Vassily Kandinsky Le cavalier (1911) Musée BoijmansVan Beuningen |
L'opus 77 résultent d'une commande du prince Lobkowitz de six quatuors à cordes. Deux quatuors (HobIII.81 et HobIII.82) ont été terminés en 1799, un troisième était en gestation mais la composition de l'oratorio Les Saisons puis celle de l'Harmoniemesse obligèrent Joseph Haydn (1732-1809) à interrompre son travail sur ce quatuor. Deux mouvements seulement furent composés et furent publiés en 1803 sous l'étiquette d'opus 103.
Haydn tourne le dos aux fantaisies et innovations de l'opus 76; il nous offre avec les deux quatuors de l'opus 77, des oeuvres qui, avec les dernières symphonies et les derniers trios pou piano, violon et violoncelle, illustrent l'apogée du classicisme. Plus développés que les quatuors qui précèdent, les deux quatuors de l'opus 77 ont un côté épanoui et équilibré et une beauté mélodique sans égale. La rupture intervient dans les deux menuettos d'une audace incroyable qui n'ont plus rien à voir avec le menuet de cour des décennies précédentes et s'apparentent aux scherzos de la deuxième manière de Ludwig van Beethoven (1770-1827).
Quatuor en sol majeur opus 77 n°1, HobIII.81
Allegro moderato, 4/4 structure sonate. Après les innovations formelles des premiers mouvements de l'opus 76, Haydn revient à la structure sonate classique. Marc Vignal a fait remarquer que le quatuor opus 77 n° 1 s'ouvre par un thème de marche aux rythmes pointés caractéristiques, semblables à ceux qui ouvrent la sixième symphonie en la mineur de Gustave Mahler (1860-1911) (1,2). La ressemblance s'arrête là car il n'y a rien de commun entre le sauvage et tragique premier mouvement de la symphonie de Mahler et ce joyeux mouvement de Haydn, un des plus détendus de cette époque. Ce thème de marche souvent répété a une grande importance au début du mouvement. Il est suivi par un pont riche en triolets. Le second thème en ré majeur est bien individualisé et plus lyrique que ce qui précède. Il ne s'attarde pas car il laisse place à une nouvelle ritournelle en triolets qui aboutit aux barres de reprises. Si l'exposition fait 62 mesures, le développement s'étale sur 65 mesures. Il commence avec le thème initial et au bout d'une vingtaine de mesures semble s'arrêter avec le retour du thème initial dans le ton principal du morceau, mais c'était une fausse rentrée et un nouveau développement débute avec cette fois le second thème qui donne lieu à une effusion lyrique d'abord en la majeur puis en ré mineur. On remarque un passage en blanches mezzo voce qui apporte un fugace moment de calme et de détente, très poétique. La réexposition est semblable à l'exposition mais le second thème a disparu. Cette réexposition de 60 mesures équilibre parfaitement les deux sections précédentes (exposition et développement) produisant l'impression d'harmonie et de perfection d'un art parvenu à son sommet.
Adagio, mi bémol majeur, 4/4. Ce magnifique mouvement est peut-être le sommet du quatuor. Sa forme est difficile à cerner. Il est construit sur un thème admirable, d'une profondeur et d'une noblesse exceptionnelles. Ce thème sera répété au moins neuf fois, par chaque instrument, avec une harmonisation différente, dans des tonalités variées et chaque fois avec une expression renouvelée. On pense à des variations sur un thème mais la structure de ce mouvement est plus subtile car un tissu organique irrigue toutes les "variations" qui s'enchainent avec plus de fluidité et de naturel que dans le thème varié classique. On peut admirer également la maestria avec laquelle Haydn arrive à caser, ici 16 doubles croches sur deux temps, ou là 14 triples croches sur un temps, attestant la complexité rythmique de ce mouvement et le sens de l'improvisation de Haydn. A la fin le thème initial revient une dernière fois et est harmonisé de manière poignante. Fin pianissimo dans le recueillement.
