Patricia Petibon, soprano
Susan Manoff, piano
Johann Sebastian Bach
(1685-1750), Ich ruf' zu Dir, Herr Jesu Christ
Samuel Barber (1910-1981),
Crucifixion
Nicolas Bacri (*1961), All
through eternity, A la Mar
Erik Satie (1866-1925),
Idylle (piano solo)
Gabriel Fauré
(1845-1924), Au bord de l'eau
John Lennon (1940-1980),
Oh my love
Joaquin Rodrigo
(1901-1999), Adela
Yann Tiersen (*1970), Lok
Gweltaz, Yuzin (piano solo)
Gabriel Fauré, Les
Berceaux
Jean Cras (1879-1932), La
Rencontre
Ariel Ramirez (1921-2010)
– Felix Luna (1925-2009), Alfonsina y el Mar
Francis Poulenc
(1899-1963), Sanglots
Yann Tiersen (*1970), Porz
Goret (piano solo)
Enrique Granados
(1867-1916), Ay ! Majo de mi vida, El mirar de la maja, De aquel
majo amante.
Aaron Copland (1900-1990),
Piano blues n° 5 (piano solo)
Robert Baska (*1938),
Heart, we will forget him.
Thierry Escaich (*1965), Le
chant des lendemains
Eric Satie (1866-1925),
Méditation (piano solo)
Francisco Mignone
(1897-1986), Dona Janaina
Frederic Weatherly
(1848-1929), Danny Boy
Patricia Petibon a
donné à son récital un titre dont l'allitération sonne comme une
chanson. L'artiste a rédigé un commentaire poétique sur les vingt
pièces de son récital qu'on peut lire dans la notice du disque
éponyme paru très récemment (1).
Patricia Petibon et Susan
Manoff entrent sur scène, Patricia Petibon est vêtue d'une jupe
bleue, d'une marinière rayée bleu et blanc et d'un boléro bleu,
frangé de rouge, un costume marin très seyant approprié au grand
voyage initiatique auquel elle nous convie. De la Bretagne de Jean
Cras et de Yann Tiersen, elle nous conduit vers l'Espagne
pour une longue halte avec la belle mélodie mélancolique d'Adela
de Joaquin Rodrigo et trois superbes chants de Enrique
Granados. De l'Espagne
à l'Argentine d'Ariel Ramirez et Felix Luna,
il n'y a qu'une brasse mais le dépaysement est total au
Brésil de Francisco Mignone. Après un bref passage par les
Etats Unis avec Crucifixion de Samuel Barber, le voyage
maritime se termine par une escale dans les Iles Britanniques et en
Irlande avec respectivement Oh my love de John Lennon
et Danny Boy de Frederic Weatherley.
Bercés par la houle,
grisés par les embruns, nous ne voyons pas que la cantatrice et sa
complice nous entrainent vers un autre voyage, au tréfonds de l'âme,
celui-là. Les deux artistes nous amènent à nous interroger sur
l'amour, l'amour total qui conduit à la mort et à nous questionner
sur le sens de notre vie avec un regard souvent ironique, désabusé
mais toujours sincère. En outre, au cours des solos pour piano de Susan Manoff, Patricia Petibon invente un spectacle muet où elle endosse un costume de clown et effectue une
danse improvisée en compagnie d'êtres marins improbables qui
finissent dans le ventre d'une baleine. Tout cela vient à propos et
témoigne d'une imagination fertile.
Arnold Boecklin. Play of the Nereides (1886) |
Dans All through
eternity et A la mar,
de Nicolas Bacri, musiques évocatrices de grands espaces,
Patricia Petibon éblouit par sa gestion du souffle, la perfection de
ses aigus.
