Falstaff par Eduard von Grützner (1846-1925) |
Hier soir
j'ai écouté Falstaff,
opéra comique composé en 1799 sur un livret de Carlo Prospero Defranceschi, d'après Les joyeuses commères de Windsor de
Shakespeare. Falstaff, un des ultimes opéras de Salieri (le
dernier date de 1804) et un
des derniers opéras composé au 18ème siècle, peut être considéré comme
l'aboutissement de toute une tradition d'un demi-siècle d'opéra
bouffe. Dans Falstaff on trouvera non seulement des échos des opéras
antérieurs de Salieri mais aussi des opéras de ses contemporains,
ceux de Mozart et Haydn évidemment mais aussi ceux de Giuseppe
Sarti, Giovanni Paisiello ou Vicent Martin i Soler, et des tragédies
lyriques à la mode française. Le texte de Shakespeare a inspiré
plusieurs compositeurs antérieurs à Salieri. Le dernier en date
était Karl Ditters von Dittersdorf, auteur d'un singspiel, mis en
musique en 1796 à partir d'un livret de G. Ch. Romer (1).
Le livret
de Defranceschi reprend essentiellement la pièce de Shakespeare mais
supprime les deux jeunes amants, Anne et Fenton, simplifiant ainsi
l'intrigue.
En tentant de séduire à la fois Mistress Ford et Mistress Slender, Falstaff, s'attire les foudres de leurs maris. Il va payer cher ses entreprises galantes. D'abord emprisonné dans une malle en osier, il sera immergé dans la Tamise. Il subira enfin les sévices variés de sorcières et de lutins à la solde des époux Ford et Slender et in fine jurera de ne plus convoiter la femme de son prochain, mai piu (plus jamais)...
En tentant de séduire à la fois Mistress Ford et Mistress Slender, Falstaff, s'attire les foudres de leurs maris. Il va payer cher ses entreprises galantes. D'abord emprisonné dans une malle en osier, il sera immergé dans la Tamise. Il subira enfin les sévices variés de sorcières et de lutins à la solde des époux Ford et Slender et in fine jurera de ne plus convoiter la femme de son prochain, mai piu (plus jamais)...
Falstaff dans le panier à linge par Johann Heinrich Füssli (1741-1825) |
Ce qui frappe dans Falstaff c'est avant tout le métier extraordinaire de Salieri. Comment arrive-t-il donc à mener une action aussi touffue que complexe sans le moindre temps mort?
D'abord, les grands airs, destinés aux solistes en vogue, sont peu nombreux et assez courts ce qui fluidifie le discours musical. Ces airs se plient souvent aux conventions de l'opéra seria, on trouve parmi eux des aria di paragone (comparaison ou métaphore), di furore, ou di disperazione (lamento). Contrairement à l'opéra seria, les ensembles prennent ici une importance considérable. Les duettos, terzettos, quatuors etc... consistent en saynètes ultracourtes qui se succèdent à la vitesse de l'éclair avec un phénomène d'accélération quand on approche de la fin des deux actes. La brièveté des scènes et les contrastes très vifs d'une scène à l'autre et même à l'intérieur d'une même scène, sont très frappants et donnent une grande vivacité à l'action. Mais l'intérêt majeur de cet opéra réside dans la caractérisation de Falstaff, un glouton et un escroc, un personnage inquiétant au double visage. Il montre dans certaines scènes un visage bonasse et une certaine faconde. La face obscure de Falstaff apparait surtout dans les récitatifs accompagnés qui précèdent ses airs. Ces récitatifs, quelque peu sinistres, sont tout à fait typiques de Salieri. On retrouve un peu la même ambiance dans Axur, re d'Ormus, ce qui ne saurait étonner car Axur est, à mon avis, un personnage qui par certains côtés, ressemble à Falstaff
Bien sûr,
des réminiscences de Don Giovanni ou des Noces de Figaro sont
détectables de temps à autres dans Falstaff mais indiscutablement
cet opéra, pris dans sa globalité, ne doit rien à personne et a
une originalité très marquée. Au passif de Falstaff et des autres
opéras de Salieri, des phrases musicales parfois trop prosaïques et
manquant de distinction, mais ce défaut est largement compensé par
un agrément scénique exceptionnel. Tous les moyens, musique,
dramaturgie, prosodie italienne sont au service de la vie sur scène
et de l'action. A ce stade on peut faire des comparaisons avec l'art
des contemporains de Salieri, et en particulier de Cimarosa qui met
la vocalité sur le devant de la scène ou de Mozart chez qui la musique plus que le texte est le
moteur principal de l'action dramatique.
