Mozart
avait un chardonneret chanteur qui, dit-on, lui siffla le thème du
finale de son concerto pour piano en sol majeur, K 453. Comme Mozart, Joseph Haydn devait avoir aussi de la sympathie pour la gent ailée comme en
témoignent sa symphonie n° 83 en sol mineur La Poule, son quatuor à
cordes opus 33 n° 3 en do majeur, l'Oiseau ou bien le quatuor opus
64 n° 6 en ré majeur, l'Alouette.
Alouette, Naumann, Histoire Naturelle des Oiseaux, 1905 |
Le
quatuor opus 64 n° 6 en ré majeur, l'Alouette HobIII.63 est le plus
original et le plus novateur des six quatuors à cordes de l'opus 64.
Ces derniers ont été
composés en 1790, les quatre premiers avant le décès du prince
Nicolas Esterhàzy dit Le Magnifique, patron de Joseph Haydn, les
deux derniers à partir d'octobre de la même année probablement en prévision du
voyage à Londres (1). Ils appartiennent à la série des quatuors
Tost,
du nom du riche drapier, violoniste de surcroît, auxquels ils sont
dédiés. Ils furent exécutés avec succès à Londres en avril 1791
dans le cadre des concerts Haydn-Salomon. La numérotation
traditionnelle est celle de la première édition parue en avril 1791
chez Leopold Kozeluch à Vienne. Les manuscrits autographes sont au
nombre de cinq, seul celui du quatuor n° 4 en sol majeur est perdu.
Ces manuscrits autographes sont numérotés par Haydn comme l'édition
de Kozeluch à une différence près: les cinquième et sixième
quatuors sont intervertis, le cinquième en ré majeur devient le
sixième et vice versa. Il
est évident que c'est la numérotation de Haydn qu'il faut
privilégier et c'est elle que nous adopterons. Selon
Marc Vignal les quatuors n° 5 en mi bémol majeur et n° 6 en ré
majeur l'Alouette sont incontestablement les plus impressionnants des
six, ils ont, contrairement aux quatre premiers qui sont des oeuvres
de musique de chambre pure, un caractère beaucoup plus extraverti et
brillant les destinant au concert, et ont du probablement être
composés après la mort de Nicolas le Magnifique par
un Haydn sachant déjà qu'il allait se rendre en Angleterre et
songeant expressément au public de ce pays
(1).
Sur
un plan général, les quatuors opus 64 et tout particulièrement les
n° 1 à 4 de la série sont très concis et souvent plus légers que
les quatuors opus 54 et 55, remarque qui n'enlève rien à leur
valeur musicale. Dans tous ces quatuors, sauf dans le quatuor n° 6
l'Alouette, les allusions à Mozart, volontaires ou non sont
nombreuses. Ces ressemblances concernent des thèmes présents dans
des oeuvres de Mozart antérieures ou postérieures à la présente
série ce qui suggère que les intéractions furent réciproques et
que les deux compositeurs s'inspirèrent mutuellement.
Allegro
moderato, 2/2. Structure sonate. La grande
phrase du premier violon dans son registre suraigu, planant au dessus
d'un autre thème très calme exposé, en croches détachées, par
les trois autres instrumentistes, imite le doux chant de l'alouette,
ses trilles, ses trémolos quand elle fait du surplace au dessus des
champs de blé (2). Ce thème admirable et inoubliable est unique
dans l'oeuvre de Haydn et dans toute la musique. Joseph Haydn est un
créateur d'images, discrètes dans ce quatuor, plus affirmées dans
les symphonies, grandioses dans la Création et les Saisons, elles
évoquent toujours la nature dont il était si proche dans sa
résidence d'Eszterhaza perdue au milieu des bois. Notre sèche
analyse ne peut rendre compte du plaisir auditif et de l'émotion
procurés par ce thème de l'alouette. Notons aussi dans
l'exposition un étonnant passage d'étranges accords syncopés d'une
grande audace harmonique et à la fin de l'exposition un court motif
en triolets suivi par une gamme chromatique. Pendant le développement
qui suit, la réexposition et la coda, on observera cette succession
du thème principal, des accords syncopés et du motif en triolets,
dans l'ordre indiqué ou en ordre dispersé, modifiés chaque fois de
manière subtile avec une invention inépuisable. Ici point
d'élaboration thématique et de travail contrapuntique, le thème
est si beau que Haydn n'a pas voulu l'altérer, il se rattrapera
dans le prodigieux développement du dernier mouvement. Un rappel de
la dernière partie du thème initial dans une ambiance sereine
conclut le mouvement de façon très poétique.
Andante
cantabile, la majeur, ¾. Forme Lied. La forme Lied de type A B A' a déjà été utilisée dans l'andante du quatuor opus 64 n° 5 en
mi bémol majeur. Dans la première partie, le thème est longuement
exposé, trois fois par le premier violon, chaque fois avec de
subtiles variations. La partie centrale en la mineur, peut être
considérée comme une nouvelle variation sur le thème. La troisième
partie est en fait une reprise de la première partie. Le thème est
énoncé de nouveau trois fois mais ornementée avec tant de variété
et de fantaisie qu'il en devient méconnaissable. Le premier violon
est très en dehors, les trois autres instruments accompagnent et
tout ce mouvement a un caractère vocal prononcé évoquant l'opéra.
