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lundi 4 décembre 2017

Imbroglios par Génération Baroque

Georg Philipp Telemann, Pimpinone
Giovanni Battista Pergolesi, Livietta e Tracollo

Martin Gester, Direction musicale et d'ensemble
Carlos Harmuch, Mise en scène
Anita Fuchs, Scénographie
Christian Peuckert, Lumières

Radoslava Vorgic, Vespetta
Niklas Mallmann, Pimpinone
Alessia Schumacher, Livietta
Johannes Schwarz, Tracollo

Génération Baroque, Atelier Lyrique du Parlement de Musique
Eglise Sainte Aurélie, le 11 novembre 2017
Chapelle Saint André (Andlau) le 12 novembre 2017

Au dix huitième siècle, un intermezzo était une brève pièce de caractère bouffon s'intercalant dans un opéra seria. Ce fut le cas de Pimpinone d'une part, et Tracollo e Livietta d'autre part, prévus comme intermèdes du Tamerlano de Haendel et de Adriano in Siria de Pergolesi, respectivement. Par la suite certains intermezzos prennent leur indépendance, poursuivent une carrière en leur nom propre. On considère qu'ils sont à l'origine de l'opera buffa, genre musical, comportant plusieurs actes, de taille nettement supérieure à celle de l'intermezzo. C'est ainsi qu'un intermezzo de Nicolo Piccinni, conçu comme intermède de son propre opéra l'Origille, devint en 1766 sous la plume inspirée de Giuseppe Haydn, un petit opéra bouffe délicieux en deux actes, La Canterina (1)
Le premier véritable opéra bouffe, Patro Calienno de la Costa d'Antonino Orefece, vit le jour à Naples en 1709 (2). Il fut bien vite suivi par de nombreux chefs-d'oeuvre comme Il trionfo del onore (1718) d'Alessandro Scarlatti et Li zite n'galera (1722) de Leonardo Vinci. Il faut croire que ces brillants débuts de l'opéra bouffe napolitain parvinrent jusqu'aux oreilles de Georg Philipp Telemann. Ce dernier composa dès 1725 Pimpinone, intermezzo giocoso dont le livret traite du même sujet que la Serva padrona, immortalisé par Pergolesi en 1733. Ce sujet était dans l'air et il est possible que Telemann fut également influencé par Vespetta et Pimpinone de Tomaso Albinoni créé à Vienne en 1717. Livietta e Tracollo est composée en octobre 1734 soit peu après La serva padrona. Il est encore vraisemblable que Pergolesi eut également connaissance de L'Artigiano gentiluomo de Johann Adolph Hasse, composé en 1726 dont le livret présente des similitudes avec celui de Livietta et Tracollo..

Livietta déguisée en paysan français et son amie. Photo Raymond Piganiol
Le style de ces deux délicieux intermezzos est relativement voisin bien que l'écriture de Telemann m'ait semblé nettement plus polyphonique que celle de Pergolesi. Chez Telemann l'aria avec da capo domine tandis que chez Pergolesi, la structure des airs est plus libre. La dimension parodique est présente dans les deux œuvres notamment dans Livietta et Tracollo où visiblement Pergolesi se moque de l'opéra seria, en particulier dans le récitatif et l'aria de Tracollo Misero ! A chi mi volgero ! où Tracollo invoque les divinités infernales, celles des airs et de la mer, les étoiles et les planètes. Dans la fin de Pimpinone (acte V), Telemann se déchaine également, notamment dans une sauvage Tarentelle, So quel, che si dice... où Pimpinone prend une voix de fausset.

Pimpinone e Vespetta, Photo Raymond Piganiol
Le Parlement de musique a eu l'idée d'intercaler ces deux intermezzos, l'un devenant l'intermède de l'autre, ou vice versa. Dans l'oeuvre en cinq actes ainsi obtenue, la fusion des épisodes est telle qu'à la fin on ne sait plus lequel est l'intermezzo et lequel est la pièce principale. L'imbroglio est total et on en est délicieusement troublé. Rien ne va plus, le maître devient esclave et la servante a conquis sa liberté à ses dépens. L'escroc impénitent décide de changer de vie et de devenir honnête. Le chaos s'installe dans une sorte d'épilogue où tout va sens dessus dessous. C'est le monde à l'envers, Il mondo al rovescio, selon la formule de Martin Gester et également Il trionfo delle donne !.