Les
sommets.
Acte I
Acte I
La sinfonia
d'ouverture (allegro di controdanza) donne le ton, elle est
entièrement construite sur un rythme de contredanse, habilement et
spirituellement varié qui annonce un opéra comique sans histoires
ce que démentent les deux finales d'actes aux accents souvent
dramatiques.
Le duo des
deux épouses Mistress Ford et Mistress Slender (scène 6) qui
constatent que Sir Falstaff leur a écrit une même lettre fort
inconvenante: la stessa, la
stessissima...dure une minute à peine, ce duo
irrésistible provoqua l'enthousiasme du public qui le faisait bisser
systématiquement!
La scène 11 Guten morgen mein Herr au cours de laquelle mistress Ford se déguise en allemande est un extra non présent dans la pièce de Shakespeare. Elle obtint aussi un grand succès. Vingt ans plus tôt, Joseph Haydn avait composé une scène tout aussi désopilante, basée sur le même déguisement dans l'Infedelta delusa, dramma giocoso datant de 1773!
Le vaste finale du premier acte est un des modèles du genre avec de belles envolées lyriques, de superbes vocalises et une science du contrepoint accomplie.
La scène 11 Guten morgen mein Herr au cours de laquelle mistress Ford se déguise en allemande est un extra non présent dans la pièce de Shakespeare. Elle obtint aussi un grand succès. Vingt ans plus tôt, Joseph Haydn avait composé une scène tout aussi désopilante, basée sur le même déguisement dans l'Infedelta delusa, dramma giocoso datant de 1773!
Le vaste finale du premier acte est un des modèles du genre avec de belles envolées lyriques, de superbes vocalises et une science du contrepoint accomplie.
Acte II
Aria de Mr
Ford (scène 8). Furie che mi agitate...Aria di furore assez
typique. C'est probablement l'air le plus virtuose de la partition.
Il se déroule dans un registre très tendu avec de nombreuses
accaciatures et vocalises redoutables. Il se termine par un suraigu
très bel canto qui annonce de près Rossini.
Charmant
duetto pastorale de Mistress Ford et Falstaff, Su, mio core, a
gioir ti prepara... (scène 9) accompagnés très joliment par un
hautbois et un cor. L'effronterie d'Alice Ford atteint un sommet.
Falstaff, de son côté, sait se montrer charmeur si nécessaire !
Aria
extraordinaire de Mr Slender (scène 17), Reca in amor la gelosia,
accompagné par le réseau sombre des cordes graves auxquelles
s'adjoignent le choeur des vents pour souligner les fins de phrase
ainsi que les mots mai piu de l'Echo. L'effet
produit est considérable (dixit Salieri lui-même)
(1) et, à mon humble avis, anticipe Berlioz, rien que ça!
Le finale
de l'acte II est assez typique de la manière de Salieri.: Au milieu
d'une scène plutôt endiablée, brusquement le calme revient et
alors débute un canon merveilleux entonné par mistress Ford sur les
paroles: Te sol amo, anima mia...Mr
Ford enchaine ensuite, les voix du couple Slender s'ajoutent aux
précédentes et le quatuor vocal ainsi réalisé nous ravit par le
beauté des contrepoints et des harmonies qui rappellent
un morceau semblable dans Nina ossia la
pazza per amore composée dix ans
auparavant par Giovanni Paisiello (2).
