Don Carlo
Grand opéra en quatre actes de
Giuseppe Verdi
Joseph Méry et Camille Du Locle,
livret d'après la pièce de Frédéric Schiller
Créé à l'Opéra de Paris le 11mars
1867
Version de Milan 1884.
Daniele Callegari, Direction Musicale
Robert Carsen, Mise en scène
Radu Boruzescu, Décors
Petra Reinhardt, Costumes
Robert Carsen et Peter van Praet,
Lumières
Ian Burton, Dramaturgie
Marco Beriel, Mouvements
Stephen Milling, Philippe II
Andrea Carè (sauf 19 et 23/06), Gaston
Rivero (19 et 23/06), Don Carlo
Tassis Christoyannis, Posa
Ante Jerkunica, Le Grand Inquisiteur
Elza van den Heever, Elisabeth de
Valois
Elena Zhidkova, La Princesse Eboli
Patrick Bolleire, Un moine
Rocio Pérez, Tebaldo
Camille Tresmontant, Le Comte de Lerme
Francesca Sorteni, Une voix céleste
Diego Godoy, Un hérault royal
Dominique Burns, Emmanuel Franco,
Jaroslaw Kitala, Jaesun Ko, Laurent Koehler, Nathanaël Tavernier,
Députés flamands
Choeurs de l'Opéra du Rhin
Sandrine Abello, Direction
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Compte rendu de la représentation du
17 juin 2016, publié dans le forum Odb-opéra..
Représenté en 1867 à l'opéra de
Paris, Don Carlo présente la particularité d'avoir fait l'objet de
sept versions différentes. C'est la sixième version, dite de Milan
de 1884 qui a été donnée à l'opéra du Rhin. Il s'agit d'une
version raccourcie en quatre actes alors que la version parisienne,
déjà condensée par rapport à la version originale, jamais
représentée, en comportait cinq. Le premier acte de cette dernière
qui se situe à Fontainebleau a été supprimé dans la version de
Milan. Pour plus de détails concernant les diverses versions de
l'oeuvre, on pourra se reporter à un article de Marc Clémeur (1) et
à un dossier paru dans Wikipedia (4).
Synopsis. Au moment où l'opéra
débute, Elisabetta de Valois, autrefois promise à Don Carlo qui est
amoureux d'elle, et dont l'amour est payé de retour, a épousé
Filippo II, roi d'Espagne et père de Don Carlo. Par ce mariage
royal, elle s'est sacrifiée sur l'autel de la raison d'état pour
éviter une guerre entre la France et l'Espagne. Grâce à
l'entremise de Rodrigo, marquis de Posa, ami de Carlo, une entrevue a
lieu entre Carlo et Elisabetta. Carlo déclare de nouveau son amour à
cette dernière qui lui rappelle ses devoirs et lui fait remarquer
qu'elle est désormais sa mère. Carlo, sensible aux malheurs de la
Flandre, occupée par l'Espagne, s'oppose violemment à son père, le
menace de son épée mais est désarmé par Rodrigo. Alors que
Filippo médite amèrement sur son union avec Elisabetta, le Grand
Inquisiteur met en garde Filippo : le Marquis de Posa est un
traître et doit être éliminé. Filippo refuse de sacrifier
Rodrigo. La jalousie de Filippo est exacerbée par la découverte
d'un portrait de Carlo dans la boite à bijoux d'Elisabetta. Carlo
est maintenant en prison et Rodrigo lui rend visite pour l'encourager
à se rendre en Flandre. Un coup de feu retentit et Rodrigo tombe
mortellement blessé. Surprenant Elisabetta et Carlo ensembles, alors
que Carlo faisait ses adieux à la reine, le roi est hors de lui. Je
veux un double sacrifice s'écrie-il. Au moment ou la sentence de
mort doit être exécutée, un moine, en qui certains reconnaissent
Charles Quint, apparaît et soustrait Carlo au bras armé de
l'Inquisiteur.
Chant du voile Photo Klara Beck |
Don Carlo joue un rôle clé dans la
carrière musicale de Giuseppe Verdi. C'est en effet une œuvre plus
dense et plus riche que la plupart de ses opéras antérieurs,
notamment la trilogie La Traviata, Il Trovatore, Rigoletto. Les grands airs
et les scènes spectaculaires sont toujours présents mais ils se
fondent dans un discours mélodique continu qui fit taxer Verdi de
wagnérisme! L'orchestre prend une ampleur exceptionnelle, devient un
personnage à part entière et permet à Verdi de transmettre au
public ce que les personnages physiques ne peuvent dire par des
paroles, c'est-à-dire l'inexprimable (2). Pour ce faire
l'orchestration regorge de beautés diverses avec un emploi poétique
des instruments à vents, comme dans le délicat duetto Carlo,
Elizabetta, perduto ben, mio sol tesoro... du premier acte où
trois flûtes dialoguent avec une clarinette dans son registre grave
tandis que les violons jouent en harmoniques. L'effet est saisissant!