Menuetto, Presto, ¾. Le terme de menuetto ne rend pas du tout compte des dimensions, de la vélocité, de l'énergie, de la motricité, développés par cet incroyable mouvement. On est aux antipodes du menuet de cour avec ce scherzo aux vastes proportions (180 mesures!) comparable à ceux que Beethoven, Schumann ou Brahms composeront plus tard. Le premier violon évolue avec la plus grande énergie dans les hauteurs les plus vertigineuses, il atteint même un ré 6 conquérant à la fin du menuetto. Le trio en mi bémol majeur est encore plus visionnaire, d'abord la tonalité de mi bémol abordée de façon abrupte après le sol majeur du menuetto produit un choc, ensuite ce trio est écrit presque tout le temps en noires staccato aux quatre instruments, produisant une sensation de piétinement sauvage. Quelques passages rageurs en croches viennent rompre son rythme impitoyable. Enfin la mention assai en début du trio suggère aux interprètes un tempo encore plus rapide que celui du menuet.
Finale, Presto, 2/4. Structure sonate. Ce finale est bâti sur un thème unique dont la saveur balkanique est très savoureuse. Ce thème est énoncé à l'unisson et piano. Alors qu'on s'attend à l'accord parfait de sol majeur, le mi de la mesure 2 du thème est surprenant et témoigne que routine et banalité sont exclues du discours de Haydn. Les appogiatures du thème vont jouer un rôle essentiel dans le développement de ce finale. Ce dernier débute en ré majeur et consiste principalement en entrées de fugato ou imitations entre violons et les basses. Les passages en doubles croches demandent au premier violon vélocité, légèreté et une intonation rigoureuse. A la fin du morceau une légère modification donne au thème un charme subtil et le mouvement s'achève avec une puissance étonnante, le premier violon dans l'extrême aigu et le violoncelle en puissants octaves brisés.
Adagio, mi bémol majeur, 4/4. Ce magnifique mouvement est peut-être le sommet du quatuor. Sa forme est difficile à cerner. Il est construit sur un thème admirable, d'une profondeur et d'une noblesse exceptionnelles. Ce thème sera répété au moins neuf fois, par chaque instrument, avec une harmonisation différente, dans des tonalités variées et chaque fois avec une expression renouvelée. On pense à des variations sur un thème mais la structure de ce mouvement est plus subtile car un tissu organique irrigue toutes les "variations" qui s'enchainent avec plus de fluidité et de naturel que dans le thème varié classique. On peut admirer également la maestria avec laquelle Haydn arrive à caser, ici 16 doubles croches sur deux temps, ou là 14 triples croches sur un temps, attestant la complexité rythmique de ce mouvement et le sens de l'improvisation de Haydn. A la fin le thème initial revient une dernière fois et est harmonisé de manière poignante. Fin pianissimo dans le recueillement.
Menuetto, Presto, ¾. Le terme de menuetto ne rend pas du tout compte des dimensions, de la vélocité, de l'énergie, de la motricité, développés par cet incroyable mouvement. On est aux antipodes du menuet de cour avec ce scherzo aux vastes proportions (180 mesures!) comparable à ceux que Beethoven, Schumann ou Brahms composeront plus tard. Le premier violon évolue avec la plus grande énergie dans les hauteurs les plus vertigineuses, il atteint même un ré 6 conquérant à la fin du menuetto. Le trio en mi bémol majeur est encore plus visionnaire, d'abord la tonalité de mi bémol abordée de façon abrupte après le sol majeur du menuetto produit un choc, ensuite ce trio est écrit presque tout le temps en noires staccato aux quatre instruments, produisant une sensation de piétinement sauvage. Quelques passages rageurs en croches viennent rompre son rythme impitoyable. Enfin la mention assai en début du trio suggère aux interprètes un tempo encore plus rapide que celui du menuet.
Finale, Presto, 2/4. Structure sonate. Ce finale est bâti sur un thème unique dont la saveur balkanique est très savoureuse. Ce thème est énoncé à l'unisson et piano. Alors qu'on s'attend à l'accord parfait de sol majeur, le mi de la mesure 2 du thème est surprenant et témoigne que routine et banalité sont exclues du discours de Haydn. Les appogiatures du thème vont jouer un rôle essentiel dans le développement de ce finale. Ce dernier débute en ré majeur et consiste principalement en entrées de fugato ou imitations entre violons et les basses. Les passages en doubles croches demandent au premier violon vélocité, légèreté et une intonation rigoureuse. A la fin du morceau une légère modification donne au thème un charme subtil et le mouvement s'achève avec une puissance étonnante, le premier violon dans l'extrême aigu et le violoncelle en puissants octaves brisés.
