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dimanche 29 octobre 2017

Le nozze di Figaro à l'Opéra du Rhin

La comtesse, Cherubino et Susanna Photo Klara Beck

Le Nozze di Figaro, opera buffa en quatre actes (K 492)
Wolfgang Mozart
Lorenzo da Ponte, livret d'après le Mariage de Figaro ou bien La folle journée de Pierre-Caron Augustin de Beaumarchais

Patrick Davin, Direction Musicale
Ludovic Lagarde, Mise en scène
Antoine Vasseur, Décors
Marie La Rocca, Costumes
Cécile Kretschmar, Maquillage et coiffure
Sébastien Michaud, Eclairages
Christian Longchamp, Dramaturgie

Davide Luciano, Le comte
Andreas Wolf, Figaro
Lauryna Bendziunaite, Susanna
Vannina Santoni, La comtesse Almaviva
Catherine Trottmann, Cherubino
Arnaud Richard, Bartolo,
Marie-Ange Todorovitch, Marcellina
Gilles Ragon, Don Basilio
François Almuzara, Don Curzio
Anaïs Ivoz, Barberina
Dominique Burns, Antonio
Fan Xie, Dominique Petit, Deux jeunes filles.

Choeur de l'Opéra National du Rhin (Direction Sandrine Abello)
Orchestre Symphonique de Mulhouse

Des trois opéras écrits en collaboration avec Da Ponte, Le Nozze di Figaro est le plus parfait à mon humble avis. Don Giovanni est évidemment plus intense au plan dramatique et est plus audacieux aux plans harmonique et orchestral mais souffre peut-être d'une petite baisse de régime au milieu de l'acte II, notamment dans la version de Vienne où deux pièces rapportées ralentissent le déroulement de l'action (1). Après un premier acte absolument fabuleux au plan scénique, le deuxième acte de Cosi fan tutte languit un peu du fait d'airs un peu trop nombreux au détriment des ensembles (2). Rien de tel dans les Nozze : l'équilibre entre airs et ensembles est subtilement dosé, une parfaite unité stylistique y règne de bout en bout et les quatre actes délivrent une progression dramatique continue débouchant sur un finale magistral, comportant un choeur presque religieux. Des trois Da Ponte, c'est peut-être aussi celui qui aura la postérité la plus évidente. A l'écoute du Falstaff de Salieri créé en 1799, on réalise que cette brillante comédie doit beaucoup aux Nozze di Figaro et qu'il s'agit bien d'un hommage du maître vénitien à son contemporain récemment disparu. Un siècle plus tard, Richard Strauss se souviendra des Nozze di Figaro dont de nombreux échos parsèment la partition de Der Rosenkavalier ; en outre, avec Octavian, il va créer un personnage proche de Cherubino. S'il fallait citer une seule scène illustrant la perfection des Nozze di Figaro, je choisirais sans hésiter le duetto à l'acte III de Susanna et la comtesse, Sul aria che soave zeffiretto..., quintessence du génie mozartien.

Susanna et Cherubino Photo Klara Beck

Vu l'absence presque totale sur nos scènes des opéras des contemporains de Mozart, on pourrait croire que les chefs-d'oeuvre du Salzbourgeois sont nés dans un désert musical. Evidemment il n'en est rien et l'examen des spectacles offerts aux Viennois, nous montre que les Nozze di Figaro ont germé sur un terreau fertile. Peu de temps avant la création des Noces en 1786, le Burgtheater avait donné, Fra i due litiganti, il terzo gode (1783) de Giuseppe Sarti, puis Il barbiere di Siviglia de Giovanni Paisiello, suivi peu après de Il re Teodoro in Venezia (1784) du même compositeur (3). Antonio Salieri n'était pas en reste avec La Grotta di Trofonio (1785), Domenico Cimarosa entrait sur la scène internationale avec son remarquable Marito disperato (1785) et son chef-d'oeuvre, Il Trame deluse (1786), mais c'était sans compter sur le divin espagnol Vicent Martin i Soler qui, avec Il burbero di buon cuore (1785), donna la mesure de son grand talent et devint la coqueluche de Vienne. Parmi toutes ces œuvres, c'est évidemment Il barbiere di Siviglia qui eut le plus d'influence sur Mozart. Une seule écoute du Barbiere di Siviglia montre de façon éclatante ce que la comédie de Mozart doit au chef-d'oeuvre de son prédécesseur. L'air de Cherubino, Voi che sapete, présente de profondes analogies avec la cavatine, Saper bramate..., chantée par le comte dans Il barbiere. Les exemples de ce type abondent et montrent que Mozart était imprégné de la musique de Paisiello quand il composa les Nozze. Dans ces conditions, il me semblerait judicieux de représenter lors d'un festival Le Nozze di Figaro à la suite d'Il barbiere di Siviglia de Paisiello (4).