Un autre sommet de cet œuvre est la première scène de l'acte III.
Filippo répond au magnifique solo de violoncelle, débordant de
lyrisme, par un monologue dans lequel il constate avec amertume que
son amour pour Elisabetta n'est pas payé de retour. Ce monologue
atteint un climax expressif sur les mots Amor per me non ha !
L'entrevue de Filippo avec le
Grand Inquisiteur est aussi un sommet dramatique. La voix caverneuse
de l'Inquisiteur est accompagnée par les cuivres, les cordes graves,
ainsi que la grosse caisse. D'aucuns ont cité avec raison la scène
de Don Giovanni et du Commandeur. Sur les paroles menaçantes de
l'Inquisiteur, O Re...doman saresti presso al Gran
Inquisitor al tribunal supreme...,
on entend un extraordinaire passage des bois d'une étrange beauté
où se révèle un Verdi visionnaire. Enfin le monologue d'Elisabetta
au début de l'acte IV, Tu che le vanità conoscesti del
mundo...est un grand moment
d'émotion. Le chant verdien, dépouillé des scories de la
virtuosité et des effets à la mode, y atteint une intensité et une
pureté admirables. Ce aspect est important car il permet de
distinguer Don Carlo des opéras précédents comme Traviata ou
Rigoletto dans lesquels triomphait encore le bel canto.
Filippo II photo Klara Beck |
Avec, dans les yeux et les oreilles, la
version superlative de l'opéra de Vienne mise en scène par Daniele
Abbado, donnée en streaming une quinzaine de jours avant, j'avais un
peu d'appréhension par crainte d'être déçu, mais dès les
premiers instants l'impressionnante mise en scène de Robert
Carsen a dissipé tous mes doutes. L'Escurial, palais de Philippe
II est un gigantesque tombeau. La mort est partout et hante chaque
personnage. Le noir domine sur la scène qui, au début de l'oeuvre,
représente une profonde salle noire, les éclairages font ensuite
apparaître des arcades et une tribune dont les ouvertures révèlent
des personnages furtifs, témoins des scènes qui se déroulent et
peut-être espions de l'empereur. Ce décor ingénieux, imaginé par
Radu Boruzescu, représente successivement les salles du
palais, le bureau de l'empereur, l'intérieur de la chapelle, la
prison ou une nécropole où s'alignent à perte de vue des
cercueils, seuls les éclairages millimétrés de Robert Carsen
et Renaud van Praët qui
produisent des ombres portées, précisent la destination du
lieu. Les costumes de Petra Reinhardt confirment l'atmosphère
de deuil. Les personnages de la cour sont tous vêtus de noir, les
hommes portent des soutanes et les dames de la cour sont couvertes de
noir de la tête aux pieds. Les lys d'une blancheur éclatante
qu'elles tiennent en main, en référence au mariage royal qui vient
de se célébrer, dans la scène II du premier acte, contrastent vivement avec le noir ambiant..Ce parti-pris de noirceur se justifie
évidemment par l'atmosphère d'intolérance religieuse qui régnait
à la cour d'Espagne, par la toute puissante inquisition qui était
le vrai maître des lieux du fait de la faiblesse du pouvoir royal.
Les conflits père et fils ainsi que
l'amitié indéfectible de Carlo et Posa renvoient aux mythes
antiques ou à l'Ancien Testament. Le dramaturge Ian Burton
cite même la relation entre David et Jonathas et le conflit qui
oppose David à son père Saül, conflit de même nature que la
rivalité de Carlo et de Fillippo. Il est toutefois peu probable que
Verdi ait connu le chef-d'oeuvre de M.-A. Charpentier. La mise en
scène prend quelques libertés avec la dramaturgie de la version de
Milan. Il est vrai que cette dernière est plutôt floue dans la
dernière scène puisque, d'après la didascalie du libretto, Charles
Quint, sortant du tombeau, emmène avec lui Carlo dans un monde
meilleur. En fait, la mise en scène de Robert Carsen prend à
la lettre les paroles de Philippe II, Io voglio un doppio
sacrifizio...Deux détonations, Carlo puis Filippo s'effondrent,
et Charles Quint, ressuscité, pose la couronne sur sa tête...(2).