La splendeur mélodique de ce morceau contredit une fois de plus les
affirmations péremptoires de ceux qui prétendent que les mélodies
de Haydn manquent de charme.
Menuetto
allegretto ¾. Le menuetto est robuste et a un caractère
populaire , il est remarquable par une gamme ascendante en
croches. Cette gamme tantôt ascendante tantôt descendante fera
l'objet d'un petit développement lors de la seconde partie du
menuet. Le trio en ré mineur utilise le motif ascendant sous
diverses formes et aux quatre instruments donnant à l'ensemble du menuet et du trio une profonde unité.
Finale
Vivace 2/4. C'est un des mouvements les plus spectaculaires de
toute l'oeuvre de Haydn. Ecrit tout du long en agiles doubles croches
piquées avec l'indication staccato, c'est en fait un
mouvement perpétuel construit avec la plus grande rigueur. L'énoncé
du thème est encadré d'une paire de barres de reprises comme dans
plusieurs mouvements terminaux des symphonies contemporaines.
Changement d'armature pour le développement, on passe de ré majeur
à ré mineur avec un sujet de fugue accompagné par un contrechant
qui n'est autre que le thème initial transposé en mineur. Les
entrées de fugue se déroulent normalement, sauf celle de l'alto
dans la tonalité de fa majeur au lieu du la mineur attendu. Les jeux
contrapuntiques complexes qui suivent, aboutissent à une sorte de
strette, dans le registre élevé des deux violons et de l'alto,
remarquable par la rudesse de l'harmonie et les nombreuses
dissonances (secondes majeures et mineures). Le développement se
termine et on ne peut qu'admirer la grâce et le naturel avec lequel
le premier violon revient au thème initial. Une ample coda apporte
une conclusion tout en maintenant le rythme et le tempo implacables
du morceau. On arrive à un fortissimo et on croit le mouvement
terminé mais les quatre instruments chuchotent pendant quelques
mesures encore puis se décident à en finir par une gamme en
mouvements contraires. Ce mouvement final est un véritable tour de
force et offre une splendide conclusion au cycle de quatuors en
entier. Par son caractère extraverti et son volume sonore, il
annonce les quatuors à venir, notamment les opus 71 et 74 de l'année
1793, ainsi que ceux de Beethoven. Certains auteurs évoquent à propos du
vivace final du quatuor l'Alouette, le monumental quatrième mouvement de type
fugato du quatuor opus 59 n°3 en do majeur de la série des quatuors
Razumowsky (1).
Ce
quatuor l'Alouette va clore en beauté une des périodes (1786 à
1790) les plus fécondes et créatrices de la vie de Joseph Haydn,
jalonnée d'oeuvres grandioses et profondes: la symphonie en do
majeur n° 82 dite l'Ours, la symphonie en sol majeur n° 88 (la plus
novatrice et audacieuse des 107 symphonies à mon humble avis), la symphonie en sol majeur n° 92 (Oxford), les quatuors à
cordes opus 54 n° 1 en sol majeur et son allegretto central
tellement Schubertien, le virulent quatuor opus 55 n° 2 en fa mineur
du Rasoir, le quatuor opus 64 n° 5 en mi bémol majeur, le trio n°
27 en la bémol majeur HobXV.14, une de ses œuvres les plus
visionnaires, la grande sonate pour pianoforte n° 58 en do majeur
HobXVI.48, la Symphonie Sacrée pour orchestre de chambre, les Sept Dernières
Paroles du Christ sur la Croix, HobXX.1, sans oublier les nocturnes
pour le roi de Sicile péninsulaire, HobII.25-32, œuvres modestes
par les dimensions mais grandes par la valeur musicale etc...Ces
œuvres sont globalement joyeuses mais on remarque ici ou là des
accès de tristesse frisant parfois le désespoir, comme dans l'avant
dernier nocturne en sol majeur, HobII.27 pour le roi de Sicile. En octobre 1790, quelques jours après la mort du prince Esterhazy, tous les chanteurs et chanteuses ont quitté
l'opéra d'Eszterhàza et Haydn qui en était en quelque sorte le directeur musical, ressent probablement une grande solitude.
Portrait de Nikolaus Esterhàzy par Martin Knoeller |
A
la fin de l'année 1790, Haydn qui est devenu libre du fait du décès
du prince Nicolas le Magnifique, recevra deux propositions. D'une
part Ferdinand IV de Naples, roi de Sicile péninsulaire, dédicataire
de nombreuses œuvres magnifiques (concertos pour deux lires HobVIIh
1-5 de 1786 et divertimentos HobII.25-32 pour deux lires de 1790) lui
demandera de venir à Naples à son service, d'autre part, Johann
Peter Salomon lui proposera de se rendre à Londres, proposition
assortie de la commande ferme et payée d'avance d'un opéra seria,
l'Anima del Filosofo ossia Orfeo ed Euridice. C'est la deuxième proposition que
Joseph Haydn choisira et il fera bien car il pourra à Londres
exercer son métier de compositeur en toute liberté, ce qui n'aurait
probablement pas été le cas au service du tyrannique monarque
napolitain (3).
