Li Zite 'n galera (Les fiancés en
galère), commedia in musica dont la musique est de Leonardo Vinci
(1690-1730) et le livret de Bernardo Saddumene a été représenté
en 1722 au Teatro dei Fiorentini à Naples (1). Le livret est écrit
en napolitain. Contrairement à ce qu'on entend souvent, le
napolitain qui est parlé actuellement par plus de la moitié de la
population de Naples et une partie importante de celle de la région de Campanie
soit plusieurs millions de personnes, n'est pas un dialecte. Les
formes écrites du napolitain sont étayées par une grammaire très
élaborée (2). Cet idiome a donné lieu à une littérature abondante. Les textes de milliers de chants (cinq cent rien que pour
le poète Salvatore di Giacomo (1860-1934) dont certains remontent au
13 ème siècle (3), de poèmes, de pièces de théâtre et les
livrets de dizaines d'opéras, notamment au dix huitième siècle ont été pensés et écrits en napolitain.
Ces éléments permettent d'affirmer que le napolitain est une langue
régionale ce que l'UNESCO a confirmé en la déclarant au patrimoine
mondial en 2013.
Cela dit, la compréhension du
napolitain ancien n'est pas simple même si l'on lit l'italien. Au
cours de ce travail, l'ouvrage de Michele Scherillo: L'opéra
buffa napoletana durante il settecento, Storia letteraria
(1) a été un guide précieux.
Naples au temps de Salvatore di Giacomo, photo de Giacomo Brogi (1822-1881). |
Li zite 'n galera est un des premiers opéras bouffes représenté à Naples. Au 17ème siècle, les opéras de Francesco Cavalli, Luigi Rossi, Giulio Strozzi, etc....mélangeaient éléments dramatiques et comiques. Réagissant contre des scénarios partant dans tous les sens, les librettistes décidèrent en début de 18ème siècle d'appliquer à l'opéra les principes (unité de lieu, unité de temps...) du théâtre classique, créant ainsi un genre noble, l'opéra seria, traitant de sujets issus de mythes ou mythologies, mettant en scène des dieux ou déesses ou bien des personnages de la haute société dans des situations invraisemblables. Parallèlement un genre plus populaire, traitant de thèmes familiers de la vie quotidienne et impliquant des gens du peuple, vit le jour. Ces dernières œuvres, appelées commedia per musica ou bien opera buffa, étaient souvent écrites à partir de livrets en langue napolitaine (1).
Selon Michele
Scherillo, le premier opéra buffa représenté en 1709 à Naples,
fut sans doute Patro Calienno de la Costa, commedeja pe museca de
lo Dottore Agasippo Mercotellis, posta 'n museca da lo Segnore
Antonicco Arefece. Ce dernier compositeur est connu actuellement
sous le nom d'Antonio Orefice (1685-1727) en tant que compositeur de
plusieurs dramme per musica et commedie per musica en napolitain.
Patro Calienno obtint un très grand succès lors de sa
création, malheureusement il semble que la musique soit
définitivement perdue. Plusieurs autres comédies suivirent mais
vers 1720, Pietro Metastasio surgit avec ses livrets seria,
monopolisa la scène napolitaine et fit tomber l'opera bouffe en
disgrâce jusqu'à l'année 1730 environ. Toutefois Bernardo
Saddumene (?-1734?)
dont la carrière fut météorique, réussit à faire représenter plusieurs comédies, dont Le zite
'n galera (1).
Li zite 'n
galera a été sorti de l'oubli en 1979 au théâtre La Pergola de Florence grâce à une
mise en scène de Roberto de Simone dirigeant une palette exceptionnelle d'acteurs chanteurs. Depuis Antonio Florio et la Capella di Turchini réalisèrent une nouvelle production de ce spectacle et un enregistrement par le label opus 111, paru en 2000 (OPS
30-212/213), a permis de populariser
l'oeuvre. Plusieurs commentaires ont été écrits à propos de cet
enregistrement exceptionnel à tous points de vue dont un texte
particulièrement intéressant (4).
Vêtue d'habits d'homme et sous le
faux nom de Peppariello, arrive à Vietri une jeune fille, à la recherche d'un
gentilhomme nommé Carlo qui, tantôt, lui avait juré amour éternel.
Elle le retrouve mais lui a oublié cet amour de jeunesse. Au cours
de sa recherche, toujours déguisée en homme, elle suscite
involontairement l'amour d'une jeune fille, Ciomma, qui fait la
sourde oreille aux déclarations de Carlo, Titta, le barbier
Col'Agnolo, et le jeune garçon Cicariello. A cause de de Ciomma,
le faux Peppariello doit se battre, contre son gré, en duel contre
Carlo ! Au troisième acte débarque une galère remplie
d'esclaves destinées à être vendus au Grand turc. Le capitaine des
corsaires aperçoit alors Peppariello et dans son habit d'homme,
reconnaît avec colère sa fille Bellucia. Carlo se montre alors et
le capitaine le fait emprisonner sans ménagements. La compagnie
supplie alors le capitaine de libérer Carlo et le capitaine finit
par accepter. Des réjouissances générales accompagnent les noces
de Carlo et Bellucia.
Comme dans l'opéra
vénitien de Cavalli, le déguisement est ici la base de l'action
dramatique. De plus, de nombreux rôles masculins (Carlo, Titta,
Ciccariello) sont joués et chantés par des femmes et certains rôles
féminins (Meneca) sont chantés par des hommes, contribuant à la
confusion des genres. Les personnages sont inspirés
vraisemblablement de la comédie italienne. A part cela, le livret
est tiré par les cheveux et exploite des recettes bien huilées, concoctées avant tout pour plaire au public (quiproquos, turqueries,
intervention d'un deus ex machina etc...) et le comique de
situation prime largement sur le sens général.
La musique
transfigure un livret amusant et sans prétention. Leonardo Vinci que
l'on connait surtout pas ses opéras seria (Artaserse en
particulier), se montre très à l'aise dans cette comédie et dans
une musique qui ne rougit pas face à celles contemporaines de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Antonio Vivaldi (1678-1741) ou Nicola Porpora (1686-1768). Au plan formel, l'opéra ne se distingue
pas vraiment des opéras séria contemporains et, comme eux, se
compose d'une suite d'airs entrecoupés de récitatifs secs. Chaque
acte se termine par un petit ensemble (duetto, terzetto,
quintette). Comme dans l'opéra seria, les airs sont de type da capo
AA'BAA'' (A' et A'' représentent des variations d'un couplet A) et
généralement courts, évitant ainsi la monotonie inhérente à
cette structure. Le rythme de l'action est endiablé et les
personnages parlent vrai. L'humour est partout présent par petites
touches. A travers ces scènes du quotidien, c'est la vie qui
palpite dans chaque épisode (1).
Voici quelques
passages marquants :
Acte I
L'opéra s'ouvre
par une aria de Cicariello : Vorria addoventare sorecillo.
(je voudrais devenir une souris). Il s'agit d'une chanson
populaire napolitaine d'une troublante poésie, au rythme 12/8 lancinant et aux paroles
impertinentes qui sera reprise quelques décennies plus tard par
Giovanni Paisiello dans sa comédie Pulcinella vendicato nel
ritorno di Marechiaro, un opéra bouffe en napolitain, inspiré
de la commedia del arte qui présente beaucoup d'analogies avec Li
zite 'n galera (5). Le jeune garçon cherche désespérément à
conquérir une femme et ce personnage qui va également se travestir
en femme, anticipe étonnamment Cherubino, né un demi-siècle plus
tard.
L'aria
de Bellucia (déguisée en homme sous le nom de Peppariello) :
So' sciore senz'addore...(Je
suis une fleur sans odeur...) illustre bien les ambiguités
troublantes et sensuelles du travestissement. A propos de Ciomma qui
est amoureuse d'elle, elle dit : E Ciomma vo’ ‘no
frutto, Ch’io no le pozzo dà (Ciomma
veut un fruit que je ne peux lui donner).
L'aria
de Meneca : Ll’ommo è commo a ‘no piezzo de pane,
est une aria di paragone (air de comparaison ou de métaphore dont
raffolaient les spectateurs de l'époque). La vieille femme compare
l'homme à un morceau de pain ! Ce dernier peut-être frais ou
rassis.
Acte II
Aria
di Carlo : Vi’ che teranna! Che ngannatore...Aria
di furore typique de l'opéra seria.
Aria
di Meneca. La vieille femme qui poursuit Bellucia (Peppariello) de ses assiduités, se confie au jeune Ciccariello mais ce dernier murmure in petto: È
lo vero retratto de la pesta (C'est le vrai portrait de la peste).
Ce dialogue irrésistible aboutit à une tarentelle endiablée !
Terzetto,
Bellucia, Carlo, Ciomma. Fortuna cana, Oh Dio !
Très beau terzetto dont l'écriture très soignée, seul passage polyphonique de l'oeuvre, est tout à fait
typique de l'opéra seria.
Acte III
Duetto
Carlo, Bellucia. Che buo' che spera ?
C'est le duo principal des deux amoureux, écrit dans une tonalité mineure, et soutenu par un orchestre très expressif, c'est sans doute le sommet
émotionnel de l'opéra.
Le
bateau des turcs rempli d'esclaves débarque au son des trompettes,
des tambours et du canon. Après l'aria di guerra
du capitaine, on apprécie une amusante scène entre Meneca et le
turc Assan : Meneca pense que les pirates vont enlever les plus
belles femmes pour les emmener au sérail et s'inquiète, car elle
sera la première choisie. La scène désopilante se termine par une
sorte de marche turque avec un basson et un hautbois bien bavards.
Duetto
Cicariello-Rapisto : Core mio, carillo, carillo...
Charmante scène avec onomatopées, prototype des innombrables duos
comiques des opéras du futur.
Aria di Ciomma.
Nuje femmene simmo...Sur un rythme de...valse, c'est un
délicieux chant sans histoires, mis à part les reflexions désabusées
de Ciomma sur la condition des femmes..
Cet opéra est un
enchantement, il s'écoute avec délices. Nul doute que son influence
sur les compositeurs à venir sera très grande. La bibliothèque du conservatoire San Pietro a Majella de Napoli contient des trésors de la même époque qu'il serait passionnant de mettre à jour! On retrouve cet
esprit léger et joyeux de l'opéra bouffe napolitain dans nombre de
comédies ultérieures: La serva scaltra de Johann Adolph Hasse
(1729), Il paratajo de Niccolo Jommelli (1750), Le serve rivali de
Tommaso Traetta (1766), La canterina (1766) et Il mondo della luna
(1776) de Joseph Haydn et surtout le remarquable Pulcinella vendicato
(1765) de Giovanni Paisiello. Ce dernier a aussi été sorti de l'oubli par Antonio Florio et la Capella de' Turchini (5).
- Michele Scherillo, L'opéra buffa napoletana durante il settecento, Storia letteraria. First published 1917, reprint 2016 in India, Delhi-110052, Distributed by Gyan Books PVT. LTD. ISBN 4444000059778PB
- Carlo Iandolo, 'A lengua 'e Pulecenella, Grammatica napoletana, Franco Di Mauro Editore, Sorrento-Napoli, 1994.
- http://piero1809.blogspot.fr/2014/10/le-chant-populaire-napolitain.html
- L'enregistrement de Li zite 'n galera par Antonio Florio et la Capella de' Turchini (opus 111) est désormais épuisé. On espère qu'il sera réédité car il sera difficile de faire mieux !
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