Georg Philipp Telemann, Pimpinone
Giovanni Battista Pergolesi, Livietta e
Tracollo
Martin Gester, Direction musicale et
d'ensemble
Carlos Harmuch, Mise en scène
Anita Fuchs, Scénographie
Christian Peuckert, Lumières
Radoslava Vorgic, Vespetta
Niklas Mallmann, Pimpinone
Alessia Schumacher, Livietta
Johannes Schwarz, Tracollo
Génération Baroque, Atelier Lyrique
du Parlement de Musique
Eglise Sainte Aurélie, le 11 novembre
2017
Chapelle Saint André (Andlau) le 12
novembre 2017
Au dix huitième siècle, un intermezzo
était une brève pièce de caractère bouffon s'intercalant dans un
opéra seria. Ce fut le cas de Pimpinone d'une part, et
Tracollo e Livietta d'autre
part, prévus comme intermèdes du Tamerlano de
Haendel et de Adriano in Siria de Pergolesi, respectivement.
Par la suite certains intermezzos prennent leur indépendance,
poursuivent une carrière en leur nom propre. On considère qu'ils
sont à l'origine de l'opera buffa, genre musical, comportant
plusieurs actes, de taille nettement supérieure à celle de
l'intermezzo. C'est ainsi qu'un intermezzo de Nicolo Piccinni, conçu
comme intermède de son propre opéra l'Origille, devint en
1766 sous la plume inspirée de Giuseppe Haydn, un petit opéra
bouffe délicieux en deux actes, La Canterina (1)
Le
premier véritable opéra bouffe, Patro Calienno de la Costa
d'Antonino Orefece, vit le jour à Naples en 1709 (2). Il fut bien
vite suivi par de nombreux chefs-d'oeuvre comme Il trionfo del
onore (1718) d'Alessandro Scarlatti et Li zite n'galera (1722)
de Leonardo Vinci. Il faut croire que ces brillants débuts de
l'opéra bouffe napolitain parvinrent jusqu'aux oreilles de Georg Philipp Telemann. Ce dernier composa dès 1725 Pimpinone,
intermezzo giocoso dont
le livret traite du même sujet que la Serva padrona,
immortalisé par Pergolesi en 1733. Ce sujet était dans l'air et il
est possible que Telemann fut également influencé par Vespetta
et Pimpinone de Tomaso Albinoni créé à Vienne en 1717.
Livietta e Tracollo est composée en octobre 1734 soit peu
après La serva padrona. Il
est encore vraisemblable que Pergolesi eut
également connaissance de L'Artigiano gentiluomo
de Johann Adolph Hasse, composé en 1726 dont le livret présente des
similitudes avec celui de Livietta et Tracollo..
Livietta déguisée en paysan français et son amie. Photo Raymond Piganiol |
Le
style de ces deux délicieux intermezzos est relativement voisin bien
que l'écriture de Telemann m'ait semblé nettement plus polyphonique
que celle de Pergolesi. Chez Telemann l'aria avec da capo
domine tandis que chez Pergolesi, la structure des airs est plus
libre. La dimension parodique est présente dans les deux œuvres
notamment dans Livietta et Tracollo où visiblement Pergolesi se
moque de l'opéra seria, en particulier dans le récitatif et l'aria
de Tracollo Misero ! A chi mi volgero ! où Tracollo
invoque les divinités infernales, celles des airs et
de la mer, les étoiles et les planètes. Dans la fin de Pimpinone
(acte V), Telemann se déchaine également, notamment dans une
sauvage Tarentelle, So quel, che si dice... où Pimpinone
prend une voix de fausset.
Pimpinone e Vespetta, Photo Raymond Piganiol |
Le
Parlement de musique a eu l'idée d'intercaler ces deux intermezzos,
l'un devenant l'intermède de l'autre, ou vice versa. Dans
l'oeuvre en cinq actes ainsi obtenue, la fusion des épisodes est
telle qu'à la fin on ne sait plus lequel est l'intermezzo et lequel
est la pièce principale. L'imbroglio est total et on en est
délicieusement troublé. Rien ne va plus, le maître devient esclave
et la servante a conquis sa liberté à ses dépens. L'escroc
impénitent décide de changer de vie et de devenir honnête. Le chaos
s'installe dans une sorte d'épilogue où tout va sens dessus
dessous. C'est le monde à l'envers, Il mondo al rovescio,
selon la formule de Martin Gester et également Il trionfo delle
donne !.
