Selon
certains mozartophiles éminents, Wolfgang Mozart ne
serait pas un
novateur pour reprendre les termes
utilisés par Nikolaus
Harnoncourt, ni un inventeur mais aurait
fait la même chose que
ses contemporains en mieux (1,2). De façon assez courante, on oppose
Mozart à Jean-Philippe Rameau, Luigi Boccherini, Joseph Haydn,
Ludwig van Beethoven, considérés eux comme novateurs sinon
inventeurs.
Portrait de Mozart par Doris Stock |
Certes
Mozart n'a inventé ni la
symphonie, ni le quatuor à cordes, ni
le concerto pour
pianoforte ou clavecin...., en somme aucun
des principaux
genres classiques, mais quand on cherche les
inventeurs de ces genres, il n'est pas toujours facile
de se
mettre d'accord, les nationalismes s'en mélant,
sur un nom.
L'exemple suivant montre la difficulté d'atrribuer à un compositeur
la paternité d'un genre musical.
Joseph
Haydn a été longtemps considéré presqu'unanimement comme
l'inventeur du quatuor à cordes avec ses divertimenti a quattro
HobIII.1-10, en cinq mouvements, que l'on date à partir de 1757
(3,4). On a objecté toutefois que ces divertimenti, bien qu'écrits
pour deux violons, alto, violoncelle, sont encore éloignés de
l'esprit du quatuor à cordes classique. D'autre part les six
quatuors opus 5 de Franz Xaver Richter qui auraient été composés
aussi vers 1757, seraient, selon certains, plus proches de l'idée
que nous nous faisons du quatuor classique. En fait, on trouve des
œuvres pour la même formation de compositeurs antérieurs à Haydn
ou Richter. La sonata da camera opus 3 n° 1 de Gottfried
Johann Janitsch qui date de 1747 est un cas intéressant. Les trois
voix supérieures sont celles du quatuor à cordes classiques mais la
basse ne s'est pas encore totalement affranchie de son rôle
ancestral de basse continue. Quelques années avant (1743), Louis
Gabriel Guillemain publie ses six Conversations Galantes et Amusantes
pour flûte, violon, viole de gambe et basse. Dans ces œuvres
remarquables, l'ambitus de la partie de viole de gambe est celle
quasiment d'un alto. La partie de basse est chiffrée mais peut
facilement être jouée par un violoncelle. En fait ce n'est qu'à
partir de l'opus 9 de Haydn, datant de 1769, et dont les six quatuors
(HobIII.19-24) possèdent quatre mouvements, que le style du quatuor
à cordes moderne est fixé (bien que ces œuvres continuent à
s'inituler divertimenti) et on constate que ces quatuors de
Haydn sont antérieurs de peu aux quatuors concertants de
François-Joseph Gossec, du Chevalier de Saint-George (5), de Pierre
Vachon, tous nés en 1772 ainsi qu'aux quatuors Milanais de Mozart de
1772-3.
En
conclusion, on voit bien que le quatuor à cordes n'est pas né
brusquement telle Athéna jaillissant toute armée de la tête de
Zeus mais au terme d'un processus lent et progressif dans le temps et
l'espace. En outre, les compositeurs étant tributaires de leurs
précécesseurs, le terme d'inventeur n'est de toutes façons pas
adapté.
Mozart
n'est pas non
plus un créateur de formes musicales: ni la
structure sonate, ni la
variation, ni le rondo ne furent inventés
par lui, bien qu'il ait contribué à porter ces formes à des
niveaux de
perfection remarquables. On peut dire la même chose de
Haydn qui n'a pas crée de formes nouvelles mais a contribué à
élever la structure sonate à un degré de perfectionnement inconnu
jusque là, ou encore de Beethoven qui, dans ses dernières sonates
ou ses derniers quatuors à cordes, a fait de la grande variation un
champs d'expérimentation extraordinaire.
Mais
ne joue-t-on pas sur les mots? Le contenant est-il si important?
N'est-ce pas le contenu qui importe? Alors pour ce qui est du
fond, Mozart est-il un novateur?
Muzio Clementi par Aleksander Orlovsky |
Dans
l'art de Joseph Haydn, on trouve une capacité innée au
développement thématique et cela dès ses premières œuvres comme
par exemple les étonnants 21 trios pour deux violons et violoncelle
HobV datant au plus tard de 1765 (3). En fait Haydn utilise les
différentes cellules de la phrase musicale principale d'une forme
binaire récurrente dans le début de la seconde partie (qui
deviendra progressivement la partie centrale de la structure sonate
et prendra plus tard le nom de développement) pour les mettre en jeu
dans des jeux contrapuntiques, canons, imitations, fugatos ou encore
pour les combiner entre eux. Ce type d'écriture se perfectionne au
fil des ans pour atteindre un degré de complexité et de raffinement
inoui dans les œuvres de la grande maturité comme par exemple,
l'emblématique quatuor en fa mineur opus 55 n°2 Le Rasoir ou l'immense symphonie n° 88 en sol majeur. Cette
technique compositionnelle, par la répétition de motifs, par
l'unité qui en résulte, par un processus combinatoire qui les
exalte, procure à l'oreille et l'esprit une satisfaction intense.
Comme le dit Marc Vignal, l'oeuvre de Haydn est un livre ouvert dans
lequel Beethoven n'aura qu'à puiser (3).
Rien de tel chez Mozart,
qui, tant qu'il demeura à Salzbourg, pratiqua un style différent,
inspiré de modèles comme Johann Schobert, Johann Christian Bach ou Michael Haydn et
qu'on peut qualifier de galant, sans aucune nuance péjorative. Le
style galant, centré sur la mélodie accompagnée et fortement
influencé par l'opéra, n'accorde qu'une place limitée à
l'élaboration thématique ou au développement. Ce dernier, placé
au début de la seconde partie d'une structure sonate par exemple, ne
consiste chez le jeune Mozart qu'en une simple transition destinée à
préparer la rentrée ou réexposition. Ce style qui triomphe chez
Mozart au cours des années 1774 et 1775 (6), flatte l'oreille mais
ne semble pas totalement satisfaisant pour l'esprit. Mozart ne va pas
tarder à s'en rendre compte et à réagir sous l'influence de Joseph
Haydn, de Muzio Clementi (1752-1832) ainsi que des maîtres d'Allemagne du nord
qu'il découvre à partir de 1781. Il introduit le développement
thématique, ses thèmes deviennent moins nombreux, évolution déjà
sensible dans la série des six quatuors à cordes dédiés à Haydn
(1782-1785) qui aboutit au monothématisme à partir de 1786.. Dans
son quatuor à cordes en ré majeur K 499 de 1786, le premier
mouvement est bâti sur un thème unique. Dans ce mouvement, un des
plus ingénieux du compositeur, la division ternaire de la structure
sonate s'estompe au profit d'un développement continu de l'idée
initiale. A partir de cette date, de nombreux mouvements de trios
pour pianoforte, violon, violoncelle (premier mouvement des trios en
mi bémol K 498, en si bémol K 502, andante du trio en sol majeur K
496), quatuors et quintettes à cordes, symphonies, sont basés sur
ces principes. Le finale de sa symphonie n° 39 en mi bémol majeur,
rigoureusement monothématique, est une réussite totale aux plans
harmoniques et contrapuntiques. L'ouverture de la Flûte Enchantée,
bâtie également sur un seul thème (emprunté probablement à Muzio
Clementi) représente un tour de force et le parangon de cette
tendance. Mais le morceau le plus génial est à mon avis, le finale
du quatuor à cordes en fa majeur K 590 (1790), un mouvement d'une
complexité exceptionnelle, encore plus élaboré que le quatuor K
499.
En
résumé, à partir d'Idomeneo, le style de Mozart évolue
profondément et sa musique acquiert des caractéristiques voisines
de celle de Haydn tout en affirmant évidemment sa personnalité
unique. Pour moi,
une œuvre telle que la sonate pour pianoforte à quatre mains en fa
majeur K 497 conduit à Beethoven aussi sûrement que le quatuor à
cordes en fa mineur opus 55 n° 2 (HobIII.57) de Haydn, pour ne citer
ici que deux œuvres emblématiques et contemporaines des deux amis.
Seule la mort a empêché Mozart d'aller plus loin dans ses
recherches. Toutefois, Mozart me semble plus avoir joué
un rôle de suiveur que de meneur, dans l'acquisition de sa
personnalité et de son style. Ce n'est pas lui non plus
l'inventeur du style classique dans
lequel certains voient une fusion des styles galants et savants.
Ni
sur la forme, ni sur le fond, Mozart ne serait donc un
novateur.
Dans une deuxième partie nous allons modifier notre
angle d'approche en examinant quelques œuvres majeures de Mozart
appartenant à des genres musicaux différents.
- Nikolaus Harnoncourt, Le Dialogue Musical, Monteverdi, Bach et Mozart, Arcades, Gallimard 1985
- Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp. 1119-1126.
- Michelle Garnier-Panafieu, Un contemporain atypique de Mozart, Le Chevalier de Saint-George, YP Editions, 2011, pp. 64-75.
- T. de Wizewa, G. de Saint Foix, Mozart, tome II, Le jeune Maître, Desclée de Brouwer, 1937. Dans ce magistral ouvrage le chapitre concernant l'année 1775 s'intitule le Triomphe de la Galanterie. Il faut remarquer que dans cette période de la vie de Mozart, le jeune Maître doit satisfaire les goûts de sa clientèle salzbourgeoise qui ne veut plus de symphonies ou de quatuors à cordes, genres jugés trop sérieux, mais qui réclame des divertissements, des sérénades et aime entendre de brillants solistes instrumentaux d'où une profusion de concertos, notamment les cinq concertos pour violon, composés par Wolfgang Mozart en 1775.
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