La corda intorno al collo, Photo Raymond Piganiol
La mise en scène (Carlos Harmuch) a été réalisée par la même équipe qui avait brillamment opéré dans l'Italiana in Londra de Cimarosa monté deux ans auparavant. Tout est mis en œuvre pour exprimer le côté très commedia del arte des deux intermezzos. Le déguisement permanent, vise à créer la confusion dans les esprits. Avec ce procédé immensément populaire à l'époque, les acteurs-chanteurs permettaient aux spectateurs de s'évader de leur quotidien. Quiproquos, trahisons, conflits, jeux amoureux, tous les coups sont permis quand on avance masqué. Du fait d'une magistrale direction d'acteurs, les chanteurs ne font pas semblant, ils s'amusent vraiment et les spectateurs avec eux. Pour tout décor (Anita Fuchs), un amoncellement de cartons de déménagement, des boites à chaussures ou à chapeaux et une penderie qui renferme les multiples déguisements des protagonistes ! Les éclairages (Christian Peuckert) mettent en valeur les couleurs et les postures, les contrastes entre les personnages.

Pimpinone e Vespetta, Photo Raymond Piganiol
Les quatre acteurs-chanteurs étaient totalement investis dans le spectacle. La soprano Radoslava Vorgic joue le rôle de la soubrette Vespetta qui troque à la fin son tablier blanc contre une superbe robe noire et d'élégantes chaussures, signes évidents de son ascension sociale. Sa belle voix agile mais en même temps puissante, son abattage vocal et scénique de tous les instants et son art de la vocalise firent merveille. La projection de la voix de Niklas Mallmann baryton est phénoménale, notamment dans Ella vuol mi confondere et ce chanteur devrait pouvoir endosser dans l'avenir de grands rôles de basso buffo comme Geronimo dans Il Matrimonio segreto. Le duetto avec Vespetta à la fin de l'acte 5, très élaboré musicalement, Wilde Hummel, böser Engel, fut un grand moment d'opéra et les deux artistes y rivalisèrent de virtuosité et d'engagement. Alessia Schumacher , soprano, m'a beaucoup impressionné avec son ravissant timbre de voix, ses beaux aigus, sa belle ligne de chant notamment dans son émouvante aria Caro perdonami,.... Avec ses mimiques irrésistibles, elle m'apparait idéale pour la commedia del arte. Johannes Schwarz, baryton, revêtant de nombreux déguisements, dont celui désopilant de Polonaise enceinte, donna mille témoignages de son talent d'acteur et de ses capacités vocales dans son aria : A Baldracca, buona gente, fate un po' la carità....ainsi que dans son air pathétique : Ecco il povero Tracollo...précédé d'un récitatif qui se moque de l'opéra seria.

Martin Gester était aux commandes de toute la troupe et en particulier d'un petit orchestre baroque composé de cordes et d'un continuo (clavecins, théorbe, guitare) fourni qui sonnait merveilleusement.

Ce spectacle, donné dans la vaste chapelle Saint André d'Andlau dont l'acoustique est remarquable, était un régal pour l'oreille et les yeux et le meilleur remède contre la neurasthénie.

(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, p 893-6. Le livret de l'intermezzo de Piccinni et de La Canterina sont identiques mais les musiques sont différentes. Il est possible que Haydn n'entendit jamais l'intermezzo de son collègue.
(2) Michele Scherillo, L'opéra buffa napoletana durante il settecento, Storia letteraria. First published 1917, reprint 2016 in India, Delhi-110052, Distributed by Gyan Books PVT. LTD. ISBN 4444000059778PB

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