Vassily Kandinsky Jaune-rouge-bleu (1925) Musée National d'Art Moderne |
Quatuor en fa majeur opus 77 n° 2 HobIII.82
Quelles que soient les beautés du quatuor opus 77 n° 1, le quatuor en fa majeur opus 77 n° 2 le dépasse en inspiration, en noblesse et en densité. Il me paraît évoluer dans des sphères plus élevées. Haydn met un point final à ses quatuors à cordes avec une œuvre magnifique, peut-être son chef-d'oeuvre dans ce genre musical. Haydn termine chacun de ses corpus d'oeuvres en apothéose. C'était le cas pour sa dernière symphonie en ré majeur (HobI 104), son dernier trio en mi bémol majeur HobXV.30, comme ce sera le cas pour sa dernière messe en si bémol majeur (Harmoniemesse HobXXII.14).
Allegro moderato, 4/4, structure sonate. Ce premier mouvement éblouit par son architecture grandiose, sa perfection formelle et sa beauté mélodique. Il s'ouvre par un beau thème très chantant au premier violon simplement accompagné par les autres instruments. Bientôt une nouvelle idée de caractère rythmique en doubles croches apparaît, elle est contrepointée par un motif constitué par cinq croches et une blanche marquée par un sforzando qui va prendre un rôle de plus en plus important et va finir par envahir le quatuor. Le second thème en do majeur est énoncé sotto voce, il est aussi mélodieux que le premier, il lui ressemble, croit-on, jusqu'au moment où on découvre un contrechant au second violon qui n'est autre que le premier thème ! Un brillant unisson et une formule conclusive curieuse consistant en croches suivies d'appogiatures mettent un point final à cette exposition dont la longueur totale est de 58 mesures. Suit un des développements les plus denses de toute l'oeuvre de Haydn. Ce développement d'une durée de 56 mesures équilibre parfaitement l'exposition. Le premier thème fait d'abord une timide apparition dans le paysage mais le motif rythmique en doubles croches prend vite le dessus et circule successivement aux quatre instruments, il est suivi par le motif cinq croches, une blanche qui va maintenant s'imposer à travers de nombreuses modulations audacieuses, des chromatismes expressifs, des canons très serrés. Ce motif va perdre deux croches en route ce qui lui donne encore plus de nerf au terme de son parcours ! On arrive à la tonalité de mi bémol mineur au premier violon. Après le mi bémol du violon, on entend un ré dièze dans les profondeurs du violoncelle. La différence de quatre Hertz que l'on pourrait remarquer entre les deux notes n'est plus perceptible du fait que maintenant deux octaves les séparent et du fait de la différence de timbres. Ainsi grâce à l'ingéniosité de Haydn, l'enharmonie produit tout son effet sans que l'auditeur ne perde pied (3). On arrive donc en mi mineur ainsi qu'à un nouveau développement sur le motif rythmique puis à un grand crescendo suivi de trois violents accords fortissimo de do majeur et trois accords identiques pianissimo. Une grande pause d'une mesure et c'est la réexposition proche de l'exposition à quelques modifications près. La formule conclusive avec ses appogiatures donne lieu à une remarquable extension au caractère romantique. Cette réexposition de 57 mesures s'achève par deux accords vigoureusement sabrés. Les trois sections de la forme sonate par leur durée quasi identique donnent à ce mouvement son harmonie et une sensation de plénitude.
Menuetto, Presto, ma non troppo, ¾. Aussi génial que le menuetto du quatuor précédent, ce scherzo car il s'agit bien d'un scherzo, par ses ostinatos sauvages, ses notes répétées, ses contre temps, sa polyrythmie, ses modulations étranges, anticipe les mouvements du même type de Beethoven, Schubert, jusqu'aux cinquièmes et sixièmes quatuors de Bartok...Le contraste est saisissant avec le trio. Ce dernier est en ré bémol majeur, tonalité surprenante après le fa majeur du menuetto. Il se déroule toujours pianissimo dans une ambiance mystérieuse avec une grande phrase jouée par les quatre instruments unis au point qu'on ne sait plus qui conduit la mélodie. Ce trio anticipe étrangement l'inoubliable trio dans la même tonalité de ré bémol du scherzo du quintette à deux violoncelles en do majeur opus 161 de Schubert. Une coda permet de passer harmonieusement du ré bémol majeur à la tonalité principale du menuetto.