La corda intorno al collo, Photo Raymond Piganiol |
La
mise en scène (Carlos Harmuch) a été réalisée par la
même équipe qui avait brillamment opéré dans l'Italiana in
Londra de Cimarosa monté deux ans auparavant. Tout est mis en
œuvre pour exprimer le côté très commedia del arte des
deux intermezzos. Le déguisement permanent, vise à créer la
confusion dans les esprits. Avec ce procédé immensément populaire
à l'époque, les acteurs-chanteurs permettaient aux spectateurs de
s'évader de leur quotidien. Quiproquos, trahisons, conflits, jeux
amoureux, tous les coups sont permis quand on avance masqué. Du fait
d'une magistrale direction d'acteurs, les chanteurs ne font pas
semblant, ils s'amusent vraiment et les spectateurs avec eux. Pour
tout décor (Anita Fuchs), un amoncellement de cartons de
déménagement, des boites à chaussures ou à chapeaux et une
penderie qui renferme les multiples déguisements des protagonistes !
Les éclairages (Christian Peuckert) mettent en valeur les couleurs
et les postures, les contrastes entre les personnages.
Pimpinone e Vespetta, Photo Raymond Piganiol |
Les
quatre acteurs-chanteurs étaient totalement investis
dans le spectacle. La soprano Radoslava Vorgic joue le rôle
de la soubrette Vespetta qui troque à la fin son tablier blanc
contre une superbe robe noire et d'élégantes chaussures, signes
évidents de son ascension sociale. Sa belle voix agile mais en même
temps puissante, son abattage vocal et scénique de tous les instants
et son art de la vocalise firent merveille. La projection de la voix
de Niklas Mallmann baryton est phénoménale, notamment dans
Ella vuol mi confondere et ce chanteur devrait pouvoir
endosser dans l'avenir de grands rôles de basso buffo comme Geronimo
dans Il Matrimonio segreto. Le duetto avec Vespetta à la fin de
l'acte 5, très élaboré musicalement, Wilde Hummel, böser
Engel, fut un grand moment d'opéra et les deux artistes y
rivalisèrent de virtuosité et d'engagement. Alessia Schumacher
, soprano, m'a beaucoup impressionné avec son ravissant timbre de
voix, ses beaux aigus, sa belle ligne de chant notamment dans son
émouvante aria Caro perdonami,....
Avec ses mimiques irrésistibles, elle m'apparait idéale pour la
commedia del arte. Johannes Schwarz, baryton, revêtant
de nombreux déguisements, dont celui désopilant de Polonaise
enceinte, donna mille témoignages de son talent d'acteur et de ses
capacités vocales dans son aria : A Baldracca, buona gente,
fate un po' la carità....ainsi
que dans son air pathétique : Ecco il povero Tracollo..., précédé d'un récitatif qui
se moque de l'opéra seria.
Martin
Gester était aux commandes de toute la troupe et en particulier
d'un petit orchestre baroque composé de cordes et d'un continuo
(clavecins, théorbe, guitare) fourni qui sonnait merveilleusement.
Ce
spectacle, donné dans la vaste chapelle Saint André d'Andlau dont
l'acoustique est remarquable, était un régal pour l'oreille et les
yeux et le meilleur remède contre la neurasthénie.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, p 893-6. Le livret de l'intermezzo de Piccinni et de La Canterina sont identiques mais les musiques sont différentes. Il est possible que Haydn n'entendit jamais l'intermezzo de son collègue.
(2) Michele Scherillo, L'opéra buffa napoletana durante il settecento, Storia letteraria. First published 1917, reprint 2016 in India, Delhi-110052, Distributed by Gyan Books PVT. LTD. ISBN 4444000059778PB
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, p 893-6. Le livret de l'intermezzo de Piccinni et de La Canterina sont identiques mais les musiques sont différentes. Il est possible que Haydn n'entendit jamais l'intermezzo de son collègue.
(2) Michele Scherillo, L'opéra buffa napoletana durante il settecento, Storia letteraria. First published 1917, reprint 2016 in India, Delhi-110052, Distributed by Gyan Books PVT. LTD. ISBN 4444000059778PB
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire