L'Olimpiade,
dramma per musica en deux actes, musique de Domenico
Cimarosa,
livret de Pietro Metastasio (1733), fut créé avec succès le 10
juillet 1784 au théatre Eretenio de Vicenza. L'opéra triompha
jusqu'à la fin du siècle sur les scènes européennes mais tomba
dans l'oubli au 19ème siècle (1). A l'occasion du bicentenaire de
la mort de Cimarosa, il fut représenté au Teatro Malibran di
Venezia du 20 au 23 décembre 2001. La brillante distribution, avec
Anna Bonitatibus dans le rôle de Megacle, Patrizia Ciofi dans celui
d' Aristea, Luigi Petroni dans le rôle de Clistene, Ermonela Jaho
dans celui d'Argene et la direction musicale d'Andrea Marcon, fit de
ces représentations un événement exceptionnel.
La course à pieds, 500 ans avant J.-C., musée du Louvre |
Argument.
Megacle
a accepté de combattre à la place de son meilleur ami Licida et
sous son nom aux Jeux Olympiques. Si Megacle est vainqueur, c'est
donc Licida qui remportera le prix. Megacle ignore que ce prix est
Aristea, fille du roi Clistene dont il est amoureux, amour payé de
retour. Quand il apprend qu'Aristea est destinée au champion, il va combattre malgré son terrible
désespoir et sort vainqueur. Licida exulte et s'apprête à prendre
possession de son bien mais Aristea le repousse définitivement. Dans
un accès de fureur, Licida agresse le roi Clistene et est condamné
à mort. In extremis le roi reconnaît en Licida le bébé qu'il a
abandonné aux flots marins. Licida et Aristea sont donc frères et
sœurs et on se dirige vers une double union, celle de Megacle et
Aristea, et celle de Licida avec son ancienne amante Argene (2).
Portique du stade d'Olympie |
Un
beau livret, comme on les aimait à l'époque baroque, regorgeant de
situations dramatiques fortes et couvrant une palette étendue de
sentiments. Avant Cimarosa, ce livret inspira de très nombreux
compositeurs :Antonio Caldara (1733), Antonio Vivaldi
(1734), Giovanni Baptista Personnelles (1735), Leonardo Leo (1737),
Baltassare Galuppi (1747) et Nicolo Jommelli (1761), Nicola Piccinni
(1761), Antonio Sacchini (1763), Tommaso Traetta (1767), Josef
Myslivecek (1778), Giuseppe Sarti (1778), Giovanni Paisiello (1784)
etc...En juin 2012, un pasticcio fut monté à l'opéra de Dijon sur
le même texte de Metastasio. Des airs des compositeurs cités plus haut et
d'autres encore (seize en tout), ont été réunis, afin de
reconstruire un opéra complet. Malgré la diversité stylistique due
au fait que ces auteurs appartenaient à des époques différentes:
baroques, classiques et même romantiques comme Luigi Cherubini,
cette salade russe s'avéra une réussite. L'unité conférée par
le langage de l'opéra seria, commun à tous ces extraits, gommait la
disparité due aux différences individuelles de style et d'époque.
Style.
Cimarosa ignore les réformes effectuées par Gluck et Calzabigi
d'une part et Tommaso Traetta d'autre part qui consistent à
s'inspirer de la tragédie lyrique française en incorporant choeurs
et ensembles à l'action dramatique. En fait l'Olimpiade
est une suite de récitatifs et d'airs qui au premier acte se conclut
par un duetto et au second acte par un modeste concertato
dans lequel interviennent presque tous les protagonistes. Cette
structure est archaïque pour les années 1780 et rappelle l'opéra
baroque de Haendel ou Porpora. Cimarosa n'était pas le seul à
procéder ainsi, Giuseppe Haydn, pourtant si prompt à innover, avait
composé quelques mois avant Cimarosa un opéra seria, Armida,
de plan analogue, avec toutefois une différence de taille : un
troisième acte sans récitatif sec, quasiment durchcomponiert
(3).
En tout état de cause, l'Olimpiade
est aux antipodes d'une oeuvre comme Idomeneo
de Mozart (1781) qui possède plusieurs ensembles et où le choeur
est omniprésent et également de Gli
Orazii ed i Curiazii
de Cimarosa (1796) dont la structure d'ensemble est très voisine de
celle d'Idomeneo
avec un choeur interagissant encore plus intimement avec les protagonistes de
l'oeuvre.
Chez
un autre que Cimarosa, cette suite d'arias pourrait sembler monotone.
Ce n'est pas le cas ici et le maestro nous fait vibrer par les
accents les plus touchants et les envolées les plus passionnées.
Les airs sont de deux sortes, les uns de style napolitain avec da
capo et des vocalises impressionnantes, regardent plutôt vers le
passé et notamment vers l'opéra baroque napolitain mais aussi vers
l'avenir car certains traits, certaines tournures vocales sont
quasiment "belliniennes". D'autres airs sont beaucoup plus
simples, très courts, dépourvus de vocalises et centrés sur la
beauté mélodique. En général, la musique est plus complexe que
dans les oeuvres précédentes du compositeur napolitain et les
modulations bien plus audacieuses.
Sommets
Acte
I. L'air de Megacle scène 2 "Superbo
di me stesso...".
La mélodie de cet air a des accents romantiques dus à des
gruppettos très expressifs, elle sera reprise dans Gli
Orazii ed i Curiazii.
Cet air donne lieu à de superbes vocalises et des intervalles
périlleux.
Air
d'Aristea scène 6 "Tu
di saper procura..."Air
très gracieux remarquable par ses vocalises acrobatiques.
Air
d'Argene. scène 7. "Fra
mille amante un core..."
Très court, très simple sans vocalises ni virtuosité mais d'une
très grande séduction mélodique. Une pure merveille, qui suit un
air du même type basé peut-être sur un chant populaire napolitain
"O
care silve..."
(scène 4).
Recitatif
et duetto Megacle et Aristea scène 9 "Megacle,
O ma Speranza...".
Très beau duo de Megacle e Aristea, avec de magnifiques envolées
lyriques, de très belles modulations et la voix d'Aristea qui plane
dans les hauteurs.
Acte
II. Aria d'Aristea scene 3 "Grandi
è ver, son le tue pene..."
Air pourvu d'éblouissantes vocalises. L'émotion à
l'état pur.
Air
de Megacle scène 8 "Misero
me"
Magnifique récitatif accompagné: Megacle fidèle à sa
promesse décide de s'effacer pour laisser Licida épouser Aristea.
"Se
cerca, se dice..."
Air admirable très "bellinien" par sa splendeur vocale,
sommet dramatique de l'opéra..
Air
d'Aristea avec hautbois obligé scène 14 "Mi
sento O Dio nel core..."
Fantastique solo de hautbois mais Aristea rivalise avec ce dernier et
même le surclasse en grimpant vers les hauteurs les plus éthérées.
C'est certainement le point culminant de l'opéra, le triomphe du bel canto et un tour de force
de Cimarosa.
Air
d'Argène, scène 15. "Spiegar
non posso appena".
Etonnant Aria en mi mineur, très Sturm
und Drang,
très Haydnien (3), construit comme un morceau de sonate, à deux
thèmes, second thème au relatif majeur, sans développement, et
lors de la réxposition, transposition du discours musical en en mi
mineur.
Air
de Megacle scène 17 "Nel
lasciart!, o Prence amato".
Le plus sublime et le plus moderne de tous les airs de cet opéra. La
musique de cet air tend la main à Rossini, Donizetti et Bellini !
Discographie.
Il est à peine croyable que les représentations de l'Olimpiade
de Cimarosa en 2001 à La Fenice, pourtant de qualité supérieure,
n'aient pas fait l'objet d'un CD. Anna Bonitatibus (Megacle) et
Patrizia Cioffi (Aristea) sont exceptionnelles. Patrizia Cioffi est
tout simplement époustouflante dans Mi
sento, O Dio nel core.
Agilité vocale, vocalises fulgurantes, suraigus d'une pureté
parfaite et sensibilité à fleur de peau. Anna Bonitatibus était, à
l'époque de cette représentation et à mon humble avis, la meilleure soprano dramatique du
répertoire baroque, elle vocalisait aussi bien que Cecilia Bartoli
et de façon moins mécanique que cette dernière, de plus son timbre
de voix m'a toujours semblé plus chaud et plus charnu que celui de
la chanteuse romaine, de plus elle ne tombe jamais dans le
maniérisme. Son interprétation de Nel
lasciarti, o prence amato,
sera difficile à égaler. Luigi Petroni (Clistene) était remarquable.
Ermonela Jaho (Argene) très jeune à l'époque, avait une voix
pleine de promesses, promesses largement tenues depuis lors (la
chanteuse albanaise a été récemment une inoubliable Butterfly)!
Direction d'orchestre nerveuse et incisive d'Andrea Marcon à la tête de l' Orchestra Barocca di Venezia. Une
version complète de cet opéra peut être écoutée sur You Tube
dans de bonnes conditions.
L'Olimpiade, pasticcio sur le livret de Metastasio, comportant des extraits de seize compositeurs différents, est disponible chez Naïve. Cet opéra est également dirigé par Andrea Marcon. Pour plus de détails : http://www.forumopera.com/cd/tous-ex-aequo
L'Olimpiade, pasticcio sur le livret de Metastasio, comportant des extraits de seize compositeurs différents, est disponible chez Naïve. Cet opéra est également dirigé par Andrea Marcon. Pour plus de détails : http://www.forumopera.com/cd/tous-ex-aequo
On
ne le dira jamais assez, il n'y a pas que Mozart dans l'opéra
italien du 18ème siècle finissant. Domenico Cimarosa, Giovanni
Paisiello, Giuseppe Haydn ou Antonio Salieri y tiennent également
une place de premier plan qu'il serait décent de reconnaître
enfin !
- Nick Rossi and Talmage Fauntleroy, Domenico Cimarosa, His life and his operas, Greenwood Press, Westport, Connecticut, 1999.
- ibid, pp 187-188.
- Joseph Haydn a révisé, monté, mis en scène et dirigé treize opéras de Cimarosa à Eszterhàza. Il a composé pour certains d'entre eux des airs d'insertion dont certains sont des merveilles (4,5).
- Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.
- A lire en priorité un dossier très complet, comportant en outre le livret, sur l'Olimpiade de Cimarosa : http://www.teatrolafenice.it/media/libretti/16_8550olimpiade_dc.pdf
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