De retour de territoires
insolites, la soprano revient aux fondamentaux avec Au bord de
l'eau de Gabriel Fauré, chef d'oeuvre de jeunesse,
barcarolle insouciante où apparût de façon limpide l'étonnante
complicité existant entre Patricia Petibon et Susan Manoff. Dans Les
Berceaux, on admire la ligne de chant pure et l'incomparable
musicalité du phrasé et de l'articulation. Ces qualités on les
retrouve dans les Sanglots de Francis Poulenc,
compositeur fétiche que Patricia Petibon magnifia dans son
interprétation bouleversante de Soeur Constance dans Dialogues
des Carmélites. Dans La Rencontre, magnifique mélodie de
Jean Cras, Susan Manoff met en scène une tumultueuse tempête
marine, ça houle et ça tangue ! Mais les éléments agités ne
semblent pas affecter la cantatrice qui conclut le déroulé musical
désormais paisible des trois strophes par une note tenue d'une
merveilleuse pureté et un glissando comme si la mélodie était
emportée par le vent.
Dans la bouleversante
Alfonsina y el mar, d'Ariel Ramirez et Felix Luna,
les empreintes des pas d'Alfonsina dessinent un douloureux sentier
conduisant au fond obscur de la mer.
La musique vocale de
Enrique Granados mériterait d'être mieux connue et les trois
chants qu'interprète Patricia Petibon nous mettent l'eau à la
bouche. Ils font partie d'un recueil de quatorze chants intitulé:
Coleccion de tonadillas escritas en stilo antiguo (Collection
de chansons écrites en style antique) (2). Dans Ay! Majo de mi
vida, les deux strophes sont séparées par un interlude
pianistique où Susan Manoff égrène de jolies notes évoquant par
leur délicatesse une guitare. El mirar de la maja est
une chaconne avec une basse obstinée de cinq mesures, répétée
dix huit fois par le piano sur lequel la chanteuse brode un chant
très libre, une quasi improvisation mélancolique et troublante.
Dans De aquel majo amante, l'osmose entre les deux artistes
est admirable, l'une commence et l'autre reprend le fil de l'histoire
et les deux artistes n'en font plus qu'une.
Dans le chant des
lendemains de Thierry Escaich, Patricia Petibon écoute dans
un coquillage ce que lui raconte la mer : un voyage inouï au
dos d'une baleine, un violon dans la nuit ou le chant des
sirènes...(3). Le dialogue qui s'établit entre elle et la
pianiste est très animé, elles arrivent à un triple pianissimo à
la limite de l'audible sur les mots: Le temps c'est ce qui vient,
ce n'est pas ce qui passe et concluent sur un fortissimo abrupt.
Ara chloropterus, Jurong Bird Park, Sengkang |
Jusqu'au bout du récital,
Patricia Petibon n'aura pas fini de nous surprendre. Avec Dona
Janaina de Francisco Mignone, la Sirène de la mer,
protectrice des marins-pêcheurs, s'incarne dans un ara multicolore
qui s'exprime dans le langage des perroquets, idiome que Patricia
Petibon semble connaître puisqu'elle s'adresse aux spectateurs dans
cette langue. D'aucuns la comprennent et lui répondent. La soprano
les récompensera en leur offrant le bouquet qu'elle recevra en fin
de récital.
Le récital s'achevait
avec Danny Boy, chant d'amour et de mort de Frederic
Weatherley sur une mélodie populaire irlandaise. Les artistes
sont alors totalement investis dans la musique et les larmes viennent
aux yeux de ceux qui les entendent. Fin triple pianissimo.
Susan Manoff, (c) Oji Hall/photo Fumiaki Fujimoto |
J'ai été gêné tout au
long du concert par les applaudissements. Ceux-ci venaient trop tôt,
avant que la dernière note de la pianiste n'eût fini de résonner.
Mais ce désagrément ne pouvait gâcher la soirée. Patricia Petibon
se montra telle qu'en elle-même, merveilleuse et irremplaçable et
Susan Manoff l'accompagna avec une intelligence et une sensibilité
rares. Ces deux artistes au sommet de leur art illuminèrent la
soirée au cours d'un récital à la fois profond et léger. La salle
de l'opéra était pleine, du jamais vu pour un récital à l'ONR, et
le public manifesta bruyamment son contentement.
Cet article est issu d'un compte rendu publié dans odb-opéra, le 6 février 2020 (4).
- L'Amour, la Mort, la Mer. Patricia Petibon, Susan Manoff, disque paru le 14/02/2020 chez Sony Classical.
- Poème d'Olivier Py.
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