Le discours politique contestataire de Beaumarchais a certes été gommé dans le livret de da Ponte mais il revient à Da Ponte et Mozart d'avoir privilégié une contestation d'ordre sociétal et moral. On entre dans une nouvelle ère où la toute puissance du seigneur sur ses sujets et sa maisonnée est remise en cause. En s'alliant par delà les barrières sociales et les privilèges de classe, la comtesse et Suzanne (et peut-être Barberina), en tentant de contrecarrer les plans du comte, vont contribuer à leur manière à ébranler le monde ancien dont la chute sera précipitée quelques années plus tard. Ce sont ainsi les femmes et elles-seules qui réaliseront leur propre émancipation. Cette alliance n'est que circonstancielle, la société reste inégalitaire, le jeune Cherubino est promis à un brillant avenir tandis que celui de la petite paysanne Barberina est bien compromis. En outre, les passions humaines défient les bouleversements sociaux, les émois juvéniles de Cherubino, la jalousie du comte, ses appetits sexuels, les pleurs de la comtesse, la détresse de Barberina sont intemporels.

Le comte, Susanna Photo Klara Beck

Ludovic Lagarde explique dans un entretien (5) sa fascination pour les défilés de mode avec leur mélange de violence et de somptuosité dans un contexte assourdissant. C'est dans cet univers, pétri de traditions, qu'il place l'action de l'opéra (6). Le château des Almaviva est devenu une entreprise de mode. Le comte soumet le personnel féminin à un harcèlement en règle en dépit des lois interdisant cet abus de pouvoir. C'est un glouton plus qu'un séducteur, les ouvrières et les top model de son entreprise ne lui suffisant pas, Barberina et Susanna doivent subir ses assauts galants. Ce scenario imaginé il y a un an, est aujourd'hui d'une actualité brûlante. Rien de nouveau sous le soleil, cette transposition a d'autant plus de sens que la mode était très en vogue à Vienne en cette fin de siècle comme en témoigne le succès du Journal des Luxus und der Moden fondé à Weimar en 1786. Le décor d'Antoine Vasseur s'ingénie à marquer cette intemporalité du thème par sa nudité sans austérité. Des panneaux aux surfaces planes ou courbes, mis en valeur par les doux éclairages de Sébastien Michaud, se superposent, s'entremèlent et offrent ainsi des recoins ou cachettes bien propices aux ébats des protagonistes et aux rendez-vous galants. Les beaux costumes imaginés par Marie La Rocca sont aussi intemporels avec toutefois une vague allure dix huitième siècle. Susanna porte une robe blanche lumineuse, prélude au mariage qu'elle appelle de ses vœux, la comtesse revêt un déshabillé vaporeux et suggestif aux brillantes couleurs dans les deux premiers actes puis noir dans les deux derniers comme si elle portait le deuil, celui de ses illusions peut-être. Très belle direction d'acteurs tout au long de l'opéra et notamment dans la géniale scène de l'acte II où Susanna et la comtesse habillent Cherubino, scène très travaillée, d'une sensualité de bon aloi, bien éloignée des débordements presque vulgaires de certaines mises en scène récentes.

