La comtesse, Cherubino et Susanna Photo Klara Beck |
Le Nozze di Figaro, opera
buffa en quatre actes (K 492)
Wolfgang Mozart
Lorenzo da Ponte, livret d'après
le Mariage de Figaro ou bien La folle journée de Pierre-Caron
Augustin de Beaumarchais
Patrick Davin, Direction
Musicale
Ludovic Lagarde, Mise en scène
Antoine Vasseur, Décors
Marie La Rocca, Costumes
Cécile Kretschmar, Maquillage
et coiffure
Sébastien Michaud, Eclairages
Christian Longchamp,
Dramaturgie
Davide Luciano, Le comte
Andreas Wolf, Figaro
Lauryna Bendziunaite, Susanna
Vannina Santoni, La comtesse
Almaviva
Catherine Trottmann, Cherubino
Arnaud Richard, Bartolo,
Marie-Ange Todorovitch,
Marcellina
Gilles Ragon, Don Basilio
François Almuzara, Don Curzio
Anaïs Ivoz, Barberina
Dominique Burns, Antonio
Fan Xie, Dominique Petit,
Deux jeunes filles.
Choeur de l'Opéra National du Rhin
(Direction Sandrine Abello)
Orchestre Symphonique de Mulhouse
Des trois opéras écrits en
collaboration avec Da Ponte, Le Nozze di Figaro est le plus
parfait à mon humble avis. Don Giovanni est évidemment plus intense
au plan dramatique et est plus audacieux aux plans harmonique et
orchestral mais souffre peut-être d'une petite baisse de régime au
milieu de l'acte II, notamment dans la version de Vienne où deux
pièces rapportées ralentissent le déroulement de l'action (1).
Après un premier acte absolument fabuleux au plan scénique, le
deuxième acte de Cosi fan tutte languit un peu du fait d'airs
un peu trop nombreux au détriment des ensembles (2). Rien de tel
dans les Nozze : l'équilibre entre airs et ensembles est
subtilement dosé, une parfaite unité stylistique y règne de bout
en bout et les quatre actes délivrent une progression dramatique
continue débouchant sur un finale magistral, comportant un choeur presque religieux. Des trois Da Ponte,
c'est peut-être aussi celui qui aura la postérité la plus
évidente. A l'écoute du Falstaff de Salieri créé en 1799,
on réalise que cette brillante comédie doit beaucoup aux Nozze
di Figaro et qu'il s'agit bien d'un hommage du maître vénitien
à son contemporain récemment disparu. Un siècle plus tard, Richard
Strauss se souviendra des Nozze di Figaro dont de nombreux
échos parsèment la partition de Der Rosenkavalier ; en
outre, avec Octavian, il va créer un personnage proche de
Cherubino. S'il fallait citer une seule scène illustrant la
perfection des Nozze di Figaro, je choisirais sans hésiter le duetto
à l'acte III de Susanna et la comtesse, Sul aria che soave
zeffiretto..., quintessence du
génie mozartien.
Susanna et Cherubino Photo Klara Beck |
Vu l'absence presque totale sur nos
scènes des opéras des contemporains de Mozart, on pourrait croire
que les chefs-d'oeuvre du Salzbourgeois sont nés dans un désert
musical. Evidemment il n'en est rien et l'examen des spectacles
offerts aux Viennois, nous montre que les Nozze di Figaro ont
germé sur un terreau fertile. Peu de temps avant la création des
Noces en 1786, le Burgtheater avait donné, Fra i due litiganti,
il terzo gode (1783) de Giuseppe Sarti, puis Il barbiere di
Siviglia de Giovanni Paisiello, suivi peu après de Il re
Teodoro in Venezia (1784) du même compositeur (3). Antonio
Salieri n'était pas en reste avec La Grotta di Trofonio
(1785), Domenico Cimarosa entrait sur la scène internationale avec
son remarquable Marito disperato (1785) et son chef-d'oeuvre,
Il Trame deluse (1786), mais c'était sans compter sur le
divin espagnol Vicent Martin i Soler qui, avec Il burbero di buon
cuore (1785), donna la mesure de son grand talent et devint la
coqueluche de Vienne. Parmi toutes
ces œuvres, c'est évidemment Il barbiere di Siviglia
qui eut le plus d'influence sur Mozart. Une seule écoute du
Barbiere di Siviglia montre de façon éclatante ce que la
comédie de Mozart doit au chef-d'oeuvre de son prédécesseur. L'air
de Cherubino, Voi che sapete, présente de profondes analogies
avec la cavatine, Saper bramate..., chantée par le comte dans
Il barbiere. Les exemples de ce type abondent et montrent que
Mozart était imprégné de la musique de Paisiello quand il composa
les Nozze. Dans ces conditions, il me semblerait judicieux de
représenter lors d'un festival Le Nozze di Figaro à la suite d'Il
barbiere di Siviglia de Paisiello (4).
Le discours politique contestataire de
Beaumarchais a certes été gommé dans le livret de da Ponte mais il
revient à Da Ponte et Mozart d'avoir privilégié une contestation
d'ordre sociétal et moral. On entre dans une nouvelle ère où la
toute puissance du seigneur sur ses sujets et sa maisonnée est
remise en cause. En s'alliant par delà les barrières sociales et
les privilèges de classe, la comtesse et Suzanne (et peut-être
Barberina), en tentant de contrecarrer les plans du comte, vont
contribuer à leur manière à ébranler le monde ancien dont la
chute sera précipitée quelques années plus tard. Ce sont ainsi les
femmes et elles-seules qui réaliseront leur propre émancipation.
Cette alliance n'est que circonstancielle, la société reste
inégalitaire, le jeune Cherubino est promis à un brillant avenir
tandis que celui de la petite paysanne Barberina est bien compromis.
En outre, les passions humaines défient les bouleversements sociaux,
les émois juvéniles de Cherubino, la jalousie du comte, ses
appetits sexuels, les pleurs de la comtesse, la détresse de
Barberina sont intemporels.
Le comte, Susanna Photo Klara Beck |
Ludovic Lagarde explique dans un
entretien (5) sa fascination pour les défilés de mode avec leur
mélange de violence et de somptuosité dans un contexte
assourdissant. C'est dans cet univers, pétri de traditions, qu'il
place l'action de l'opéra (6). Le château des Almaviva est devenu
une entreprise de mode. Le comte soumet le personnel féminin à un
harcèlement en règle en dépit des lois interdisant cet abus de
pouvoir. C'est un glouton plus qu'un séducteur, les ouvrières et
les top model de son entreprise ne lui suffisant pas,
Barberina et Susanna doivent subir ses assauts galants. Ce scenario
imaginé il y a un an, est aujourd'hui d'une actualité brûlante.
Rien de nouveau sous le soleil, cette transposition a d'autant plus
de sens que la mode était très en vogue à Vienne en cette fin de
siècle comme en témoigne le succès du Journal des Luxus und der
Moden fondé à Weimar en 1786. Le décor d'Antoine Vasseur
s'ingénie à marquer cette intemporalité du thème par sa nudité
sans austérité. Des panneaux aux surfaces planes ou courbes, mis en
valeur par les doux éclairages de Sébastien Michaud, se
superposent, s'entremèlent et offrent ainsi des recoins ou cachettes
bien propices aux ébats des protagonistes et aux rendez-vous
galants. Les beaux costumes imaginés par Marie La Rocca sont
aussi intemporels avec toutefois une vague allure dix huitième
siècle. Susanna porte une robe blanche lumineuse, prélude au
mariage qu'elle appelle de ses vœux, la comtesse revêt un
déshabillé vaporeux et suggestif aux brillantes couleurs dans les
deux premiers actes puis noir dans les deux derniers comme si elle
portait le deuil, celui de ses illusions peut-être. Très belle
direction d'acteurs tout au long de l'opéra et notamment dans la
géniale scène de l'acte II où Susanna et la comtesse habillent
Cherubino, scène très travaillée, d'une sensualité de bon aloi,
bien éloignée des débordements presque vulgaires de certaines
mises en scène récentes.
Finale de l'acte IV Photo Klara Beck |
La partition du personnage de Susanna
ne convient pas à un soprano léger car elle contient des graves
soutenus notamment dans l'air fameux de l'acte IV, Deh, vieni, non
tardar..., Lauryna Bendzunaïte m'a paru idéale pour ce
rôle avec une voix homogène dans toute l'étendue de sa tessiture,
un timbre chaleureux et un engagement de tous les instants. Après
une entrée sur scène un peu incertaine de Vannina Santoni
dans le rôle de la comtesse Almaviva, l'intonation est très vite
maitrisée et la belle soprano, en nous gratifiant d'un merveilleux
Dove sono..., a composé un personnage mélancolique et
séduisant. Catherine Trottmann a endossé le rôle de
Cherubino avec un talent fou, jouant à merveille sur l'androgynie du
personnage et nous gratifiant d'un superbe Voi che sapete.
Davide Luciano est pour moi une grande découverte avec sa
voix d'une projection insolente, il a donné au personnage du comte
Almaviva un côté plus emporté et vindicatif que de coutume mais
tout à fait crédible. Avec Andreas Wolf, très bien connu
par les amateurs de musique baroque, pas de surprises, c'est
décidément un remarquable Figaro. Les graves m'ont semblé manquer
un peu de puissance mais le medium et l'aigu sont admirables
notamment dans Non piu andrai... magistral! Barbarina a un
petit rôle mais essentiel et Anaïs Yvoz dans son air en fa
mineur, presque désespéré, s'est avérée très touchante. Au
brillant avenir promis au jeune aristocrate Cherubino, s'oppose celui
bien plus incertain de la petite paysannne qui a perdu, on ne sait
trop quoi, une épingle, ou son innocence? Marie-Ange Todorovitch
qu'on avait entendue à Strasbourg dans le répertoire contemporain
avec Quai Ouest, connait très bien Le nozze car elle avait
joué le rôle de Cherubino à Glyndenbourne. La mezzo a mis sa belle
voix au service de Marcellina, un rôle essentiel dans le
développement de l'intrigue. Ce personnage ainsi que ceux de Bartolo
(Arnaud Richard), de don Basilio (Gilles Ragon), de Don
Curzio (François Almuzara) interviennent très efficacement
dans les nombreux ensembles de la partition. Mention spéciale à
Gilles Ragon (Don Basilio) dans un amusant rôle travesti.
Dominic Burns a campé d'une voix tonitruante un personnage
haut en couleurs, celui d'Antonio, jardinier du château.
L'orchestre de Mulhouse a réalisé une
performance remarquable. J'ai été frappé par sa puissance sonore
notamment dans les deux marches militaires des premiers et troisièmes
actes. Toutefois les musiciens n'étaient jamais couverts dans les
arias ou les ensembles. Patrick Davin accorde une grande
importance à ces derniers, faire chanter et s'exprimer six
personnages à la fois est un avantage de l'opéra sur le théâtre à
condition qu'aucun personnage ne tente de prendre le dessus. Objectif
pleinement réussi car ces ensembles étaient exceptionnellement
réussis et on entendait toutes les voix.
- Il s'agit de l'air d'Elvira Mi tradi, quell'alma ingrata K 540a, chef d'oeuvre vocal et instrumental, digne des plus beaux personnages féminins de Mozart, mais hors sujet, à mon humble avis, dans Don Giovanni et l'air d'Ottavio, il mio tesoro, prévu au départ pour figurer à l'acte I.
- Qui suis-je pour critiquer un quart de soupir de la musique de Mozart ? Evidemment je ne fais qu'exprimer ici des préférences personnelles parmi trois œuvres exceptionnelles.
- Il re Teodoro in Venezia, dramma eroicomico de Giovanni Paisiello sur un livret étincelant de l'abbé Casti d'après Candide de Voltaire. Mozart assista à une représentation en 1784 et tomba gravement malade ensuite.
- A noter la représentation au Grand Théâtre de Genève en septembre 2017 de La Trilogie de Figaro avec successivement Il Barbiere di Siviglia de Rossini, Le Nozze di Figaro et Figaro gets a divorce.
- Ludovic Lagarde, Catherine Trottmann, Patrick Davin, Présentation des Nozze di Figaro, Librairie Kleber, 20 octobre 2017.
- Le film de Robert Altmann Prêt à porter (1994) me semble jeter sur le milieu de la mode un regard analogue à celui de Ludovic Lagarde.
- Version un peu plus développée de mon compte rendu sur Odb-opéra. http://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=19443
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