Interprétations.
Elles
sont innombrables et il est difficile de choisir. Si on s'en tient
aux versions sur instruments anciens, historiquement informées, on
sera charmé par celle du quatuor Buchberger (Abeille musique) et
impressionné par la virtuosité de son premier violoniste qui
présente le thème de l'alouette avec beaucoup de grâce et qui est
souverain dans le vivace final.. La version du quatuor Festetics
(Arcana) me semble un cran en retrait par rapport à la précédente.
Parmi les versions sur instruments modernes, celle du quatuor Amadeus
est sans défaut. On pourra aussi être séduit par celle du quatuor
Tatraï. Le Los Angeles quartet (Universal Music) joue le premier
mouvement trop lentement à mon goût, ce qui lui enlève une partie
de sa magie. Techniquement cette version est irreprochable notamment
le mouvement final qui est joué à la bonne vitesse. J'avoue que je n'ai pas étudié
vraiment la question de l'interprétation idéale et que toute
suggestion sera la bienvenue.
Pour en savoir plus sur les quatuors de l'opus 64, on peut consulter la référence 1 ainsi que: http://haydn.aforumfree.com/t27-les-quators-opus-64
Pour en savoir plus sur les quatuors de l'opus 64, on peut consulter la référence 1 ainsi que: http://haydn.aforumfree.com/t27-les-quators-opus-64
- Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp. 1183-1193.
- Cette image délicieuse de l'alouette survolant les champs risque de disparaître à jamais en Alsace. C'est un océan de maïs qui a envahi la plaine agricole, agriculture agressive et brutale, consommatrice de quantités massives d'engrais et d'herbicides, destructrice des animaux nichant au sol comme le grand hamster ou l'alouette. Puissamment subventionnée, cette culture assure un revenu régulier au cultivateur. Contrairement au blé qui est la nourriture de l'homme, le maïs sert essentiellement à l'alimentation animale. Le bilan carbone de cette culture est donc désastreux mais elle reste l'orgueil de l'agriculture française. Ces quelques données montrent les terribles contradictions de l'agriculture moderne, tiraillée entre la nécessité d'assurer à l'agriculteur un revenu décent et les exigences environnementales..
- Ferdinand IV jeta en prison le metteur en scène d'un opéra de Domenico Cimarosa, Artemisa, regina di Caria, car étant allé à une représentation de cet opéra, il le détesta. Il semble que c'était Cimarosa qui était visé mais comme il était l'idole des napolitains, le roi n'osa pas s'en prendre à lui et c'est le metteur en scène qui prit tous les coups. Quand Ferdinand reprit le pouvoir en 1800, après la chute de l'éphémère République Parthénopéenne, il fit emprisonner Cimarosa lui-même pendant quatre mois. Ces données se trouvent dans l'ouvrage de Talmage Fauntleroy et Nick Rossi (4). Il serait intéressant de monter Artemisia, regina di Caria, une œuvre que Cimarosa mettait au dessus du Matrimonio segreto. Haydn connaissait très bien Cimarosa pour avoir monté et dirigé au théâtre d'Eszterhàza, douze à treize opéras du compositeur napolitain.
- Fauntleroy,T. and Rossi, N., Domenico Cimarosa, His life and his operas, Greenwood Press, Westport Connecticut, 1999.
- Marc Vignal, Dictionnaire de la musique, Le quatuor à cordes, Larousse, 2011. Livre incontournable si on veut s'instruire sur l'histoire du quatuor à cordes.
Bonjour , merci pour votre blog ! A n'en pas douter vous aimez la musique et en avez une connaissance solide. J'ai découvert votre blog en cherchant une analyse du quatuor L'alouette. En fait j'ai sélectionné 12 quatuors pour accompagner la lecture d'un livre que je suis en train de rédiger.: quatuors de Haydn, Fauré, Grieg, Janacek, Debussy, Dvorak, Verdi, Paganini, Messiaen, Puccini, Mozart, Ravel . Je n'ai pas encore vérifié s'ils figurent dans votre blog.. Cordialement. Geneviève
RépondreSupprimerBonjour, Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m'avertir quand votre livre sera publié. Bien à vous. Pierre Benveniste
SupprimerMerci pour votre retour. J'y réponds tardivement car je fréquente rarement mon blog sauf pour y publier des chroniques nouvelles. Votre livre sera sans doute passionnant étant donné la qualité des oeuvres que vous avez sélectionnées pour l'illustrer. Mis à part les quatuors de Haydn, aucune d'entre elles ne figure dans mon blog. Le quatuor de Ravel que j'adore me tente beaucoup! Bien cordialement. Pierre
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