Finale de l'acte IV Photo Klara Beck
La partition du personnage de Susanna ne convient pas à un soprano léger car elle contient des graves soutenus notamment dans l'air fameux de l'acte IV, Deh, vieni, non tardar..., Lauryna Bendzunaïte m'a paru idéale pour ce rôle avec une voix homogène dans toute l'étendue de sa tessiture, un timbre chaleureux et un engagement de tous les instants. Après une entrée sur scène un peu incertaine de Vannina Santoni dans le rôle de la comtesse Almaviva, l'intonation est très vite maitrisée et la belle soprano, en nous gratifiant d'un merveilleux Dove sono..., a composé un personnage mélancolique et séduisant. Catherine Trottmann a endossé le rôle de Cherubino avec un talent fou, jouant à merveille sur l'androgynie du personnage et nous gratifiant d'un superbe Voi che sapete. Davide Luciano est pour moi une grande découverte avec sa voix d'une projection insolente, il a donné au personnage du comte Almaviva un côté plus emporté et vindicatif que de coutume mais tout à fait crédible. Avec Andreas Wolf, très bien connu par les amateurs de musique baroque, pas de surprises, c'est décidément un remarquable Figaro. Les graves m'ont semblé manquer un peu de puissance mais le medium et l'aigu sont admirables notamment dans Non piu andrai... magistral! Barbarina a un petit rôle mais essentiel et Anaïs Yvoz dans son air en fa mineur, presque désespéré, s'est avérée très touchante. Au brillant avenir promis au jeune aristocrate Cherubino, s'oppose celui bien plus incertain de la petite paysannne qui a perdu, on ne sait trop quoi, une épingle, ou son innocence? Marie-Ange Todorovitch qu'on avait entendue à Strasbourg dans le répertoire contemporain avec Quai Ouest, connait très bien Le nozze car elle avait joué le rôle de Cherubino à Glyndenbourne. La mezzo a mis sa belle voix au service de Marcellina, un rôle essentiel dans le développement de l'intrigue. Ce personnage ainsi que ceux de Bartolo (Arnaud Richard), de don Basilio (Gilles Ragon), de Don Curzio (François Almuzara) interviennent très efficacement dans les nombreux ensembles de la partition. Mention spéciale à Gilles Ragon (Don Basilio) dans un amusant rôle travesti. Dominic Burns a campé d'une voix tonitruante un personnage haut en couleurs, celui d'Antonio, jardinier du château.

L'orchestre de Mulhouse a réalisé une performance remarquable. J'ai été frappé par sa puissance sonore notamment dans les deux marches militaires des premiers et troisièmes actes. Toutefois les musiciens n'étaient jamais couverts dans les arias ou les ensembles. Patrick Davin accorde une grande importance à ces derniers, faire chanter et s'exprimer six personnages à la fois est un avantage de l'opéra sur le théâtre à condition qu'aucun personnage ne tente de prendre le dessus. Objectif pleinement réussi car ces ensembles étaient exceptionnellement réussis et on entendait toutes les voix.


  1. Il s'agit de l'air d'Elvira Mi tradi, quell'alma ingrata K 540a, chef d'oeuvre vocal et instrumental, digne des plus beaux personnages féminins de Mozart, mais hors sujet, à mon humble avis, dans Don Giovanni et l'air d'Ottavio, il mio tesoro, prévu au départ pour figurer à l'acte I.
  2. Qui suis-je pour critiquer un quart de soupir de la musique de Mozart ? Evidemment je ne fais qu'exprimer ici des préférences personnelles parmi trois œuvres exceptionnelles.
  3. Il re Teodoro in Venezia, dramma eroicomico de Giovanni Paisiello sur un livret étincelant de l'abbé Casti d'après Candide de Voltaire. Mozart assista à une représentation en 1784 et tomba gravement malade ensuite.
  4. A noter la représentation au Grand Théâtre de Genève en septembre 2017 de La Trilogie de Figaro avec successivement Il Barbiere di Siviglia de Rossini, Le Nozze di Figaro et Figaro gets a divorce.
  5. Ludovic Lagarde, Catherine Trottmann, Patrick Davin, Présentation des Nozze di Figaro, Librairie Kleber, 20 octobre 2017.
  6. Le film de Robert Altmann Prêt à porter (1994) me semble jeter sur le milieu de la mode un regard analogue à celui de Ludovic Lagarde.
  7. Version un peu plus développée de mon compte rendu sur Odb-opéra. http://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=19443

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