Elisabetta photo Klara Beck |
La princesse Eboli a un rôle au moins
aussi important qu'Elisabetta, elle fut incarnée par Elena
Zhidkova avec beaucoup d'intelligence, mettant bien en évidence
la duplicité mais aussi la fragilité du personnage. La chanteuse
russe est une vraie mezzo et son timbre se distingue franchement de
celui de l'impératrice comme le montre parfaitement sa remarquable
participation au magnifique quartetto (Elizabetta, Eboli, Filippo,
Rodrigo) de l'acte IV, Sire, soggetta è a voi la metà della
terra...Toutefois c'est dans le
pittoresque chant du voile aux résonances espagnoles, Nel
giardino del bel saracin ostello..., qu'elle
donna le meilleur d'elle même avec sa voix bien projetée aux beaux
aigus, précis et séduisants. En fin de parcours elle me sembla un
peu fatiguée dans son air d'une difficulté diabolique, Ah
piu non vedro la regina... et sa
voix n'arrivait plus à émerger de la masse orchestrale. Pas de
problèmes de ce genre pour Elza
van den Heever qui
s'avéra, à mon humble avis, plus performante à la fin qu'au début
de l'opéra et dont le timbre de voix n'avait aucun mal à dominer
l'orchestre. On l'attendait dans la célèbre première scène de
l'acte IV, Tu che la vanità conoscesti del mundo, où
Elizabetta s'agenouille sur le tombeau de Charles V et
on ne fut pas déçu car cette scène fut un des sommets de l'opéra
et Elza van den Heever
communiqua une émotion
intense au public. En ce qui concerne les rôles masculins, on trouve
dans Don Carlo des caractères bien différenciés et des typologies
vocales variées. A mon avis, le triomphateur de la soirée fut
Stephen Milling
dans le rôle de Philippe II. Quelle voix ! Basse profonde,
puissante dans tous les registres de sa tessiture. L'air fameux du
début de l'acte III, Ella giammai m'amo (elle
ne m'aima jamais...), chef d'oeuvre à la fois vocal et instrumental
où la voix humaine fait écho à un superbe violoncelle, fut
peut-être le sommet de la soirée. Autre belle basse profonde, celle
du grand inquisiteur, Ante
Jerkunika dont les
interventions furent mémorables. Tassis
Christoyannis (Rodrigo,
Marquis de Posa) fut également très bon dans ce rôle capital. Sa
mort à l'acte IV fut un grand moment d'émotion. Elle fut précédée
par cet air magnifique, Per me giunto è il di supremo,...
qui exprima parfaitement la noblesse du personnage. Personnage ingrat
que celui de Carlo, un looser qui s'accroche désespérément à sa
passion pour Elisabetta. C'est une entreprise sans espoir et il ne le
comprend que quand il est trop tard. Andrea
Carè qu'on avait déjà
apprécié à l'ONR dans le rôle de Cavaradossi, donna une image
plus digne et plus consistante du personnage de Carlo. Dans un
registre souvent tendu, sa voix surmonta les difficultés du rôle
avec aisance et forma à deux reprises un duo très harmonieux et
équilibré avec Elisabetta, notamment, Io vengo a domandar
grazia alla mia regina....
Patrick Bolleire
fut un moine à la belle voix de basse. Rocio
Perez incarna avec talent
le page Tebaldo, on note sa gracieuse participation, en duo
avec Eboli, à la scène du voile. Une forte délégation de l'opéra
studio (Camille
Tresmontant, Francesca
Sorteni, Diego
Godoy, Dominique
Burns, Emmanuel
Franco, Jaroslav
Kitala, Jaesun
Ko, Laurent
Koehler, Nathanaël
Tavernier), apporta de la
jeunesse et de l'enthousiasme.
Magnifique ensemble
choral (direction Sandrine Abello) qui a montré l'étendue de
ses moyens et qui à la fin de l'acte III atteint allègrement le si
bémol 4.
L'assistance fit un
accueil chaleureux aux chanteurs. Triomphèrent à l'applaudimètre
Stephen Milling et Elza van den Heever.
Daniele
Callegari était dans son
élément. Sa direction était nette et précise et son geste très
expressif. Il conduisit avec force mais aussi subtilité un orchestre
philharmonique des grands jours.
Très beau solo de
violoncelle au début de l'acte III et de hautbois avant la première
scène de l'acte IV.
- Marc Clémeur, Une source inconnue pour le livret du Don Carlos de Verdi, Programme pour Don Carlo, Opéra National du Rhin, juin 2016.
- Daniele Callegari, Chercher le brun, ibid.
- Cette dernière scène est très fugace, les librettistes souhaitaient sans doute que le spectateur puisse imaginer plusieurs issues possibles. Mon imagination m'a sans doute joué un tour car dans le texte ci-dessus, écrit le lendemain du spectacle, j'ai interprété cette scène de façon sans doute erronée. Voici la fin telle que l'a imaginée Robert Carsen : après le double meurtre de Carlo et Filippo, ce n'est pas Charles V mais le marquis de Posa qu'on voit se lever et poser la couronne sur sa tête. Posa, le soi-disant indéfectible ami de Carlo et aussi de Filippo, a donc manigancé sa propre mort afin de mieux se débarrasser de ses deux rivaux Carlo et Filippo. Il est donc un traître, assoiffé de pouvoir qui a mené constamment un double jeu. Cette fin très peu vraisemblable, est cependant compatible avec le livret et a le mérite d'éviter la résurrection de Charles V.
- On lira avec intérêt un intéressant dossier sur Don Carlo : https://fr.wikipedia.org/wiki/Don_Carlos_(opéra)
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