Andante, 2/4, ré majeur, thème et variations très libres. La tonalité de ré majeur déroute après le fa majeur du menuetto. La liberté tonale de Haydn est poussée à l'extrême dans ce quatuor. C'est pour moi, avec les tragiques variations en fa mineur pour pianoforte, HobXVII.6, le plus beau thème varié de toute l'oeuvre de Haydn. Le thème grave et solennel est énoncé par le premier violon dans son registre grave, simplement accompagné par le violoncelle. Au cours de la deuxième partie du thème ce dernier est repris, cette fois harmonisé par les quatre instruments dans leur registre le plus grave. La sonorité obtenu est d'une splendeur indicible et un élan mystique imprègne cette page. Les variations se succèdent ensuite de façon très libre, il n'y a plus de barres de reprises et c'est le second violon qui énonce le thème principal à différents registres ou bien dans différentes tonalités. On arrive de nouveau à des barres de reprises et le violoncelle s'empare du thème et lui donne une grandeur et un volume étonnants. Les autres instruments accompagnent, notamment le premier violon qui brode de délicates volutes de triples croches aboutissant à une cadence sur un fortissimo. On arrive alors au passage le plus sublime où le thème est harmonisé de façon bouleversante avec des inflexions mineures et conduit à une coda mélancolique et résignée, piano puis pianissimo. Haydn qui à cette époque s'envole vers la gloire, semble parfois sombrer dans la tristesse comme le montrent de façon répétée maints mouvements lents de quatuors à cordes ou de trios avec pianoforte, ainsi que les variations en fa mineur citées plus haut.
Finale, Vivace assai, 2/4, structure sonate. Il s'agit d'un nouvel exemple de finale symphonique, du même type que les derniers mouvements des quatuors opus 74 n° 1 en do majeur et n° 2 en fa majeur. C'est sans doute le plus puissant des trois et un mouvement qui couronne toute une vie consacrée au genre du quatuor à cordes. Par certains côtés et notamment par ses rythmes ravageurs, ce finale s'apparente aussi à l'opus 76 n° 6 en mi bémol majeur. Moins anguleux, nettement plus riche en mélodies que ce dernier finale de l'opus 76, il est tout autant disruptif pour citer, avec ce qualificatif, Marc Vignal (4). Difficile d'analyser un tel mouvement tant le tissu musical est dense et serré et les thèmes tellement imbriqués. On distingue toutefois un thème principal jouant sur l'ambiguité rythmique : sommes nous à ¾ ou bien à 3/2? Après un pont de doubles croches énergiques, un second thème syncopé apparaît mesure 40 et aboutit aux barres de reprises. Le développement débute avec plusieurs vigoureux canons sur le thème initial, à deux croches d'intervalle entre les quatre instruments. Le pont qui séparait les deux thèmes fait aussi l'objet d'un développement mais c'est maintenant le second thème qui est élaboré avec la plus grande énergie, les deux violons jouent à l'octave. Du fait des tonalités mineures, ce thème prend de plus en plus un caractère d'Europe centrale et la sonorité d'ensemble devient presqu'orchestrale. On en arrive à désirer entendre durant ce passage, des cuivres et des timbales. A partir de là, on aboutit à la réexposition qui est dans son ensemble, semblable à l'exposition. Toutefois le pont intermédiaire fait l'objet d'un nouveau développement et d'autre part le discours musical est transposé vers les hauteurs. La partie de premier violon devient de plus en plus virtuose et atteint même le ré 6. Quatre accords en triples cordes scellent l'unité d'airain de ce mouvement extraordinaire (5).
Quelles que soient les beautés du quatuor opus 77 n° 1, le quatuor en fa majeur opus 77 n° 2 le dépasse en inspiration, en noblesse et en densité. Il me paraît évoluer dans des sphères plus élevées. Haydn met un point final à ses quatuors à cordes avec une œuvre magnifique, peut-être son chef-d'oeuvre dans ce genre musical. Haydn termine chacun de ses corpus d'oeuvres en apothéose. C'était le cas pour sa dernière symphonie en ré majeur (HobI 104), son dernier trio en mi bémol majeur HobXV.30, comme ce sera le cas pour sa dernière messe en si bémol majeur (Harmoniemesse HobXXII.14).