Ce finale est encore plus enlevé que le premier avec de grands morceaux de bravoure comme la persécution finale du pauvre Falstaff par les fausses sorcières qui s'inspire des scènes infernales d'Orfeo ed Euridice de Gluck
Ce finale est encore plus enlevé que le premier avec de grands morceaux de bravoure comme la persécution finale du pauvre Falstaff par les fausses sorcières qui s'inspire des scènes infernales d'Orfeo ed Euridice de Gluck
On
peut voir sur You Tube, retransmise du
Teatro Fraschini di Pavia (1997), une production de la Société de
l'Opera Buffa (directeur Aldo Tarabella)
dont est tirée la version discographique dirigée par Alberto Veronesi que je passe avec délices sur mon lecteur de CDs depuis une vingtaine d'années (enregistrement Chandos de 1998). Ce spectacle, mis en scène
par Beni Montresor, est décevant à plus d'un titre, du fait de la
mauvaise qualité du son et de l'image. Plus grave: on
ne gagne pas du tout à voir les chanteuses et chanteurs. Une partie
de la magie de la musique disparait. Le traitement exagérément
burlesque de la mise en scène gomme une partie des aspects
inquiétants du personnage titre.
Mr Ford, (Giuliano de
Filippo, ténor) et Mr Slender, (Fernando Luis Ciuffo,
basse) sont quelque peu hors-sujet, leur aspect grotesque manque de dignité et ne
contraste pas assez avec le personnage titre. Ils sont par contre vocalement
irréprochables.
Mistress Ford, (Lee Myeounghee) et Mistress Slender, (Chiara Chialli) sont remarquables vocalement, mais trop prosaïques. Du fait de leur agitation perpétuelle, les deux sopranos manquent de la séduction inhérente à la partition et au texte. Ce point est quand même essentiel si on veut comprendre la psychologie de Falstaff. D'accord c'est un glouton mais il est sensible au charme féminin. Dans mes rêves, ces deux dames brillaient davantage.
Seul Falstaff, sorte de Don Giovanni à l'envers, est représenté tel qu'en lui-même et tel que je l'imaginais, ce rôle est parfaitement incarné par Romano Francheschetti, acteur-chanteur remarquable!
Mistress Ford, (Lee Myeounghee) et Mistress Slender, (Chiara Chialli) sont remarquables vocalement, mais trop prosaïques. Du fait de leur agitation perpétuelle, les deux sopranos manquent de la séduction inhérente à la partition et au texte. Ce point est quand même essentiel si on veut comprendre la psychologie de Falstaff. D'accord c'est un glouton mais il est sensible au charme féminin. Dans mes rêves, ces deux dames brillaient davantage.
Seul Falstaff, sorte de Don Giovanni à l'envers, est représenté tel qu'en lui-même et tel que je l'imaginais, ce rôle est parfaitement incarné par Romano Francheschetti, acteur-chanteur remarquable!
L'excellent
orchestre Guido Cantelli de Milan et le choeur des Madrigalistes de
Milan sont dirigés avec autorité par Alberto Veronesi
Avec Gli
Orazi e i Curiazi (1796), admirable opera seria de
Cimarosa, Le cantatrici villane (1798), comédie éblouissante
de Valentino Fioravanti (4) et Falstaff (1799) de Salieri, le dix
huitième siècle finit en beauté.
- Filippo Poletti, Texte de présentation de Falstaff dans l'enregistrement Chandos, Chan 9613(2), 1998.
- http://piero1809.blogspot.fr/2015/01/le-cantatrici-villane.html
Merci pour ce commentaire judicieux d'un opéra encore bien trop négligé !
RépondreSupprimerDe nombreux enregistrements de cet opéra existent. Le seul sur instruments d'époque, à ma connaissance, est celui dirigé par Jean-Claude Malgoire, La Grande Ecurie et la Chambre du Roi, édité par le label Dynamics.
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