle (1). Relativement brève, elle est remarquable à plus d'un titre notamment par son finale ayant peut-être inspiré Mozart dans la composition du finale de sa symphonie n° 41 Jupiter KV 551. Son instrumentation très riche comportant quatre cors et des timbales en fait une oeuvre brillante et festive. L'intervention de soli instrumentaux très développés lui donne un côté symphonie concertante typique des symphonies de cette période (symphonies, n° 6, 7 et 8, Matin, Midi et Soir respectivement).
Le premier mouvement Allegro molto avec les fanfares de son thème accompagnées par des tenues des vents illustre parfaitement l'éclat et le dynamisme caractérisant l'oeuvre entière. Un court passage syncopé piano termine l'exposition. Après un beau développement très modulant entièrement bâti sur le thème initial, la rentrée est particulièrement spectaculaire: le thème est énoncé d'abord piano par l'orchestre puis les quatre cors naturels l'entonnent fortissimo. L'effet est saisissant.
L'adagio cantabile en sol pourrait être le mouvement lent d'un concerto pour violoncelle. C'est de bout en bout une belle cantilène de cet instrument accompagné discrètement par les autres cordes. Les vents se taisent. Ce mouvement basé sur la séduction mélodique donne au violoncelle de Christoph Dangel l'occasion de briller dans son registre aigu.
Après un menuetto Allegretto très symphonique, le trio nous offre un ravissant solo de flûte interprété avec des ornements raffinés par Marco Brolli à la flûte traversière.
Le Finale allegro molto débute par un fugato à partir d'un cantus firmus plus tard réutilisé par Haydn lui-même (début du 5 ème concerto pour deux lires pour le roi de Naples) et immortalisé par Mozart. « .A la strette des mesures 145-154, on entend très concrètement la symphonie n° 41 Jupiter de Mozart », nous dit Marc Vignal (1). Ce mouvement est une structure sonate comportant des passages polyphoniques et homophones ainsi qu'un mélange de savant et de populaire, traits très typiques de la musique future de Haydn et de quelques oeuvres de Wolfgang Mozart (finales du quatuor à cordes en sol KV 387, et du concerto pour piano en fa KV 459).
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Autoportrait (1781). Fort Worth, Kimbell Art Museum |
A l’écoute du concerto n° 1 en do majeur Hob VIIa.1, comment ne pas être sous le charme! Quel feu, quel panache, quelle élégance dans ce début en doubles cordes au violon solo ! . On sent bien l'influence de compositeurs baroques comme Nicola Porpora (1686-1768) dans les unissons de l'orchestre et les rythmes pointés mais déjà dans cette oeuvre composée en 1765 vraisemblablement, le style de Haydn regarde constamment vers l'avenir.
L'adagio est une magnifique sérénade accompagnée par les pizzicatos de l'orchestre ainsi qu'un théorbe qui donne une ambiance très italienne. A noter que le mouvement débute et se termine par une gamme solennelle, anticipant celles, diatoniques et chromatiques intervenant dans La Création et les Saisons respectivement et rappelant également la symphonie n° 7 Le Matin. Admirable interprétation de ce mouvement par le violoniste Baptiste Lopez, Giovanni Antonini et le Kammerorchester Basel que l’on devrait conseiller à ceux qui regrettent que le fameux quatuor à cordes « Sérénade », opus 3 n° 5, n’ait pas été composé par Haydn !!
Le Presto final est un feu d'artifice de virtuosité non gratuite, de dynamisme et de joie de vivre. Quel optimiste ce Giuseppe Haydn!
Le Kammerorchester de Bâle qui, rappelons-le, joue sur instruments anciens et ne pratique, comme il se doit, aucun vibrato, est particulièrement inspiré dans ces symphonies de transition qui par de nombreux côtés, appartiennent encore au monde baroque. L’écoute de ce disque est un enchantement.
1. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.
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Le peintre Hubert Robert (1788), Musée du Louvre. |