Allegro moderato, 4/4, structure sonate. Ce premier mouvement éblouit par son architecture grandiose, sa perfection formelle et sa beauté mélodique. Il s'ouvre par un beau thème très chantant au premier violon simplement accompagné par les autres instruments. Bientôt une nouvelle idée de caractère rythmique en doubles croches apparaît, elle est contrepointée par un motif constitué par cinq croches et une blanche marquée par un sforzando qui va prendre un rôle de plus en plus important et va finir par envahir le quatuor. Le second thème en do majeur est énoncé sotto voce, il est aussi mélodieux que le premier, il lui ressemble, croit-on, jusqu'au moment où on découvre un contrechant au second violon qui n'est autre que le premier thème ! Un brillant unisson et une formule conclusive curieuse consistant en croches suivies d'appogiatures mettent un point final à cette exposition dont la longueur totale est de 58 mesures. Suit un des développements les plus denses de toute l'oeuvre de Haydn. Ce développement d'une durée de 56 mesures équilibre parfaitement l'exposition. Le premier thème fait d'abord une timide apparition dans le paysage mais le motif rythmique en doubles croches prend vite le dessus et circule successivement aux quatre instruments, il est suivi par le motif cinq croches, une blanche qui va maintenant s'imposer à travers de nombreuses modulations audacieuses, des chromatismes expressifs, des canons très serrés. Ce motif va perdre deux croches en route ce qui lui donne encore plus de nerf au terme de son parcours ! On arrive à la tonalité de mi bémol mineur au premier violon. Après le mi bémol du violon, on entend un ré dièze dans les profondeurs du violoncelle. La différence de quatre Hertz que l'on pourrait remarquer entre les deux notes n'est plus perceptible du fait que maintenant deux octaves les séparent et du fait de la différence de timbres. Ainsi grâce à l'ingéniosité de Haydn, l'enharmonie produit tout son effet sans que l'auditeur ne perde pied (3). On arrive donc en mi mineur ainsi qu'à un nouveau développement sur le motif rythmique puis à un grand crescendo suivi de trois violents accords fortissimo de do majeur et trois accords identiques pianissimo. Une grande pause d'une mesure et c'est la réexposition proche de l'exposition à quelques modifications près. La formule conclusive avec ses appogiatures donne lieu à une remarquable extension au caractère romantique. Cette réexposition de 57 mesures s'achève par deux accords vigoureusement sabrés. Les trois sections de la forme sonate par leur durée quasi identique donnent à ce mouvement son harmonie et une sensation de plénitude.
Menuetto, Presto, ma non troppo, ¾. Aussi génial que le menuetto du quatuor précédent, ce scherzo car il s'agit bien d'un scherzo, par ses ostinatos sauvages, ses notes répétées, ses contre temps, sa polyrythmie, ses modulations étranges, anticipe les mouvements du même type de Beethoven, Schubert, jusqu'aux cinquièmes et sixièmes quatuors de Bartok...Le contraste est saisissant avec le trio. Ce dernier est en ré bémol majeur, tonalité surprenante après le fa majeur du menuetto. Il se déroule toujours pianissimo dans une ambiance mystérieuse avec une grande phrase jouée par les quatre instruments unis au point qu'on ne sait plus qui conduit la mélodie. Ce trio anticipe étrangement l'inoubliable trio dans la même tonalité de ré bémol du scherzo du quintette à deux violoncelles en do majeur opus 161 de Schubert. Une coda permet de passer harmonieusement du ré bémol majeur à la tonalité principale du menuetto.
Andante, 2/4, ré majeur, thème et variations très libres. La tonalité de ré majeur déroute après le fa majeur du menuetto. La liberté tonale de Haydn est poussée à l'extrême dans ce quatuor. C'est pour moi, avec les tragiques variations en fa mineur pour pianoforte, HobXVII.6, le plus beau thème varié de toute l'oeuvre de Haydn. Le thème grave et solennel est énoncé par le premier violon dans son registre grave, simplement accompagné par le violoncelle. Au cours de la deuxième partie du thème ce dernier est repris, cette fois harmonisé par les quatre instruments dans leur registre le plus grave. La sonorité obtenu est d'une splendeur indicible et un élan mystique imprègne cette page. Les variations se succèdent ensuite de façon très libre, il n'y a plus de barres de reprises et c'est le second violon qui énonce le thème principal à différents registres ou bien dans différentes tonalités. On arrive de nouveau à des barres de reprises et le violoncelle s'empare du thème et lui donne une grandeur et un volume étonnants. Les autres instruments accompagnent, notamment le premier violon qui brode de délicates volutes de triples croches aboutissant à une cadence sur un fortissimo. On arrive alors au passage le plus sublime où le thème est harmonisé de façon bouleversante avec des inflexions mineures et conduit à une coda mélancolique et résignée, piano puis pianissimo. Haydn qui à cette époque s'envole vers la gloire, semble parfois sombrer dans la tristesse comme le montrent de façon répétée maints mouvements lents de quatuors à cordes ou de trios avec pianoforte, ainsi que les variations en fa mineur citées plus haut.
