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© photo Ars-essentia Marie Lys |
Aroma di Roma
Sur près de cent cinquante cantates italiennes composées par Georg Friedrich Haendel (1685-1759), un faible nombre d’entre elles nous est parvenu. Ces cantates ont été écrites principalement pour le marquis Francesco Maria Ruspoli (1672-1731), lors du séjour italien (1706-1710) du compositeur saxon. Le lecteur intéressé par le sujet pourra consulter deux articles (1,2), un livre (3) et une chronique sur ce dernier (4).
Oeuvres de jeunesse, composées dès l’âge de 22 ans, les cantates profanes sont des œuvres de grande qualité, révélant pleinement le génie du compositeur saxon. Haendel devait être très attaché à ces oeuvres car elles constituèrent un vivier dans lequel il puisera toute sa vie. On retrouvera en effet les airs de ses cantates plus ou moins modifiés dans ses œuvres futures : opéras, pasticcios ou oratorios. Les cantates profanes ont l’intérêt d’être des marqueurs de l’évolution stylistique du compositeur saxon au cours de son séjour italien. Elles reflètent aussi les nombreuses influences qu’exercèrent sur lui de nombreux musiciens italiens contemporains et tout particulièrement Alessandro Scarlatti (1660-1725) et son fils Domenico Scarlatti (1685-1757) avec lequel le jeune Haendel noua une amitié durable.
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© photo Christine Vuagniaux. Christophe Rousset, Benjamin Chénier, Gilone Gaubert, Marie Lys, Emmanuel Jacques |
La cantate Notte placida e cheta (Nuit calme et silencieuse) HWV 142 a été composée en 1708. Sous une apparence paisible, cette cantate dévoile progressivement les tourments qui agitent le personnage principal, un amant, qui, languissant pour sa chère Phyllis, traverse toute sorte d’affects : déprime, optimisme, anxiété, espor. Il croit que ses désirs sont enfin satisfaits mais ce n’était qu’un rêve et il est rattrappé par la cruelle réalité. Le premier air débute par de jolies arabesques des deux violonistes Gilone Gaubert et Benjamin Chénier, Marie Lys fait valoir son élégante ligne de chant et son légato harmonieux. La mélodie se complexifie et donne l’occasion à la chanteuse d’orner le chant de magnifiques vocalises, admirablement articulées. On remarque aussi un air dans le mode mineur de forme da capo, Luci belle (charmants yeux étoilés), dans lequel les ritournelles qui séparent les sections consistent en un chant magnifique du violoncelle d’Emmanuel Jacques. Une étrange fugue vient rappeler que la vie n’est qu’un songe. La fugue se déroule régulièrement et la voix de l’amant occupe dans le quatuor la place d’un alto au service unique de la polyphonie. Haendel voulait-il montrer aux italiens sa maitrise du contrepoint ou bien subissait-il l’influence d’Alessandro Scarlatti, qui dans ses Cantate da camera aurait pu impressionner le Saxon par la rigueur, voire la sévérité de son écriture ?
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© photo Ars-essentia. Marie Lys |
Son qual stanco pellegrino… (Je suis tel ce pèlerin fatigué…) est une aria tirée de l’opéra seria Arianna in Creta, HWV 32 datant de 1734. C’est une aria di paragone (paragone = métaphore, comparaison) typique dans laquelle le protagoniste, en l’occurence Alceste, chanté par le castrat-sopraniste Carlo Scalzi lors de la création de l’opéra, se compare à un pèlerin, qui a perdu son chemin. Cet air est en fait un duo à deux parties égales, soprano - violoncelle. Le violoncelle dialogue constamment avec la voix et joue la mélodie principale des ritournelles qui séparent les cinq sections de cet aria da capo très développée de structure AA1BA’A’1. Avec la voix large et ample de Marie Lys, ses aigus très purs et son merveilleux legato, le meilleur du bel canto était ainsi offert au public. Au violoncelle, Emmanuel Jacques ravissait par la beauté du son. Une émotion intense se dégageait de toutes ces mélodies planantes. On ne pouvait rêver d’une plus belle euphonie entre deux « instruments » faits l’un pour l’autre.
La date de composition de la cantate Agrippina condotta a morire HWV 110 n’est pas connue avec certitude. Malgré ses vastes dimensions, elle s’écarte résolument de l’opéra seria dont les règles venaient d’être fixées vers 1700, du fait de sa fin tragique. Elle débute en sol mineur par une aria di furore typique dans laquelle l’héroïne demande aux éléments de se déchainer à l’instant de sa mort. Les vocalises périlleuses étaient parfaitement maîtrisées par la chanteuse. Dans le deuxième air, de forme da capo, dans le mode majeur, l’héroïne exige de Jupiter qu’il foudroie l’auteur de ses tourments. Le thème principal, répété maintes fois par les cordes est parsemé d’âpres dissonances et de traits heurtés. Ensuite une suite de récitatifs accompagnés et d’ébauches d’airs reflètent le délire d’une mère déchirée entre une haine meurtrière pour son fils et l’amour maternel. Ce passage assuré avec un engagement intense et un magnifique investissement vocal par Marie Lys, me semble anticiper la scène de la Folie dans Orlando (1733). Un récitatif accompagné débouche sur un dernier air en forme de fugue dans lequel la condamnée à mort presse le bourreau d’accomplir sa tâche. Quelques mots bouleversants de récitatif murmurés et c’est tout, une fin saisissante qui surpasse en noirceur des déchainements de violence trop prévisibles.
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© photo Ars-essentia. Gilone Gaubert et Benjamin Chénier |
Les sonates en trio (ici deux violons concertants et le continuo) ont circulé librement sous forme de manuscrits pendant de nombreuses années et ce n’est qu’en 1739 qu’elles seront publiées par l’éditeur John Walsh avec l’accord de Haendel. Leur date de composition est inconnue et certaines auraient pu être écrites pendant le séjour du Saxon en Italie sous l’influence d’Arcangelo Corelli ( 1653-1713).
La sonate en trio opus 2 n° 1 en si mineur HWV 386b débute avec une merveilleuse mélodie, andante, chantée par le premier violon (Gilone Gaubert) sur une admirable basse descendante (Emmanuel Jacques). Dans la deuxième partie, le thème est très joliment orné. Le deuxième mouvement, allegro débute par des entrées canoniques du premier, du second violon (Benjamin Chénier) et du violoncelle. La coda très énergique sur une pédale de basse, a un caractère passionné. L’adagio, un chant très ornementé du premier violon de caractère italien, pourrait illustrer une scène du sommeil dans un opéra seria. Un allegro 3/8 à l’allure de gigue conclut l’oeuvre.
Trois mouvements sur les cinq que compte la sonate en trio opus 5 n° 4 en sol majeur HWV 399, ont été exécutés. L’oeuvre débute comme une ouverture à la française avec un mouvement en rythmes pointés très marqués de caractère brillant. L’allegro qui suit est léger et guilleret malgré quelques incursions dans le mode mineur. Une belle passacaille sur une basse obstinée descendante sert de conclusion à l’oeuvre ; elle débute d’abord en valeurs longues, les croches succèdent aux noires, puis les doubles croches permettent aux instrumentistes de montrer leur virtuosité d’où une impression de vitesse alors que le tempo est rigoureusement le même. Plusieurs variations mineures apportent une touche de mélancolie. L’auditoire était subjugué par la sonorité pleine et profonde produite dans cette oeuvre par le clavecin de Christophe Rousset et les trois instruments à cordes.
En bis, les artistes ont ravi le public d’un air célèbre de Cleopatra tirée de Giulio Cesare.
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© photo Ars-essentia La chapelle des Jacobins |
Dans une chapelle des Jacobins, joyau médiéval à l’acoustique remarquable, Marie Lys a livré une prestation vocale éblouissante tandis que les musiciens des Talens Lyriques lui offraient un partenariat de rêve. En une heure et demi de bonheur absolu, chanteuse et instrumentistes ont parcouru et partagé avec le public toute la gamme des émotions et des affects.
(1) https://baroquiades.com/cantates-italiennes-haendel-haim-erato/
(2) https://baroquiades.com/aminta-e-fillide-haendel-petrou-goettingen-2022/
(3) Olivier Rouvière, Les opéras de Haendel, un vade mecum, van Dieren, Paris, 2021.
(4) Véronique Du Moulin https://baroquiades.com/operas-de-haendel-rouviere-van-dieren/
(5) Cet article est une extension d'une chronique antérieure : https://baroquiades.com/aroma-di-roma-marie-lys-beaune-2025/
Détails
Date
7 juillet 2025
Lieu
Chapelle des Jacobins, Beaune. Concert donné dans le cadre du XLIII Festival International d’Opéra Baroque de Beaune.
Programme
Notte placida e cheta HWV 142 (1708) - cantate
Sonate en trio opus 2 n° 1 en si mineur, HWV 386b (1733)
Arianna in Creta, HWV 32 (1734), Son qual stanco pellegrino.
Sonate en trio, opus 5, n° 4, en sol majeur, HWV 399 (1733), extraits
Agrippina condotta a morire, HWV 110 (ca 1707 - 1709) - cantate
Distribution
Marie Lys, Soprano
Les Talens Lyriques
Gilone Gaubert, Violon
Benjamin Chénier, Violon
Emmanuel Jacques, Violoncelle
Christophe Rousset, Clavecin et Direction.
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