Finale, Vivace assai, 2/4, structure sonate. Il s'agit d'un nouvel exemple de finale symphonique, du même type que les derniers mouvements des quatuors opus 74 n° 1 en do majeur et n° 2 en fa majeur. C'est sans doute le plus puissant des trois et un mouvement qui couronne toute une vie consacrée au genre du quatuor à cordes. Par certains côtés et notamment par ses rythmes ravageurs, ce finale s'apparente aussi à l'opus 76 n° 6 en mi bémol majeur. Moins anguleux, nettement plus riche en mélodies que ce dernier finale de l'opus 76, il est tout autant disruptif pour citer, avec ce qualificatif, Marc Vignal (4). Difficile d'analyser un tel mouvement tant le tissu musical est dense et serré et les thèmes tellement imbriqués. On distingue toutefois un thème principal jouant sur l'ambiguité rythmique : sommes nous à ¾ ou bien à 3/2? Après un pont de doubles croches énergiques, un second thème syncopé apparaît mesure 40 et aboutit aux barres de reprises. Le développement débute avec plusieurs vigoureux canons sur le thème initial, à deux croches d'intervalle entre les quatre instruments. Le pont qui séparait les deux thèmes fait aussi l'objet d'un développement mais c'est maintenant le second thème qui est élaboré avec la plus grande énergie, les deux violons jouent à l'octave. Du fait des tonalités mineures, ce thème prend de plus en plus un caractère d'Europe centrale et la sonorité d'ensemble devient presqu'orchestrale. On en arrive à désirer entendre durant ce passage, des cuivres et des timbales. A partir de là, on aboutit à la réexposition qui est dans son ensemble, semblable à l'exposition. Toutefois le pont intermédiaire fait l'objet d'un nouveau développement et d'autre part le discours musical est transposé vers les hauteurs. La partie de premier violon devient de plus en plus virtuose et atteint même le ré 6. Quatre accords en triples cordes scellent l'unité d'airain de ce mouvement extraordinaire (5).
Vassily Kandinsky Composition X (1939) Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen |
A l'écoute de ces deux œuvres flamboyantes, force est de constater que Haydn avait tout dit, tout prévu et tout expérimenté dans le domaine du quatuor à cordes.
(1) http://piero1809.blogspot.fr/2017/01/une-symphonie-tragique.html
(2) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.
(3) Haydn était sensible à la justesse de l'intonation. Sur son autographe, Haydn indique l'istesso tuono, le même son, ce qui suggère que le violoncelliste qui deux mesures auparavant tenait un mi bémol, ne devrait pas bouger son doigt pour jouer le ré dièze. Plus loin, il recommande au violoniste de jouer un la3 sur la corde la à vide, ce qui permet de remettre les pendules à l'heure (4).
(4) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, p 1391-4.
(5) A mon humble avis, ce mouvement présente des analogies avec le finale du quatuor n° 23 en fa majeur K 590 de Wolfgang Mozart composé en 1790 soit près de dix ans plus tôt. Cela ne saurait étonner car ce mouvement de Mozart est un des plus haydniens que je connaisse. Le menuetto de ce quatuor de Mozart avec ses harmonies grinçantes et son caractère burlesque est absolument unique dans la production du salzbourgeois.
(5) A mon humble avis, ce mouvement présente des analogies avec le finale du quatuor n° 23 en fa majeur K 590 de Wolfgang Mozart composé en 1790 soit près de dix ans plus tôt. Cela ne saurait étonner car ce mouvement de Mozart est un des plus haydniens que je connaisse. Le menuetto de ce quatuor de Mozart avec ses harmonies grinçantes et son caractère burlesque est absolument unique dans la production du salzbourgeois.
(6) Les illustrations, libres de droits, proviennent de l'article sur Vassily Kandinsky publié par Wikipedia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Vassily_Kandinsky
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire